Interview : Olivier Scamps

Crédit photo : Isée Scamps

Attention, interview fleuve ! Quand on interroge Olivier Scamps, journaliste vidéoludique passé par Tilt et qu’une partie des retrogamers connaissent mieux sous le surnom d’Iggy qu’il employait dans Player One, on se retrouve vite à aborder tous les sujets, et l’entretien ressemble parfois à une conversation de vétérans… Avec une carrière telle que la sienne, qui l’aura emmené chapeauter des publications comme Joystick, Joypad et Playstation Magazine, c’est à un véritable passage en revue de l’histoire de la presse informatique française que l’on s’est livré. Si vous cherchez à en savoir plus sur la période, alors laissez-vous porter : cela va parler de jeu vidéo pendant si longtemps que l’entretien aura été divisé en trois parties…

Interview réalisée par conversation audio en juillet 2021.

RetroArchives : Bonjour, Olivier. En guise d’introduction à cet entretien, comment te décrirais-tu en quelques mots à des lecteurs qui se demanderaient « mais qui est Olivier Scamps » ?

Olivier Scamps : J’étais un peu un geek avant que ce soit à la mode : j’ai fait partie de la vieille génération de journalistes de jeu vidéo ; les Destroy (NDRA : Jean-Marc Demoly, journaliste emblématique du magazine Joystick), les gens comme ça. On fait partie de la génération qui étaient des geeks dans les années 80, ce qui n’était vraiment, vraiment pas du tout la norme. J’ai vu Mad Max 2 dans les salles (rires) ! Je me suis retrouvé ado à une période assez sympa où on n’avait que trois chaînes à la télé mais où on avait tous les grands monuments de la pop culture qui sont arrivés ; c’était une période très créative où beaucoup de murs ont été repoussés et où beaucoup d’œuvres fondatrices ont été créées.

L’Atari VCS 2600

En informatique, c’était intéressant : la première console de jeu vraiment « mass-market » était l’Atari (NDRA : L’Atari VCS 2600) en 1977 aux États-Unis, sortie un peu plus tard en France (NDRA : 1er septembre 1981). J’en ai eu une parce qu’il y avait un gros phénomène et dès que je suis entré dans les jeux vidéo, j’ai eu un peu de mal à en ressortir (rires). À l’époque on jouait sur des machines de café et on jouait à la maison sur des versions assez dépouillées de ces machines.

RA : J’ai des souvenirs de la version Atari 2600 de Pac-Man qui était très décevante…

Pac-Man sur VCS 2600 : pas exactement la panacée…

OS : Alors moi, j’adorais celle-là ; mais effectivement, quand tu la revois maintenant, c’était un peu un scandale (rires). Le jeu vidéo était une denrée rare ; je me souviens que quand j’ai vu la première Atari, j’étais comme un fou. Il y a une deuxième cassure qui a eu lieu et qui était importante pour moi : c’est quand je suis allé en Angleterre, en 1983. Et 1983, si tu te souviens bien, c’est une période-clef pour l’informatique européenne : en gros, c’est le moment ou toute une génération de micro-ordinateurs bon marché arrivent dans les foyers en Angleterre.

RA : Pour remettre un peu de contexte : normalement, la première chose qui vient à l’esprit en parlant de 1983, c’est le fameux krach informatique qui s’est produit cette année-là. Mais cela restait un krach purement américain…

OS : Oui, on ne l’a vu que plus tard en Europe car il n’y avait plus de console à importer tout simplement. J’ai relu des vieux Tilt de cette période : dans le guide d’achat de la fin 1984, ils conseillent encore la ColecoVision !

RA : Et pendant qu’on parlait de krach aux États-Unis, l’informatique en Europe – et surtout en Angleterre – était particulièrement en forme, notamment grâce à Sinclair Research.

OS : L’Angleterre, c’était un eldorado pour un passionné. Non seulement il y avait un taux de pénétration des micro-ordinateurs qui était beaucoup plus important qu’en France, mais en plus c’étaient des micros qui étaient sympas (rires). En schématisant, à l’époque en France, tu n’avais que des Oric et des Thomson…

RA : Thomson étant alors promu par l’État français dans le secteur éducatif via le plan « informatique pour tous »…

OS : Voilà, et en Angleterre, tu avais le ZX Spectrum et le Commodore 64, qui étaient quand même des putain de machines de jeu.

RA : J’ai remarqué que les ordinateurs qui étaient populaires en France, que ce soit auprès des joueurs ou des développeurs, étaient souvent des ordinateurs qui étaient largement délaissés autre part : on adorait développer sur Atari ST alors que tout le reste de l’Europe ne jurait que par l’Amiga, on avait un culte pour le CPC alors que l’Angleterre ne se souciait que du ZX Spectrum…

