Maniac Mansion : Day of the Tentacle

Développeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Éditeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Titres Alternatifs : Day of the Tentacle (titre usuel), Il Giorno del Tentacolo (Italie), Der Tag des Tentakels (Allemagne), День Щупальца (Den’ Schupaltsa, Russie)
Testé sur : PC (DOS)Macintosh
Disponible sur : iPad, iPhone, Linux, Macintosh, PlayStation 4, PS Vita, Windows, Windows Apps, Xbox One (Remaster de 2016)
En vente sur : GOG.com (Linux, Macintosh, Windows), Mac App Store (Macintosh), PlayStation Store (PlayStation 4), Steam.com (Windows)

La série Maniac Mansion (jusqu’à 2000) :

  1. Maniac Mansion (1987)
  2. Day of the tentacle (1993)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Juin 1993 (disquette) – Septembre 1993 (CD-ROM)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Anglais (voix), français (textes)
Supports : CD-ROM, Disquette 3,5″ (x7)
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Versions testées : Versions CD-ROM et disquette françaises émulées sous ScummVM
Configuration minimale : Processeur : Intel 80286 – OS : MS-DOS 3.1 (version disquette), MS-DOS 5.0 (version CD-ROM) – RAM : 640ko (version disquette), 2Mo (version CD-ROM) – MSCDEX (version CD-ROM) : 2.1 – Vitesse du lecteur CD-ROM : 2X (300ko/s)
Modes graphiques supportés : VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, General MIDI, haut-parleur interne, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (version CD-ROM) :

Comment présenter un jeu comme Day of the Tentacle ?


À l’époque bénie où la société LucasArts et le jeu d’aventure connaissaient tous les deux un âge d’or – l’un n’étant certainement pas étranger à l’autre – combien de titres majeurs faut-il retenir parmi ceux sortis entre 1990 et 1995 ?

Si le nom de Monkey Island est désormais connu par à peu près n’importe quel joueur, quel que soit son âge, beaucoup évoqueront également ce qu’ils considèrent aujourd’hui comme le point-and-click humoristique ultime. Drôle, rythmé, avec une réalisation exemplaire, des animations à la Tex Avery, un humour à la Chuck Jones (ou l’inverse), le tout enrobant un scénario aussi absurde qu’absolument génial… Pas d’erreur : il ne peut s’agir que de Sam & Max ou de l’extraordinaire suite de Maniac Mansion : Day of the Tentacle, un jeu dont le titre est déjà tout un programme.

Commençons d’abord par aborder l’histoire. Je préfère vous prévenir : accrochez-vous.

Cinq ans après les événements narrés dans Maniac Mansion (et dont la connaissance n’est absolument pas nécessaire pour aborder le jeu, mais nous y reviendrons), la nature en fête laisse parler sa joie au cours d’un jour parfaitement banal, près du manoir de Fred Edison, le chef de famille déjanté du précédent opus. Les fleurs se balancent au vent, la rivière chante, les oiseaux aussi d’ailleurs – du moins jusqu’à ce qu’ils parviennent à hauteur du mutagène toxique relâché par le Pollu-O-Matic du Dr. Fred dans la rivière qui jouxte le logis familial, où les choses se passent un peu moins bien pour eux. Mais voilà justement que deux tentacules, Pourpre et Vert, approchent de la boue toxique crachée par les tuyaux de la machine susmentionnée – et naturellement, Pourpre a soif… Je vous laisse découvrir le reste de l’excellente introduction du jeu dans la vidéo qui ouvre cette article, mais sachez que, pour empêcher le tentacule pourpre – soudain transformé en génie du mal – de conquérir le monde, Bernard Bernoulli, rescapé du premier opus, ainsi que Hoagie le roadie et Laverne la, hmm, tarée, devront voyager dans le temps à l’aide des Chrono-WC inventés par le Dr. Fred. Sauf que, bien évidemment, le voyage va mal se passer, coinçant Hoagie 200 ans dans le passé et Laverne 200 ans dans le futur…

Je sais ce que vous pensez : ça commence très fort. Vous aurez peut-être envie de relire ce scénario pour vous assurer d’avoir tout compris : n’hésitez pas. Le plus brillant, c’est qu’une fois placé devant le jeu, toute la suite d’événements grotesques qui vont conduire vos trois personnages à agir au même endroit à trois époques différentes vous paraitra d’une logique parfaitement limpide. Vos objectifs seront donc clairs d’entrée de jeu : tout d’abord, trouver un moyen de ramener Hoagie et Laverne dans le présent, pour y rejoindre Bernard. Et ensuite, reprendre le plan initial et voyager jusqu’à la veille pour couper le Pollu-O-Matic et empêcher le tentacule pourpre de se transformer en génie et de conquérir le monde.

Simple sur le papier ? Même pas, mais attendez un peu de vous retrouver confrontés aux dizaines de trouvailles composant les énigmes du jeu pour pouvoir apprécier le programme à sa juste valeur. Car naturellement, si vos personnages peuvent s’échanger quelques menus objets par le biais de leur Chrono-WC (oui, cela aussi finira par vous paraître évident), il faudra également manipuler le temps à de très nombreuses reprises pour parvenir à vos fins, une action effectuée à l’époque coloniale pouvant parfaitement avoir des répercussions dans le lointain futur où les tentacules ont fini par prendre le pouvoir. Ne soyez donc pas étonnés d’avoir à congeler des hamsters, à modifier la constitution américaine, ou même à donner une forme très originale à la bannière étoilée : Day of the Tentacle ne respecte rien, et on lui en sera infiniment reconnaissant.

Autant aborder immédiatement le principal point fort du titre : son humour, à la fois léger et absurde, qui a le bon goût de faire mouche quasi-systématiquement. Plus encore que les dialogues savoureux, on retiendra la multiplicité des situations aberrantes, personne ne semblant choqué de voir un roadie discuter avec un cheval au milieu des pères fondateurs, ou des tentacules organiser des concours de beauté pour humains – toujours dans différentes variations du manoir du Dr. Fred, qui constituera le cadre de jeu des trois périodes. Car oui : ne soyez pas surpris de croiser, dans ce qui n’était encore qu’une auberge minable, Thomas Jefferson, George Washington ou Benjamin Franklin : c’est parfaitement normal. Et les amateurs de références historiques pourront apprécier à leur juste valeur les manipulations d’anecdotes célèbres qui transforment Washington en un abatteur de cerisiers professionnel, ou John Hancock en un homme qui espère fasciner les femmes avec la taille de sa signature.

On appréciera surtout la qualité exceptionnelle du design et de l’animation, le jeu réservant son lot de scènes croustillantes provoquant une franche hilarité, mais aussi une patte inimitable qui s’affirme au moindre décor à la perspective improbable, ou au soin apporté aux mouvements de vos personnages pour des animations aussi variées que de descendre le long d’un conduit de cheminée, de rentrer dans une horloge ou d’assassiner un clown gonflable à l’aide d’un scalpel. L’ambition du titre, même sur disquettes, est là encore notable : comme l’extrait des quinze premières minutes en fin de test vous le montrera, toutes les cinématiques de début du jeu sont intégralement doublées, profitant ainsi de l’espace offert par les sept disquettes du titre – et permettant de doter chaque personnage d’une identité forte dès les premières secondes de la partie.

À force d’entendre parler de références aussi obscures que les tentacules, le Dr. Fred ou encore cette fascination étrange qui semble entourer les hamsters et les micro-ondes, vous pourriez vous demander si le jeu ne s’adresse pas exclusivement aux joueurs de Maniac Mansion. Comme cela a déjà été souligné, la réponse est « non » : le jeu comprend bien évidemment tout un lot de clins d’œil au premier opus, à commencer par la famille Edison au grand complet et ce qu’elle est devenue après avoir été possédée par un météore tombé du ciel cinq ans auparavant, mais un joueur n’ayant jamais touché au prédécesseur de Day of the Tentacle ne mettra pas plus de quelques minutes à trouver ses marques dans l’univers ô combien unique du titre.

Mais, copieuse cerise sur un gâteau aux proportions déjà colossales, Maniac Mansion en entier est intégralement jouable dans le jeu pour ceux qui voudraient rattraper leur retard. Comment ? D’une manière très simple : pas de code secret, pas d’easter egg à débloquer : rendez-vous simplement dans la chambre d’Ed Edison, dans le présent, et utilisez l’ordinateur qui s’y trouve, et voilà ! Deux jeux pour le prix d’un, sachant que cette version « 2.0 » de Maniac Mansion a également connu son lot de petites modifications, la rendant encore un peu ardue que la version originale. Une initiative comme on aimerait en voir plus souvent.

Parlons interface, à présent : celle-ci, présente en bas de l’écran, se compose toujours de verbes comme cela était le cas pour tous les jeux d’aventure Lucasarts depuis… Maniac Mansion, justement. On remarquera néanmoins que celle-ci a été grandement optimisée : il n’y a plus que neuf verbes, désormais – évitant ainsi les nombreux doublons qui compliquaient inutilement les choses, et l’inventaire (lui aussi constamment présent à l’image) est présenté de manière graphique, avec des icônes très parlantes et parfaitement dessinées.

Deux petits portraits en bas à droite vous permettront de changer de personnage d’un simple clic – à condition que le personnage en question soit libre de ses mouvements, naturellement – et, afin d’éviter les allez-et-retours fastidieux jusqu’aux Chrono-WC, il suffira de faire glisser un objet jusqu’à l’un de ces portraits pour le transmettre à un de vos compagnons. On appréciera l’efficacité implacable de cette interface qui, contrairement à celle du premier opus, n’a pas pris une ride. En termes de durée de vie, les choses sont un peu plus difficiles à mesurer : cela dépendra de votre capacité à assimiler la logique assez particulière du titre. Aucune énigme n’est illogique ou incompréhensible ; je me souviens avoir fini le titre en trois jours lors de ma première partie – mais trois jours où j’avais été pour ainsi dire totalement incapable de décrocher du jeu. Une dizaine, voire une quinzaine d’heures me semble être une estimation correcte – dans tous les cas, croyez-moi, vous n’en regretterez pas la moindre minute.

Un mot, enfin – comme c’est désormais la tradition – sur la version française. Ne faisons pas durer le suspense : celle-ci est d’excellente qualité. Certes, on y trouve certaines coquilles récurrentes – le traducteur ignorant visiblement 1) que « tentacule » est un nom de genre masculin et 2) les règles de conjugaison permettant de distinguer un futur d’un conditionnel – mais cela n’impacte en rien le style et l’efficacité de la transcription de l’humour du jeu.

Certaines blagues sonnent même mieux en V.F. qu’en V.O. – un exploit suffisamment rare pour être mentionné. Et pour ce qui est de la version CD-ROM, rien de très surprenant : le jeu est totalement identique à la version d’origine mais rajoute un doublage intégral, dont on avait déjà pu juger d’une partie de la qualité lors de l’introduction de la version disquettes. Aucune version n’existe avec des voix françaises –  ce qui n’est pas forcément dommage, tant les voix originales collent à la perfection à leurs personnages – il faudra donc profiter de cette version CD en V.O.S.T.FR. Seul petit regret : le casting vocal se limite à cinq acteurs, ce qui fait que les mêmes voix reviennent trop souvent. Après ce qu’avait laissé entrevoir l’introduction, on espérait également une folie plus marquée – le résultat est propre, efficace, mais on aurait apprécié qu’il soit également un peu plus ambitieux.

Vidéo – Quinze minutes de jeu (version CD-ROM) :

Récompenses:

  • Tilt d’or 1993 (Tilt n°121, décembre 1993) – Meilleur jeu d’aventure
  • Tilt d’argent 1993 (ibid.) – Tilt d’or Micro Kids

NOTE FINALE : 19/20 Au royaume du point-and-click, Day of the Tentacle est plus qu'un roi, c'est une légende. De la première à la dernière seconde de jeu, le titre vous transporte dans un univers à la Tex Avery où l'absurde et la folie douce sont la norme, et où les Pères Fondateurs côtoient sans aucun complexe les savants fous, les paramilitaires dépressifs, les roadies fans de heavy metal et les tentacules à ventouses. Grâce à un système de jeu irréprochable, à des mécanismes qui confinent au génie, à un humour imparable parfaitement retransmis par une V.F. inspirée et à une réalisation qui n'a pas pris un début de commencement de ride, Day of the Tentacle reste aujourd'hui considéré - à raison - comme l'un des meilleurs jeux d'aventure jamais publiés. Ne jamais y avoir joué est pire qu'une lacune, c'est presque une faute. CE QUI A MAL VIEILLI : – Strictement rien.

Les avis de l’époque :

« Soyons net, Day of the Tentacle est, à mon avis, le meilleur jeu de l’année, toutes catégories confondues ! C’est LE soft que vous montrerez fièrement à vos copains pour les décider à acheter un PC. On a vraiment l’impression de se retrouver face à un véritable dessin animé. »

Marc Lacombe, Tilt n°121, décembre 1993

« Aucun doute, Day of the Tentacle mérite amplement son Tilt d’Or. Certains lui reprochent d’être trop court et il est vrai qu’il ne m’a fallu que quatre jours pour en venir à bout, mais je ne faisais plus rien d’autre, je refusais de boire, de manger et même Carole Bouquet nue dans ma baignoire ne m’aurait pas fait bouger de devant l’écran de mon PC ! C’est clair, aucun jeu ne m’a jamais apporté autant de plaisir. »

Morgan Feroyd, ibid.

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Day of the Tentacle sur un écran cathodique :

Version Macintosh

Développeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Éditeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Date de sortie : Janvier 1996
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : CD-ROM
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version CD-ROM américaine testée sous MacOS 9.0
Configuration minimale : Processeur : Motorola 68040 – OS : System 7.1 – RAM : 8Mo – Vitesse lecteur CD-ROM : 2X (300ko/s)

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Day of the Tentacle aura eu droit à sa version Macintosh mais, signe que l’ordinateur d’Apple ne se sera jamais réellement imposé comme une machine de jeu, le jeu aura quand même dû attendre près de trois ans pour avoir droit à son adaptation – laquelle se révèle d’ailleurs assez gourmande comparée à ce que demandait à la version PC. À ma connaissance, le jeu n’aura été distribué qu’au format CD-ROM (rien de très surprenant en 1996), et uniquement pour le marché nord-américain (peut-être une version française existe-t-elle – il ne s’agissait après tout que de reprendre les textes de la version PC – mais si c’est le cas, je ne l’ai pas trouvée). Naturellement, le contenu du jeu n’a pas changé d’un bit, et la réalisation est restée semblable à ce qu’on avait pu voir sur MS-DOS, à quelques nuances près dans le rendu sonore, qui demeure très satisfaisant. Du côté des graphismes, le jeu peut soit s’afficher en 320×200 dans une fenêtre, soit en « plein écran » en 640×400 avec les graphismes doublés (et deux bandes noires, le format natif de la machine étant en 640×480, et vous aurez évidemment un cadre si vous jouez à une résolution supérieure). Il est également possible d’afficher des graphismes « adoucis » avec un filtre qui fait à mes yeux plus de mal que de bien au pixel art du jeu, mais au moins n’est-il qu’optionnel ici. Pour le reste, inutile de faire la fine bouche : c’est toujours un des meilleurs jeux d’aventure jamais programmés.

NOTE FINALE : 19/20

Pas de surprise pour Day of the Tentacle sur Macintosh, qui délivre une expérience extrêmement proche de celle qu’on avait déjà pu apprécier sur PC, avec en bonus quelques fioritures plus ou moins utiles comme un filtre pour les graphismes.

Shining in the Darkness

Développeur : Climax Entertainment
Éditeur : SEGA Enterprises, Ltd.
Titre original : Shining and the Darkness (Japon)
Titre alternatif : シャイニング&ザ・ダクネス (graphie japonaise)
Testé sur : Mega Drive
Disponible sur : Linux, Macintosh, Wii, Windows
En vente sur : Steam.com (Windows)

La saga Shining (jusqu’à 2000) :

  1. Shining in the Darkness (1991)
  2. Shining Force : The Legacy of Great Intention (1992)
  3. Shining Force Gaiden (1992)
  4. Shining Force II (1993)
  5. Shining Force : The Sword of Hajya (1993)
  6. Shining Force CD (1994)
  7. Shining Wisdom (1995)
  8. Shining Force Gaiden : Final Conflict (1995)
  9. Shining the Holy Ark (1996)
  10. Shining Force III (1997)
  11. Shining Force III Scenario 2 (1998)
  12. Shining Force III Scenario 3 (1998)

Version Mega Drive

Date de sortie : 29 mars 1991 (Japon) – Septembre 1991 (Amérique du Nord) – Octobre 1991 (Europe)
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais, Traduction française par Player Time
Supports : Cartouche, dématérialisé
Contrôleur : Joypad
Version testée : Version cartouche européenne
Spécificités techniques : Cartouche de 8Mb
Système de sauvegarde par pile

Dungeon Master, Captive, Eye of the Beholder… En 1991, lâcher un groupe d’aventurier au cœur d’un donjon constituait déjà un genre à part entière au sein du monde du jeu de rôles vidéoludique, auquel on a pris l’habitude, depuis lors, de donner le nom anglais de dungeon crawler. Et si les titres les plus marquants du genre avaient jusqu’alors tous connu leur essor sur des ordinateurs de bureau – depuis l’Apple II jusqu’à l’Amiga en passant par le PC et l’Atari ST – le dungeon crawler semblait condamné à ne jamais connaître les faveurs des consoles de salon, la faute, notamment, à une maniabilité exigeante qu’on imaginait mal portée sur une manette à deux ou trois boutons. Et puis Shining in the Darkness est arrivé…

À ce titre, le jeu de Climax Entertainment est une curiosité. Certes, les jeux de rôle sur consoles avaient déjà connus quelques portages de grandes séries du RPG – Might and Magic, Bard’s Tale ou Ultima, pour ne nommer que les plus célèbres.

Mais, exception faite des phases en vue subjective d’un Phantasy Star, par exemple, l’exploration de donjon à la première personne n’avait pas encore soulevé l’enthousiasme des foules sur les consoles japonaises, probablement à cause d’une composante encore difficile à intégrer à la jouabilité au pad de l’époque : le temps réel. Cela expliquera sans doute en partie le fait que, plutôt que d’aller chercher son inspiration dans un des titres évoqués en début de test, Shining in the Darkness aille plutôt puiser son système de jeu chez un autre maître du genre : Wizardry et ses combats au tour par tour.

Penchons-nous rapidement sur le scénario – qui, on le réalisera vite, n’était pas franchement l’axe principal des jeux de rôles de l’époque. Le royaume de Thornwood est en ébullition : la princesse Jessa et le chevalier chargé de l’escorter, Mortred, ont tous les deux disparu lors d’un simple voyage en direction de la tombe de la défunte reine. Inquiet, le roi fait mander ses meilleurs guerriers pour se lancer à la recherche de sa fille. L’un de ces aventuriers, vous vous en doutez, sera le personnage que vous incarnez, et qui aura également une raison personnelle d’entreprendre cette quête : Mortred est son père, et il compte bien le retrouver.

Vous commencez donc la partie d’une façon qui deviendra l’une des marques de fabrique de la série des Shining : en parlant au narrateur, qui vous proposera de nommer votre personnage et de choisir l’un des trois emplacements de sauvegarde avant de vous lancer dans l’aventure. Après quoi, vous serez directement mené face au roi et à ses conseillers afin de vous faire dicter votre mission – et confier un peu d’argent, qu’il vous appartiendra d’aller dépenser en ville pour acquérir de l’équipement, avant d’aller vous frotter au labyrinthe où se passera l’essentiel du jeu. Et d’entrée, l’un des aspects les plus marquants du titre vous aidera à vous sentir immédiatement à l’aise : son souci – encore assez inédit à l’époque – de mise en scène.

Car si tout le jeu est vécu en vue subjective, le monde devant vous s’efforce d’être vivant et animé : le roi s’agite sur son trône, ses conseillers prennent la parole à tour de rôle, et quantité de petites saynètes viennent donner vie à des scènes qu’on était habitué à voir, jusqu’alors, désespérément statiques – voire simplement résumées en deux lignes dans le manuel du jeu.

Crac ! Un éclair et soudain, Dark Sol, le grand méchant du jeu, est dans la salle du trône pour demander l’abdication du roi ! Les conseillers suffoquent, estomaqués. En ville, la taverne est vivante et bruyante, son propriétaire vous salue par votre nom – et en profite pour vous inviter à vous méfier de ces deux bons-à-rien qui se prétendent vos amis. Un mercenaire manque de respect à un de vos compagnons, Pyra ; celle-ci se venge en lui jetant un sort de lenteur… Autant de petits détails chargés de vous transporter dans le monde du jeu, et qui représentaient un véritable vent de fraicheur au sein du jeu de rôles du début des années 90.

