7 Colors

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Développeur : Gamos Ltd.
Éditeur : Infogrames Europe SA
Titre alternatif : The 7 Colors (PC-98)
Testé sur : PC (DOS)AmigaPC-98

Version PC (DOS)

Date de sortie : Novembre 1991
Nombre de joueurs : 1 à 2 (en local ou via IPX)
Langues : Allemand, anglais, espagnol, français, italien, russe
Supports : Disquettes 5,25″ et 3,5″
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 8088/8086 – RAM : 256ko
Modes graphiques supportés : EGA (640×350), VGA (640×480)
Carte sonore supportée : AdLib

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Si vous évoquez un jour en public un jeu de réflexion conçu par un programmeur russe, il y a de fortes chances pour que tous les joueurs vaguement expérimentés dans un rayon de vingt mètres se mettent à hurler « Tetris ! » avant même la fin de votre phrase, et commencent même, pour certains, à se lancer dans un panégyrique à la gloire du titre d’Alekseï Pajitnov. Comme si l’ingénieur ayant conçu l’un des programmes les plus célèbres de l’histoire du jeu vidéo à une époque où la Russie s’appelait encore l’Union Soviétique était le seul russe à s’être frotté au monde vidéoludique. Le nom de Dmitry Pashkov est certes infiniment moins connu à l’échelle mondiale, pourtant c’est bien à un programme issu de son imagination que nous allons nous intéresser aujourd’hui.

Les hostilités viennent à peine de commencer

7 Colors est un jeu de réflexion pour deux joueurs – comme pour les échecs, il nécessite d’avoir un adversaire en face de vous, vous serez donc heureux d’apprendre que l’ordinateur acceptera de tenir cette place. Le but du jeu ? Conquérir plus de la moitié du plateau. Et de quelle manière ? Eh bien, c’est là toute l’originalité et la simplicité du titre de Gamos : en choisissant une des sept couleurs auxquelles fait référence le titre, pardi.

Une partie peut se jouer sur une seule mauvaise décision

Le déroulement d’une partie est simple : une grille comporte un nombre prédéfini de losanges colorés, pouvant s’élever à plusieurs centaines. Les deux joueurs commencent aux extrémités opposées ; ils devront, chacun leur tour, sélectionner une couleur, ce qui constituera un tour de jeu. Chaque losange de cette couleur en contact avec le territoire de celui qui vient de jouer se verra ainsi « annexé ». De cette façon, si on commence obligatoirement avec un seul et unique losange, la capture de différents blocs de couleurs permettra la croissance exponentielle des deux empires. Histoire de rendre la chose un peu plus stratégique, deux règles ont été ajoutées :

  • Vous ne pouvez pas sélectionner la couleur que vient de choisir votre adversaire (une fois le principe assimilé, c’est au fond parfaitement logique : sans cette règle, vous pourriez capturer tout l’empire de votre adversaire une fois à son contact, ce qui réduirait la mécanique du jeu à néant).
  • Si vous formez une ligne joignant deux bords opposés du plateau, vous annexez tous les losanges situés de votre côté de cette ligne.
Vous ne passerez probablement pas beaucoup de temps sur les petites grilles

Oui, 7 Colors est un des rares programmes dont le principe soit plus difficile à expliquer qu’à comprendre en jeu. Une fois confronté au plateau, je doute qu’il vous faille plus d’une poignée de secondes pour assimiler le principe à la perfection. Et de fait, le principe est aussi simple que génial, et peut rapidement se montrer addictif… Pour un temps.

Le vrai problème est que, comme on l’a vu, 7 Colors est un jeu pensé pour deux joueurs. Si vous avez la chance d’avoir un autre mordu de jeux rétros sous la main, vous pourrez lui donner le joystick ou le clavier histoire de voir qui de vous deux s’en sort le mieux. Notons également – chose encore rare en 1991 – qu’il est aussi possible de jouer à deux en réseau local. En revanche, le contenu solo du titre pose un réel problème, jugez plutôt :

L’interface du jeu, en nuances de gris, évoque à peu près autant la joie qu’une partie de dominos à la section « incontinence » de la maison de retraite des Lilas.

Tout d’abord, il n’y a que deux modes de jeu : un mode « singlefield », qui consiste en un affrontement de base dont vous pouvez choisir les caractéristiques (taille du plateau, présence ou non d’obstacles, et même un éditeur de niveaux), et un mode « challenge », qui consiste en sensiblement la même chose sauf que la configuration du plateau vous est imposée à chaque niveau. Comme il n’est pas possible de sauvegarder, vous pouvez tout simplement choisir de partir de n’importe quel niveau – ce qui vous permettra de constater qu’il n’y en a que sept (De toute façon, je vous mets au défi de comprendre quoi que ce soit à la logique de ce mode « challenge » qui reconstitue quoi qu’il arrive un plateau aléatoire avec des obstacles placés différemment que vous perdiez ou que vous gagniez, il est donc impossible de dire si une victoire vous fait « avancer » jusqu’au niveau suivant où si le jeu se contente de refaire une grille au pif à chaque fois). Et c’est tout.