L’Apple II, appareil à la longue carrière

OS : Ce n’est pas si français que ça : quand tu regardes, rétrospectivement, tu t’aperçois qu’il y avait des différences très fortes selon les marchés. En fait, les fabricants de micro n’avaient pas vraiment d’approche globale au début des années 80. Ils « servaient » leur marché local puis tel ou tel pays, selon les opportunités, les affinités, les liens avec l’importateur. Au début des années 80, par exemple, aux États-Unis, la machine de jeu, c’était l’Apple II : si tu voulais jouer, il te fallait un Apple II, ou à la rigueur un TRS-80, ou un des Atari 8 bits. La plupart des jeux étaient développés sur Apple, et ensuite portés sur d’autres machines. Après, il y a eu une montée en puissance progressive du C64, principalement parce qu’il n’était vraiment pas cher (et super performant pour le jeu !) et Atari a commencé à décrocher avec les déboires de la 2600 – c’était vraiment la structure de la période. En Allemagne, à ce que je sais, Commodore était fort. En France on a d’abord été Oric puis Thomson et Amstrad, etc. Et chez nous, les foyers dont les parents avaient de l’argent étaient sur Apple II (une config complète coutait l’équivalent de 4000 euros quand même !).  En Angleterre, c’est simple, tu en avais trois : le BBC (NDRA : le BBC Micro) – parce que tu avais ça dans les écoles – qui coûtait une blinde et qui occupait un peu le créneau qu’occupait l’Apple II en France. Les machines « du peuple », c’étaient le ZX Spectrum et le Commodore 64. Et c’est sur ces bécanes que s’est formée toute une génération de programmeurs et musiciens anglais.

J’ai découvert ces deux machines en Angleterre, et je suis tombé amoureux du Spectrum. Quand je suis rentré en France, deux mois plus tard j’étais chez l’importateur pour en acheter un. Donc ma découverte de l’informatique, ça a vraiment été le Spectrum.

Le ZX Spectrum : toute une époque !

RA : Tu avais quelque âge, à ce moment-là ?

OS : J’avais quatorze ans, à peu près. J’étais au collège.

RA : Est-ce qu’il t’est arrivé de te dire, à partir du moment où tu as eu un ZX Spectrum entre les mains, que tu aimerais bien travailler dans le domaine du jeu vidéo, ou bien est-ce que ça restait une pensée considérée comme complètement irréaliste ?

OS : À l’époque, ça paraissait impossible. Moi, je voulais être journaliste (ce qui était cohérent, puisque je le suis devenu !) : je n’ai jamais pensé à travailler là-dedans. Surtout qu’en 1984, il n’y avait rien : il n’y avait que Tilt ! La plupart des boîtes de développement françaises, de type Loriciel, Infogrames, etc., sont nées en 1983. En 1984, comme le soulignait Douglas Alves dans un podcast de MO5, le seul « écosystème » vidéoludique, c’étaient les boutiques. C’était vraiment un marché de « hobby-istes ».

RA : Donc tu n’as jamais eu envie de programmer des jeux ?

OS : Si, j’ai essayé, mais je ne suis pas un très bon programmeur (rires). C’est quelque chose que j’aimerais bien faire maintenant : me mettre à programmer en assembleur. Mais à l’époque, je ne programmais qu’en BASIC, et j’ai assez vite arrêté les frais. Par contre, moi j’étais joueur, et le Spectrum… Bon, c’était bizarre ; moi j’ai toujours aimé les machines un peu à part, parce que comme je dis toujours : j’ai toujours préféré Alcor à Actarus dans Goldorak – j’ai toujours aimé les outsiders (rires), et le Spectrum, c’était un peu ça. En France, c’était le troisième couteau. Par contre, en Angleterre, c’était l’inverse : dans n’importe quelle boutique, tu avais des murs entiers de cassettes Spectrum. Comme je l’ai dit, je faisais partie des geeks, on n’était pas beaucoup : dans ma classe, on devait être trois ou quatre à avoir un ordinateur, c’était le maximum.

RA : Est-ce que tu as un souvenir assez précis de ton premier contact avec le jeu vidéo ?

Space Invaders

OS : De mémoire, c’était une borne d’arcade, je crois que c’était Pac-Man ou Space Invaders. Il y avait tellement de trucs magiques… Et puis j’insiste sur l’arrivée des ordinateurs domestiques : c’était quelque chose d’incroyable. La première fois que je me suis retrouvé à brancher mon Spectrum sur la télé, c’était un truc de fou. Après, ça m’a suivi : à un moment, j’ai revendu mon Spectrum et je me suis acheté un Commodore. J’ai un peu lâché au moment du bac, et je m’y suis replongé quand mon père a acheté un Mac pour travailler. Ce ne sera pas resté son Mac longtemps, le pauvre (rires) !

RA : Pour parler d’Apple, et sachant qu’on va en arriver à ton goût pour le Mac, une des caractéristiques qui avaient grandement contribué au succès de l’Apple II était son côté « modulable » : on pouvait très facilement ouvrir la machine et adapter sa configuration…

OS : Pour les bidouilleurs, oui. Mais pour les joueurs, ce n’était pas ça l’intérêt de l’Apple II : c’était simplement la meilleure machine de jeu. À part pour les jeux d’action – et encore, tu avais Karateka, Choplifter… Mais Apple en France, c’était vraiment un marché spécial : c’était le seul pays, hors États-Unis, où Apple était fort. En Angleterre, l’Apple II, ils ne savaient même pas ce que c’était.