Mais attendez, c’est bien le mot « compagnons » que vous venez de lire ? Eh oui, car si le jeu vous enverra initialement vous faire les griffes seul, il ne tardera pas à vous adjoindre deux personnages : un clerc et un mage, qui viendront compléter à merveille les capacités martiales de votre guerrier. Profitons-en d’ailleurs pour préciser que, accessibilité oblige, le jeu ne propose aucune création de personnage – en-dehors du nom de votre héros. Pas de choix de classe, pas de choix d’équipe, pas d’arbre de compétences ; nous sommes bien en 1991 – et dans un jeu japonais. N’allez pas croire pour autant que le titre soit dépourvu de stratégie, mais avant d’entrer dans le détail de ses possibilités, intéressons-nous d’abord à ce qui va conditionner une grande partie du plaisir de jeu : l’exploration et le système de combat.

Comme la carte du jeu – très jolie, et dont le principe évoque un peu celui d’Akalabeth – vous le montrera immédiatement, le programme ne comprend que trois destinations : le château, pour parler au roi et prendre conseil auprès de ses ministres, la ville, pour vous reposer, sauvegarder et faire vos emplettes, et le labyrinthe, qui sera le cœur du jeu. Un seul donjon – ce qui était la norme, à l’époque – mais on appréciera, à ce titre, que celui-ci fasse l’effort de varier un peu les décors en proposant plusieurs types de murs, là où un Dungeon Master et de nombreux clones n’en proposaient qu’un seul. Les niveaux sont constitués de grilles de 30×30 cases, et autant vous dire qu’il sera quasi-indispensable (c’est de toute façon un des grands plaisirs de ce type de jeux) de dresser vos propres plans histoire de ne pas vous perdre en route.

Une nouvelle fois, on appréciera l’accessibilité du programme, qui propose d’entrée de jeu des objets (et plus tard des sorts) permettant d’afficher une carte qui, si elle ne vous dévoilera que le chemin déjà parcouru, vous donnera surtout les coordonnées correspondant à votre position, très utile pour dessiner votre plan sans risquer d’avoir la moitié du niveau en-dehors de la page, donc. Afin d’éviter les aller-et-retours, vous aurez également la possibilité d’utiliser une plume d’ange (ou un sortilège) pour vous ramener directement en ville. En revanche, reprendre votre exploration vous demandera à chaque fois de repartir de l’entrée du donjon, même si le jeu a la très bonne idée de mettre en place en système de raccourci sous la forme d’un médaillon pour ne pas vous obliger à enfiler à la suite les derniers (et difficiles) niveaux du jeu.

Naturellement, SITD comprend également son lot de boss. Qui ne sont pas très difficiles – au début…

En terme de combat, le jeu est un calque extrêmement fidèle de Dragon Quest, une des références – sur consoles – de l’époque. Les confrontations ont donc lieu en vue subjective, vous donnez leurs ordres à vos trois héros et leur attribuez une cible – ceux-ci ne pouvant sélectionner qu’un groupe de monstre et jamais un individu au sein de ce groupe. Si votre personnage principal ne pourra rien faire d’autre que frapper, utiliser un objet ou prendre la fuite, les deux autres auront accès à la magie, d’où découlera une grande partie de l’aspect « stratégique » du titre.

De la gestion de vos points de magie découlera la durée de vos expéditions dans le labyrinthe

Car, si pendant sa première moitié, Shining in the Darkness se révèle assez simple – malgré un ou deux passages obligatoires de grinding histoire de mettre votre groupe à niveau et de lui acheter le matériel de base –, les choses ne tardent pas à se compliquer sérieusement sur la fin. Et on appréciera, à ce titre, que le jeu sache faire preuve d’une véritable imagination chaque fois que vous pensiez ne plus pouvoir être surpris : monstres cachés dans les coffres, élémentaires surgissant d’une simple flaque, murs et trappes qui apparaissent devant vous, mais aussi monstres qui se liguent pour porter une seule et unique attaque commune dévastatrice, voire pour danser, sans oublier les sortilèges et autres invocations – chaque étage apporte son lot de surprises. Ajoutons d’ailleurs que certaines parties des niveaux traversés ne seront accessibles que lorsque vous aurez trouvé l’objet vous permettant de les ouvrir bien plus tard dans le jeu, ce qui fait que vous devrez probablement patienter une bonne trentaine d’heures avant d’avoir le plan complet de certains des premiers étages.

Les derniers combats peuvent être très, très compliqués

Cerise sur le gâteau, le jeu propose également, dans sa deuxième partie, une petite dimension « crafting » qui vous permettra de forger des armes et armures très puissantes pour peu que vous ayez trouvé le minerai adéquat – mithril ou blocs noirs, mais vous constaterez également que certaines médailles ont leur revers. Certains équipements peuvent d’ailleurs être utilisés en combat, pour jeter des sorts ou récupérer des points de magie, par exemple. Et si la plupart de vos sortilèges auront pour vocation de vous soigner ou de blesser vos ennemis, il existe également toute une palette de buffs, debuffs, sorts permettant d’éviter les rencontres aléatoires ou d’analyser un objet : bref, rien ne manque et c’est tant mieux. On a affaire à un jeu qui gagne en richesse et en difficulté à chaque nouvelle étape dans l’aventure, qui parvient à se renouveler tout en restant accessible – en résumé, une très bonne pioche et une excellente porte d’entrée à l’univers ô combien difficile d’accès des dungeon crawlers.

Vidéo – Quinze minutes du jeu :

Récompenses :

  • Tilt d’or 1991 – Meilleur jeu de rôle sur console (Tilt n°97, décembre 1991)

NOTE FINALE : 16/20

Coup d'essai réalisé de main de maître et doté d'une ambition véritable en dépit d'un budget rachitique, Shining in the Darkness constitue sans difficulté l'un des tout meilleurs représentants d'un genre trop sous-représenté sur consoles de salon. Vivant, bourré de petites trouvailles chargées de le rendre accessible au novice sans rien sacrifier comparé aux cadors de la période, le titre de Climax Entertainment pourra faire figure d'excellente initiation aux dungeon crawlers, sachant se rendre de plus en plus complet et stratégique au fil de l'avancement du jeu là où on aurait pu craindre que la routine s'installe. Encore éclipsé aujourd'hui par la renommée des deux titres majeurs de la saga que sont Shining Force I et II, il mérite néanmoins de sortir de l'ombre pour se hisser au rang des RPGs auxquels il faut avoir joué sur Mega Drive.

CE QUI A MAL VIEILLI :

– Le jeu comporte sa part de grinding, particulièrement sur la fin
– Les véritables possibilités de gameplay engendrées par les sortilèges mettent une bonne dizaine d'heure à se dévoiler
– Les rencontres aléatoires sont parfois invivables, lorsque le jeu à décidé que vous ne pourriez pas faire deux mètres sans vous faire attaquer

Les avis de l’époque :

« Shining est tout simplement le meilleur jeu de rôle disponible sur console, toutes machines confondues. Beau, grand, passionnant, il possède toutes les qualités pour être Tilt d’or 1991. »

Jean-Loup Jovanovic, Tilt n°97, décembre 1991

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Shining in the Darkness sur un écran cathodique :

The Dig

Développeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Éditeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Testé sur : PC (DOS) & Macintosh
Disponible sur : Windows (XP, Vista, 7, 8, 10), Linux (Ubuntu 14.04, Ubuntu 16.04, Ubuntu 18.04), Mac OS X (10.7.0+)
En vente sur : Gog.com (Linux, Mac, Windows), Steam.com (Mac, Windows)

Version PC (DOS) & Macintosh

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

S’il est un nom qui demeure, encore aujourd’hui, associé à l’âge d’or du point-and-click, c’est bien celui des studios LucasArts. Difficile de rencontrer un amateur de jeu d’aventure dans les années 90 sans que celui-ci vous ait fatalement évoqué un des titres de la firme, de Secret of Monkey Island à Sam & Max : Hit the Road en passant par le grandiose Day of the Tentacle.

Imaginez à présent qu’à l’époque où Lucasfilm Games commençait juste à asseoir sa réputation dans le monde du jeu vidéo (en octobre 1989, pour être plus précis) un certain Steven Spielberg ait confié à Noah Falstein, un des plus anciens programmeurs de la firme, un scénario alors trop couteux pour être adapté en film (ou en épisode de la série Amazing Stories qu’il avait vendue à NBC et qui n’aura jamais rencontré le succès espéré). Propulsé par un réalisateur alors ironiquement bien plus intéressé par le medium du jeu vidéo que ne l’était George Lucas, le récit mettant en scène des archéologues sur un monde extraterrestre inspiré à la fois de Planète Interdite et de Le Trésor de la Sierra Madre mettra au final pas moins de six ans à voir le jour. Une très longue gestation qui aboutira au titre qui nous intéresse aujourd’hui : The Dig.

Entretemps, le projet sera passé entre de nombreuses mains, aura changé de nombreuses fois de scénario, et même de concept – et la participation originellement enthousiasmante de Spielberg et de George Lucas se sera révélée à double-tranchant, les deux hommes étant indéniablement de grands réalisateurs mais absolument pas des game designers. Après un premier document de design, Falstein aura été débarqué du projet en 1991 pour aller aider Hal Barwood avec Indiana Jones and the Fate of Atlantis, projet au terme duquel… il finira viré. Passé entre les mains de Brian Moriarty, papa de Loom, le concept original aura purement et simplement fini à la poubelle pour devenir un projet encore plus ambitieux nécessitant le développement d’un nouveau moteur.

Si les bases de l’histoire étaient déjà présentes, le titre se voulait alors assez éloigné de la philosophie maison, avec notamment des morts très violentes pour certains des personnages – mais une très mauvaise ambiance au sein de l’équipe alliée à des coûts trop importants sonnèrent le glas de cette nouvelle approche tandis que Moriarty quittait LucasArts à son tour, et la caution apportée par Spielberg et Lucas commençait à ressembler de plus en plus à une pression trop lourde à porter plutôt qu’à une bénédiction. Devenue une patate chaude passée à Hal Barwood, puis à Dave Grossman, The Dig finira entre les mains de Sean Clark qui, dépité par l’état du programme, proposera son annulation. Une idée qui n’emballait personne du côté de la direction, et pour cause : on n’abandonnait pas un jeu avec des noms aussi prestigieux que ceux des pères de Star Wars et d’E.T. au générique. Clark retroussa donc ses manches, retourna au moteur SCUMM en coupant tout ce qui pouvait poser problème et s’attela à offrir enfin ce jeu que tout le monde attendait depuis six ans. Et lui et son équipe s’en seront plutôt bien sortis, les bougres.

Le point de départ de The Dig est narré dans la (très jolie) introduction visible ci-dessus : dans un futur proche, l’observatoire spatial de Bornéo repère un astéroïde engagé sur un trajectoire qui le conduira tout droit à une collision avec la terre. Montée en moins de trois semaines, une opération menée par le commandant Boston Low – que vous allez incarner pendant le jeu – partira sur la surface du mégalithe, poétiquement surnommé « Attila », afin d’y placer des charges nucléaires. Boston sera pour cela accompagné d’une journaliste américaine, Maggie Robbins, et d’un géologue allemand, Ludger Brink.

Pour ceux qui auraient peur – et on les comprend – de se retrouver propulsé dans un nanar de type Armageddon, rappelons que le film de Michael Bay n’existait pas encore en 1995, et que s’occuper de l’astéroïde ne représentera, en fait, que les premières minutes de jeu. Une suite d’événements va en effet amener nos trois héros à découvrir qu’Attila est un moyen de passage vers une autre planète, où ils vont donc se trouver coupés de tout, sans eau ni vivres, à tâcher de trouver un moyen de retourner sur Terre. Pour cela, ils devront également s’inquiéter du sort de la race extraterrestre qui leur aura valu de terminer ici, car en l’absence de comité d’accueil lors de l’arrivée sur la planète inconnue, l’évidence ne tardera pas à se manifester : l’endroit semble désert depuis des siècles. À moins que ces émanations spectrales qui se manifestent de temps à autre ne soient en réalité douées d’intelligence et ne cherchent à vous dire quelque chose, ou à vous mener quelque part…

Voici donc le réel cœur du jeu : trois personnages abandonnés sur une planète inconnue, et menant leur enquête au milieu des ruines tout en cherchant à survivre – et à comprendre le sort de leurs mystérieux hôtes. Bien évidemment, vos trois héros, un peu pris de court par la situation, ne vont pas tarder à afficher leurs divergences sur la conduite à adopter, et l’appréhension initiale laissera rapidement la place à des tensions, voire à des déchirements. Et ce sera naturellement à vous, Boston Low, en charge de l’équipe, de vous efforcer de mener votre mission à bien en ramenant tout le monde sur Terre – en vie.

D’entrée de jeu, il serait criminel de parler de The Dig sans évoquer immédiatement son quatrième personnage principal : la planète sur laquelle vous allez passer l’essentiel du jeu. À ce titre, sélectionner les captures d’écran qui accompagnent ce test aura été une vraie torture, tant la direction artistique du jeu côtoie continuellement le merveilleux. Baignés d’une lumière qui évoque une sorte de crépuscule permanent, avec des ombres froides et des lumières chaudes, les décors du jeu sont sans aucun doute parmi les plus fabuleux jamais créés en VGA. L’ambiance est absolument enchanteresse, et en même temps partiellement mélancolique, tant chaque pierre tombée semble rapprocher ce lieu abandonné d’une très ancienne nécropole.

Les dizaines d’écrans présentant les cinq pics qui s’élèvent autour de l’île centrale sur laquelle vous commencez le jeu sont souvent de véritables œuvres d’art, encore magnifiées par ces animations vous dévoilant parfois des créatures volantes s’ébattant au loin ou les rides couvrant la surface de l’eau. Pour peu que vous mordiez à la « patte » graphique du jeu, le dépaysement est total, évoquant à ce titre les meilleurs moments de jeux comme la série des Myst, et vous donne réellement le sentiment de parcourir une planète étrangère – au point de vous attacher à certains lieux et même, bêtement, de rester à regarder le paysage. Bien sûr, impossible d’évoquer l’ambiance si particulière du titre sans faire mention de la BO absolument irréprochable composée par Michael Land, qui livre des compositions tantôt planantes, tantôt chargées de nostalgie, puisant son inspiration autant dans Wagner que dans Vangelis, et qui tirent pleinement parti du support CD. Le seul regret de ce côté est qu’elle reste malgré tout relativement convenue comparée aux thèmes plus atmosphériques audibles dans la démo du jeu, diffusée quelques mois auparavant (et que vous pourrez admirer à cette adresse).

Pour ce qui est de l’aventure proprement dite, vous serez donc exclusivement aux commandes de Boston Low pendant la totalité du jeu, accompagné selon les circonstances d’un de vos compagnons ou des deux à la fois. En cas de séparation, le jeu met de toute façon à votre disposition un appareil pour converser à distance – et comprenant également un petit jeu visant à poser un module sur la surface lunaire, le genre de détails que les joueurs apprécieront. L’interface est d’une limpidité absolue : pas de verbes, pas de ligne de commande, juste un curseur a amener sur les éléments qui vous intéressent, et un inventaire matérialisé par une petite icône en bas à gauche.

On pourrait penser que cette jouabilité épurée à l’extrême – alliée à l’impossibilité de mourir ou d’être bloqué – rendrait le jeu beaucoup trop simple, mais The Dig ne reproduit heureusement pas l’erreur de Full Throttle, et propose à la fois quelques énigmes bien retorses et une durée de vie plus qu’honorable – comptez entre dix et quinze heures pour votre première partie. Pour le reste, on appréciera la qualité d’écriture du jeu – rien de surprenant lorsque l’on sait qu’Orson Scott Card a participé une nouvelle fois à la conception des dialogues – et la façon très intelligente dont le jeu laisse grandir la tension et s’installer les questions en vous confiant le sort des héros malgré eux de ce Lost avant l’heure.

On pourra d’ailleurs regretter, à ce titre, les quelques faiblesses du jeu – largement imputables, sans surprise, à son développement chaotique. Tout d’abord, même si le logiciel prend parfaitement le temps d’installer son atmosphère et de ne pas vous précipiter sur une planète inconnue au bout de vingt secondes, on pourra également le trouver un peu bavard, surtout dans les premières minutes. Quand on est un joueur en train de trépigner à l’idée de découvrir une vie extraterrestre ou de sauver la terre, on a parfois envie de dire aux personnages en train de commenter l’évidence qu’ils pourraient se dépêcher un peu, en grands spécialistes qu’ils sont censés être, de valider ce que nous avions nous-même parfaitement compris une demi-minute avant eux.

Ensuite, les personnages restent très largement archétypaux, et même si certaines interactions entre eux fonctionnent à merveille, on regrettera les poncifs qui veulent que la journaliste soit obligatoirement une grande gueule et que l’allemand soit un psychorigide avec un accent à couper au couteau – ça ne les rend pas moins attachants, mais on aurait quand même apprécié que le jeu puisse, dans ce domaine, rivaliser avec des titres comme Gabriel Knight. Enfin, la fin du jeu tire un peu trop du côté du happy end forcé, avec une morale très américaine fortement chargée en bons sentiments qui tombe un peu à plat après l’ambiance plus onirique du reste du jeu. Cela ne suffit certainement pas à priver The Dig de son statut d’excellent jeu, mais cela sonne comme une série de fausses notes assez dispensables dans une symphonie qui avait pratiquement réussi à nous envouter depuis l’ouverture jusqu’au dernier mouvement.

Une dernière partie pour évoquer la VF, à présent. Tout d’abord, précisons que le jeu est sorti en deux versions : une avec les voix anglaises et les textes français, et une autre, un peu plus tard, avec un doublage intégral dans la langue de Molière. La première version fera le bonheur des puristes, qui profiteront à ce titre d’une traduction absolument irréprochable. La deuxième, pour sa part, fait appel à un doublage professionnel, où on sera notamment heureux de retrouver l’excellent Patrick Poivey (la voix française de Bruce Willis) dans le rôle de Boston Low. Cette VF intégrale, globalement d’une très bonne qualité, souffre néanmoins de plusieurs errances qui la rendent, à mes yeux, inférieure à la VO, et voici lesquelles :

– Tout d’abord, si on sera heureux de voir que la synchronisation labiale est enfin respectée – une tare qui avait empoisonné les cinématiques de Full Throttle ou de Dark Forces, par exemple – les personnages parlant hors cadre n’ont, pour leur part, pas vus leur interventions chronométrées. Concrètement, cela veut dire qu’au cours des cinématiques, un personnage commence parfois une phrase alors qu’il n’a pas encore terminé la précédente, ce qui donne une bouillie sonore ou un acteur se coupe la parole à lui-même – un phénomène que vous pourrez notamment entendre à la fin de l’introduction. Même si cela se cantonne aux cinématiques, cela casse quand même un tantinet l’ambiance.

– Ensuite, si on a évoqué la qualité du jeu de Patrick Poivey, les performances de la doubleuse de Maggie Robbins (dont je n’ai hélas pas retrouvé le nom) et du doubleur de Ludger Brink (il m’a semblé reconnaitre Jean-Claude Donda) sont un peu moins convaincantes, pour des raisons différentes. L’actrice en charge de Maggie évolue, le plus souvent, dans un sous-jeu qui, sans être catastrophique, affadit dramatiquement son personnage – elle dispose à ce titre d’une excuse, j’y reviendrai dans le dernier point. Quant à Ludger, plus que son jeu, on lui reprochera surtout cet accent allemand hyper-caricatural à la Papa Schultz.

– Dernier point : On sent très bien que toutes les phrases de la VF ont été enregistrées en une prise. Patrick Poivey et les autres ont beau être de très grands professionnels, on entend parfaitement, à l’occasion, qu’ils découvrent les phrases en même temps qu’ils les lisent, ce qui engendre parfois un décalage assez navrant entre leurs intonations et la situation à l’écran – notamment quand ils devisent avec légèreté lors d’une scène où ils sont censés être choqués et traumatisés. Des détails mais qui, accumulés, privent cette VF du statut d’incontournable auquel elle avait pourtant les moyens de prétendre.