Exemple typique de fin de partie serrée

Certes, vous allez me dire que Tetris non plus ne croulait pas, à l’origine, sous les modes de jeu. Mais Tetris était un jeu imbattable : la seule fin était le game over, et tenir le plus longtemps possible était déjà un but en soi. Ici, sachant qu’une partie vous prendra au grand maximum trois minutes (en jouant lentement), on fait extrêmement vite le tour des possibilités du jeu qui, reconnaissons-le, sont assez réduites. Vous affronterez systématiquement le même ordinateur quoi qu’il arrive – pas d’adversaire aux caractéristiques particulières, pas de mode de difficulté, rien : un seul concurrent ad vitam eternam, point barre. N’espérez pas trouver des niveaux casse-tête à réaliser en un certain nombre de coups – ça n’a pas été prévu, et en l’état le contenu du jeu est absolument famélique : 7 niveaux, 7 couleurs, 2 modes de jeu, et une stratégie qui montre vite ses limites puisque vos choix se bornent aux couleurs en contact avec votre domaine.

Le système de classement est pensé avec les pieds : même avec un ratio de victoire exécrable, je suis deuxième.

Pire, à force de laisser toute la place à la génération aléatoire, le jeu n’est absolument pas équilibré et créé souvent des situations injustes dans la répartition des couleurs. On en arrive d’ailleurs parfois à des situations grotesques : en début de partie, votre premier choix n’en est pas un, puisque votre losange initial n’est en contact qu’avec un seul autre. Vous en êtes donc réduit à choisir la couleur de ce losange quoi qu’il arrive. Sauf que si cette couleur a le malheur d’être celle avec laquelle commence votre adversaire (une chance sur sept, donc), eh bien vous ne pourrez pas la sélectionner, ce qui revient à perdre un tour. Dans un jeu ou chaque clic représente une croissance exponentielle, c’est un handicap considérable – mais les programmeurs n’y ont visiblement pas pensé, ce qui en dit long sur le temps qu’ils ont passé à jouer à leur propre jeu. Bref, tout cela respire le brouillon pas bien fini – et c’est réellement dommage, car avec un peu de travail en plus, le concept du jeu aurait certainement pu s’enrichir de façon conséquente.

Si vous êtes assez masochistes pour vouloir composer une grille losange par losange, un éditeur est fourni

Niveau réalisation, le jeu peut se jouer en 640×480 – ce qui, vu la taille des losanges sur les grandes grilles, est un luxe qui ne se refuse pas. L’interface est limpide, la jouabilité simplissime, on regrette juste que l’emballage, à base de tableaux gris façon Windows 3.1, ne soit pas un peu plus visuel. Niveau musical, 7 Colors vous fera regretter d’avoir une carte son, en vous assénant une sélection de morceaux de musique classique joués en MIDI pourri qui évoquera les pires best of de musique d’ascenseur. Oui, comme Tetris, là encore, mais ce n’était sans doute pas la meilleure idée à reprendre du logiciel de M. Pajitnov – mais bon, l’avantage, c’est que ça évite de payer un compositeur, et que tous ces charmants morceaux sont ce qu’on appelle « libres de droits » chez les capitalistes, camarade.

Vidéo – Cinq minutes de jeu :

NOTE FINALE : 10/20 S'il est une chose qui manque au logiciel de Gamos, c'est bien l'ambition. Partant d'un concept simple et génial, la société russe s'est contenté de l'emballer tel quel en dépit d'un contenu rachitique, avant de laisser à Infogrames le soin de le vendre au prix fort. En résulte un jeu accessible et amusant – le temps d'une dizaine de parties, avant de regagner son carton d'où on ne le sortira que pour lui faire jouer le même rôle qu'au démineur. CE QUI A MAL VIEILLI : – Aucun choix de difficulté – On comprend le principe du jeu en quatre secondes, mais c'est également le temps nécessaire pour faire le tour du contenu – Pourquoi ne pas avoir étendu le champ des possibilités à trois ou quatre joueurs ? Pourquoi ne pas avoir proposé des casse-têtes ? Pourquoi ne pas avoir développé le contenu solo ? Ça vous a réellement pris plus d'une heure pour programmer ce jeu ?

Bonus – Ce à quoi peut ressembler 7 Colors sur un écran cathodique :

Version Amiga

Développeur : Gamos Ltd.
Éditeur : Infogrames Europe SA
Date de sortie : Novembre 1991
Nombre de joueurs : 1 à 2
Langues : Allemand, anglais, espagnol, français, italien
Support : Disquette 3,5″
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette testée sur Amiga 1200
Configuration minimale : Système : Amiga 1000 – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : OCS/ECS
C’est un peu moins net, mais ça reste jouable

Comme on pouvait s’y attendre, 7 Colors souffre, sur la machine de Commodore, d’une résolution plus limitée (640×400 au lieu de 640×480 ; ça n’a peut-être l’air de rien comme ça, mais visuellement ça fait une très grosse différence). Conséquence immédiate : si les petites grilles n’en pâtissent pas trop, les grandes virent dangereusement à la bouillie de pixels, et le confort de jeu y laisse des plumes – on notera d’ailleurs que les grilles sont moins grandes que sur PC. Pour compenser, la musique, de bien meilleure qualité que sur PC, aura au moins le bon goût de vous scier les nerfs un peu moins rapidement – comptez trente à quarante secondes. Pour le reste, le jeu est strictement identique en terme de contenu à la version PC – mais on appréciera l’interface un peu moins triste.