Le Macintosh, déjà une machine à part

RA : Là-bas, Sinclair régnait vraiment en maître. Jusqu’à ce qu’ils se tirent une balle dans le pied avec le Sinclair QL.

OS : Le problème de Sinclair, c’est que c’était un génie, mais que c’était aussi quelqu’un qui ne comprenait rien à la consommation grand public. Il y avait un taux de défausse absolument démentiel sur les ZX Spectrum. Je me souviens de la boutique de l’importateur : il m’est arrivé de voir un vendeur jeter le Spectrum défectueux – le jeter, comme une balle ! – au sommet d’une grosse pile. Il en prenait un neuf et il le refilait au client (rires) !

RA : J’avais vu en me penchant un peu sur l’histoire de l’informatique que l’opposé de Sinclair, son rival ou sa « nemesis », comme disent les anglo-saxons, était Alan Michael Sugar, le fondateur d’Amstrad – qui lui, pour le coup, n’y connaissait strictement rien en informatique, mais qui savait très exactement comment vendre n’importe quoi.

OS : Sugar, lui, était un véritable industriel. Objectivement, les ordinateurs Amstrad étaient des machines sans aucun génie mais bien construites, rien à voir avec le taux de défausse du Spectrum.

RA : Sur les PC de chez Amstrad, tu avais le GEM (une interface graphique), le système de refroidissement était intégré à l’écran, donc il n’y avait pas besoin de ventilateur…

L’Amstrad CPC, autre machine emblématique des années 80

OS : En fait, ce n’est pas compliqué : L’Amstrad a pris en Europe la place qu’avait prise le Tandy (NDRA : Tandy 1000) aux États-Unis. Sugar n’avait aucune créativité : c’était un bon businessman, il a pris le modèle de Tandy, l’a copié/collé et l’a appliqué à l’Europe.

RA : Plus tard, il aura commencé à aligner les échecs : qui aujourd’hui se souvient de la GX4000 ?

OS : À la fin, ils sont tous tombés. Tu ne peux même pas jeter la pierre à untel ou untel : le PC a pris la place dominante dans tous les territoires. Même au Japon, où Sharp avait des machines incroyables, le PC a gagné. Je crois que c’était simplement l’air du temps.

Pour en revenir au Spectrum, c’était une machine assez révolutionnaire. On ne réalise pas forcément, mais elle est quand même sortie en 1982. Tu avais 48 ko (autant que l’Apple II !), 16 couleurs, tu avais du son – ça fait un peu bizarre de dire ça, mais ce n’était pas la norme ! C’était typiquement une très belle machine de jeu, pas chère du tout, et en ajoutant le fait que les programmeurs anglais ne sont pas mauvais… La boîte mythique de développement sur Spectrum, c’était Ultimate Play the Game (NDRA : en fait, le nom commercial d’Ashby Computers and Graphics) qui est devenue Rare Limited.

RA : On abordait tout à l’heure la question des goûts très français en matière de machines de développement ; j’avais été très surpris de découvrir qu’avant de migrer vers l’Atari ST, beaucoup de développeurs français avaient fait leurs gammes sur la machine très confidentielle qu’est le Sinclair QL. Des jeux comme Le Manoir de Mortevielle ou même Vroom ont d’abord été développés sur QL !

OS : C’était la première machine à 68000 (NDRA : Olivier fait ici référence au processeur Motorola 68000 qui allait plus tard équiper les Atari ST et les Amiga. Le Sinclair QL utilisait un 68008 bon marché). Steve Bak, un des meilleurs programmeurs de l’époque, avait acheté un QL juste pour s’entraîner à programmer sur la prochaine génération de machines. Bon, on vient encore de faire une digression de dix minutes (rires) !

Le Commodore 64, un des ordinateurs les plus vendus de tous les temps

Du coup, pour en revenir à nos Apple, quand j’ai eu un Mac à la maison, je me suis remis à jouer. À la base, le Mac me rendait fou pour le traitement de texte : c’était la première vraie machine à traitement de texte que j’ai eue. Ne parlons même pas du Spectrum dans ce domaine, le Commodore aurait pu en être une, mais il fallait être équipé « comme un Allemand », c’est à dire avec une imprimante, un moniteur dédié… Là, c’était vraiment un ordinateur pensé pour ça et je trouvais ça génial. Tu avais Excel, tu avais Word

RA : Pourtant ce sont des logiciels Microsoft, qui n’est pas une entreprise spécialement connue pour le Mac…

OS : Apple avait un deal avec Microsoft, et puis il y a eu MacWrite avant Word. Ce qu’a apporté Microsoft, effectivement, c’est Excel. Mais moi, le vrai traitement de texte, où tu n’es pas sur un écran noir type MS-DOS à entrer des codes pour faire des retours chariot, où tu vois ta page comme tu l’écris… c’est un truc qui m’a rendu fou ! Forcément, j’avais un Mac, j’étais joueur, donc j’ai commencé à récupérer des jeux Mac. Là, on est en 86/87, donc à un moment où le marché a complètement changé : ce n’est plus un truc de « hobby-iste » dans les boutiques. On a l’Atari ST, l’Amiga, l’Amstrad ; le PC commence à rentrer dans les foyers même si pour le jeu, heu, comment dire… Il y aussi plusieurs journaux : il n’y a pas que Tilt.