Vidéo – Les quinze premières minutes du jeu :

NOTE FINALE : 18/20 Dépaysant, prenant – envoutant, même – The Dig est un voyage marquant, une véritable expédition en terre inconnue qui nous dévoile ce que le jeu d'aventure peut avoir de plus magique dans sa narration et dans sa capacité à créer une atmosphère. Succès critique et commercial portant dans sa chair à la fois les forces et les faiblesses d'une philosophie à la Spielberg, il reste encore aujourd'hui un point-and-click d'une rare ambition capable de vous transporter, pour une quinzaine d'heures, sur une planète que vous n'oublierez pas. Tout juste lui reprochera-t-on quelques lenteurs dommageables, une VF réalisée un peu trop vite, et une fin trop heureuse pour être honnête. CE QUI A MAL VIEILLI : – Si trois personnes vont sauver le monde, il faut bien sûr qu'il y ait au moins deux américains – Entre l'histoire de l'astéroïde qui va détruire la Terre et la voix de Bruce Willis, difficile de ne pas repenser à ce nanar insondable qu'est Armageddon – Les codes à base de formes géométriques, c'est marrant une fois, moins la dixième

Bonus – Ce à quoi peut ressembler The Dig sur un écran cathodique :

Les avis de l’époque :

« LucasArts nous prouve avec The Dig qu’il reste l’un des grands du jeu d’aventure. Durée de vie très honnête, réalisation classique mais efficace, scénario fascinant et interface de jeu parfaite, aucune fausse note à part une boîte de dialogues trop simplifiée et une aventure linéaire. »

Thierry Falcoz, Génération 4 n°83, décembre 1995, 5/6

Sid Meier’s Civilization

Développeur : Microprose
Éditeur : Microprose
Titre alternatif : Civilization (titre usuel)
Testé sur : PC (DOS)Amiga (ECS)PC-98Atari STMacintoshPC (Windows 3.1)Super Nintendo
Versions non testées : PlayStation, Saturn

La saga Civilization (jusqu’à 2000) :

  1. Sid Meier’s Civilization (1991)
  2. Sid Meier’s CivNet (1995)
  3. Sid Meier’s Civilization II (1996)
  4. Sid Meier’s Alpha Centauri (1999)
  5. Civilization : Call to Power (1999)
  6. Call to Power II (2000)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Décembre 1991
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Supports : CD-ROM, disquettes 5,25 (x2) et 3,5″ (x2)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette française 474.05 émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 8088/8086 – OS : PC/MS-DOS 3.0 – RAM : 640ko – Vitesse lecteur CD-ROM : 2X (300ko/s)
Modes graphiques supportés : EGA, MCGA, Tandy/PCjr, VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, haut-parleur interne, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster, Tandy/PCjr
Liens utiles : Patch ajoutant la gestion des cartes sonores de type OPL3 et du standard General MIDI

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

À l’orée des années 90, le jeu de stratégie sur ordinateur représentait, à l’instar du jeu de rôles quelques années avant lui, un genre de niche éminemment codifié où il était rare que le joueur soit surpris par ce qu’on lui offre.

Chaque bâtiment construit vous donnera l’occasion de voir votre ville grandir

Sorti des éternels wargames proposant de revivre – via des cartes le plus souvent couvertes d’hexagones – les plus grandes batailles historiques depuis les guerres napoléoniennes jusqu’à la seconde guerre mondiale, le genre connaissait quelques représentants plus originaux mettant en scène des conflits imaginaires, dont certains avaient connu un certain succès critique, comme le célèbre Battle Isle ou encore l’adaptation du jeu de plateau de Ludodélire Full Metal Planète. Mais tous ces jeux composaient, comme c’était alors la norme, avec une limitation évidente : celle d’être cantonné à une période et à un lieu donnés, avec des unités et un environnement définis dès le départ et qui ne seraient jamais appelés à changer. La rare composante logistique, lorsqu’elle existait, se bornait généralement à la gestion de l’approvisionnement. Civilization allait venir changer tout cela, et initier à lui seul un nouveau genre qu’on baptiserait, un peu plus tard, le 4X (pour eXploration, eXpansion, eXploitation et eXtermination).

Dès le début de la partie, le jeu vous guide – dans un français qui montre déjà ses premières limites

Pour bien comprendre toute l’originalité du titre imaginé par Sid Meier et Bruce Sheley en 1991, il faut d’abord commencer par énoncer son objectif : « Bâtir une civilisation qui résistera à l’épreuve du temps ». Comment ? Eh bien tout d’abord, en choisissant d’incarner le chef d’une des quatorze civilisations du jeu. Des Anglais aux Russes en passant par les Américains, les Indiens ou même les Zoulous, on appréciera le relatif éclectisme du titre à ce niveau.

Gardez toujours un œil sur vos voisins, surtout quand ceux-ci ne sont pas du genre pacifique

Après quoi, on sélectionne son niveau de difficulté, le nombre de civilisations présentes en jeu et le nom de son glorieux chef, et la partie commence. Et là, une unique unité de colons (parfois deux) apparaitra sur une carte entièrement masquée qu’il vous appartiendra de découvrir. Nous sommes en 4000 avant J.C., et votre but sera de mener votre peuple depuis la préhistoire jusqu’à l’ère spatiale, pour remplir l’un des deux objectifs de victoire du jeu : être la dernière civilisation encore en vie, ou bien être la première à fonder une colonie hors du système solaire. Oui oui, rien que ça. Si, au terme de la partie (plusieurs centaines de tours), aucune civilisation n’a rempli un de ces deux objectifs, le vainqueur sera désigné selon un système de points.

Les barbares peuvent empoisonner les premiers siècles de votre empire

D’emblée, l’ambition du titre apparait comme énorme : loin de vous mettre à la tête d’une armée pour une période dépassant rarement la décennie, comme c’était le cas pour la quasi-totalité des wargames de l’époque, celui vous place au contrôle total d’une civilisation entière pour une période pouvant dépasser six mille ans !

Vos scientifiques viendront vous présenter vos avancées technologiques

Et comme vous pouvez vous en douter, ce contrôle va s’étendre beaucoup plus loin que celui de vos troupes : puisque vous allez partir d’une simple ville perdue au milieu d’une carte inconnue (générée aléatoirement, même s’il est également possible de commencer sur une carte reproduisant la géographie terrestre), il va falloir explorer, vous étendre, traiter avec les autres civilisations, leur faire face militairement le cas échéant, et bien évidemment mener vos recherches scientifiques pour changer une société maitrisant à peine les outils en une puissance spatiale. Pour cela, il vous faudra composer avec des concepts un peu plus complexes que de déplacer des unités sur une carte, et les possibilités qui vont s’offrir à vous vont rapidement devenir réellement vertigineuses.

Négociation au sommet avec Jules César – dont le look ne changera jamais quelle que soit la période du jeu, contrairement à celui de ses conseillers

Commençons par le commencement : votre première ville. Un écran spécial, affiché dès que vous cliquez sur elle, vous dévoilera la clé de son développement – et de celui de tout votre empire lorsque vous aurez plus d’une cité. Tout d’abord, le terrain sur lequel votre capitale est bâtie, ainsi que les terres environnantes, ont une importance vitale : chaque type de terrain (plaines, prairies, montagnes, forêts, marécages, etc.) produit différentes quantités de trois types de ressources. La nourriture définira la vitesse à laquelle la population de votre ville va s’accroitre : en cas de manque, la croissance s’interrompra, et pourra même laisser place à une famine qui vous fera alors perdre de la population.

L’état d’avancement de votre palais sera un bon indicateur de la satisfaction de votre peuple

La production, elle, influera sur la vitesse à laquelle vous produirez unités et bâtiments, et le commerce se répartira entre trois axes dont vous pourrez définir l’équilibre à tout moment : les impôts qui financeront les dépenses courantes de votre empire, la recherche qui lui permettra de progresser scientifiquement, et les marchandises de luxe qui auront un impact sur le taux de satisfaction de votre population. Comme vous pouvez vous en douter, l’équilibre entre ces différents paramètres sera une des clés pour décider de la victoire à long terme : négligez la recherche, et vous risquez de faire grise mine en voyant un adversaire venir aligner des catapultes et des légions en armure face à vos milices armées de sagaies ; levez des impôts trop bas et vos bâtiments s’effondreront faute d’entretien, laissez la grogne monter et vos villes se révolteront une à une, paralysant la production et la croissance, et aboutissant même parfois à une révolution.

Choisir quoi produire et quand sera une décision cruciale pour le développement de votre empire

Car oui, le jeu gère également votre système politique. Si celui-ci se limite au despotisme au début de la partie, vos recherches vous amèneront à pouvoir adopter, au terme d’une courte période d’anarchie, un régime monarchique, démocratique, communiste ou républicain qui aura des effets spectaculaires sur la production de chaque case de terrain, mais aussi sur les couts d’entretien et sur l’impact des garnisons au sein de vos villes.

La pollution sera rapidement une préoccupation récurrente

Chacun apportera également son lot de contraintes, la démocratie étant le plus exigeant de tous : le sénat vous interdira le plus souvent de déclarer la guerre, le prix de l’entretien des troupes sera prohibitif, et une mécontentement trop élevé aura vite fait d’aboutir à une révolution et à un retour express à la case « Anarchie ». Bien évidemment, ces contraintes s’appliquent également à vos adversaires, et vous craindrez moins une attaque surprise venant d’un démocrate plutôt que d’un régime autocratique mené par Staline ou Napoléon. Autre petit détail : chaque civilisation du jeu sera naturellement, selon le tempérament de son leader, plus ou moins agressive, le pacifique Gandhi ayant le plus de chance de représenter un voisin agréable. Notons malgré tout un bug célèbre, qui rend ce dernier monstrueusement agressif lorsque l’Inde opte pour la démocratie : croyez-moi, voir le Mahatma vous menacer de frappes nucléaires au milieu de négociations tendues peut faire un drôle d’effet. Reste l’opportunité d’échanger des recherches scientifiques au cours des négociations, voire de prononcer des exigences histoire de mettre la pression aux civilisations sur lesquelles vous pensez avoir l’ascendant.

L’invention du chemin de fer pourra avoir un impact dramatique sur votre capacité à amener au plus vite vos troupes là où vous en avez besoin

Le jeu propose également d’avoir un impact direct sur votre environnement, à plusieurs niveaux. Tout d’abord, vos colons font également office d’ouvriers sur la carte du jeu, et pourront optimiser la production des différents terrains en construisant des routes, des irrigations ou des mines, par exemple. À des stades plus avancés du jeu, il leur sera également possible de construire des ponts, de tracer des lignes de chemin de fer, de planter des forêts et même de nettoyer la pollution que vos cités industrielles ne manqueront pas de générer, voire les retombées radioactives consécutives à l’emploi de l’arme atomique (thématique très actuelle : le réchauffement climatique est géré, et peut aboutir à une montée des eaux).

La victoire scientifique vous verra coloniser Alpha du Centaure

Ces améliorations ont non seulement un effet direct sur la croissance de vos villes – des terres irriguées produiront davantage de nourriture, et les routes génèreront plus de commerce – mais également un intérêt stratégique majeur : en cas de guerre, acheminer des troupes vers la ligne de front se fera infiniment plus vite via des voies ferrées que si vous laissez vos unités avancer en rase-campagne – ou pire, à travers forêts et marécages. Les terrains ont également une valeur défensive qui leur est propre, et il sera beaucoup plus difficile de venir à bout d’une unité retranchée dans les collines ou au milieu d’une forêt que livrée à elle-même au beau milieu d’une plaine.

Après la conquête viendra le temps des aménagements

Profitons-en pour parler du système de combat, qui risque de prendre une importance capitale dans la plupart des parties, tant vos adversaires n’entrevoient le plus souvent la coexistence pacifique comme une option que dès l’instant où vous êtes plus puissant qu’eux – et encore. Chaque unité dispose de trois caractéristiques : une valeur d’attaque, une valeur de défense, et une valeur de déplacement correspondant au nombre de cases qu’elle pourra parcourir à chaque tour. Comme on l’a vu, le type de terrain sur lequel elle se trouve aura un impact direct sur les deux dernières caractéristiques.

Il est possible de jouer sur une carte reprenant la géographie terrestre

Lorsque une unité en attaque une autre, sa valeur d’attaque est confrontée à la valeur de défense de l’ennemi, à laquelle sont appliqués les différents modificateurs (comme la présence de fortifications) pour décider du sort du combat. L’ennui étant que ce système repose sur le « tout ou rien » : les unités n’ont pas de points de vie, elles ne peuvent pas être blessées, il n’y aura donc obligatoirement qu’une seule des deux unités pour ressortir en vie de l’affrontement. Problème : cela laisse une place très importante au hasard, le fait de voir une de vos unités d’élite à 18 en attaque perdre misérablement face à une unité doté d’un unique point de défense n’ayant rien d’exceptionnel, et cela ne va pas en s’arrangeant tandis que la difficulté augmente. Voir une situation serrée basculer en votre défaveur parce qu’une dizaine de vos unités de tanks se seront écrasées contre un unique régiment de mousquetaires adverses peut se révéler particulièrement difficile à digérer – et voir une de vos villes tomber parce qu’un groupe de barbares isolé a soudain décider de remporter tous ses combats n’est pas des plus appréciable non plus.

Une bonne révolution pourra grandement bénéficier à votre civilisation

Dans le même ordre d’idées, on aurait préféré qu’une augmentation de la difficulté corresponde à une maitrise accrue de la part de l’I.A., au lieu de quoi, celle-ci se contente de tricher et de recevoir des bonus de plus en plus conséquents tandis que vous accumulerez les pénalités, un reproche qui restera hélas valable pour l’intégralité de la saga. L’I.A. est d’ailleurs d’une agressivité assez décourageante, et profite outrageusement de certaines des faiblesses de l’interface – comme l’absence de frontières – pour venir entasser ses unités autour de vos villes et vous empêcher d’exploiter les ressources des terres environnantes sans que vous puissiez lui demander de retirer ses troupes. C’est d’autant plus énervant qu’il vous sera impossible de faire de même, le jeu vous interdisant le plus souvent de pénétrer à proximité des cités adverses sans leur déclarer la guerre.

Construire le vaisseau spatial vous demandera de mobiliser plusieurs villes afin de produire ses composants

En dépit de ces quelques errements, que la suite de la saga s’appliquera le plus souvent à corriger, le côté extrêmement addictif du jeu ne se dément pas, même plus de 25 ans après sa sortie. Et si les occasions de pester sont nombreuses, la faute à un facteur « chance » un peu trop présent dans les affrontements et dans la viabilité de votre position de départ, le syndrome « allez, encore un tour » qui peut vous amener à continuer à jouer jusqu’à des heures déraisonnables est toujours vivace, preuve de la très grande qualité du jeu.

Le jeu n’hésitera pas à vous fournir des statistiques, une fois votre partie finie, histoire de voir comment vous vous êtes débrouillé

Un mot, en clôture de ce copieux test, sur la version française du jeu : catastrophique. Elle a le mérite d’exister, ce qui sera toujours mieux que de se frotter à la version originale pour les non-anglophones. En revanche, si les descriptions scientifiques ont l’avantage d’être compréhensibles sans briller par leur style, l’essentiel du jeu multiplie les coquilles, les fautes d’accord, les crachats au visage de la grammaire et les structures de phrases tellement approximatives qu’une traduction Google ressemble à du Ronsard en comparaison. On se demandera également pourquoi le jeu multiplie les abréviations dans des situations où il y avait largement la place pour mettre le mot en entier, ce qui donne parfois le sentiment que les dirigeants adverses s’adressent à vous en langage SMS – ce qui est peut-être exagérément visionnaire pour un jeu de 1991. Heureusement, le manuel, lui, a déjà été mieux traduit, mais je serais curieux de savoir à quel endroit les sociétés américaines s’acharnaient à embaucher leurs traducteurs au début des années 90 pour trouver aussi systématiquement les plus incompétents d’entre eux.

Vidéo – Quinze minutes de jeu :

Récompenses :

  • Tilt d’or 1991 (Tilt n°97, décembre 1991) – Meilleur jeu de stratégie sur micro

NOTE FINALE : 17/20 Le constat est sans appel : plus de 25 ans après sa sortie, la seule chose qui fasse de l'ombre à Sid Meier's Civilization et à l'ambition sans borne de son concept, ce sont les peaufinages apportés par ses différents héritiers jusqu'à aujourd'hui. Initiateur du 4X, savant mélange de stratégie et de gestion, le titre de MicroProse a excellemment vieilli en dépit d'une prise en main un peu délicate et fait partie de ces titres auxquels on peut se surprendre à jouer pendant des heures encore aujourd'hui – ce qui n'est pas un mince exploit. Profitant d'un système de jeu indémodable malgré une réalisation sans panache et une V.F. qui est une insulte à la langue de Rabelais, Civilization est indéniablement un titre majeur qui demeure une référence absolue – même si les néophytes préfèreront sans doute débuter directement par l'excellent deuxième épisode ou par des itérations encore plus tardives. CE QUI A MAL VIEILLI : – Le système de combat qui tient plus du quitte ou double que de la stratégie – Une microgestion qui peut s'avérer assez fastidieuse lorsque votre empire commence à s'étendre – Une diplomatie encore assez primitive – La concurrence des autres épisodes de la saga venus corriger patiemment la plupart de ces erreurs et enrichir le concept avec des ajouts comme la religion, la culture ou la gestion des frontières

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Civilization sur un écran cathodique :

Version Amiga

Développeur : MPS Labs
Éditeurs : MicroProse Software, Inc (version OCS/ECS) – Software Daemon (version AGA)
Date de sortie : Août 1992 (version OCS/ECS) – Juin 1993 (version AGA)
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Versions testées : Version OCS/ECS testée sur Amiga 500, version AGA testée sur Amiga 1200
Configuration minimale : Version OCS/ECS :
Système : Amiga 1000 – OS : Kickstart 1.2 – RAM : 1Mo
Installation sur disque dur supportée

Version AGA :
Système : Amiga 1200 – OS : AmigaOS 3.0 – RAM : 2Mo
Installation sur disque dur supportée

Vidéo – L’écran-titre du jeu (version AGA) :

L’Amiga aura connu pas moins de trois versions de Sid Meier’s Civilization : une version OCS/ECS en 1992, une version optimisée pour le chipset graphique AGA l’année suivante, et même une version CD-ROM en 1997 (sur laquelle je ne suis hélas pas parvenu à mettre la main). Sans surprise, la version de 1992 est moins colorée que son équivalent en VGA sur PC (cela se sent particulièrement lors des écrans fixes comme les résultats de vos chercheurs), et tend à tourner de façon assez poussive sur un Amiga 500 – le jeu est clairement pensé pour être installé sur un disque dur, et on se doute que bénéficier d’un processeur plus puissant et d’un surplus de RAM comme sur Amiga 1200 fait énormément de bien à une expérience de jeu qui tend à tirer très lourdement sur le processeur. En AGA, fort logiquement, le jeu est identique à la version VGA (sauf le curseur, curieusement). Quant à l’aspect sonore, la puce Paula se débrouille bien, mais le résultat reste globalement inférieur à ce que permettent une Roland MT-32 ou la plupart des cartes General MIDI. Rien de franchement dramatique, on s’en doute – le jeu ne repose de toute façon pas exactement sur la qualité de ses quelques thèmes musicaux (qui se limitent, passé la création de la partie, aux hymnes des différentes nations).

En OCS/ECS, on sent bien qu’on a perdu pas mal de couleurs lors des écrans fixes

Globalement, le résultat, parfaitement satisfaisant sur un Amiga 1200, souffre en revanche sur une configuration inférieure, tant du côté de la réalisation que de celui du confort de jeu. Sur un Amiga 500 « de base » (avec une extension de mémoire tout de même, le jeu ne fonctionnant pas sans elle), il faut vraiment être patient pour supporter les temps de réflexions de l’I.A. et la valse des disquettes. Mais dans des conditions décentes (c’est à dire a minima avec un disque dur), les choses tendent à grandement s’améliorer. Gardez bien ces détails en tête au moment de vous lancer dans le jeu, en fonction de votre configuration.

En AGA, en revanche, seul le curseur permet de faire la différence avec la version VGA

NOTE FINALE : 16,5/20 (version OCS/ECS) – 17/20 (version AGA)

Plus que les quelques couleurs abandonnées par la version OCS du jeu, c’est principalement la puissance de votre processeur et la présence ou non d’un disque dur qui impactera la qualité de vos parties de Sid Meier’s Civilization sur Amiga. Sur une configuration optimale, le titre n’a strictement rien à envier à la version PC, mais sur un Amiga 500, les choses risquent d’être un peu moins emballantes.