NOTE FINALE : 09,5/20

La version Amiga de 7 Colors perd en lisibilité, ce qui est un peu dommage dans un jeu basé sur l’observation de losange de quatre pixels. La musique, elle, passe un peu mieux sans pour autant vous ôter définitivement l’envie de couper le son. Bref, une version encore un peu plus faible que sur PC, avec des grilles plus petites.

Version PC-98
The 7 Colors

Développeur : Gamos Ltd.
Éditeur : Hot-B Co., Ltd.
Date de sortie : 1992
Nombre de joueurs : 1 à 2
Langue : Anglais
Support : Disquette 3,5″
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette japonaise
Configuration minimale :
On ne sera pas déçu par la transcription de ce qui est présent

En dépit de ses défauts, 7 Colors (devenu pour l’occasion The 7 Colors) était un titre qui se prêtait excellemment à une excursion sur les systèmes japonais : non seulement il ne nécessitait pas de traduire un seul mot de vocabulaire, mais en plus la grande majorité des ordinateurs nippons employaient des résolutions natives qui correspondaient exactement à celle dont le titre avait besoin. On ne sera donc pas surpris d’aboutir à un équivalent de la version PC occidentale – avec une interface un peu moins austère, néanmoins, et avec des thèmes musicaux un peu plus inspirés. On n’aurait vraiment pas craché sur un ou deux modes de jeux en plus, histoire d’étoffer le contenu, mais ce n’était visiblement pas ce qui était au programme – en l’état, on a affaire à un portage qui remplit parfaitement son objectif. On s’en contentera.

NOTE FINALE : 10/20

Aucune innovation majeure (ou mineure) à attendre de The 7 Colors sur PC-98 – c’est pour l’essentiel exactement le même titre que sur PC, avec une interface un peu moins grisâtre dans les menus et avec des thèmes musicaux qui respirent un tout petit peu moins la musique d’ascenseur. Strictement rien qui vienne allonger la durée de vie du jeu au-delà des dix minutes, hélas.

Sid Meier’s Civilization

Développeur : Microprose
Éditeur : Microprose
Titre alternatif : Civilization (titre usuel)
Testé sur : PC (DOS)Amiga (ECS)PC-98Atari STMacintoshPC (Windows 3.1)Super Nintendo
Versions non testées : PlayStation, Saturn

La saga Civilization (jusqu’à 2000) :

  1. Sid Meier’s Civilization (1991)
  2. Sid Meier’s CivNet (1995)
  3. Sid Meier’s Civilization II (1996)
  4. Sid Meier’s Alpha Centauri (1999)
  5. Civilization : Call to Power (1999)
  6. Call to Power II (2000)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Décembre 1991
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Supports : CD-ROM, disquettes 5,25 (x2) et 3,5″ (x2)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette française 474.05 émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 8088/8086 – OS : PC/MS-DOS 3.0 – RAM : 640ko – Vitesse lecteur CD-ROM : 2X (300ko/s)
Modes graphiques supportés : EGA, MCGA, Tandy/PCjr, VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, haut-parleur interne, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster, Tandy/PCjr
Liens utiles : Patch ajoutant la gestion des cartes sonores de type OPL3 et du standard General MIDI

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

À l’orée des années 90, le jeu de stratégie sur ordinateur représentait, à l’instar du jeu de rôles quelques années avant lui, un genre de niche éminemment codifié où il était rare que le joueur soit surpris par ce qu’on lui offre.

Chaque bâtiment construit vous donnera l’occasion de voir votre ville grandir

Sorti des éternels wargames proposant de revivre – via des cartes le plus souvent couvertes d’hexagones – les plus grandes batailles historiques depuis les guerres napoléoniennes jusqu’à la seconde guerre mondiale, le genre connaissait quelques représentants plus originaux mettant en scène des conflits imaginaires, dont certains avaient connu un certain succès critique, comme le célèbre Battle Isle ou encore l’adaptation du jeu de plateau de Ludodélire Full Metal Planète. Mais tous ces jeux composaient, comme c’était alors la norme, avec une limitation évidente : celle d’être cantonné à une période et à un lieu donnés, avec des unités et un environnement définis dès le départ et qui ne seraient jamais appelés à changer. La rare composante logistique, lorsqu’elle existait, se bornait généralement à la gestion de l’approvisionnement. Civilization allait venir changer tout cela, et initier à lui seul un nouveau genre qu’on baptiserait, un peu plus tard, le 4X (pour eXploration, eXpansion, eXploitation et eXtermination).