RA : J’imagine que le marché a commencé aussi à changer un peu sous l’impulsion des consoles. À la fin des années 80, soyons clair : tout le monde avait une NES. Avant, il y aura eu une phase où la Master System aura bien rivalisé.

Tilt, le premier magazine à traiter de l’informatique en France

OS : Oui et non. Clairement oui aux États-Unis ou Nintendo a tout raflé. La seconde moitié des années 80, aux États-Unis, c’est la console Nintendo pour  les jeux d’action et le PC, le C64 ou l’Apple II pour le « jeu micro ».  En Europe, ce n’est clairement pas le cas. Les gamers français étaient sur Amiga, ST et Amstrad. Les consoles de jeu étaient vendues à un public d’enfants comme des jouets – au rayon jouets, d’ailleurs. Le succès des consoles de jeu passait donc complètement sous le radar : quand tu lis les Tilt ou les Gen4 de l’époque, tout le monde s’en foutait ! Il y avait des tests de jeux console dans Tilt parce qu’AHL (NDRA : Alain Huyghues-Lacour) en était fan. Là, pour le coup, on parle de quelque chose que j’ai vécu de l’intérieur : le seul qui avait compris les consoles de jeu chez Tilt, le seul qui en était fan, c’était AHL, parce que c’était un vrai joueur. En ce sens, il était atypique dans l’équipe de Tilt, parce que ce n’était pas quelqu’un qui écrivait très bien mais que c’était un vrai passionné de jeux, et c’est lui qui a poussé pour qu’il y ait du Mario ou du Zelda dans le magazine. Sinon, à l’époque, les gamers ne s’intéressaient pas aux consoles de jeu. C’était pour un public d’enfants. Ça ne représentait rien – c’était, au mieux, un sujet de moquerie.

RA : Pour en revenir un peu à toi et à ton parcours, comment est-ce qu’on passe du collégien qui va acheter un ZX Spectrum à un journaliste qui écrit dans Tilt à propos du Macintosh ?

OS : Je viens de te décrire le marché d’alors : à l’époque, il n’y avait quasiment pas de joueurs sur Mac, mais il se trouve qu’il y avait un marché en devenir pour ça – grâce aux États-Unis, comme toujours. De mémoire, SimCity est né sur Mac, et je crois que c’était aussi le cas de Tetris – en tous cas, une des premières versions commercialisées sur micro était sur Mac. Donc, il y avait un petit marché du jeu vidéo sur Mac qui n’était absolument pas couvert en France, et c’est comme ça que je suis entré. Je devais avoir 18-20 ans, je commençais à avoir sérieusement envie d’écrire dans Tilt – et je n’avais bien sûr aucun moyen de le faire. Sauf que… j’avais cette petite porte. À un moment, je leur ai juste écrit en leur disant « tiens, c’est bizarre, vous ne parlez pas du Mac, c’est dommage parce que moi j’ai ces jeux-là… ». Je crois que j’avais fait un petit test. Et ils m’ont rappelé ! Voilà comment j’ai rejoint Tilt – de mémoire, on devait être en 1988. Mon premier test, c’était Flight Simulator sur Mac. Mon comparse François Hermellin (qui a signé « Banana San » après), lui, était entré grâce à l’Apple IIgs. On est tous entré grâce à des machines un peu maudites (rires) ! Pourquoi est-ce que Tilt a fait appel à nous ? Tout simplement parce qu’ils n’avaient pas le sourcing pour les jeux : ils bossaient avec les gros éditeurs américains et avec les importateurs ou les éditeurs français. Pour tout ce qui ne rentrait pas là-dedans, c’était aux testeurs de se procurer les jeux. Si j’étais rentré en disant « Bonjour ! Je sais faire des tests sur Amiga ! », je pense que je me serais fait jeter. Et très souvent, les gens qui sont entrés dans la presse spécialisée, sauf connaissances ou coup de bol monstrueux, seront entrés par la petite porte, en faisant les soluces, par exemple, qui étaient un truc qui faisait un peu chier tout le monde.

SimCity sur Macintosh

RA : Pour moi qui ai « vécu » la machine de l’extérieur, comme pas mal de joueurs de l’époque, le Mac est un ordinateur que je trouve très intéressant à plusieurs niveaux, notamment pour les jeux de rôle qui ont souvent une excellente interface. Ce qui me fascine – et je me demande si ça a été une bénédiction ou une malédiction – c’est qu’on est donc au milieu des années 80, on voit ce que sont des graphismes sur ordinateur : à ce moment-là, que ce soit 8 ou 16 bits, c’est moche. Les premiers « beaux jeux » sur Amiga arrivent vers 86/87. Et sur Mac, on a des jeux en « haute résolution » (comprendre : en 512×342), mais il y a un prix : c’est que c’est en noir et blanc. Même pas en nuances de gris : du pur monochrome. Et on a donc des développeurs obligés de créer des versions produites spécifiquement pour le Mac, avec des graphismes redessinés, d’où des titres avec une personnalité folle… mais beaucoup moins nombreux.