Version PC-98

Développeur : MPS Labs
Éditeur : MicroProse Japan K. K.
Date de sortie : 25 septembre 1992
Nombre de joueurs : 1
Langue : Japonais
Support : Disquette 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette japonaise
Configuration minimale :

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Signe de l’engouement certain qu’il aura provoqué à sa sortie, Sid Meier’s Civilization aura également eu le privilège d’être commercialisé au Japon – avec la branche japonaise de MicroProse à la distribution, laquelle aura commercialisé une vingtaine de titres au total entre 1989 et 1995.

Pittoresque, non ?

Sans surprise, le contenu du jeu n’offre que très peu de différences avec celui de la version MS-DOS – tout juste remarquera-t-on qu’il est désormais impossible de choisir le style architectural de son palais, qui est désormais imposé en fonction de la civilisation incarnée, mais cela reste tout-à-fait anecdotique. Ce qui l’est un peu moins, c’est le fait que le programme soit désormais en haute résolution, en 640×400. Bon, ça ne fait toujours pas du jeu un premier prix de beauté, mais en ce qui concerne la lisibilité, c’est inattaquable. Comme souvent, le véritable problème de cette version pour le joueur lambda résidera dans le fait qu’elle soit exclusivement disponible en japonais – ce qui ne sera pas très pénalisant dans le cœur de l’action pour les habitués, mais le deviendra au moment de choisir le prochain bâtiment à construire ou la prochaine recherche scientifique. Bref, une version qu’on réservera surtout au curieux – ou aux joueurs capables de lire le japonais.

Vos chercheurs ont refait leur brushing pour l’occasion

NOTE FINALE : 17/20

Quitte à débarquer sur PC-98, Sid Meier’s Civilization aura choisi de le faire en haute résolution, en 640×400. Une curiosité qui rend la réalisation plus lisible, mais pas franchement plus marquante, et le fait que le programme soit intégralement en japonais risque de représenter une barrière de taille pour la grande majorité des joueurs occidentaux. Quoi qu’il en soit, le jeu en lui-même est naturellement toujours aussi bon.

Version Atari ST

Développeur : MPS Labs
Éditeur : MicroProse Ltd.
Date de sortie : Mai 1993
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 3,5″ double face (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette testée sur Atari 1040 STe
Configuration minimale : Système : 1040 ST – RAM : 1Mo
Écran couleur requis
Installation sur disque dur supportée

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

En 1993, l’Atari ST n’était pas (officiellement) mort, mais il n’était pas non plus dans une forme olympique. A l’ère du CD-ROM, du VGA et de la course aux mégahertz, on pouvait même être surpris de voir Microprose s’embarrasser à porter Civilization sur la machine d’Atari. Mais après tout, le titre de Sid Meier n’était pas exactement un monstre technique, non ?

Oui, c’est… heu, spécial, mais je vous promets qu’on s’y fait

Autant dire que la première chose qui frappe, en lançant le jeu sur Atari ST, ce sont les graphismes. N’y allons pas par quatre chemins : c’est moche. Certes, la version Amiga 500 montrait déjà de nombreuses limitations dans le même domaine, mais le nombre de couleurs a encore été divisé par deux pour arriver à seize, et ça se sent immédiatement. Paradoxalement, la carte du monde est plutôt moins triste et plus colorée que la version Amiga 500, mais il faut également admettre que certains terrains ressemblent tellement à une atroce bouillie de pixels qu’on serait bien en peine de dire ce qu’ils sont censés représenter. Les routes sont dorénavant de simples traits noirs, et certains écrans fixes ont purement et simplement disparu. Si vous venez de poser les yeux sur les versions en 256 couleurs, le choc visuel risque d’être rude, mais l’honnêteté m’oblige à avouer qu’on s’y habitue relativement vite, et que le jeu n’en souffre pas tant que ça.

« C’est ça mon palais ? Hmm, c’est gentil, mais rasez-moi ça tout de suite. »

Musicalement, là encore, les dégâts sont sensibles. Les deux thèmes qui accompagnaient le titre et le lancement d’une nouvelle carte ont été remplacés, pourquoi pas – les hymnes de chaque nation sont bien évidemment toujours là. Comme trop souvent, la qualité audio de la machine n’est pas franchement mise à contribution – quand on pense à ce qu’un titre comme Epic pouvait nous envoyer dans les oreilles… – et fait à peine mieux que le haut-parleur interne du PC. En revanche, les temps de chargement sont bien meilleurs que sur Amiga 500. Le jeu a donc le mérite d’être très jouable, à bonne vitesse, ce qui est exactement ce qu’on lui demande.

Les scientifiques ne vous présenteront plus leurs découvertes : ils devaient avoir trop honte de leurs seize couleurs

NOTE FINALE : 16/20

D’accord, Civilization version ST souffre de graphismes aux ras des pâquerettes – mais pour sa défense, le hardware de la machine d’Atari commençait réellement à arriver en bout de course en 1993. On appréciera que le jeu tourne bien, reste lisible, et soit toujours aussi agréable à jouer mais il faudra composer avec une réalisation assez spartiate.

Version Macintosh

Développeur : MicroProse Chapel Hill
Éditeur : MicroProse Software, Inc.
Date de sortie : Mars 1993
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette
Configuration minimale : Processeur : Motorola 68000 – OS : System 6.0.7 – RAM : 4Mo
C’est encore sensiblement plus joli que sur PC-98

Le Macintosh ayant fini par s’inviter au rang des ordinateurs commercialement viables au début des années 90, de nombreux titres auront commencé à y être portés. Pour Civilization, il aura fallu attendre 1993, et le portage aura directement été assuré pour l’occasion par une équipe de MicroProse. Commençons par les bonnes surprises : il est désormais possible de créer sa civilisation (ce qui se borne à choisir son nom, mais on appréciera quand même), le jeu est désormais totalement intégré à l’interface de MacOS, avec des infobulles partout, et surtout il est affiché en 640×480, avec un résultat plus convaincant que sur PC-98 (sauf pour les écrans fixes, généralement restés en basse résolution avec un filtre dégueulasse). Détail qui tue : la police utilisée pendant les dialogues s’adapte à votre interlocuteur. Pour le reste, l’écran-titre est ici si vite expédié que vous remarquerez que je ne vous en propose pas la vidéo, et comme d’habitude si la résolution de votre bureau est supérieure à celle du jeu, celui-ci s’affichera dans une fenêtre plutôt qu’en plein-écran. Dans l’ensemble, une version solide et très accessible, donc.

Les écrans fixes, eux, sont plus décevants

NOTE FINALE : 17,5/20

Intelligemment intégré dans l’affichage de MacOS, et en haute résolution, Civilization sur Macintosh y gagne en confort et en ergonomie. La réalisation graphique et sonore a beau être toujours aussi datée, le plaisir de jeu, lui, est toujours là, et c’est bien l’essentiel.

Version PC (Windows 3.1)

Développeur : MPS Labs
Éditeur : MicroProse Software, Inc.
Date de sortie : Décembre 1993
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 80386 SX – OS : Windows 3.1 – RAM : 4Mo
Modes graphiques supportés : SVGA, VGA
Les couleurs ne sont pas exactement identiques à celles de la version Mac, mais ça reste la même chose à 99,9%

Quitte à développer un portage pour Macintosh, MicroProse se sera probablement avisé que le PC disposait lui aussi d’une interface graphique qui gagnait en popularité depuis sa version 3.0 : Windows. Décision fut donc prise d’en profiter pour ressortir une nouvelle version du jeu proposant… eh bien exactement la même chose que la version Macintosh, pour être honnête, les forces comme les (rares) faiblesses. On se retrouve donc une nouvelle fois avec le jeu affiché dans la résolution du bureau de Windows (sauf pour les écrans fixes, automatiquement fenêtrés en 640×480), avec les petites fioritures déjà mentionnées (la possibilité de créer votre propre nation, au hasard), et l’écran-titre à nouveau réduit à l’essentiel. La bonne nouvelle, c’est que ça marche toujours aussi bien, et que quitte à découvrir le jeu aujourd’hui, c’est au moins aussi confortable à faire dans cette version (Windows 3.1 a en plus l’avantage d’être assez simple à installer et à faire fonctionner sous DOSBox).

Encore une fois, on regrettera que les écrans fixes n’aient pas bénéficié d’un peu plus de soin

NOTE FINALE : 17,5/20

Clone assumé de la version parue sur Mac OS, Civilization pour Windows 3.1 apporte les mêmes options de confort, ainsi qu’une résolution plus adaptée à l’interface graphique de Microsoft. Quitte à découvrir une version un peu plus lisible et un peu plus ergonomique, ne vous privez pas.

Version Super Nintendo

Développeur : Asmic Software Inc.
Éditeur : KOEI Corporation
Date de sortie : 7 octobre 1994 (Japon) – Octobre 1995 (États-Unis)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Anglais, japonais
Support : Cartouche
Contrôleurs : Manette, souris
Version testée : Version américaine
Spécificités techniques : Cartouche de 12Mb
Système de sauvegarde par pile

Vidéo – L’introduction du jeu :

Ce n’est pas nécessairement un fait très connu, mais Civilization premier du nom aura également connu une adaptation sur console – en l’occurrence, sur la 16 bits de Nintendo, et aucune autre. Le relatif anonymat dans lequel cette version est parue vient sans doute de l’année de sa sortie, sur une console en fin de vie.

La déesse Machin vous octroie généreusement les mêmes découvertes qu’aux autres civilisations avant de vous laisser en plan

Comment s’en sort ce portage, alors ? Niveau contenu, tout a l’air d’être à sa place, de l’introduction à la modélisation de la planète, en passant par les quatorze civilisations et les cinq niveaux de difficulté. On assiste même à une petite scénarisation très japonaise, avec une déesse qui vous apparait en début de partie pour vous décrire les pouvoirs qu’elle vous laisse avant de vous laisser vous débrouiller (la générosité divine ayant apparemment ses limites). Graphiquement, le jeu est assez agréable, peut-être pas aussi fin que sur PC mais vous n’aurez aucun problème pour différencier les types de terrain. On pourra en revanche regretter que l’écran de jeu voit un bon quart de sa surface bouffé par des frises dont la seule fonction est purement décorative, parce qu’on aurait sans doute largement profité du gain de surface de jeu offert par le plein-écran. On notera également que le jeu profite dorénavant d’un thème musical en fond sonore en toute circonstance, sympathique quoique rapidement répétitif ce qui n’est pas une bonne chose pour un jeu sur lequel on est appelé à passer des heures.

L’écran de jeu est clair et lisible, mais on aurait bien aimé en profiter en totalité

Côté interface, on pouvait craindre le pire de l’absence de clavier, mais ce portage parvient à faire tenir toute l’interface sur trois boutons de la manette sans rien sacrifier au passage. Presser le bouton A avec le curseur sur une unité ou une ville vous permettra de faire apparaître la liste des actions possibles ; sur un espace vide, vous pourrez accéder à un menu plus général vous autorisant à régler vos impôts, à voir la carte du monde ou à sauvegarder (une seule partie à la fois, malheureusement, mais on remerciera le jeu de se passer d’un indigeste système de mot de passe). Le bouton B fera apparaitre un menu didactique avec les ressources dispensées par chaque type de terrain selon le gouvernement en place, et le bouton Y vous permettra de déplacer une unité sans avoir à sélectionner l’option « Move » dans le menu du bouton A. Les informations qui auraient pu prendre de la place à l’écran (date, argent, répartition des impôts) ne sont affichées que sur l’écran de fin du tour.

L’écran de recherche est désormais dépourvu de description historique

Ce serait donc aussi simple ? Eh bien, oui, c’est plus fastidieux que de pouvoir tout faire à la souris et au clavier – même si la souris de la Super Nintendo est gérée, pour l’occasion – mais force est de reconnaître que le tout a été bien pensé. L’écran de ville, par exemple, a désormais été divisé en plusieurs menus afin de vous concentrer sur l’aspect que vous cherchez à modifier. Bien sûr, sachant que le moindre déplacement vous demandera au minimum deux pressions de bouton, l’interface tend à s’alourdir en milieu de partie – n’espérez pas jouer aussi vite que sur les versions sur ordinateurs. Mais on aurait également bien du mal à imaginer une solution plus efficace pour porter un jeu aussi complexe que Civilization sur une manette à six boutons.

Le menu principal est accessible à tout moment

NOTE FINALE : 16/20

Très bonne surprise que ce portage fait avec sérieux : naturellement, la maniabilité est un peu plus lourde que sur ordinateur, mais une fois le pli pris le joueur reprend très vite ses marques. On pourra simplement regretter que le jeu ait choisi de sacrifier son aspect didactique en supprimant tous les textes de descriptions des différentes recherches.

Gabriel Knight : Sins of the Fathers

Développeur : Sierra On-Line, Inc.
Éditeur : Sierra On-Line, Inc.
Titres alternatifs : Gabriel Knight : Les péchés des ancêtres (écran-titre – France), Gabriel Knight : Die Sünden der Väter (Allemagne), Gabriel Knight : Lucha Contra Las Fuerzas Sobrenaturales (Espagne), Gabriel Knight : Pecados dos Pais (Brésil), Gabriel : Zikhronot Afelim (Israël)
Testé sur : PC (DOS/Windows 3.1)Macintosh
Disponible sur : Windows (7, 8, 10)
En vente sur : GOG.com (Windows)

La saga Gabriel Knight (jusqu’à 2000) :

  1. Gabriel Knight : Sins of the Fathers (1993)
  2. Un Mystère avec Gabriel Knight : The Beast Within (1995)
  3. Gabriel Knight 3 : Énigme en Pays Cathare (1999)

Version PC (DOS/Windows 3.1)

Vidéo – L’écran-titre et l’introduction du jeu (CD-ROM) :

Souvenons-nous un instant d’une époque – désormais révolue, cela va de soi – où SEGA et Nintendo se livraient à une saisissante guerre des consoles, occultant d’autres conflits que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. Au début des années 90, en plein âge d’or du point-and-click, deux firmes se disputaient la suprématie dans le domaine du jeu d’aventure, ne laissant que les miettes à quelques outsiders occasionnels comme Revolution Software ou Adventure Soft – dont nous aurons sans doute l’occasion de tester les jeux sur ce site un peu plus tard.

La doyenne de ces deux firmes, Sierra On-Line, malgré une série de licences en pleine santé (nommément King’s Quest, Space Quest ou Leisure Suit Larry), sentit qu’il était temps de faire face à la société montante qu’était Lucasfilm Games en explorant de nouvelles sagas. C’est ainsi qu’au milieu des EcoQuest et autres Willy Beamish, on demanda à la romancière Jane Jensen d’imaginer un personnage appelé à rester dans les mémoires. Son nom ? Gabriel Knight.

En 1993, le premier épisode de la saga, Gabriel Knight : Sins of the Fathers, voit donc le jour en version CD et disquettes. Il vous met au commande du héros éponyme, propriétaire d’une modeste boutique de livres rares sur Bourbon Street, au cœur du quartier français de la Nouvelle Orléans. Gabriel, en plus d’être un libraire fauché bien en peine de rémunérer sa seule employée, Grace Nakimura, est également un jeune écrivain en plein syndrome de la feuille blanche, incapable de donner une suite aux aventures de son héroïne orthodontiste (!).

Puisant l’inspiration là où elle se présente, notre protagoniste est bien décidé à se pencher sur la question des meurtres vaudous qui secouent la ville, profitant pour cela de sa vieille amitié avec l’inspecteur Mosely, chargé de l’affaire, et à qui il a promis une apparition dans son prochain roman en échange d’infos plus ou moins confidentielles. Sauf que, comme on peut s’en douter, cette simple enquête amateure va rapidement dériver en quelque chose de beaucoup plus dangereux, qui va l’amener à se pencher jusque sur les origines allemandes de sa famille, et sur un mot dont il ignore encore le sens : Schattenjäger.

D’entrée de jeu, le plus frappant en abordant cette aventure aux commandes de notre séducteur invétéré, mi-loser mi-héros en devenir, c’est la qualité de l’écriture. Dans les dialogues tout d’abord, qui n’hésitent pas à faire usage d’un langage cru ou à des propos plus ou moins graveleux, mais aussi à des mots d’esprit extrêmement bien sentis ou à des remarques acides aptes à tirer quelques sourires, et dont la principale qualité est de parvenir à rendre immédiatement attachants des personnages sur lesquels on ne peut mettre un visage que lors des (nombreuses) conversations du titre. En revanche, on pourra dire que le tempérament de Gabriel, qui se voulait celui d’un clone de James Dean, a suffisamment vieilli pour le faire davantage passer aujourd’hui pour un personnage de beauf toxique la moitié du temps, particulièrement quand il s’adresse à Grace, son employée. Hé, les mœurs aussi évoluent… Le scénario, pour sa part, figure – disons-le d’emblée – parmi les tous meilleurs jamais écrits pour un jeu vidéo, n’étant à mon sens éclipsé dans ce domaine que par sa suite directe, The Beast Within.

En plus de laisser place à une montée progressive vers le fantastique extrêmement bien orchestrée – l’enquête s’étoffant, petit à petit, d’éléments subtils décidés à vous faire comprendre que vous approchez de quelque chose qui n’est pas bon pour vous – le jeu fourmille de références documentées et absolument passionnantes sur la Nouvelle Orléans, sur Marie Laveau ou sur le Vaudou. C’est bien simple : c’est très certainement l’un des seuls jeux qui vous donnera envie de vous documenter, après coup, sur le Vaudou, sur le Hoodoo, sur la révolte haïtienne, les loas, les vévés, les hounfours et tous les éléments que vous apprendrez à connaître en même temps que votre personnage, aussi novice que vous en la matière au début du jeu. L’histoire, passionnante d’un bout à l’autre, se terminera en apothéose lors d’un grand final où vous aurez à cœur de sauver la peau de personnages que vous aurez appris à apprécier comme rarement on aura eu l’occasion de le faire dans un jeu d’aventure du début des années 90.

Pour cela, il faudra d’abord être infiniment reconnaissant à ce jeu d’avoir accepté de se débarrasser de certaines des tares récurrentes les plus énervantes des jeux Sierra de la période. À commencer par cette manie de mourir toutes les cinq minutes pour des raisons plus stupides les unes que les autres, que ce soit en ratant une marche, en ramassant un objet trop pointu, voire… en tirant la chasse d’eau (authentique !) Non, pas de ça dans Gabriel Knight : S’il est bel et bien possible de trouver la mort, il faudra déjà atteindre un stade relativement avancé du jeu, et ce sera de toute façon dans des situations qui tomberont rarement du ciel.

Une sauvegarde au début de chacune des journées du jeu, qui en compte dix, devrait vous éviter les pires frustrations même si, je le répète, dans 95% des cas on sait pertinemment qu’on est en train de se diriger vers des ennuis et qu’il vaudrait mieux prendre ses précautions avant d’aller se jeter dans la gueule du loup. Le jeu est également – et c’est authentiquement salutaire – largement non-bloquant. Vous vous souvenez de ces parties de King’s Quest à recommencer depuis le début parce que vous aviez oublié de ramasser un objet trois heures de jeu auparavant et qu’il vous était impossible de faire demi-tour pour aller le reprendre ? Eh bien, c’est également à oublier ici : il n’y a ni piège, ni impératif de temps, et chacune des journées du jeu ne se termine que lorsque vous aurez accompli ce que vous étiez censé y accomplir. De fait, je ne pense avoir rencontré des situations « bloquantes » qu’à l’extrême fin du jeu, et encore, pour une scène particulière qui se terminait en game over dans la minute qui suivait si vous l’abordiez sans avoir tout le matériel nécessaire à la résolution de la dernière ligne droite, très peu de chance de se retrouver coincé à ce stade, donc.

Les énigmes, d’ailleurs, si elles sont parfois particulièrement retorses, font appel à la logique plus qu’au hasard, et vous aurez très peu de chance d’en résoudre ne fut-ce qu’une seule en utilisant aléatoirement tous les objets de votre inventaire sur n’importe quoi – d’autant que l’inventaire en question risque de se remplir très vite, et que la solution n’est jamais absurde à partir du moment où vous comprenez ce que vous avez à faire. Attendez-vous néanmoins à cogiter sérieusement à plusieurs reprises – ce qui, à une époque où on peut trouver une solution en moins de dix secondes sur internet, ne dépendra que de votre patience. En vous mettant en position de joueur lambda en situation réelle, comptez au moins une quinzaine d’heures pour venir à bout du titre – dont une grande partie sur les écrans de conversation.