Dès le début de la partie, le jeu vous guide – dans un français qui montre déjà ses premières limites

Pour bien comprendre toute l’originalité du titre imaginé par Sid Meier et Bruce Sheley en 1991, il faut d’abord commencer par énoncer son objectif : « Bâtir une civilisation qui résistera à l’épreuve du temps ». Comment ? Eh bien tout d’abord, en choisissant d’incarner le chef d’une des quatorze civilisations du jeu. Des Anglais aux Russes en passant par les Américains, les Indiens ou même les Zoulous, on appréciera le relatif éclectisme du titre à ce niveau.

Gardez toujours un œil sur vos voisins, surtout quand ceux-ci ne sont pas du genre pacifique

Après quoi, on sélectionne son niveau de difficulté, le nombre de civilisations présentes en jeu et le nom de son glorieux chef, et la partie commence. Et là, une unique unité de colons (parfois deux) apparaitra sur une carte entièrement masquée qu’il vous appartiendra de découvrir. Nous sommes en 4000 avant J.C., et votre but sera de mener votre peuple depuis la préhistoire jusqu’à l’ère spatiale, pour remplir l’un des deux objectifs de victoire du jeu : être la dernière civilisation encore en vie, ou bien être la première à fonder une colonie hors du système solaire. Oui oui, rien que ça. Si, au terme de la partie (plusieurs centaines de tours), aucune civilisation n’a rempli un de ces deux objectifs, le vainqueur sera désigné selon un système de points.

Les barbares peuvent empoisonner les premiers siècles de votre empire

D’emblée, l’ambition du titre apparait comme énorme : loin de vous mettre à la tête d’une armée pour une période dépassant rarement la décennie, comme c’était le cas pour la quasi-totalité des wargames de l’époque, celui vous place au contrôle total d’une civilisation entière pour une période pouvant dépasser six mille ans !

Vos scientifiques viendront vous présenter vos avancées technologiques

Et comme vous pouvez vous en douter, ce contrôle va s’étendre beaucoup plus loin que celui de vos troupes : puisque vous allez partir d’une simple ville perdue au milieu d’une carte inconnue (générée aléatoirement, même s’il est également possible de commencer sur une carte reproduisant la géographie terrestre), il va falloir explorer, vous étendre, traiter avec les autres civilisations, leur faire face militairement le cas échéant, et bien évidemment mener vos recherches scientifiques pour changer une société maitrisant à peine les outils en une puissance spatiale. Pour cela, il vous faudra composer avec des concepts un peu plus complexes que de déplacer des unités sur une carte, et les possibilités qui vont s’offrir à vous vont rapidement devenir réellement vertigineuses.

Négociation au sommet avec Jules César – dont le look ne changera jamais quelle que soit la période du jeu, contrairement à celui de ses conseillers

Commençons par le commencement : votre première ville. Un écran spécial, affiché dès que vous cliquez sur elle, vous dévoilera la clé de son développement – et de celui de tout votre empire lorsque vous aurez plus d’une cité. Tout d’abord, le terrain sur lequel votre capitale est bâtie, ainsi que les terres environnantes, ont une importance vitale : chaque type de terrain (plaines, prairies, montagnes, forêts, marécages, etc.) produit différentes quantités de trois types de ressources. La nourriture définira la vitesse à laquelle la population de votre ville va s’accroitre : en cas de manque, la croissance s’interrompra, et pourra même laisser place à une famine qui vous fera alors perdre de la population.

L’état d’avancement de votre palais sera un bon indicateur de la satisfaction de votre peuple

La production, elle, influera sur la vitesse à laquelle vous produirez unités et bâtiments, et le commerce se répartira entre trois axes dont vous pourrez définir l’équilibre à tout moment : les impôts qui financeront les dépenses courantes de votre empire, la recherche qui lui permettra de progresser scientifiquement, et les marchandises de luxe qui auront un impact sur le taux de satisfaction de votre population. Comme vous pouvez vous en douter, l’équilibre entre ces différents paramètres sera une des clés pour décider de la victoire à long terme : négligez la recherche, et vous risquez de faire grise mine en voyant un adversaire venir aligner des catapultes et des légions en armure face à vos milices armées de sagaies ; levez des impôts trop bas et vos bâtiments s’effondreront faute d’entretien, laissez la grogne monter et vos villes se révolteront une à une, paralysant la production et la croissance, et aboutissant même parfois à une révolution.

Choisir quoi produire et quand sera une décision cruciale pour le développement de votre empire

Car oui, le jeu gère également votre système politique. Si celui-ci se limite au despotisme au début de la partie, vos recherches vous amèneront à pouvoir adopter, au terme d’une courte période d’anarchie, un régime monarchique, démocratique, communiste ou républicain qui aura des effets spectaculaires sur la production de chaque case de terrain, mais aussi sur les couts d’entretien et sur l’impact des garnisons au sein de vos villes.