L’Amstrad PC 1512, un des premiers compatibles PC abordables

OS : C’était exactement la logique de l’époque, mais c’était surtout que le marché n’était pas là. Quand tu faisais un jeu sur Mac, tu savais que tu en vendrais quinze fois moins que sur PC. Il y a eu deux phases sur Mac : jusqu’en 1990, le Mac avait un avantage concurrentiel énorme sur le PC. On n’était pas dans le même monde : en gros tu comparais un PC en CGA (je caricature) avec un processeur sonore pourri, des disquettes 5,25 pouces et le Mac qui avait une haute résolution, qui avait des petites disquettes toutes mignonnes dans lesquelles tu mettais trois fois plus de données, qui avait un vrai processeur sonore… et au niveau professionnel, entre faire du traitement de texte sur un 1512 (NDRA : un PC de marque Amstrad entrée de gamme commercialisé en 1986) et le faire sur Mac, c’était le jour et la nuit ! Il était trop cher, mais il avait un avantage énorme sur les autres. Plein de gens avaient un Mac simplement parce qu’ils voulaient la meilleure machine – et dans ces gens, il y avait des développeurs de jeux, d’où des titres à la Dark Castle. Sachant qu’on était dans un marché où les jeux se faisaient globalement à deux personnes ; donc tu pouvais te permettre de ne pas en vendre des millions d’exemplaires.

RA : Toi qui as vécu ça de l’intérieur, qui as connu le « basculement », à quel moment a-t-on arrêté de rire en parlant du PC en tant que machine de jeu ?

OS : Je situerais ça à peu près à la même période que toi : je dirais entre 1990 et 1992. C’est à ce moment là que le PC est devenu une machine à propos de laquelle tu te dis « putain, il me la faut ». C’est passé de la machine complètement à la ramasse en 86, à l’époque où Amstrad sort le 1512, avant de devenir LA machine de jeu au début des années 90.

RA : Est-ce qu’il y a eu ce ressenti, à l’intérieur des rédactions journalistiques, un moment où tout le monde s’est regardé en se disant « Hé, mais on ne parle plus que du PC » ?

OS : Pas à mon niveau, et je vais te dire pourquoi. À l’époque où je rentre à Tilt, le Mac est encore vraiment une plateforme à part : ce n’est clairement pas une plateforme de jeu, même s’il y a des jeux dessus. Dès qu’un jeu fonctionne un peu sur Mac, on balance très vite des adaptations sur les autres machines, où il y a un vrai marché. Du coup, moi, pendant deux ans, j’ai fait les tests Mac – autant dire pas grand chose, ça devait faire trois feuillets par numéro. Un jeu Mac, ça ne finissait pas dans la section « Hits », c’était plutôt dans les « Rolling Softs ». À part des jeux comme SimCity, mais ce n’était pas moi qui avait fait le test (rires) ! J’étais étudiant en école de commerce, j’apportais mes tests à Tilt une fois par mois…

Ce qui a changé dans ma vie à ce moment-là, c’est que les jeux d’action commençaient à me manquer. Autant pour l’aventure, le Mac c’est bien, mais pour l’action… Ce n’est pas pour rien qu’ils ont fait l’Amiga ! Quand tu n’as pas de blitter, va-t’en animer des écrans haute résolution (rires)… Et c’est là que j’ai découvert la PC Engine. Ça a été un peu ma troisième épiphanie informatique après le Spectrum et le Mac.

La PC Engine, une console qui en avait dans le ventre

RA : Une très bonne machine qui n’a pas du tout marché en Europe : pile ton secteur…

OS : C’est ma machine rétro qui tourne le plus. C’était une console incroyable. C’était une machine qui avait tellement d’avance sur tout… Toi, tu connais un peu l’histoire : la PC Engine, c’est Hudson Soft qui l’a développée.

RA : Pour être honnête, je pensais que c’était NEC.

OS : C’est NEC qui l’a commercialisée, mais l’histoire est passionnante. Elle a été développée par une boîte japonaise très douée appelée Hudson Soft…

RA : Développeurs de Bomberman, entre autres…

Bomberman sur NES, premier succès d’une série appelée à rester dans les mémoires

OS : Voilà. C’étaient des codeurs de dingue ; le « Rare » japonais si tu préfères. À la base, ils bossaient sur Famicom, ils faisaient partie des quatre-cinq éditeurs qui avaient un contrat privilégié avec Nintendo. À un moment, ils ont été frustrés par la Famicom et ils ont développé leur propre puce graphique pour booster les capacités de la console – ce à quoi Nintendo leur a répondu en substance : « merci, vous êtes gentils, mais ça ne nous intéresse pas » (rires)… du coup, ils leur ont répondu « bon, eh bien on va aller faire notre console », et ils sont allés voir NEC. NEC a apporté le design, toute la fabrication ; NEC a apporté le CD-ROM parce que c’était leur cheval de bataille. C’était la première machine à avoir un lecteur CD-ROM, on était en 1988 ! C’était une machine vraiment hyper bien foutue, très puissante, et moi je vois ça, je vois les jeux qui tuent… je sais que c’est galvaudé de dire ça, mais c’était vraiment l’arcade à la maison ! Je me souviens des premiers jeux que j’ai vus, il y avait R-Type

RA : Là oui, pour le coup, c’était exactement « l’arcade à domicile », à une époque où la Mega Drive qui se targuait de l’offrir n’y arrivait clairement pas…

OS : Et en plus, j’avais également vu tourner Twin Cobra, qui est quand même une tuerie, et le troisième était Vigilante. J’y ai rejoué récemment, c’est quand même pas très maniable (rires) !