Niveau réalisation, Sierra était connu pour la qualité de ses réalisations en VGA, et Gabriel Knight ne déroge pas à la règle. C’est lisible, c’est détaillé, la chasse au pixel caché se fait très rare, et les portraits employés lors des conversations sont très réussis, bref, c’est le sans-faute. Surtout que le jeu multiplie les animations, les encarts façon bande dessinée lors des scènes-clés, et que la mise en scène fait son maximum pour vous plonger dans l’ambiance – ce qu’elle fait bien.

La musique est également de très bonne qualité, même si le jeu se montrera assez chiche en bruitages dès l’instant où vous opterez pour autre chose que pour une Sound Blaster. Bref, à moins d’être totalement allergique à la production graphique de l’époque, difficile de ne pas tomber sous le charme. L’interface du jeu, elle, n’apparait que lorsque vous approchez le curseur du bord supérieur de l’image – et a la très bonne idée de placer le jeu en pause à cet instant, ce qui sera infiniment précieux lorsque l’on vous demandera d’agir en temps limité au milieu d’une situation potentiellement mortelle.

Tant qu’à faire, il serait criminel de ne pas évoquer la version CD-ROM du jeu. Si celle-ci offre quelques petites friandises, comme un mode SVGA qui affiche désormais certains objets (et surtout les portraits) en haute résolution ou une introduction retravaillée et étendue pour l’occasion, le vrai gain va provenir, on s’en doute, du doublage de tous les dialogues – en anglais.

Et à ce niveau, Sierra n’a pas pris les joueurs pour des pigeons en faisant appel à un casting « light », jugez plutôt : pour prêter sa voix à Gabriel Knight, on trouve rien de moins que le génial Tim Curry (The Rocky Horror Picture Show, Ça) et pour lui donner la réplique dans le rôle de Mosely, tenez-vous bien… Mark Hamill (La Guerre des Étoiles) ! Sachant que le reste de la distribution est à l’avenant et que tous les personnages sont parfaitement doublés, des dialogues qui étaient déjà très bons se transforment parfois en authentique morceaux de bravoure, contribuant ainsi à donner encore un supplément d’âme à un titre qui en avait déjà à revendre. Notons enfin que des options sonores supplémentaires sont disponibles, et qu’il est enfin possible d’associer une Sound Blaster à une Roland MT-32. Bref, une version qui fait tout mieux que la version disquette, ce qui tombe bien puisque c’est la seule à la vente.

Quelques mots, enfin, sur la version française : celle-ci, à l’instar de ce que proposaient tous les jeux Sierra à l’époque, comporte son lot de coquilles, de fautes d’orthographe et de contresens – mais fort heureusement, elle n’handicape jamais le jeu au point de pénaliser sa compréhension ou le plaisir qu’on prend à y jouer. Elle est, malheureusement, rarement disponible à la vente sur les plate-formes en ligne qui se contentent le plus souvent de proposer la version originale.

Vidéo – Quinze minutes de jeu (CD-ROM) :

NOTE FINALE : 18/20 Porte-étendard d'une nouvelle génération de jeux d'aventure ciblant un public plus adulte, porté par l'excellente écriture de Jane Jensen, Gabriel Knight demeure aujourd'hui encore l'un des point-and-click les plus marquants jamais programmés. Prenez un scénario en béton, historiquement très documenté et remplis d'anecdotes fascinantes sur l'histoire du vaudou et de la Nouvelle Orléans, ajoutez des personnages captivants, charismatiques et forts-en-gueule, transcendés par un casting vocal exceptionnel dans la version CD-ROM, liez le tout grâce à une réalisation à la hauteur et des énigmes nettement plus cohérentes que ce à quoi nous avait habitué Sierra On-Line jusqu'à alors, et vous obtiendrez un véritable chef d’œuvre encore célébré et rarement égalé trente ans après sa sortie. Si vous voulez comprendre comment on pouvait passer des nuits et des semaines sur un jeu d'aventure en ressentant un pincement désagréable au moment de regarder les crédits de fin défiler, découvrez ce titre de toute urgence. Vous ne le regretterez pas. CE QUI A MAL VIEILLI : – On peut vite tourner en rond lorsqu'on ne sait plus quoi faire pour faire avancer une journée – Quitte à pouvoir mourir, la bonne idée aurait été de nous permettre de recommencer juste avant notre mort plutôt que de repartir d'une sauvegarde – Le personnage de Gabriel, qui se voulait une sorte de séducteur à la James Dean, a pris un petit coup de vieux dans son attitude de beauf en rut

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Gabriel Knight sur un écran cathodique :

Les avis de l’époque :

« L’histoire est savamment distillée et les relations ainsi que le psychologie de chaque personnage sont brillamment dépeints. On s’attache énormément à Gabriel qui cache sous son nom angélique un tempérament fougueux, voire obsédé et un humour décapant qui vire souvent au scabreux. Grace, elle aussi, est particulièrement réussie : on a rarement vu des personnages aussi réalistes et attachants dans un jeu. »

Marc Menier, Tilt n°122, Janvier 1994, 92%

Version Macintosh

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

En 1994, il était devenu nettement moins exceptionnel de voir un jeu sur PC – particulièrement un point-and-click – porté sur Macintosh. Avec Sierra aux commandes, pas de mauvaise surprise : on hérite d’une copie carbone de la version PC, avec les textes, les portraits et certains objets en haute résolution. Dommage, en revanche, qu’il faille obligatoirement composer avec l’interface envahissante de l’OS. Sur le plan sonore, le matériel de base de la machine d’Apple se débrouille déjà très bien (largement à la hauteur de ce que permettait une Sound Blaster), et il est possible d’installer des pilotes pour profiter de la compatibilité avec la Roland MT-32 et avec le standard General MIDI – pas de jaloux de ce côté-là non plus, donc. À noter que même si une version CD-ROM est évoquée, je ne suis tout simplement pas parvenu à mettre la main dessus, le présent test ne s’applique donc qu’à la version tenant sur quelques douze disquettes, mais on peut sans trop s’avancer imaginer que là encore, le résultat soit très proche de ce qu’offre la machine d’IBM.

NOTE FINALE : 18/20

Aucune mauvaise surprise pour l’itération Macintosh de Gabriel Knight, qui offre à peu de choses près l’exact équivalent de la version parue sur PC, et peut-être même légèrement mieux en ce qui concerne le jeu au format disquette.

Dragon Lore : La légende commence

Développeur : Cryo Interactive Entertainment
Éditeur : Mindscape, Inc.
Titres alternatifs : Dragon Lore : The Legend Begins (États-Unis, Royaume-Uni), Dragon Lore : Se inicia la Leyenda (Espagne), Dragon Lore : Die Legende beginnt (Allemagne), Dragon Lore : A Lenda se inicia (Brésil), Dragon Lore (3DO)
Testé sur : PC (DOS)3DO
Disponible sur : Macintosh, Windows (7, 8, 10)
Version non testée : PC-98
En vente sur : GOG.com

La saga Dragon Lore (jusqu’à 2000) :

  1. Dragon Lore : La Légende Commence (1994)
  2. Dragon Lore II : Le Coeur de l’Homme-Dragon (1996)

Version PC (DOS)

Vidéo – L’introduction du jeu :

Au début des années 90, Cryo Interactive a commencé à capitaliser sur le succès, tant critique que commercial, de son excellente adaptation de Dune pour se forger une réputation de studio à la patte inimitable, que ce soit graphiquement ou musicalement.

La « French Touch » semblait alors avoir le vent en poupe, tandis qu’Eric Chahi provoquait un tremblement de terre à sa façon avec Another World, ou que des titres tels que Captain Blood, sorti quelques années plus tôt, avaient durablement marqués les esprits à l’échelle internationale. Les années passant, cependant, jusqu’au début des années 2000, une autre réputation – un peu moins flatteuse – commença à coller à la peau des productions françaises : celle de programmer des jeux magnifiques, à la réalisation de haute volée… mais avec un intérêt ludique flirtant dangereusement avec le néant. Or, nous voici justement en 1994, année de la sortie de Dragon Lore : La légende commence, et une question pourrait rapidement se dessiner : cette réputation était-elle déjà justifiée ?

Commençons déjà par placer le cadre : Dragon Lore est un jeu d’aventure – la plus grande partie du temps à la première personne – vous mettant aux commandes de Werner, jeune fermier qui se découvrira (au terme de dix minutes de jeu impliquant des activités aussi trépidantes que de faire regagner son pâturage à une vache) l’héritier des von Wallenrod, famille appartenant au clan des Chevaliers Dragons. Après quoi, votre rôle sera de l’aider à réclamer sa place légitime, sachant que votre approche des énigmes – et particulièrement de votre goût ou non pour la violence – influencera le dénouement du jeu.

Violence ? Oui, Dragon Lore propose un système de combat, et même toute une variété d’armes dont vous pourrez équiper votre personnage. Ces combats se dérouleront de la façon la plus limitée imaginable : en cliquant sur l’adversaire, et en répétant l’opération jusqu’à ce que lui ou Werner ait trouvé la mort.

Sachant que le jeu n’affiche strictement aucune forme d’information, ni impacts à l’écran, ni gémissement, ni absolument rien qui vous permette de connaître votre état de santé ou celui de votre opposant – et que les barres vitales sont cachées au fin fond de votre inventaire, à un endroit où je vous mets au défi de les trouver si vous n’avez pas lu le manuel – autant dire que l’implication du joueur se limite à prier pour la divinité de son choix en espérant que les choses se passent pour le mieux – ce qui est généralement le cas, du moins au début du jeu. Mieux vaut prendre l’habitude de sauvegarder souvent, ceci dit : sachant que chercher à adresser la parole à quelqu’un en tenant une arme revient à lui cogner dessus, autant dire qu’un accident est vite arrivé, et qu’on peut vite se retrouver à se battre contre notre pauvre vieux père adoptif au bout de vingt secondes de jeu faute d’avoir saisi les subtilités de l’interface.

L’interface, d’ailleurs, parlons-en : elle constituera, à bien des niveaux, le premier des multiples griefs que l’on pourra nourrir à l’encontre du jeu. Tout d’abord, Dragon Lore permet de voyager, un peu à l’instar de Myst, en déplaçant un curseur dans des environnements fixe en 3D pré-calculée. Parfois, lors d’un changement de « zone », le programme affichera une petite animation qui sera l’occasion de vous en mettre plein les yeux en vous montrant votre personnage en situation. C’est l’occasion de faire deux remarques :

  1. Si la 3D du jeu représentait, à l’époque, la crème de la crème de ce que pouvait proposer un programme pour nous décrocher la mâchoire, il est particulièrement cruel de constater à quel point celle-ci a infiniment plus mal vieilli, vingt ans après sa réalisation, que ce que pouvaient proposer les illustrations en pixel art à la même période. Plus que la modélisation des personnages et des décors, ce sont surtout les animations qui prêtent désormais à sourire tant la moindre action mise en scène par le jeu laisse transpirer par tous les pores une raideur anti-naturelle sur laquelle il est très difficile de fermer les yeux en tant que joueur du XXIe siècle.
  2. Le curseur utilisé pour les actions, en forme de dragon, est infiniment moins lisible qu’une simple flèche – un reproche que l’on risque de reformuler souvent en parlant de l’interface. De fait, il est extrêmement fréquent de rater une possibilité d’action ou une direction qui s’offrait à nous simplement pour avoir échoué à décrypter ce qu’était censé nous montrer ce maudit curseur.

Dans le même ordre d’idées, le jeu entreprend souvent de vous faire faire le tour de volumes assez basiques situés au milieu de votre route, et il est impressionnant de constater à quel point le simple fait de vouloir aller en ligne droite vers un point situé immédiatement en face de vous puisse parfois représenter une lutte de plusieurs dizaines de seconde entre l’homme et la machine. J’hésite d’ailleurs à parler de l’inventaire, et surtout du fait que les attributions des clics gauche et droit de la souris parviennent à être suffisamment obtuses et bordéliques pour qu’il arrive encore fréquemment, même après plusieurs heures de jeu, qu’on lâche un objet en cherchant à l’utiliser, ou que l’on s’arrache les cheveux pour réaliser une action a priori très simple.

Imaginons par exemple que vous vouliez jeter un sort, grâce au livre de magie dissimulé dans un endroit hautement improbable et que vous pourrez espérer trouver au terme d’une dizaine de minutes de jeu. Il vous faudra déjà un sortilège, ce qui peut paraître logique, mais il vous faudra également commencer par aller dans l’inventaire pour l’associer avec votre livre de sorts. Bon, mais ce sortilège, vous ne savez toujours pas à quoi il correspond, ni comment le lancer : il faut donc prendre le livre de sorts et cliquer avec sur les yeux de votre personnage, afin de voir son contenu et de mémoriser les trois runes qui vous permettront de lancer le sortilège. Notez-les bien, car à présent, il va être temps de le lancer, ce sort : il faudra donc retirer tout ce que vous aviez dans les mains pour y placer le livre, et ensuite quitter l’inventaire pour être enfin autorisé à faire un clic droit pour sélectionner vos runes – et finalement jeter le sortilège. Imaginez-vous en train de refaire le même cirque à chaque fois que vous voudrez essayer d’utiliser la magie sur quelque chose, et vous devinerez aisément la lourdeur du système.

Mais bon, des lourdeurs, il y en avait dans tous les jeux des années 90, pas vrai ? Les premiers Alone in the Dark n’étaient pas très jouables, par exemple. L’important, dans un jeu d’aventure comme celui-là, c’est le scénario, les dialogues, l’atmosphère ; en un mot : l’univers. Vu le travail superbe qui avait été effectué sur Dune, on devrait s’attendre au meilleur, pas vrai ?

Pas vrai ?

Nous en arrivons au stade où je vais réellement me montrer sévère avec Dragon Lore. L’écriture du jeu est mauvaise, c’est un fait. Mauvaise dans sa structure, tout d’abord : le jeu vous promène, de manière finalement extrêmement linéaire, dans des environnements incohérents alignés totalement sans queue ni tête, avec l’espoir que la magie va opérer. On est donc censé ne pas se poser de question en trouvant une structure ancienne composée de crânes géants, avec des squelettes qui se baladent et un petit dragon qui vous parle avec un cheveu sur la langue (un dégât imputable à la VF, mais j’y reviendrai) à à peine cent mètres de la ferme familiale où nous avons apparemment passé les dix-huit premières années de notre vie. On peut d’ailleurs passer, en deux clics, d’une grotte à une auberge dirigée par un lutin juché sur les épaules d’un troll, ou bien à un marécage de champignons géants – ne cherchez pas une logique, il n’y en a pas.

Dans le même ordre d’idées, après nous avoir demandé d’aller lui chercher un bol et de ramener la vache dans son pré, voilà que notre père adoptif nous sort tout à coup en deux phrases que nous ne sommes pas son fils et que nous ferions mieux de partir parce que nous sommes un Chevalier Dragon. C’est pour le moins… succinct, totalement anti-dramatique, et ça aurait peut-être mérité un petit effort de mise en scène, non ? D’ailleurs, en règle générale, on peine énormément à se sentir impliqué tant absolument rien ne semble participer à rendre le monde dans lequel on évolue vivant, crédible, ou simplement cohérent.

Pratiquement tous les personnages que l’on croise sont les autres Chevaliers Dragons : sachant qu’il n’y en a que quatorze dans le monde en vous comptant, c’est quand même du bol. Ils semblent d’ailleurs n’avoir rien de mieux à faire que de glander en attendant de vous donner ou non leur vote pour le grand final – sauf le grand méchant, qui s’appliquera à vous mettre des bâtons dans les roues. Dans l’ensemble, on se contente d’aller au prochain endroit pour essayer de résoudre la prochaine énigme – et manque de chance, c’est soit d’une facilité délirante soit au contraire une gageure sans nom, mais il n’y a pas de juste milieu. Et le fait que le jeu ne semble jamais se sentir gêné de repousser sans explication des solutions évidentes n’aide pas non plus à percer la logique de l’ensemble. Nouvel exemple, parce que je vous sens décrocher : vous vous retrouvez face à une plante carnivore géante qui vous bloque le passage. Ça tombe bien : vous avez dans votre livre de sorts un sortilège de boule de feu qu’on peut imaginer diablement efficace contre un végétal. Sauf que non : dans la logique du jeu, votre boule de feu devait servir à nettoyer une toile d’araignée (!) quelques écrans auparavant, et rien d’autre. Non, la vraie solution est limpide : il faut ramasser un os près de la plante, l’associer à une corde et en faire un grappin qui vous permettra de franchir l’obstacle en jouant à Tarzan à deux mètres de la plante carnivore – qui pourrait d’ailleurs tout à fait vous gober au passage, mais c’est pas grave, on la garde, Coco, c’est dans la boîte.

Tout le jeu étant de cet acabit, on est rapidement tenté d’utiliser n’importe quoi n’importe où n’importe comment, et de résoudre le reste à grands coups d’épées dans la tronche parce que ça a au moins le mérite d’être une solution claire.

C’est d’autant plus vrai que les dialogues du jeu (enfin… les monologues de ceux qui s’adressent à vous, puisque vous ne prononcez pas un mot de toute la partie) sont rarement plus longs que celui que vous adresse votre père adoptif avant de vous foutre dehors, et que si les doublages vont de l’honnête au passable dans la version originale, ils vont du médiocre au consternant dans la version française.

J’ai déjà évoqué le dragon avec un cheveu sur la langue, parlons un peu du lutin qui parle du nez, de l’asiatique avec un accent abominablement cliché et raciste digne d’un Michel Leeb sous Tranxène (répondant ainsi assez bien au personnage affligé, lui, d’un accident africain comme on oserait plus en faire depuis vingt-cinq ans), l’orque doté pour sa part d’un accent marseillais (!) ou encore ce type bleu (?!) totalement en roue libre en partant dans les aigus et dans le n’importe quoi visiblement improvisé qui achève de vous convaincre qu’il n’y a eu aucune forme de direction d’acteur pendant toute la localisation du jeu.

C’est bien simple, il n’y a pas un personnage de tout le jeu qui bénéficie d’un doublage ne fut-ce qu’honnête, et on en aurait presque honte d’être vu en train de jouer au jeu en public quand s’enclenche une conversation. En revanche, il y a certainement moyen de s’offrir quelques crises de fous-rires nerveux en imaginant où et comment ont été recrutés les acteurs responsables de ce carnage. Oh, et évidemment, la synchronisation labiale est complètement passée à la trappe lors de la VF, mais en sera-t-on réellement surpris ?

Pour ne rien arranger, le jeu n’est pas extrêmement long – à condition de ne pas rester bloqué (comptez peut-être cinq ou six heures si c’est votre première partie), et il est également abondamment bugué (Ah ! Ces monstres qui se coincent dans les murs ! Ces plantages en accédant à l’inventaire !).

Et alors qu’on trouvait rien de moins que Stéphane Picq, auteur de la superbe B.O. de Dune,  aux commandes de la musique, celle-ci ne se fait que très rarement entendre (un détail qui sera corrigé, avec plusieurs autres, dans une version « gold » hélas uniquement sortie aux États-Unis). Certes, l’univers sera prolongé dans Dragon Lore II, mais ça, c’est une autre histoire. Ce premier épisode, dans tous les cas, laissera peu de souvenirs impérissables de par son écriture, ou de par son gameplay, et de moins en moins de par sa réalisation. On erre davantage qu’on n’explore, on tâtonne au hasard davantage qu’on ne réfléchit, et au final on se sent entièrement spectateur d’un monde en carton-pâte où l’on recherche désespérément une épaisseur ou une logique, un peu à la façon de titres comme Hand of Fate qui avaient déjà plus misé sur la réalisation que sur l’écriture. En résumé : on a bien du mal à se sentir impliqué à un quelconque niveau, en dépit de l’ambition palpable de l’univers abordé. Elle n’était peut-être pas entièrement volée, finalement, cette réputation qui collait aux jeux français…

Vidéo – Quinze minutes de jeu :

NOTE FINALE : 11/20 À sa sortie, Dragon Lore : La légende commence était une vitrine technologique incroyable, un émerveillement permanent, un jeu enfin apte à utiliser pleinement les capacités que n'avait jusqu'ici laissé qu'entrevoir le support CD. Plus de vingt ans après, hélas, force est de reconnaître qu'il ne reste qu'un jeu maladroit à l'écriture simpliste porté par une narration confuse et un gameplay largement déficient. Certes, on a connu largement pire en la matière, en particulier dans les années 80, mais difficile de se sentir concerné par une aventure aussi incohérente, surtout quand ni les énigmes, ni les dialogues ne sont à la hauteur. On peut à la rigueur se laisser guider par une certaine curiosité face à l'univers du jeu, voire même lui trouver un certain charme – à condition de se montrer conciliant devant la 3D datée – mais l'expérience a objectivement mal vieilli. À réserver aux joueurs patients. CE QUI A MAL VIEILLI : – Une réalisation qui sent fort les balbutiements de la 3D – Une interface d'une rare maladresse – Des doublages français qui vont du médiocre au franchement gênant – Des énigmes à la logique déficiente – Un scénario aux enjeux très limités, avec un grand méchant de Prisunic aux motivations floues

Version 3DO
Dragon Lore

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

De toutes les consoles 32 bits qui auraient pu accueillir Dragon Lore en 1995, c’est sur la 3DO que Cryo – ou Mindscape, ou les deux, très honnêtement je serais bien en peine de vous dire d’où venait la décision – aura choisi de jeter son dévolu. La bonne nouvelle, c’est que la puissante – et coûteuse – machine avait a priori les arguments pour faire tourner comme un charme ce qui était encore considéré comme un titre (relativement) à la pointe de la technologie.