La pollution sera rapidement une préoccupation récurrente

Chacun apportera également son lot de contraintes, la démocratie étant le plus exigeant de tous : le sénat vous interdira le plus souvent de déclarer la guerre, le prix de l’entretien des troupes sera prohibitif, et une mécontentement trop élevé aura vite fait d’aboutir à une révolution et à un retour express à la case « Anarchie ». Bien évidemment, ces contraintes s’appliquent également à vos adversaires, et vous craindrez moins une attaque surprise venant d’un démocrate plutôt que d’un régime autocratique mené par Staline ou Napoléon. Autre petit détail : chaque civilisation du jeu sera naturellement, selon le tempérament de son leader, plus ou moins agressive, le pacifique Gandhi ayant le plus de chance de représenter un voisin agréable. Notons malgré tout un bug célèbre, qui rend ce dernier monstrueusement agressif lorsque l’Inde opte pour la démocratie : croyez-moi, voir le Mahatma vous menacer de frappes nucléaires au milieu de négociations tendues peut faire un drôle d’effet. Reste l’opportunité d’échanger des recherches scientifiques au cours des négociations, voire de prononcer des exigences histoire de mettre la pression aux civilisations sur lesquelles vous pensez avoir l’ascendant.

L’invention du chemin de fer pourra avoir un impact dramatique sur votre capacité à amener au plus vite vos troupes là où vous en avez besoin

Le jeu propose également d’avoir un impact direct sur votre environnement, à plusieurs niveaux. Tout d’abord, vos colons font également office d’ouvriers sur la carte du jeu, et pourront optimiser la production des différents terrains en construisant des routes, des irrigations ou des mines, par exemple. À des stades plus avancés du jeu, il leur sera également possible de construire des ponts, de tracer des lignes de chemin de fer, de planter des forêts et même de nettoyer la pollution que vos cités industrielles ne manqueront pas de générer, voire les retombées radioactives consécutives à l’emploi de l’arme atomique (thématique très actuelle : le réchauffement climatique est géré, et peut aboutir à une montée des eaux).

La victoire scientifique vous verra coloniser Alpha du Centaure

Ces améliorations ont non seulement un effet direct sur la croissance de vos villes – des terres irriguées produiront davantage de nourriture, et les routes génèreront plus de commerce – mais également un intérêt stratégique majeur : en cas de guerre, acheminer des troupes vers la ligne de front se fera infiniment plus vite via des voies ferrées que si vous laissez vos unités avancer en rase-campagne – ou pire, à travers forêts et marécages. Les terrains ont également une valeur défensive qui leur est propre, et il sera beaucoup plus difficile de venir à bout d’une unité retranchée dans les collines ou au milieu d’une forêt que livrée à elle-même au beau milieu d’une plaine.

Après la conquête viendra le temps des aménagements

Profitons-en pour parler du système de combat, qui risque de prendre une importance capitale dans la plupart des parties, tant vos adversaires n’entrevoient le plus souvent la coexistence pacifique comme une option que dès l’instant où vous êtes plus puissant qu’eux – et encore. Chaque unité dispose de trois caractéristiques : une valeur d’attaque, une valeur de défense, et une valeur de déplacement correspondant au nombre de cases qu’elle pourra parcourir à chaque tour. Comme on l’a vu, le type de terrain sur lequel elle se trouve aura un impact direct sur les deux dernières caractéristiques.

Il est possible de jouer sur une carte reprenant la géographie terrestre

Lorsque une unité en attaque une autre, sa valeur d’attaque est confrontée à la valeur de défense de l’ennemi, à laquelle sont appliqués les différents modificateurs (comme la présence de fortifications) pour décider du sort du combat. L’ennui étant que ce système repose sur le « tout ou rien » : les unités n’ont pas de points de vie, elles ne peuvent pas être blessées, il n’y aura donc obligatoirement qu’une seule des deux unités pour ressortir en vie de l’affrontement. Problème : cela laisse une place très importante au hasard, le fait de voir une de vos unités d’élite à 18 en attaque perdre misérablement face à une unité doté d’un unique point de défense n’ayant rien d’exceptionnel, et cela ne va pas en s’arrangeant tandis que la difficulté augmente. Voir une situation serrée basculer en votre défaveur parce qu’une dizaine de vos unités de tanks se seront écrasées contre un unique régiment de mousquetaires adverses peut se révéler particulièrement difficile à digérer – et voir une de vos villes tomber parce qu’un groupe de barbares isolé a soudain décider de remporter tous ses combats n’est pas des plus appréciable non plus.

Une bonne révolution pourra grandement bénéficier à votre civilisation

Dans le même ordre d’idées, on aurait préféré qu’une augmentation de la difficulté corresponde à une maitrise accrue de la part de l’I.A., au lieu de quoi, celle-ci se contente de tricher et de recevoir des bonus de plus en plus conséquents tandis que vous accumulerez les pénalités, un reproche qui restera hélas valable pour l’intégralité de la saga. L’I.A. est d’ailleurs d’une agressivité assez décourageante, et profite outrageusement de certaines des faiblesses de l’interface – comme l’absence de frontières – pour venir entasser ses unités autour de vos villes et vous empêcher d’exploiter les ressources des terres environnantes sans que vous puissiez lui demander de retirer ses troupes. C’est d’autant plus énervant qu’il vous sera impossible de faire de même, le jeu vous interdisant le plus souvent de pénétrer à proximité des cités adverses sans leur déclarer la guerre.