RA : Je te promets que c’est plus maniable que sur arcade (rires) !

Vigilante sur PC Engine : l’arcade à domicile…

OS : Ça devait être assez horrible sur arcade (rires) ! Mais en tous cas, voilà : cette machine-là, moi, elle m’a rendu dingue, donc tout de suite j’en ai acheté une et j’ai commencé à trainer dans les boutiques d’import. Et là, c’est toujours un peu le même principe : tout se passait dans les boutiques d’import. Chaque journaliste avait un peu sa boutique favorite, Destroy c’était Shoot Again, moi c’était Hazardous Area à Boulogne… Dès qu’un jeu sortait du Japon, il arrivait en boutique ; si tu t’entendais avec le taulier, il te le prêtait un week-end, et tu pouvais faire un test. C’est comme ça qu’on a commencé à être plusieurs à évangéliser les consoles de jeu vidéo chez Tilt.

RA : À cette époque-là (autour de 1989), dans Tilt, je sais qu’on commence à voir des tests PC Engine et Mega Drive : les Thunder Force III, les Revenge of Shinobi… Même chez les geeks qui ne jouaient que sur ordinateur, on ne commençait pas à avoir salement envie en voyant tourner ces machines qui rivalisaient avec l’arcade – et qui étaient trois fois moins chère qu’un Amiga ?

OS : Comme c’était de l’import, ça coûtait quand même un bras (rires) ! On était encore un an avant la sortie européenne de la Mega Drive, et à ce moment-là, la situation est simple : comme je l’ai dit, personne n’a compris les consoles de jeu – à part AHL, parce que c’est un joueur de jeux d’action. Lui il a pigé, Destroy a pigé aussi, Hermellin a pigé – et moi avec. Donc on n’était pas tant que ça, en fait. En tous cas dans les gens « établis » – à Tilt, tu avais une rédaction qui était un peu auto-satisfaite où les mecs te regardaient un peu de haut.

RA : Il y avait une sorte d’aristocratie, en substance ?

Le fameux test de Vampire Killer

OS : Oui, d’ailleurs c’est très simple : tu regardes les vieux Tilt, cherche le test de Castlevania. Ou plus précisément, Vampire Killer sur MSX (NDRA : le titre n’est pas un simple portage du Castlevania sorti sur NES mais bien un logiciel à part entière) qui a été testé dans Tilt (NDRA : dans le Tilt n°43, page 66). C’est Mathieu Brisou qui l’a écrit – quelqu’un de sympa, mais ce n’est clairement pas un joueur et ça se voit. Il ne parle de Vampire Killer que d’un point de vue technique.

RA : Il y aurait quand même eu un retournement par la suite, puisque Castlevania, lui, aura eu un Tilt d’or.

OS : Parce qu’Alain a poussé. Mais c’était vraiment Alain Huyghues-Lacour qui poussait les jeux consoles. Normalement, la rédaction n’était pas console du tout du tout. Les mecs pensaient PC/Amiga/ST, c’était la trilogie de Tilt. Les consoles 8 bits n’intéressaient personne, et les consoles 16 bits étaient regardées de loin, avec méfiance, en mode « encore une japoniaiserie ». Le seul à vraiment aimer les jeux d’action dans Tilt était AHL, donc tout ce qui était un peu jeu d’action passait par lui. Le reste de la rédaction était plutôt « jeux sérieux ». Tiens, pour te raconter un truc qui m’avait fait halluciner… J’achète la SuperGrafx (NDRA : une déclinaison optimisée de la PC Engine pour laquelle seuls cinq jeux tirant parti de ses capacités auront été développés) et je l’amène à la rédaction – encore une fois, il n’y avait pas de console à la rédaction, donc il fallait venir avec la sienne sous le bras. Je la branche, et je montre Granzort (NDRA : Madō King Granzort, un des cinq jeux en question) qui était un jeu incroyable pour l’époque – pas très intéressant, mais avec des scrollings différentiels sur plusieurs plans en plein-écran, en 1989 ! Je vois Blottière (NDRA : Jean-Michel Blottière, rédacteur en chef de Tilt) qui regarde le jeu de haut, il me sort « ah oui, ça rappelle un peu le MSX », et il part ! Là, déjà, je me suis dit « toi, t’as rien compris ». Tout ça pour dire : la rédaction de Tilt s’est laissée prendre complètement de court par les consoles de jeu. C’était le truc dont on parlait, mais qui n’était pas un vrai marché : tout ça ne passait encore que par l’import.