Petite facétie : les 3 CD-ROM du jeu comportant toutes les localisations européennes, il faudra commencer par faire un détour par le menu du jeu (en anglais) pour espérer lancer le jeu en français. Une fois cette gageure effectuée, on se retrouve avec une version techniquement équivalente à celle parue sur PC, et même à sa version Gold à en juger par la présence de thèmes musicaux que je n’avais pas entendus lors de mon test sur l’itération DOS. L’interface au pad a même le mérite de s’en sortir plutôt mieux que celle à la souris, chaque bouton ayant une fonction précise, on peut toujours sauvegarder n’importe quand, et les temps de chargement sont aussi rapides que sur PC. Bien évidemment, les choses sont un peu moins emballantes du côté purement ludique, le jeu étant toujours aussi mauvais, mais quitte à vous aventurer à le découvrir, autant le faire sur ce très bon portage.

NOTE FINALE : 11,5/20

Si Dragon Lore n’est pas miraculeusement devenu un jeu d’aventure merveilleusement écrit et doté d’un univers cohérent et de dialogues finement ciselés en passant sur 3DO, il n’empêche qu’il est ici techniquement inattaquable comparé à la version PC, visiblement tiré de la version « Gold », et qu’il se révèle même au moins aussi jouable au pad qu’à la souris. À tout prendre, une très bonne alternative pour un jeu médiocre.

Streets of Rage

Cette image provient du site https://www.mobygames.com

Développeur : SEGA Enterprises, Ltd.
Éditeur : SEGA Enterprises, Ltd.
Titre original : Bare Knuckle (Japon)
Testé sur : Mega DriveArcade (Mega-Tech)Game GearMaster System
Disponible sur : 3DS, Android, iPad, iPhone, Mac OS Sierra 10.12.6, Steam OS + Linux Ubuntu 16.10 ou supérieur, Wii, Windows XP ou supérieur (version Mega Drive émulée)
Présent dans la compilation : Sega Classics Arcade Collection (Mega-CD)
En vente sur : Steam.com (Windows)

La saga Streets of Rage (jusqu’à 2000) :

  1. Streets of Rage (1991)
  2. Streets of Rage 2 (1992)
  3. Streets of Rage 3 (1994)

Version Mega Drive

Date de sortie : 2 août 1991 (Japon) – Septembre 1991 (États-Unis) – Octobre 1991 (Europe)
Nombre de joueurs : 1 à 2
Langues : Anglais, traduction française par Terminus Traduction
Support : Cartouche
Contrôleur : Joypad
Version testée : Version internationale patchée en français
Spécificités techniques : Cartouche de 4Mb

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Au milieu des années 80, et jusqu’au début des années 90, incarner une poignée de vigilante pour aller nettoyer – à mains nues, rien de moins – les rues d’une ville systématiquement corrompue par la pègre locale était, aussi surprenant que cela puisse paraître, une activité relativement courante dans les jeux vidéo. Si le genre a, dans ses grandes lignes, été défini par les pères fondateurs que sont Renegade, Double Dragon ou encore Final Fight, plusieurs beat-them-all de l’époque sont parvenus à tirer leur épingle du jeu sans révolutionner en rien les règles du genre. Streets of Rage, véritable légende de la ludothèque de la Mega Drive (et largement pensé comme une réponse au Final Fight évoqué plus haut), fait partie de ceux-là.

Amis du débat et de la modération, bonjour

Passons rapidement sur le scénario du jeu, qui envoie jusqu’à deux personnages parmi un roster de trois nettoyer le crime en tabassant tout le monde sans distinction dans toute la ville, conception de la justice qui m’a personnellement toujours laissé dubitatif. Parmi ces trois ex-policiers, on sera heureux de trouver une femme histoire de nous changer un peu du machisme ambiant, et on notera que chacun a ses forces et ses faiblesses, Adam étant le plus puissant, Blaze la plus rapide et Axel le plus équilibré. Dans les faits, les trois personnages sont très proches dans leur gameplay – Blaze, par exemple, n’est en rien pénalisée par sa force moindre – et cela tombe bien puisqu’au moment de débuter une partie à plusieurs, il sera impossible pour les deux joueurs de sélectionner le même personnage.

Votre fine équipe de nettoyeurs

Une fois votre personnage choisi débute enfin votre petite promenade nocturne dans la ville-sans-nom, qui va vous amener, tel un messie débarrassé de son odeur de sainteté, à multiplier les pains avec ferveur. On ne pourra s’empêcher, à ce titre, de faire trois remarques :

  1. On ne comprendra jamais pourquoi les protagonistes de ces jeux s’entêtent à passer la nuit à aller tabasser toute une ville au corps-à-corps, surtout quand ladite ville pourrait facilement être nettoyée en cinq minutes par la voiture de police qui les suit partout et qui est équipée de rien de moins qu’un bazooka.
  2. La voiture en question pourrait d’ailleurs les emmener directement en bas du siège de la pègre où trône le baron local, nommé « Mr. X » dans un de ces traits de génie propre aux scénaristes inspirés, et dont toute la ville semble connaître l’emplacement – mais non, autant faire le trajet à pied avec quelques centaines d’adversaires sur la route, ça nous entretiendra et on vivra plus longtemps.
  3. Vos ennemis semblent heureusement respecter une forme de code d’honneur assez bizarre puisque aucun d’entre eux, à l’exception du boss final, n’a l’idée saugrenue de faire usage d’une arme à feu.
Même au beau milieu d’une usine, vos ex-coéquipiers de la police n’hésitent pas à venir vous prêter main forte

Au diable, la cohérence, donc, mais vous aurez compris que ce n’est pas la première qualité que l’on attend d’un beat-them-all. Puisque l’idée est manifestement de taper, penchons-nous sur l’interface : celle-ci, très simple, fait usage des trois boutons de la manette Mega Drive (Les manettes à six boutons n’arriveront que plusieurs années après la sortie du jeu). Un bouton sert à taper, le deuxième à sauter, et le troisième à appeler, une fois par niveau ou par « vie » de votre personnage, la voiture de police mentionnée plus haut qui fera alors le ménage à l’écran. Une attaque vers l’arrière est possible en pressant simultanément coup + saut, et les « chopes » (les prises consistant à empoigner et immobiliser un adversaire pour le frapper pendant qu’il est dans l’incapacité de se défendre) se font automatiquement en étant assez près d’un ennemi.

Détail sympathique : lors du dernier niveau, le ciel visible à travers les fenêtres passe progressivement de la nuit à l’aube

Pendant les chopes, plusieurs possibilités s’offrent à vous : frapper l’adversaire jusqu’à l’envoyer au sol, changer votre position (bouton saut) pour passer devant ou derrière lui, l’écraser au sol à l’aide d’une prise qui doit faire bien mal au dos de celui qui l’effectue, ou bien le projeter derrière vous. Comme vous l’aurez peut-être remarqué au terme de cette liste, il n’y a pas – en-dehors de la voiture – de coup spécial vous permettant de toucher une zone plus large que ce que vos poings et vos pieds vous permettent d’atteindre. Tout l’aspect « stratégique » du titre va être là : votre seul moyen de faire le ménage lorsque les adversaires commenceront à se multiplier autour de vous (c’est-à-dire assez vite) consistera à votre aptitude à employer les chopes pour utiliser une partie de vos ennemis comme projectiles pour toucher un maximum de monde. Il sera également possible, à deux joueurs, d’utiliser la chope sur votre allié pour faire une prise spéciale, hélas pas particulièrement efficace. 

Il y a souvent beaucoup de monde à l’écran, et c’est chouette

Notons également qu’il n’existe pas de mode « A » ou « B », comme dans certaines versions de Double Dragon, pour savoir si vos deux personnages peuvent ou non se blesser mutuellement : quoi qu’il arrive, vos coups atteignent également votre allié. Heureusement, la surface de jeu est suffisamment étendue pour que les « accidents » (car ce sont toujours des accidents, n’est-ce pas ?) menant à allonger une mandale à son coéquipier sans l’avoir voulu soient rares. Comme dans la plupart des beat-them-all de l’époque, on peut ramasser les différentes armes blanches (couteaux, tuyaux de plomb, tessons de bouteille, battes de baseball… ou poivrière) lâchées par les adversaires, ou entreposées dans des containers dont la nature change selon le niveau (bidons, cabines téléphoniques…), et dans lesquels on trouvera également de l’argent (rapportant des points), de la nourriture (restaurant la vie), voire des vies ou une voiture bonus.

Ça doit faire mal

Les adversaires qui vous seront opposés au cours des huit niveaux du jeu semblent à première vue assez redondants : depuis la petite frappe de base jusqu’au karatéka partageant des airs de famille avec Shiryu dans Saint Seya, en passant par cette étrange obsession que semblaient nourrir les beat-them-all de l’époque pour les dominatrices en cuir avec un fouet ou pour les punks à cheveux colorés, il faut reconnaître que le menu fretin ne se divise qu’en cinq modèles de base, eux-mêmes déclinés en plusieurs variations de couleurs.

Adam est peut-être lent, mais il fait très mal

C’est peu – très peu, même – mais curieusement, la lassitude ne s’installe pas, d’abord parce qu’ils sont relativement variés dans la façon de les aborder (certains sont capables de chopes ou de glissades, d’autres arrivent avec des armes, certaines variations des femmes-en-cuir ont cette capacité très énervante de rester au sol où elles sont invincibles après chaque coup et de ne plus en bouger tant que vous ne vous êtes pas éloigné, etc.), et ensuite parce que chaque niveau propose ses petites subtilités : comme ces grands trous très commodes pour y expédier l’opposition (ou perdre stupidement une vie) au niveau 4, ou ces presses hydrauliques qui peuvent autant vous aider à faire le ménage que vous faire perdre un paquet de santé au niveau 6. Évidemment, le plus grand danger de l’opposition viendra du nombre, les adversaires pouvant arriver par grappes de six ou sept, et n’hésitant jamais à vous prendre en sandwich pour vous compliquer la tâche, ce qu’ils font d’ailleurs particulièrement bien lorsque vous jouez seul.

Ce boss doté de griffes façon « Freddy » est très, très pénible, et ça ne s’arrange pas quand il est accompagné de son frère jumeau

Heureusement, le jeu n’est jamais inutilement frustrant à ce niveau, et n’a pas le défaut de rendre la présence d’un deuxième joueur quasi-obligatoire pour espérer finir le jeu comme c’était assez souvent le cas à l’époque. Le programme distribue également assez généreusement les vies par l’intermédiaire du score, la première vous étant octroyée en atteignant 50.000 points puis tous les 100.000 ensuite – ce qui va relativement vite sans transformer pour autant le jeu en parcours de santé. Le programme propose de toute façon plusieurs niveaux de difficulté, histoire de corser – ou de simplifier – un peu les choses.

À deux, c’est encore mieux

Chaque niveau se termine par un boss – ou deux, si vous jouez avec un ami – qui est généralement le meilleur moment pour faire appel à votre voiture de police histoire de les affaiblir un peu. À noter d’ailleurs que si chacun de ces boss a son point faible, et qu’ils sont généralement assez simples à vaincre une fois la technique assimilée, celui du niveau 2 est étrangement le plus difficile de tous et peut même représenter un véritable aspirateur à vie pour un joueur solitaire.

Si vous voulez faire le ménage en vitesse, tirez profit du trou béant

On regrettera également que ces mêmes boss deviennent eux aussi redondants : dès le sixième niveau, on recycle ceux du deuxième, le septième niveau n’a pas de boss et le huitième vous fait ré-affronter tous ceux du jeu (grand classique des derniers niveaux de beat-them-all) – un peu de variété n’aurait pas fait de mal. Reste qu’à la fin de la partie, en dépit de ces nombreuses faiblesses, on réalise qu’on a passé un très bon moment. À noter que Streets of Rage comporte – chose rare pour ce genre de jeux – une « mauvaise » fin vous permettant de devenir le bras droit de Mr X. Celle-ci ne sera accessible qu’en mode deux joueurs, et à condition de combattre son allié, mais l’idée est suffisamment sympathique – et originale – pour mériter d’être mentionnée.

Les « clones » de Blaze sont mieux entraînées qu’elle : leurs chopes prévalent quasi-systématiquement sur les vôtres

Niveau réalisation, Streets of Rage fait partie des jeux sortis sur une console en début de vie. Difficile, donc, d’être ébloui par ses graphismes, qui ont néanmoins leur petit cachet, et ont surtout l’avantage de rester parfaitement lisibles en toute circonstance, même lorsque cela commence à fourmiller à l’écran. L’animation est efficace et percutante, on ressent bien l’impact des coups – ce qui, vu le temps qu’on va passer à en donner, est la moindre des choses.  Le programme connait en revanche quelques ralentissements occasionnels – le plus souvent provoqués par ces jongleurs de haches ou de torches qui semblent mettre le processeur de la machine à rude épreuve – mais ceux-ci restent très rares, et on ne se retrouve jamais à pester suite à un accès de lenteur du jeu.

L’avant-dernier niveau est assez jouissif : c’est fou le temps qu’on gagne, en expédiant tout le monde par-dessus bord

La vraie claque, cependant – et certainement celle qui a grandement contribué à la renommée du titre – vient de la musique. Yūzō Koshiro, le compositeur du jeu (dont on avait déjà pu apprécier le talent dans des titres comme The Revenge of Shinobi), a à ce titre fait un travail magnifique : souvent rythmées, dynamiques, mais aussi parfois nourries d’influence house ou funk, elles participent énormément au plaisir de jeu. Il y a fort à parier qu’une partie d’entre elles vous resteront dans le crâne pendant plusieurs années tant elles sont exécutées à merveille, en dépit des capacités sonores limitées de la Mega Drive. Les bruitages s’en sortent un peu moins bien, notamment cette espèce de bouillie stridente qui s’échappe d’un personnage féminin à sa mort, mais quoi qu’il arrive, Streets of Rage est un jeu auquel il serait criminel de jouer en coupant le son.

Vidéo – La première mission du jeu :

NOTE FINALE : 16/20 Streets of Rage n’invente rien, mais ce qu’il fait, il le fait bien. Porté par sa simplicité autant que par son efficacité, le beat-them-all de Sega aura initié une série désormais mondialement célèbre, bien aidée par une bande originale elle aussi entrée au panthéon de la Mega Drive. Grâce à un gameplay technique, à des coups dont on ressent bien l'impact et à un mode deux joueurs jubilatoire, Streets of Rage reste aujourd'hui encore un classique très agréable à parcourir. CE QUI A MAL VIEILLI : – Niveau graphique, on sait que la Mega Drive est capable de mieux que ça, comme les deux épisodes suivants se chargeront de le prouver. – Pas assez d’adversaires différents, et un gameplay qui se renouvelle peu.

Version Arcade (Mega-Tech)

Développeur : SEGA Enterprises Ltd.
Éditeur : SEGA Enterprises Ltd.
Date de sortie : 1991
Nombre de joueurs : 1 à 2
Langue : Anglais
Support : Cartouche
Contrôleur : Un joystick et trois boutons
Version testée : Version européenne
Hardware : SEGA Mega-Tech
Processeurs : Motorola MC68000 7,670453MHz ; Zilog Z80 3,579545MHz ; Zilog Z80 3,579540MHz
Son : Haut-parleur (x2) ; SEGA 315-5313 Megadrive VDP 53,693175MHz ; SEGA VDP PSG 3,579545MHz ; YM2612 OPN2 7,670453MHz ; SEGA 315-5246 SMS2 VDP 10,73862MHz ; SEGA VDP PSG 3,57954MHz ; 2 canaux
Vidéo : 256 x 224 ; 320×224 (H) 59.922738 Hz
On sait ce qu’on vient chercher, et c’est toujours aussi bon

Opérons à présent un rapide détour par la version « arcade » de Streets of Rage. Je place ici « arcade » entre guillemets, car comme tous ceux qui connaissent l’offre Mega-Tech le savent déjà, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un hardware équivalent à celui d’une Mega Drive placé à l’intérieur d’une borne, avec la possibilité d’y connecter plusieurs cartouches – exactement comme pour l’offre PlayChoice-10 de Nintendo avec la NES. Ici, un crédit achète donc du temps de jeu, par tranches de cinq minutes, indiqué en bas à gauche du deuxième écran – pour tout le reste, c’est stricto sensu exactement le même jeu que dans sa version de salon, vous pouvez même choisir le mode de difficulté. Autant dire qu’aujourd’hui, sauf à vouloir jouer spécifiquement sur un émulateur de type MAME qui doit représenter la seule opportunité de redécouvrir la gamme Mega-Tech, vous n’aurez aucune raison de privilégier cette itération face à la version Mega Drive.

NOTE FINALE : 16/20

Simple transposition de la version Mega Drive, Streets of Rage façon Mega-Tech reste le très bon jeu qu’il était dans sa version originale, mais avec l’obligation de rajouter un crédit toutes les cinq minutes.

Version Game Gear

Développeur : SEGA Enterprises Ltd.
Éditeur : SEGA Enterprises Ltd.
Date de sortie : 27 novembre 1992 (Japon) – 9 décembre 1992 (États-Unis) – Février 1993 (Europe)
Nombre de joueurs : 1 à 2 (avec deux consoles et un câble Gear-to-Gear)
Langue : Anglais
Support : Cartouche
Contrôleur : Console
Version testée : Version européenne
Spécificités techniques : Cartouche de 2Mb

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

La première machine servie au rang des conversions aura donc été la portable de Sega, un an avant la Master System. Machines 8 bits oblige, on trouvera de nombreux points communs entre les deux versions, mais la Game Gear aura également dû composer avec des limitations techniques – principalement la taille de son écran – encore plus importantes que celle de son homologue de salon.

Pour un jeu portable de 1992, le titre en a dans le ventre

Graphiquement, pourtant, cette version s’en sort très bien : c’est coloré, c’est lisible, on reconnait tous les personnages, et les animations n’ont pas été trop mutilées dans le processus. On part donc sur de très bonnes bases : parvenir à afficher autre chose qu’une bouillie de pixels sur un écran de jeu aussi réduit, dans un type de jeu où le challenge repose sur le nombre d’adversaires, est déjà un petit exploit. On peut ainsi avoir jusqu’à trois ennemis à l’écran simultanément en plus du personnage principal : mine de rien, c’est déjà moitié plus que ce que permettra la version Master System un an plus tard. Et, comble de bonheur, on peut toujours jouer à deux… à condition d’avoir deux Game Gear et le câble pour les relier (et sans doute un bon stock de piles vu la faible autonomie de la machine, mais je m’égare). Niveau musical, difficile de lutter avec la Mega Drive, mais les morceaux ont été réorchestrés avec sérieux, et on reconnait la plupart des thèmes – même s’il faut admettre qu’ils tournent également très vite en boucle, d’où une lassitude expresse. Quoi qu’il en soit, cette version semble s’être donné les moyens de proposer la meilleure expérience de jeu possible.

Se retrouver coincé entre trois adversaires peut vite se transformer en cauchemar sans nom

Comme on peut s’en douter, cela aura nécessité quelques sacrifices : Adam a disparu du casting (comme dans les mauvais films américains, ce sont toujours les noirs qui sont sacrifiés en premier), et le jeu ne comporte plus que cinq niveaux. Cela peut paraître peu, mais ceux-ci m’ont parus plus longs que leurs équivalents sur Mega Drive.