Construire le vaisseau spatial vous demandera de mobiliser plusieurs villes afin de produire ses composants

En dépit de ces quelques errements, que la suite de la saga s’appliquera le plus souvent à corriger, le côté extrêmement addictif du jeu ne se dément pas, même plus de 25 ans après sa sortie. Et si les occasions de pester sont nombreuses, la faute à un facteur « chance » un peu trop présent dans les affrontements et dans la viabilité de votre position de départ, le syndrome « allez, encore un tour » qui peut vous amener à continuer à jouer jusqu’à des heures déraisonnables est toujours vivace, preuve de la très grande qualité du jeu.

Le jeu n’hésitera pas à vous fournir des statistiques, une fois votre partie finie, histoire de voir comment vous vous êtes débrouillé

Un mot, en clôture de ce copieux test, sur la version française du jeu : catastrophique. Elle a le mérite d’exister, ce qui sera toujours mieux que de se frotter à la version originale pour les non-anglophones. En revanche, si les descriptions scientifiques ont l’avantage d’être compréhensibles sans briller par leur style, l’essentiel du jeu multiplie les coquilles, les fautes d’accord, les crachats au visage de la grammaire et les structures de phrases tellement approximatives qu’une traduction Google ressemble à du Ronsard en comparaison. On se demandera également pourquoi le jeu multiplie les abréviations dans des situations où il y avait largement la place pour mettre le mot en entier, ce qui donne parfois le sentiment que les dirigeants adverses s’adressent à vous en langage SMS – ce qui est peut-être exagérément visionnaire pour un jeu de 1991. Heureusement, le manuel, lui, a déjà été mieux traduit, mais je serais curieux de savoir à quel endroit les sociétés américaines s’acharnaient à embaucher leurs traducteurs au début des années 90 pour trouver aussi systématiquement les plus incompétents d’entre eux.

Vidéo – Quinze minutes de jeu :

Récompenses :

  • Tilt d’or 1991 (Tilt n°97, décembre 1991) – Meilleur jeu de stratégie sur micro

NOTE FINALE : 17/20 Le constat est sans appel : plus de 25 ans après sa sortie, la seule chose qui fasse de l'ombre à Sid Meier's Civilization et à l'ambition sans borne de son concept, ce sont les peaufinages apportés par ses différents héritiers jusqu'à aujourd'hui. Initiateur du 4X, savant mélange de stratégie et de gestion, le titre de MicroProse a excellemment vieilli en dépit d'une prise en main un peu délicate et fait partie de ces titres auxquels on peut se surprendre à jouer pendant des heures encore aujourd'hui – ce qui n'est pas un mince exploit. Profitant d'un système de jeu indémodable malgré une réalisation sans panache et une V.F. qui est une insulte à la langue de Rabelais, Civilization est indéniablement un titre majeur qui demeure une référence absolue – même si les néophytes préfèreront sans doute débuter directement par l'excellent deuxième épisode ou par des itérations encore plus tardives. CE QUI A MAL VIEILLI : – Le système de combat qui tient plus du quitte ou double que de la stratégie – Une microgestion qui peut s'avérer assez fastidieuse lorsque votre empire commence à s'étendre – Une diplomatie encore assez primitive – La concurrence des autres épisodes de la saga venus corriger patiemment la plupart de ces erreurs et enrichir le concept avec des ajouts comme la religion, la culture ou la gestion des frontières

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Civilization sur un écran cathodique :

Version Amiga

Développeur : MPS Labs
Éditeurs : MicroProse Software, Inc (version OCS/ECS) – Software Daemon (version AGA)
Date de sortie : Août 1992 (version OCS/ECS) – Juin 1993 (version AGA)
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Versions testées : Version OCS/ECS testée sur Amiga 500, version AGA testée sur Amiga 1200
Configuration minimale : Version OCS/ECS :
Système : Amiga 1000 – OS : Kickstart 1.2 – RAM : 1Mo
Installation sur disque dur supportée

Version AGA :
Système : Amiga 1200 – OS : AmigaOS 3.0 – RAM : 2Mo
Installation sur disque dur supportée

Vidéo – L’écran-titre du jeu (version AGA) :