Il y avait d’autres rédactions qui étaient un peu plus branchées consoles : Joystick l’était plus parce que Destroy était maqué avec Shoot Again, Gen4 à ma connaissance ne l’était pas trop… Il y a juste eu un basculement qui s’est effectué en 1990, parce que tout à coup, c’est devenu un vrai marché. Clairement, le lancement de la Mega Drive a tout changé : tout à coup, ça devient un truc que tu trouves à la FNAC.

RA : Je crois également me souvenir que la Mega Drive, à l’époque, était la première console (en tous cas en Europe) à se vendre à destination des adolescents et pas des enfants – fini de présenter ça comme un jouet, on avait des pubs avec un punk tendance Mad Max

OS : Ce n’était pas encore tout à fait vrai au lancement de la machine : ça deviendra vrai en 1991-1992. La même chose s’est passée aux États-Unis : ils ont eu un an pendant lequel ils ont un peu ramé, et ils ont trouvé le positionnement marketing vers fin 90 – quand Kalinske est arrivé. Quand ils ont décidé d’y aller avec un marketing très agressif sur les ados et en ridiculisant Nintendo, là ça a tourné.

RA : À toi qui auras connu la PC Engine à son lancement, maintenant que je connais mieux les deux machines, je crois que je peux le dire : je trouve ça totalement miraculeux que la fameuse « guerre des consoles » ait opposé SEGA à Nintendo. À son lancement – heureusement, les choses ont changé par la suite – la Mega Drive faisait pitié comparé à la PC Engine.

Tom Kalinske (avec un hérisson bien connu)

OS : Tu sais, c’est pas innocent : au Japon, elle n’a pas marché. Il y a un bouquin qui était sorti, qui est vachement bien, sur l’épopée de Kalinske, justement. Je crois que ça s’appelle Console Wars, si je ne dis pas de bêtise. Aux États-Unis, Nintendo a fait une OPA sur le jeu vidéo. SEGA n’a pas réussi avec la Mega Drive au Japon ; aux États-Unis, ils ont fait un lancement, ça n’a pas marché, et ils ont appelé un mec qui vendait du jouet qui s’appelait Tom Kalinske (NDRA : ancien directeur général de Mattel) et qui était un très bon « marketeur ». Dans le bouquin, il y a une scène surréaliste : en gros, il arrive devant le board de SEGA pour expliquer tout ce qu’il faut faire – et ce qu’il recommande est l’exact inverse de ce que le board était en train de faire (rires). Genre : « Sonic, on va le donner avec la machine » – je ne me souviens plus exactement, il y avait quatre points. Tous les barons de SEGA le mitraillent du regard, l’interprète n’ose même plus traduire ce qu’il dit… et en gros Hayao Nakayama, le patron de SEGA – qui était un vrai bonhomme – lui dit « tout le monde me dit qu’il ne faut pas le faire, mais je t’ai engagé, donc on va le faire ». Et il ne s’est pas planté. Il a quand même réussi à imposer la Mega Drive comme alternative à la Super Nintendo ! Au début, quand il s’est pointé chez les marchands de jouets, ils ne voulaient pas entendre parler de la Mega Drive. Il y avait une telle pression de la part de Nintendo que personne n’osait prendre la console parce qu’ils avaient peur que Nintendo repasse derrière en leur disant « oh, désolé, on n’a plus assez de NES pour vous » (rires) !

Le problème de NEC, c’est que NEC ne voulait pas vendre sa console. Ils ont fait n’importe quoi – la machine a marché un peu malgré NEC, en fait. NEC était une boîte énorme, donc la PC Engine ne représentait rien pour elle. Au Japon, il y avait eu les bonnes personnes – Hudson Soft était tombé sur le bon département pour vendre sa technologie – mais la machine n’intéressait pas les filiales. Donc NEC aux États-Unis, qui vendait des imprimantes, qui vendait des photocopieurs, commercialiser ce truc, ça les faisait chier, ils n’avaient pas du tout envie de faire ça – pareil en Europe. Donc il n’y a eu aucune vraie volonté de la part de NEC de sortir du Japon, et en plus, le peu qu’ils ont fait, ils ont fait n’importe quoi. En Europe, SEGA a toujours été une alternative à Nintendo – l’un des seuls territoires où la Master System ait marché, c’était l’Europe. En plus, ils étaient aidés par le fait que Nintendo se foutait de la gueule du monde : les jeux NES étaient importés trois ans après les États-Unis, c’était vraiment catastrophique.

RA : Ce serait intéressant de déterminer à quel moment l’Europe a cessé d’être un marché de quatorzième zone pour devenir une zone crédible aux yeux du marketing.

OS : Je peux te le dire parce que je l’ai vécu : c’est au moment où Chris Deering est arrivé chez Sony. Les seuls fabricants de console qui ont pris l’Europe au sérieux, c’est Sony – et ça leur a d’ailleurs bien réussi. Les boîtes japonaises jusque là avaient toujours fait la même chose : d’abord, elles vont aux États-Unis, et comme ça marche bien aux États-Unis, elles se disent « tiens, on va écouler les stocks en Europe ». Donc en règle générale elles mettent une tête de pont – souvent, c’est en Angleterre – et à partir de là, l’Europe continentale est prête à récupérer les débris du reste du monde. Nintendo œuvrait exactement comme ça : la France se récupérait les jeux de golf de merde pour lesquels il y avait des surstocks aux États-Unis.