Adam fait partie des sacrifiés du titre

Plus de voiture de police non plus, faute de touche pour les appeler : elle est remplacée par un bonus qu’on trouve parfois dans un container et tuant tous les ennemis à l’écran. Mais bien sûr, ce qui décidera de la longévité du titre (en plus des piles), ce sera sa difficulté.

Malheureusement, c’est de ce côté qu’apparaît le vrai problème de la version Game Gear : sa jouabilité. Si cette version de Streets of Rage offre à première vue les mêmes possibilités que la version originale, une différence majeure se dessine après quelques secondes de jeu : il n’est plus possible de frapper un adversaire pendant une chope. Ce sera une projection ou rien. Cet oubli difficilement compréhensible complique les choses pour deux raisons : primo, lors d’une chope, votre ennemi est immobilisé, mais vous aussi. Et donc, le temps de réaliser votre position et de choisir quoi faire, vous être atrocement vulnérable. Effet renforcé par la deuxième raison : il est extrêmement difficile, dans cette version, de conserver une chope plus d’une demi-seconde. Si vous n’appuyez pas précisément en même temps sur arrière et coup au moment de la projection, par exemple, votre personnage lâchera son adversaire et lui tournera le dos, s’exposant ainsi magnifiquement à un coup entre les omoplates. C’est d’autant plus frustrant que les problèmes ne s’arrêtent pas là : votre personnage ne dispose d’aucune frame d’invulnérabilité en se relevant. Il est donc très fréquent de voir toute votre jauge disparaître simplement parce que les ennemis se relaient pour venir vous cueillir à chaque tentative de vous remettre debout sans que vous ne puissiez rien faire. Inutile de dire que, dans ces conditions, le plaisir de jeu s’estompe quelque peu…

Le tuyau de plomb fait un peu office de God Mode

L’honnêteté force à reconnaître que le déséquilibre va dans les deux sens, cela dit. Les armes blanches, dans cette version, ne disparaissent pas après un certain nombre d’utilisation comme dans le jeu Mega Drive : il faudra impérativement qu’un ennemi vous les fasse lâcher. Autant dire qu’un niveau peut soudainement se transformer en promenade de santé pour peu que vous mettiez la main sur un tuyau de plomb et que vous ne le lâchiez plus jusqu’au boss. Le jeu n’est donc pas difficile, il est plutôt soumis à votre capacité à conserver vos armes.

NOTE FINALE : 12/20

Streets of Rage sur Game Gear est une belle prouesse technique, c’est indéniable. En revanche, le plaisir de jeu laisse souvent place à la frustration, la faute à un système de chope défectueux et à une difficulté beaucoup plus liée à votre capacité à garder un tuyau de plomb qu’à une réelle maîtrise du gameplay. Bref, une version honnête, et même brillante du point de vue technique, mais qui aurait pu viser infiniment plus haut.

Version Master System

Développeur : SEGA Enterprises Ltd.
Éditeur : SEGA Enterprises Ltd.
Date de sortie : 7 juin 1993 (Europe)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Anglais, traduction française par AsmoDeath’s trads
Support : Cartouche
Contrôleur : Joypad
Version testée : Version européenne
Spécificités techniques : Cartouche de 4Mb

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Sorti plus de deux ans après la version Mega Drive, sur une Master System alors sérieusement en fin de vie, Streets of Rage aura au moins pu bénéficier du savoir-faire de programmeurs désormais particulièrement bien rodés à l’usage de la 8 bits de SEGA.

Le jeu s’en sort graphiquement extrêmement bien…

Le jeu suit aussi fidèlement que possible le cheminement du jeu original – et y ajoute même quelques petites « finitions » absentes de la version Mega Drive, comme les deux combattantes en fin de niveau 5 qui cessent d’être de simples clones de Blaze, ou bien un nouveau boss exclusif en conclusion du niveau 6, venu remplacer le recyclage du boss du niveau 2. Les trois personnages sont toujours jouables, tous les niveaux et tous les coups sont là ; bref, presque rien n’a été sacrifié, et on sent rapidement une réelle ambition pour la grande sœur de la Mega Drive, qui ne boxe pourtant pas franchement dans la même catégorie, même avec les meilleurs programmeurs du monde.

…mais l’action peine à être frénétique lorsqu’il n’y a jamais plus de trois sprites à l’écran

Graphiquement, en tous cas, le jeu impressionne. Les personnages sont grands, c’est très coloré – moins que sur Game Gear, mais après tout l’ambiance du jeu est censée être plutôt sombre – l’animation est plus hachée que sur Mega Drive mais reste fluide et ça ne rame jamais ; à peine observera-t-on quelques effacements de sprites, mais c’est du très beau travail. Les problèmes commencent en revanche dès qu’on aborde la musique, gros point fort de l’original. Les capacités sonores de la Master System sont très inférieures à celles de la Mega Drive, c’est indéniable, et on peut comprendre que cette version reprenne à l’identique la plupart des thèmes de la version Game Gear. On retrouve donc le même grief que sur la version portable, avec des morceaux qui finissent par faire mal au crâne plutôt qu’autre chose – et le fait qu’une partie soit plus longue sur Master System n’améliore pas les choses à ce sujet.

Vos collègues de la police sont toujours là (observez au passage l’effacement de sprite)

Les différents thèmes ont d’ailleurs souvent été réattribués, un peu anarchiquement, à d’autres niveaux qu’à ceux qu’ils accompagnaient à l’origine : le thème du niveau 2 n’est rien d’autre que la mélodie de sélection de personnage du jeu Mega Drive répétée en boucle, par exemple. Certaines compositions, comme le thème du niveau 5, s’en sortent un peu mieux, mais l’extraordinaire ambiance de l’opus original – qui reposait en grande partie sur sa fantastique ambiance musicale, justement – en prend quand même un sérieux coup.

Niveau jouabilité, le jeu présente là aussi quelques problèmes – mais différents de ceux de la version Game Gear. Le personnage est relativement réactif, les coups s’enchainent bien, on aperçoit quelques erreurs d’alignements de sprites lors des chopes mais le programme a l’air de bien s’en tirer : le jeu semble même, à plusieurs niveaux, encore plus simple que son homologue sur Mega Drive. Et puis un certain malaise s’installe en voyant notre personnage se retrouver au tapis assez facilement jusqu’à ce qu’on mette le doigt sur ce qui cloche : les coups vous touchent dès leur départ, et pas à leur réception. Explication : vous voyez une femme lever son fouet… et vous êtes déjà au sol, car le jeu a considéré que le coup était porté dès la première frame de l’animation, et pas au moment où le fouet touchait votre personnage.

Mr. X ne vous fera, cette fois, pas d’offre indécente. Logique, puisque vous n’avez plus d’équipier à trahir…

Mine de rien, cela pose un gros problème, car à moins d’avoir le don de prescience, il vous est à peu près impossible d’éviter un coup : un personnage fait un coup de pied sauté, et il vous a déjà touché avant même que ses pieds n’aient quitté le sol. On peut, dans les fait, limiter la casse en utilisant le fait que les adversaires ne peuvent vous toucher que lorsqu’ils sont exactement sur le même plan horizontal que votre personnage, et donc en multipliant les déplacements sur un axe vertical, mais la jouabilité en souffre. Autre petit détail : la manette de la Master System n’a que deux boutons, or, le gameplay en nécessite trois. Appeler votre voiture en soutien demandera donc une pression sur le bouton pause situé… directement sur la console. Autant dire que si vous voulez du renfort, il va falloir vous lever !

Les boss sont également plus simples à battre, dans cette version

Un dernier problème apparait assez vite, et il facile de l’attribuer, en partie, aux limitations techniques de la console. Quoi qu’il arrive, en n’importe quelle circonstance, le jeu n’affichera jamais plus de deux ennemis à l’écran. Jamais. Cela peut se comprendre, mais a quand même un peu de mal à passer quand on se souvient que la Game Gear en affichait trois…  Évidemment, la principale difficulté de ce type de jeu reposant traditionnellement sur le nombre d’adversaires, on est presque heureux des errements de jouabilité constatés, sans quoi le jeu serait d’une facilité absolument écœurante. Dans le même ordre d’idée, les tables qui vous fonçaient dessus au dernier niveau de la version originale ont désormais disparu : trop de choses à l’écran…

On sera heureux de voir tout le casting répondre à l’appel

Cela engendre une autre limitation, beaucoup plus difficile à pardonner, celle-là : il est désormais impossible de jouer à deux. Oui, au fond, dans un jeu incapable d’afficher plus de trois sprites à la fois, cela peut paraitre logique… mais c’est peu dire que cela prive ce Streets of Rage version 8 bits d’une très grande partie de son intérêt. Peut-être aurait-il fallu se montrer un peu moins ambitieux en terme de réalisation et sacrifier la taille des personnages pour autoriser un gameplay plus riche, mais le mal est de toute façon déjà fait.

Le boss exclusif dénote un peu par rapport au reste du jeu

NOTE FINALE : 13/20

Streets of Rage sur Master System est-il un mauvais jeu ? Non, loin de là. Il est même, à bien des niveaux, plus agréable à jouer que la version Game Gear. Malheureusement, victime d’une ambition qui donne l’impression d’avoir privilégié la forme sur le fond, il doit faire face à de sévères limitations qui l’empêchent de rejoindre la version Mega Drive dans la légende des beat-them-all. Désormais simple jeu solo, on regrettera également que l’essentiel de sa difficulté lui vienne des errements de sa jouabilité plutôt que du challenge proposé par le titre.

Loom

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Lucasfilm Games LLC
Testé sur : PC (DOS)AmigaAtari STMacintoshFM TownsAmiga CDTVPC Engine CD
Disponible sur : Antstream, Linux, Mac OS X, Windows
Disponible sur : Gog.com (Windows), Steam.com (Windows)

Note : Les patchs de traductions françaises non-officielles de cet article proviennent du site Abandonware France

Version PC (DOS)

Date de sortie : Mai 1990 (version disquette) – Août 1992 (version CD-ROM)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français (version disquette) – Anglais, patch de traduction en français (version CD-ROM)
Supports : CD-ROM, dématérialisé, disquettes 5,25″ et 3,5″
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Version testée : Versions disquette et CD-ROM émulées sous ScummVM
Configuration minimale : Version disquette :
Processeur : Intel 8088/8086 – OS : PC/MS-DOS – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : CGA, EGA, MCGA, Tandy/PCjr, VGA (16 couleurs)
Cartes sonores supportées : AdLib, Game Blaster (CMS), haut-parleur interne, Tandy/PCjr

Version CD-ROM :
Processeur : Intel 80286 – OS : PC/MS-DOS 3.1 – RAM : 640ko – MSCDEX : 2.1
Mode graphiques supporté : VGA
Système de protection de copie par consultation du manuel
Liens utiles : Patch ajoutant le support de la Roland MT-32 (version disquette uniquement)

Vidéo – L’ouverture et l’écran-titre du jeu :

Loom est un jeu très particulier, ayant grandi dans l’ombre du célèbre The Secret of Monkey Island, sorti à la même période, mais ayant acquis a posteriori ses propres galons dans la glorieuse liste des jeux vidéo ayant durablement marqué les joueurs lors de leur sortie.

À l’initiative du projet, un nouvel employé de chez Lucasfilm Games nommé Brian Moriarty (fraichement débauché d’Infocom chez qui il venait de réaliser trois aventures textuelles dont le très ambitieux Beyond Zork), qui s’était mis en tête d’utiliser le fameux moteur de jeu SCUMM créé pour Maniac Mansion afin de produire un jeu d’aventure plus court et nettement moins punitif que les jeux de l’époque (notamment ceux issus des studios Sierra On-Line, où mourir à de très nombreuses reprises lors d’une partie était monnaie courante). L’idée du jeu lui viendra d’une source d’inspiration majeure, mais assez particulière pour l’univers vidéo-ludique de l’époque : le Lac des Cygnes de Tchaïkovski.

L’idée fondatrice du jeu est donc simple, mais profondément originale : la seule interface du jeu sera la musique. Pas de liste de mots pour former des actions, comme cela avait été utilisé dans Maniac Mansion, Zac McKracken ou Indiana Jones and the Last Crusade, les trois précédents jeux du studio ; en dehors d’un curseur vous servant à vous déplacer et à désigner les objets, votre unique moyen d’action sera un instrument de musique. Et pour bien comprendre en quoi cela pourrait bien vous permettre d’interagir avec quoi que ce soit, il faudra d’abord se pencher un instant sur le scénario du jeu.

Dans un monde inconnu, vous incarnez Bobbin Threadbare, un jeune homme appartenant à la Guilde des Tisserands. Le matin de votre dix-septième anniversaire, une nymphe messagère vient vous adresser un message : le Conseil vous convoque. C’est en assistant à une conversation houleuse entre les Anciens et Hetchel, la femme qui vous a éduqué après la mort de votre mère, que vous allez commencer à en apprendre plus sur une Ombre qui menace le monde – et sur le lien maléfique que certains croient voir entre votre naissance et sa venue. Cela vous permettra surtout d’hériter d’une des quenouilles avec lesquelles les Tisserands ont le pouvoir de créer la réalité…

Surpris ? L’univers dans lequel s’étend Loom est certes original, et très dépaysant. Mais sa plus grande force tient précisément d’une de ses lacunes : À peu près tout ce que vous serez amenés à comprendre de ce monde, vous devrez aller le lire entre les lignes. Pas de texte de présentation, pas de mise en situation, juste un échange d’une demi-heure entre Bobbin et Hetchel enregistré sur une cassette audio distribuée avec le jeu à sa sortie (et, à ma connaissance, jamais traduite en français) et un livre dans lequel vous pouviez noter les différentes « trames » que vous étiez amené à apprendre au fil du jeu. Vous êtes donc lâché sans information dans un univers qui vous est totalement étranger, et où personne ne vous fera jamais de grandes leçons d’histoire afin de vous introduire une culture ou une chronologie : seuls les rares dialogues du jeu, ainsi que quelques inscriptions, vous aideront à imaginer petit à petit l’immense univers qui s’étend autour des quelques régions que vous serez amené à visiter au cours de votre périple.

Cette trouvaille narrative est sans conteste l’un des plus grands points forts d’un jeu où tout ce qu’on vous montre ne semble être qu’un prétexte pour laisser parler votre imagination – avec le fait qu’on ne puisse ni mourir ni être irrémédiablement bloqué, autre concept visionnaire dont Loom aura été la première matérialisation avant le Secret of Monkey Island de Ron Gilbert. Il est d’autant plus frustrant que le jeu n’ait jamais connu de suite officielle, comme cela avait été considéré à une époque, car il faut reconnaître qu’au terme de la (trop courte) aventure, on ne peut s’empêcher de ressentir un petit pincement à l’idée de laisser dernière nous tous ces personnages alors qu’on aurait aimé en connaître encore tellement plus à leur sujet. Les dialogues sont efficaces et font mouche – certains, comme cette conversation surréaliste avec une dragonne ayant peur du feu, vous arracheront même plusieurs sourires. La mélancolie régnant à la fin du jeu a probablement, pour sa part, tiré quelques larmes au moment de sa sortie.

En termes de réalisation, Loom, fait des merveilles avec sa modeste palette de 16 couleurs. Garry Winnick et Mark Ferrari se sont inspirés du style de La Belle au Bois Dormant, de Walt Disney, et le résultat est superbe. Le jeu a incontestablement une « patte » graphique, et certains écrans – notamment cette aube permanente qui découpe en clair-obscur les reliefs de l’île sur laquelle vous commencez le jeu – touchent à la quintessence de ce que pouvaient offrir des graphismes en EGA. On appréciera également l’excellente idée de ces gros plans animés lors des conversations, qui offrent immédiatement une identité visuelle très marquée aux différents protagonistes. On remarquera aussi quelques entorses à ce qui allait s’imposer comme le « style Lucasfilm » de l’époque, et notamment une courte séquence de gore tranchant radicalement avec l’ambiance générale du jeu et qui aura décroché quelques mâchoires à l’époque.

Côté musical, rappelons que nous sommes en 1990, période où les cartes sons commencent à peine à se démocratiser sur PC. La version originale du jeu ne reconnaissait que les cartes AdLib, CMS, Game Blaster et Soundblaster, mais un patch publié quelques mois après sa sortie y ajoute la gestion de la Roland MT-32 – ainsi qu’un prélude musical tiré du Lac des Cygnes et que vous pourrez entendre dans la vidéo de l’introduction présentée ci-dessus. La version PC sur disquettes restera la seule à avoir bénéficié de cette ouverture – même les versions CD ultérieures ne la comprendront pas. Autant dire que l’orchestration est superbe pour l’époque, et qu’il est d’autant plus frustrant que la musique se fasse si rarement entendre, au point qu’on évolue dans un silence de mort pendant une bonne moitié du jeu. Reste pour beaucoup de joueurs d’alors, ce fut l’occasion d’entendre, parfois pour la première fois, de grands thèmes classiques que les jeux vidéo ne nous avaient pas trop donné l’habitude d’employer jusque là.

Alors Loom, jeu parfait ? Non, pas tout à fait, en dépit de l’indéniable capital sympathie dont il jouit auprès de plusieurs milliers de nostalgiques. Tout d’abord – et même si cela correspond à la volonté initiale de Brian Moriarty – le jeu est très court, trop court. On peut facilement en venir à bout en moins de deux heures, ce qui, en soi, n’a rien d’anormal : un jeu comme King’s Quest IV, par exemple, pouvant très bien être bouclé en une vingtaine de minutes… à condition de savoir très précisément quoi faire, sans quoi sa grande difficulté vous demandait d’y passer des semaines, voire des mois. Mais Loom n’est pas juste court, il est également très facile. L’impossibilité de mourir ou de se retrouver bloqué, comme on l’a vu, y est sans doute pour beaucoup ; le peu de possibilités offertes par l’interface étant la deuxième cause. À deux ou trois situations pas très claires près, il est rare de ne pas savoir ce qu’on attend de nous – et un simple coup d’œil à toutes les trames apprises jusqu’alors suffit à nous offrir l’intégralité de nos possibilités.

Il est également assez frustrant d’être confronté à des situations où le jeu nous force la main en dépit du bon sens le plus élémentaire. Ainsi, à un stade avancé du jeu, il est possible de se retrouver enfermé dans une cage face à deux personnes vous demandant de faire démonstration de vos pouvoirs magiques. Vous pourriez alors facilement les effrayer, par exemple – un des nombreux pouvoirs à votre disposition à ce moment du jeu. Mais non, votre seule possibilité est d’ouvrir la porte de votre cage comme ils vous le demandent, sans que rien ne vienne le justifier ; le genre de lacunes un tantinet énervantes. Rien de tout cela n’a empêché le jeu de se faire une petite place dans l’imaginaire collectif de ceux qui ont eu la chance de poser les mains dessus à sa sortie, mais il était important de souligner ces quelques anicroches aux joueurs qui désireraient le découvrir aujourd’hui.

Signalons, malgré tout, que le jeu dispose de trois niveaux de difficulté : si je n’ai décelé aucune différence entre les modes « standard » et « practice », le mode « expert », pour sa part, ne vous affichera plus les notes en bas de l’écran et vous demandera de vous débrouiller intégralement à l’oreille – ce qui rend tout de suite le jeu beaucoup plus délicat. En guise de bonus, ce mode « expert » vous offrira, vers la fin du jeu, une courte scène retirée des deux autres modes. Reste au final un jeu original, culotté et profondément visionnaire dans son approche du game design… et sans doute un peu trop au moment de sa sortie. Perçu comme trop court et trop simple pour un jeu vendu au prix fort, soulevant un certain scepticisme de la part de la critique, il aura au final été totalement éclipsé par le succès de The Secret of Monkey Island, publié quelque mois plus tard, et qui présentait une aventure plus longue, plus complexe et fondamentalement plus classique. Conséquence : Brian Moriarty, redirigé vers des titres éducatifs avant de se casser les dents sur le développement de The Dig, n’aura jamais pu achever la trilogie qu’il avait imaginée autour de Loom et n’aura plus jamais été le game designer d’un jeu d’aventure. Cruelle destinée pour quelqu’un qui aura vu un peu plus loin que les autres un peu trop vite…

Quelques mots, enfin, sur la VF : elle est d’une bonne qualité, surtout si l’on considère la période de sa réalisation, où l’amateurisme le plus total était la règle plutôt que l’exception en terme de localisation. Pas de coquille, pas de faute d’orthographe : ça change très agréablement de ce qu’on pouvait observer, au hasard, dans la série des King’s Quest vers la même période. Seul choix discutable : n’avoir traduit ni les noms des personnages – qui sont pourtant tous chargés de sens – ni le métier à tisser, auquel il est systématiquement fait référence sous le terme « Loom », ce qui permet certes de garder le lien avec le titre du jeu mais n’a pas grand sens au milieu d’une traduction intégrale. Quoi qu’il en soit, mettre la main sur cette VF par des voies légales sera sans doute très compliqué : toutes les plateformes de téléchargement proposant le jeu à la vente à l’heure actuelle ne proposent que la VO. Surement existe-t-il des patchs de fans permettant de contourner le problème.