L’Amiga aura connu pas moins de trois versions de Sid Meier’s Civilization : une version OCS/ECS en 1992, une version optimisée pour le chipset graphique AGA l’année suivante, et même une version CD-ROM en 1997 (sur laquelle je ne suis hélas pas parvenu à mettre la main). Sans surprise, la version de 1992 est moins colorée que son équivalent en VGA sur PC (cela se sent particulièrement lors des écrans fixes comme les résultats de vos chercheurs), et tend à tourner de façon assez poussive sur un Amiga 500 – le jeu est clairement pensé pour être installé sur un disque dur, et on se doute que bénéficier d’un processeur plus puissant et d’un surplus de RAM comme sur Amiga 1200 fait énormément de bien à une expérience de jeu qui tend à tirer très lourdement sur le processeur. En AGA, fort logiquement, le jeu est identique à la version VGA (sauf le curseur, curieusement). Quant à l’aspect sonore, la puce Paula se débrouille bien, mais le résultat reste globalement inférieur à ce que permettent une Roland MT-32 ou la plupart des cartes General MIDI. Rien de franchement dramatique, on s’en doute – le jeu ne repose de toute façon pas exactement sur la qualité de ses quelques thèmes musicaux (qui se limitent, passé la création de la partie, aux hymnes des différentes nations).

En OCS/ECS, on sent bien qu’on a perdu pas mal de couleurs lors des écrans fixes

Globalement, le résultat, parfaitement satisfaisant sur un Amiga 1200, souffre en revanche sur une configuration inférieure, tant du côté de la réalisation que de celui du confort de jeu. Sur un Amiga 500 « de base » (avec une extension de mémoire tout de même, le jeu ne fonctionnant pas sans elle), il faut vraiment être patient pour supporter les temps de réflexions de l’I.A. et la valse des disquettes. Mais dans des conditions décentes (c’est à dire a minima avec un disque dur), les choses tendent à grandement s’améliorer. Gardez bien ces détails en tête au moment de vous lancer dans le jeu, en fonction de votre configuration.

En AGA, en revanche, seul le curseur permet de faire la différence avec la version VGA

NOTE FINALE : 16,5/20 (version OCS/ECS) – 17/20 (version AGA)

Plus que les quelques couleurs abandonnées par la version OCS du jeu, c’est principalement la puissance de votre processeur et la présence ou non d’un disque dur qui impactera la qualité de vos parties de Sid Meier’s Civilization sur Amiga. Sur une configuration optimale, le titre n’a strictement rien à envier à la version PC, mais sur un Amiga 500, les choses risquent d’être un peu moins emballantes.

Version PC-98

Développeur : MPS Labs
Éditeur : MicroProse Japan K. K.
Date de sortie : 25 septembre 1992
Nombre de joueurs : 1
Langue : Japonais
Support : Disquette 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette japonaise
Configuration minimale :

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Signe de l’engouement certain qu’il aura provoqué à sa sortie, Sid Meier’s Civilization aura également eu le privilège d’être commercialisé au Japon – avec la branche japonaise de MicroProse à la distribution, laquelle aura commercialisé une vingtaine de titres au total entre 1989 et 1995.

Pittoresque, non ?

Sans surprise, le contenu du jeu n’offre que très peu de différences avec celui de la version MS-DOS – tout juste remarquera-t-on qu’il est désormais impossible de choisir le style architectural de son palais, qui est désormais imposé en fonction de la civilisation incarnée, mais cela reste tout-à-fait anecdotique. Ce qui l’est un peu moins, c’est le fait que le programme soit désormais en haute résolution, en 640×400. Bon, ça ne fait toujours pas du jeu un premier prix de beauté, mais en ce qui concerne la lisibilité, c’est inattaquable. Comme souvent, le véritable problème de cette version pour le joueur lambda résidera dans le fait qu’elle soit exclusivement disponible en japonais – ce qui ne sera pas très pénalisant dans le cœur de l’action pour les habitués, mais le deviendra au moment de choisir le prochain bâtiment à construire ou la prochaine recherche scientifique. Bref, une version qu’on réservera surtout au curieux – ou aux joueurs capables de lire le japonais.

Vos chercheurs ont refait leur brushing pour l’occasion

NOTE FINALE : 17/20

Quitte à débarquer sur PC-98, Sid Meier’s Civilization aura choisi de le faire en haute résolution, en 640×400. Une curiosité qui rend la réalisation plus lisible, mais pas franchement plus marquante, et le fait que le programme soit intégralement en japonais risque de représenter une barrière de taille pour la grande majorité des joueurs occidentaux. Quoi qu’il en soit, le jeu en lui-même est naturellement toujours aussi bon.

Version Atari ST

Développeur : MPS Labs
Éditeur : MicroProse Ltd.
Date de sortie : Mai 1993
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 3,5″ double face (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette testée sur Atari 1040 STe
Configuration minimale : Système : 1040 ST – RAM : 1Mo
Écran couleur requis
Installation sur disque dur supportée

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

En 1993, l’Atari ST n’était pas (officiellement) mort, mais il n’était pas non plus dans une forme olympique. A l’ère du CD-ROM, du VGA et de la course aux mégahertz, on pouvait même être surpris de voir Microprose s’embarrasser à porter Civilization sur la machine d’Atari. Mais après tout, le titre de Sid Meier n’était pas exactement un monstre technique, non ?