RA : Ça m’avait marqué lors du test de Faxanadu, où j’avais découvert que le jeu avait mis quatre ans à faire le trajet entre le Japon et l’Europe. Entretemps, trois consoles étaient sorties, la Megadrive était distribuée officiellement en Europe, et les rédactions qui testaient le jeu parlaient déjà de la Super Famicom !

OS : Toute la dure vie de la NES, Nintendo l’a gérée comme ça.

RA : Pour en finir avec la période Tilt, tout le monde a en tête ce fameux numéro « Tilt fait tilt » qui signe la fin du magazine en janvier 1994. Toi qui avais déjà quitté la rédaction pour rejoindre Player One dès le premier numéro, en septembre 1990, est-ce que ça t’a surpris de voir ce qu’on considérait encore comme un magazine de référence claquer la porte à un moment où le secteur vidéoludique était plus en forme que jamais ?

Le numéro annonçant la mort de Tilt

OS : À l’époque, non, parce que c’était déjà plusieurs années après mon départ et que Tilt n’était pas le canard qui se portait le mieux à ce moment-là. Pour tout dire, j’avais arrêté de le lire, parce qu’à la période où j’étais chez Player One, le journal qu’on regardait le plus, c’était celui qui se vendait le mieux, et c’était Consoles +. Tilt, c’était vraiment un magazine qui s’était recentré sur les micro-ordinateurs, et le moment où il fait « tilt », c’est justement celui où les micros n’étaient pas au mieux (NDRA : 1994 est l’année qui allait voir le dépôt de bilan de Commodore, et Atari avec son nouveau Falcon n’était pas en forme non plus). Il faut bien comprendre que les consoles 16 bits auront été un vrai raz-de-marée – pour être précis, il y en aura eu deux en France : les consoles 16 bits auront été le premier, et cela correspond au moment où les consoles sortent du rayon jouets pour s’adresser à tout le monde ; les enfants comme les gamers ont des consoles 16 bits. Progressivement, l’Amiga et le ST disparaissent – ça devient un peu la citadelle assiégée. À ce moment-là, le reste de l’industrie a une croissance phénoménale sur quatre-cinq ans – et tu le vois dans le nombre de jeux, dans la pagination des canards, dans le nombre de magazines dédiés aux consoles qui se créent, etc. Et ensuite, la deuxième vague, c’est la PlayStation. Pour schématiser : avec la génération 16 bits, le jeu vidéo est devenu un truc d’ados autant qu’un truc d’enfants, et avec la PlayStation, c’est devenu un truc massif – tout le monde en avait une : enfants, adultes, jeunes adultes… Ce sont deux périodes où l’industrie a complètement changé. La presse PC/Amiga/ST s’est retrouvée complètement marginalisée au cours de ces deux périodes – comme les machines autour desquelles elle tournait.

RA : Ce qui est intéressant, c’est de remarquer que pendant que la presse PC était à l’agonie, le PC, lui, se portait plutôt bien. Malgré l’explosion des 16 bits, puis celle de la PlayStation – on annonçait sa mort tous les ans, à l’époque, et il est toujours là.

OS : Le PC s’en est toujours très bien sorti, mais le parc installé de consoles était sans commune mesure avec celui du PC. Tu ne faisais pas, avec un jeu PC, les chiffres que tu faisais en lançant un Mario. Le marché s’était rétréci… et en plus, pour Tilt, le journal faisait face à un problème concurrentiel. Le magazine avait une approche un peu à part : assez sérieuse, très journalistique et pas très joueurs. Comme je te l’ai dit, les vrais joueurs étaient rares, à la rédaction ! À un moment, ils se sont retrouvés face à des canards comme Gen4 ou Joystick qui étaient faits par des types qui avaient dix ans de moins et où tu sentais que les mecs se marraient et qu’ils étaient beaucoup plus en adéquation avec le lectorat. Bon, le ton et le lectorat de Tilt s’étaient rajeunis sur la fin, avec une nouvelle équipe mais c’était un peu tard. Il y avait aussi les contraintes économiques : Tilt appartenait à un grand groupe de presse, avec des financiers à sa tête – pas le genre de gens à doubler la pagination sur un coup de tête. En face, Joystick c’était Marc Andersen, c’était un entrepreneur, et s’il y avait plein de pub il doublait la pagination, il n’en avait rien à foutre. Donc Tilt était à la fois sur le marché sur lequel il ne fallait pas être, avec le mauvais ton, et en termes de concurrence… Joystick, à sa plus grande heure, c’était 200 pages, un vrai annuaire téléphonique ! Et à moment, il y a une logique purement financière, qui fait que les investisseurs voient Consoles+ qui fait un chiffre avec deux zéros de plus que celui de Tilt et qui se disent « bon, on va faire simple ».

À suivre : deuxième partie, de Player One à PlayStation Magazine