Vidéo – Dix minutes de jeu :

NOTE FINALE : 16/20 Loom est un jeu unique, à l'approche incomparable et à l'univers captivant. Lâché dans un monde poétique, bercé par les compositions de Tchaïkovski, le joueur se surprend à assembler lui-même un gigantesque puzzle dont on ne lui offre que quelques pièces, afin de compenser tout ce qu'une narration volontairement elliptique ne lui dit jamais directement par le biais de l'outil le plus efficace qui soit : l'imagination. La promenade est aussi rafraîchissante qu'elle est courte, hélas, et c'est avec regret qu'on laisse derrière nous des personnages qu'on aurait volontiers accompagné pendant dix ou quinze heures supplémentaires. Si vous n'avez encore jamais tenté le voyage, laissez-vous emporter. CE QUI A MAL VIEILLI : – On n’aurait vraiment pas dit non à quatre ou cinq heures de jeu supplémentaires – Certains pouvoirs qu’on ne nous permet pas d’utiliser à des moments où ils seraient très utiles – Version française difficile à dénicher

Les avis de l’époque :

« Servie par de somptueux graphismes, l’histoire reste captivante du début à la fin : il se passe (presque) toujours quelque chose à l’écran. Bref le jeu accroche et possède une atmosphère particulière (c’est rare). (…) Loom est agréable à jouer malgré ses imperfections. Relativement rapide à terminer, il plaira à tous les aventuriers (débutants ou confirmés). J’accepte de l’acheter s’il vaut 200 francs (NDRA : environ 47,15 euros en tenant compte de l’inflation), au-dessus c’est de l’arnaque. »

Dany Boolauck, Tilt n°78, Mai 1990, 16/20

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Loom sur un écran cathodique :

La version CD-ROM :

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Pour une fois, la version CD-ROM du jeu est suffisamment particulière pour mériter un peu plus qu’un paragraphe chargé de statuer sur la qualité des doublages. Comme on va le voir, la date de sortie relativement précoce de cette édition (en 1992, à une époque où le support était encore loin d’être démocratisé) aura certainement eu une lourde influence sur ses caractéristiques techniques, qui sont loin d’être aussi emballantes qu’on était en droit de le souhaiter, comme on va rapidement le voir. En fait, c’est comme si chacun des atouts de cette version étaient immédiatement contrebalancé par un défaut rédhibitoire. Mais jugez plutôt :

Tout d’abord, qui dit support CD dit musique CD, n’est-ce pas ? Ne vous inquiétez pas : elle est bien là, identique dans sa composition dans ce qu’on pourra entendre, à la même époque, sur FM Towns ou sur PC Engine CD. Oui mais… Plutôt que d’utiliser les extraordinaires (pour l’époque) capacités de stockage offertes par le support, que croyez-vous que l’équipe de développement a cru bon de faire ? Eh bien, elle a utilisé les pistes numériques. Ainsi, au lieu de disposer de 640Mo d’espace, la version CD se retrouve limitée à soixante minutes de pistes musicales (moins l’espace pris par les données). Oui, cela présente déjà toutes les caractéristiques de la mauvaise idée, mais bon, une heure de musique, pour un jeu aussi court, ce devrait être largement suffisant, non ?

Cela aurait pu l’être, si les dialogues n’avaient pas également été enregistrés sur les pistes numériques. Oui, tous les dialogues du jeu. Contrainte évidente : l’intégralité des discussions du jeu doit désormais tenir en moins d’une heure. Cela a deux effets aussi évidents que catastrophiques : le premier, c’est que tous les (rares) dialogues du jeu ont dû être réécrits et rabotés pour tenir dans le peu de temps qu’on leur laissait. Non, vous ne rêvez pas : cette version CD à la capacité 300 fois supérieure à ce que contenait la version originale a dû être expurgée d’une partie de ses dialogues !

Attendez, ne ramassez pas tout de suite votre mâchoire : ce n’était que le premier problème. Le deuxième est presque aussi navrant : la musique et les dialogues se partageant la même durée, le plus simple a été de les combiner. Ce qui signifie que la musique ne peut se faire entendre… que pendant un dialogue, et jamais à un autre moment. Votre version CD vous vaudra donc d’évoluer dans un silence de cathédrale pendant la plus grande partie du jeu. Ah, on peut dire qu’ils ont fait fort ! On remerciera le célèbre auteur Orson Scott Card, déjà mis à contribution sur The Secret of Monkey Island, d’être venu apporter son aide lors de cette réécriture, mais cela n’empêche hélas pas cette version CD d’être un charcutage de bas étage d’un jeu déjà pas très bavard à l’origine.

Niveau graphismes, là, pas d’excuse : normalement, tout va bien. D’ailleurs, au premier coup d’œil, on réalise que les graphismes sont identiques à ceux de la version FM Towns sortie l’année précédente. Oui mais… Le trouble apparait après quelques minutes de jeu. Vous vous souvenez de ces magnifiques inserts présentant les personnages en gros plan ou en plan américain au cours des conversation ? Ceux-là même qui existaient déjà en 256 couleurs, puisqu’il suffisait de reprendre la version FM Towns – comme pour le reste des graphismes du jeu ? Eh bien, oubliez-les. Ils ont disparu. Pourquoi ? On ne le saura jamais – sans doute participaient-ils à étirer la durée des dialogues qu’on cherchait à mutiler au maximum. Ça, en termes d’ambiance et d’implication du joueur, c’est un autre énorme coup dur. Les protagonistes n’ont plus de visage, plus d’expression – plus d’identité, en un mot. Afin de faire le change, on a doté leurs sprites de nouvelles animations, mais le résultat donne surtout l’impression que personne dans cet univers n’est capable de dire une phrase de trois mots sans gesticuler la tête ni faire de grands mouvements avec les bras. N’en jetez plus : le carnage est complet.

NOTE FINALE : 13/20

Le destin aura donc voulu que la seule version de Loom encore disponible à la vente en 2017 soit, et de très loin, l’une des plus mauvaises. Mutilée, disséquée, découpée, expurgée, cette version doit représenter le seul cas de version CD appauvrie par rapport à la version disquettes. N’espérez même pas y trouver une VF : son seul et unique atout est de posséder des doublages anglophones – dommage que ceux-ci se basent sur des dialogues vidés de leur substantifique moelle… Bref, une mauvaise version, une mauvaise introduction à ce jeu sublime, et un incommensurable gâchis. Rabattez-vous plutôt sur n’importe quel autre portage – les deux autres versions CD, de préférence, si jamais vous parvenez à mettre la main dessus.

Version Amiga

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Lucasfilm Games LLC
Date de sortie : Octobre 1990
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, espagnol, français, italien
Support : Disquette 3,5″ (x3)
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Version testée : Version disquette testée sur Amiga 600
Configuration minimale : Système : Amiga 500/2000 – OS : Kickstart 1.2 – RAM : 512ko*
Modes graphiques supportés : OCS/ECS
Installation possible sur disque dur
Système de protection de copie par consultation du manuel
*Optimisations graphiques et sonores avec 1Mo

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Développé en même temps que la version PC, la version Amiga en est pratiquement la copie conforme. Graphiquement, le jeu est identique à 99,9% – quelques petites nuances dans le choix des couleurs, lors des dialogues par exemple, mais il vaut mieux avoir de bons yeux pour les déceler. Musicalement, l’Amiga ne se hisse pas à la hauteur de ce que proposait la Roland MT-32, mais il fait largement aussi bien que l’AdLib. Paradoxalement, le jeu est plus facile à trouver en français sur Amiga que sur PC où il est pourtant toujours en vente, un comble ! Mais dans tous les cas, tout le contenu du test de la version PC peut fidèlement s’appliquer à cette version – sauf la présence de l’ouverture de la version patchée.

NOTE FINALE : 16/20

Aucun bouleversement pour la version Amiga, pratiquement identique à la version PC sortie en parallèle. On pourra lui préférer la version originale patchée pour profiter de la qualité de la Roland MT-32, mais ce serait bien là la seule raison.

Version Atari ST

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Lucasfilm Games LLC
Date de sortie : Novembre 1990
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, espagnol, français, italien
Support : Disquette 3,5″ double face (x3)
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Version testée : Version disquette testée sur Atari 1040 STe
Configuration minimale : Système : 520 ST – RAM : 512ko
Écran monochrome supporté
Installation possible sur disque dur
Système de protection de copie par consultation du manuel

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Si, graphiquement parlant, la version Atari ST fait très exactement jeu égal avec ses deux consœurs sur PC et Amiga, c’est en terme de capacités sonores – comme souvent – que la machine pêche : le thème musical de la version ST fait à peine mieux que ce que pouvait offrir le haut-parleur interne du PC ! Et malheureusement, ici, pas de patch pour espérer connecter une Roland MT-32 ou une interface MIDI afin de sauver les meubles… Autant dire que, dans un jeu basé sur la musique, la version Atari ST fait un peu office de mouton noir : c’est – de peu, certes – la moins bonne version de toutes celles sorties en 1990.

NOTE FINALE : 15,5/20

Un demi-point de pénalité pour la musique de moins bonne qualité que sur les autres supports – l’Atari ST aurait sans doute pu faire un peu mieux que ça. Le reste du jeu étant totalement identique aux versions PC et Amiga, je ne conseillerais cette version qu’aux nostalgiques les plus passionnés de l’Atari ST.

Version Macintosh

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Lucasfilm Games LLC
Date de sortie : 1990
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 3,5″ (x3)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette testée sur Macintosh II
Configuration minimale : Processeur : Motorola 68020 – OS : System 6.0.3 – RAM : 1Mo
Configuration graphique : 16 couleurs, noir & blanc
Système de protection de copie par consultation du manuel

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Avec l’arrivée du Macintosh II et de ses graphismes en couleurs, la machine d’Apple pouvait enfin espérer glisser dans une case plus traditionnelle dans le cadre du jeu vidéo… grosso modo, elle pouvait devenir l’équivalent du PC. Signe des temps, cette itération de Loom est d’ailleurs jouable aussi bien en noir & blanc qu’en couleur… exactement comme la version Atari ST, en substance.

Graphiquement, dans les deux cas, on retrouve des graphismes en basse résolution, avec des teintes exactement identiques à celles de l’EGA dans le cas de la version couleur. Seule nuance, assez anecdotique : les textes, eux, sont en haute résolution. Pour ce qui est de l’aspect musical, on est quelque part autour de ce que proposaient l’AdLib ou la version Amiga – soit au-dessus du ST et en-dessous de la Roland MT-32. Bref, rien de très surprenant, mais un portage sérieux qui aura au moins permis aux utilisateurs de Macintosh de ne pas avoir à tirer un trait sur un très bon jeu d’aventure.

NOTE FINALE : 16/20

Prenez les graphismes de la version EGA de Loom (ou ceux de la version monochrome de l’Atari St pour la version noir & blanc), ajoutez-y une réalisation sonore du niveau de celle de la version Amiga et des polices d’écriture en haute résolution et vous obtiendrez cette version Macintosh. Un aussi bon moyen qu’un autre pour découvrir le jeu.

Version FM Towns

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Fujitsu Limited
Date de sortie : Avril 1991
Nombre de joueurs : 1
Langues : Anglais, japonais, patch de traduction française par Hibernatus*
*Fonctionne uniquement sous ScummVM
Support : CD-ROM
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Version testée : Version CD-ROM anglaise patchée en français
Configuration minimale : RAM : 2Mo

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Un an après sa sortie en Europe et aux États-Unis, Loom s’est vu offrir un portage sur les ordinateurs japonais. Et, à en croire le résultat, ceux-ci étaient manifestement bien mieux équipés que leurs homologues occidentaux. Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps : cette version FM Towns fait généralement consensus pour être considérée comme la meilleure, tous supports confondus.

Graphiquement, déjà, la différence saute aux yeux dès les premières secondes : le jeu est en 256 couleurs, et ce gain de 240 couleurs par rapport à la version originale n’a pas été galvaudé : les dégradés sont légion, l’aube est plus lumineuse que jamais ; bref, c’est splendide.

Seule petite anomalie : pour une raison inconnue, les icônes désignant les objets avec lesquels vous interagissez, en bas à droite de l’écran, sont restées en 16 couleurs – ce qui n’est pas bien dramatique, mais donne un peu le sentiment d’une finition bâclée. Dans le même ordre d’idées, l’étrange transition Anglais-Japonais-Anglais lors de la traduction a doté le jeu d’un certain nombre de petites coquilles qu’une relecture un peu plus soigneuse aurait facilement éliminées. On trouve également trace d’une censure – vis-à-vis de la présence de sang à la fin du jeu – d’autant plus inexplicable que la scène la plus gore du jeu, elle, a été gardée telle quelle. Bref, quelques anicroches dommageables – mais qui ne suffisent pas à éloigner cette version de son statut de « version ultime. »

Car il faut mentionner, bien sûr, le gain musical apporté par le support CD. La musique est magnifique – très loin au-dessus de ce que pouvait offrir la Roland MT-32 – et on en regrette d’autant plus que l’ouverture du Lac des Cygnes n’ait pas fait le voyage jusqu’au Japon. Curieusement, j’en ai également entendu une version à l’orchestration différente – il existe donc au moins une alternative à la bande sonore employée sur les version PC CD-ROM et PC Engine CD. Apparemment, les deux orchestrations sont présentes sur le CD-ROM, et il semblerait que l’une soit destinée à la version anglaise et l’autre à la version japonaise – difficile de trouver une explication à ce choix, mais il faudra faire avec.

Surtout, là où le jeu original était plongé dans un silence de cathédrale pendant une bonne partie du temps, la version FM Towns choisit, pour sa part, de répéter le thème de la zone où vous vous trouvez en boucle – ce qui n’a pas que des avantages, mais au moins on ne pourra plus accuser le jeu de vous priver de sa musique. Notons également la présence de bruitages digitalisés de très bonne qualité – bref, il ne lui manque que les doublages et on était à deux doigts de tenir la version parfaite.

En fait, le principal débat quant à cette version tient avant tout à des raisons purement esthétiques : si le jeu est indubitablement plus coloré, certains amateurs de la version EGA ne manquent pas de faire remarquer que l’épuration du style original – et les ambiances très tranchées qui en ressortaient, chaque Guilde étant plus ou moins associée à une couleur dans la palette graphique du titre – est un peu passée à la trappe, la direction artistique étant tellement pressée de faire étalage de ses couleurs qu’elle en « trahit » quelque peu l’ambiance de la version de 1990. Le débat étant aussi ouvert que subjectif, je n’y prendrai personnellement pas part – mais je dois avouer que les objections stipulées ci-dessus ne me paraissent pas illégitimes. Quoi qu’il en soit, cette version reste sans conteste la meilleure, ne fut-ce que par le saut qualitatif de la musique.

NOTE FINALE : 17/20

Ironie étrange : la meilleure version de Loom est également la plus difficile à trouver. Tout le monde n’ayant pas un ordinateur japonais sous la main, je ne peux que vous conseiller l’usage du logiciel ScummVM afin d’émuler la machine – et sur le patch traduisant le jeu en français – si jamais vous parvenez à mettre la main sur cette version du jeu. Certains argueront que les graphismes de la version originale, en dépit d’une palette bien plus limitée, possédait une « âme » qu’on ne retrouve pas dans cette version multicolore. Mais si je devais vous donner un conseil, ce serait le suivant : jouez donc aux deux !

Version Amiga CDTV

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Lucasfilm Games LLC
Date de sortie : 1992
Nombre de joueurs : 1
Langue : Allemand
Support : CD-ROM
Contrôleur : Souris
Version testée : Version allemande
Configuration minimale : Système de protection de copie par consultation du manuel

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Loom aura également partie des quelques rares élus à avoir fait le trajet jusqu’au CDTV – coûteuse escroquerie de Commodore qui aura rencontré un bide sidéral à peu près partout dans le monde sauf en Allemagne, où la machine sera parvenue à faire quelques victimes. Ceci dit, sans même mentionner le prix de ce qui n’était qu’un Amiga 500 avec un lecteur CD-ROM, on comprend mieux pourquoi personne ne se bousculait pour investir dans l’engin quand on découvre cette version, laquelle n’est rien de plus… que la version disquette gravée sur un CD-ROM. Les pistes numériques entendues sur FM Towns, sur PC ou sur PC Engine? Même pas en rêve ! Et pour bien situer l’étendue du foutage de gueule, même la protection de copie est toujours présente ! Ça valait bien la peine d’attendre deux ans… Bref, si le jeu est fort heureusement toujours aussi bon, acquérir ce portage ne présentera un quelconque intérêt qu’auprès des collectionneur les plus désespérés.

NOTE FINALE : 16/20

En tant que portage tirant parti du support CD-ROM (ou plutôt, ne le faisant pas), cette version CDTV de Loom mériterait un zéro pointé. Simple copier/coller de la version disquette, on sera heureux que ce portage totalement sans intérêt n’ait jamais eu l’idée d’être commercialisé ailleurs qu’en Allemagne. Mais en tant que version Amiga du jeu, eh bien, c’est toujours un bon point-and-click.

Version PC Engine CD

Développeur : Realtime Associates, Inc.
Éditeur : Turbo Technologies, Inc.
Date de sortie : 25 septembre 1992 (Japon) – 4 décembre 1992 (Amérique du Nord)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Anglais, japonais
Support : CD-ROM
Contrôleur : Joypad
Version testée : Version américaine
Configuration minimale : Super System Card requise

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Pour ceux qui souhaiteraient profiter de la musique CD, mais qui n’apprécieraient pas pour autant la direction artistique de la version 256 couleurs, il se peut que le compromis idéal vienne une nouvelle fois du Japon. Loom a décidément été gâté en posant ses valises dans le lointain Orient (même s’il n’a en fait pas eu besoin d’aller aussi loin, la console de NEC étant distribuée aux États-Unis) : cette improbable version PC Engine CD a tout pour plaire, et nous allons voir pourquoi.

Musicalement, premièrement, le jeu reprend à la note près les compositions réalisées pour la version FM Towns. On est donc toujours en présence de ce qui se fait de mieux – même s’il arrive à la musique de s’interrompre quelques instants à cause de petits temps de chargement. Les bruitages, eux, sont beaucoup plus basiques – allant taper dans les capacités hardware de la 8 bits qui porte décidément mal son nom. On reste dans tous les cas au-dessus de ce que proposaient les versions sorties en 1990 – dans le haut du panier, rien de moins.

C’est graphiquement que le jeu va peut-être (enfin) parvenir à réconcilier tout le monde. La console de NEC ne bénéficie certes pas de 256 couleurs – mais offre malgré tout une version à la fois très proche, et sensiblement plus travaillée que la version 16 couleurs. La palette légèrement étendue de la PC Engine permet en effet de se débarrasser de l’effet de « mosaïque » (dithering en anglais) qu’utilisait la version originale pour donner l’illusion d’une palette plus importante qu’elle ne l’était réellement, et de le remplacer par des aplats d’une autre couleur, tout en autorisant des dégradés impossibles dans la version EGA.

Concrètement, on a donc un jeu extrêmement fidèle, graphiquement parlant, à la version de 1990 tout en étant un peu plus coloré – ce qu’aurait dû être, en fait, la version Amiga si elle avait tiré parti de sa capacité à afficher 32 couleurs au lieu de 16. On pourrait donc décrire cette version comme une sorte de « FM Towns Light », l’avantage étant que le style graphique si particulier de la version 16 couleurs n’a été sacrifié à aucun niveau. Une excellente alternative, donc.

NOTE FINALE : 17/20

Les amateurs de Loom n’auront finalement que l’embarras du choix : pour ceux que la direction artistique de la version FM Towns faisait tiquer, la version PC Engine CD pourrait représenter la bonne pioche, avec sa musique CD et sa réalisation un cran au-dessus des versions 16 couleurs sans trahir en rien le style de la version originale.