Oui, c’est… heu, spécial, mais je vous promets qu’on s’y fait

Autant dire que la première chose qui frappe, en lançant le jeu sur Atari ST, ce sont les graphismes. N’y allons pas par quatre chemins : c’est moche. Certes, la version Amiga 500 montrait déjà de nombreuses limitations dans le même domaine, mais le nombre de couleurs a encore été divisé par deux pour arriver à seize, et ça se sent immédiatement. Paradoxalement, la carte du monde est plutôt moins triste et plus colorée que la version Amiga 500, mais il faut également admettre que certains terrains ressemblent tellement à une atroce bouillie de pixels qu’on serait bien en peine de dire ce qu’ils sont censés représenter. Les routes sont dorénavant de simples traits noirs, et certains écrans fixes ont purement et simplement disparu. Si vous venez de poser les yeux sur les versions en 256 couleurs, le choc visuel risque d’être rude, mais l’honnêteté m’oblige à avouer qu’on s’y habitue relativement vite, et que le jeu n’en souffre pas tant que ça.

« C’est ça mon palais ? Hmm, c’est gentil, mais rasez-moi ça tout de suite. »

Musicalement, là encore, les dégâts sont sensibles. Les deux thèmes qui accompagnaient le titre et le lancement d’une nouvelle carte ont été remplacés, pourquoi pas – les hymnes de chaque nation sont bien évidemment toujours là. Comme trop souvent, la qualité audio de la machine n’est pas franchement mise à contribution – quand on pense à ce qu’un titre comme Epic pouvait nous envoyer dans les oreilles… – et fait à peine mieux que le haut-parleur interne du PC. En revanche, les temps de chargement sont bien meilleurs que sur Amiga 500. Le jeu a donc le mérite d’être très jouable, à bonne vitesse, ce qui est exactement ce qu’on lui demande.

Les scientifiques ne vous présenteront plus leurs découvertes : ils devaient avoir trop honte de leurs seize couleurs

NOTE FINALE : 16/20

D’accord, Civilization version ST souffre de graphismes aux ras des pâquerettes – mais pour sa défense, le hardware de la machine d’Atari commençait réellement à arriver en bout de course en 1993. On appréciera que le jeu tourne bien, reste lisible, et soit toujours aussi agréable à jouer mais il faudra composer avec une réalisation assez spartiate.

Version Macintosh

Développeur : MicroProse Chapel Hill
Éditeur : MicroProse Software, Inc.
Date de sortie : Mars 1993
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette
Configuration minimale : Processeur : Motorola 68000 – OS : System 6.0.7 – RAM : 4Mo
C’est encore sensiblement plus joli que sur PC-98

Le Macintosh ayant fini par s’inviter au rang des ordinateurs commercialement viables au début des années 90, de nombreux titres auront commencé à y être portés. Pour Civilization, il aura fallu attendre 1993, et le portage aura directement été assuré pour l’occasion par une équipe de MicroProse. Commençons par les bonnes surprises : il est désormais possible de créer sa civilisation (ce qui se borne à choisir son nom, mais on appréciera quand même), le jeu est désormais totalement intégré à l’interface de MacOS, avec des infobulles partout, et surtout il est affiché en 640×480, avec un résultat plus convaincant que sur PC-98 (sauf pour les écrans fixes, généralement restés en basse résolution avec un filtre dégueulasse). Détail qui tue : la police utilisée pendant les dialogues s’adapte à votre interlocuteur. Pour le reste, l’écran-titre est ici si vite expédié que vous remarquerez que je ne vous en propose pas la vidéo, et comme d’habitude si la résolution de votre bureau est supérieure à celle du jeu, celui-ci s’affichera dans une fenêtre plutôt qu’en plein-écran. Dans l’ensemble, une version solide et très accessible, donc.

Les écrans fixes, eux, sont plus décevants

NOTE FINALE : 17,5/20

Intelligemment intégré dans l’affichage de MacOS, et en haute résolution, Civilization sur Macintosh y gagne en confort et en ergonomie. La réalisation graphique et sonore a beau être toujours aussi datée, le plaisir de jeu, lui, est toujours là, et c’est bien l’essentiel.

Version PC (Windows 3.1)

Développeur : MPS Labs
Éditeur : MicroProse Software, Inc.
Date de sortie : Décembre 1993
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 80386 SX – OS : Windows 3.1 – RAM : 4Mo
Modes graphiques supportés : SVGA, VGA
Les couleurs ne sont pas exactement identiques à celles de la version Mac, mais ça reste la même chose à 99,9%

Quitte à développer un portage pour Macintosh, MicroProse se sera probablement avisé que le PC disposait lui aussi d’une interface graphique qui gagnait en popularité depuis sa version 3.0 : Windows. Décision fut donc prise d’en profiter pour ressortir une nouvelle version du jeu proposant… eh bien exactement la même chose que la version Macintosh, pour être honnête, les forces comme les (rares) faiblesses. On se retrouve donc une nouvelle fois avec le jeu affiché dans la résolution du bureau de Windows (sauf pour les écrans fixes, automatiquement fenêtrés en 640×480), avec les petites fioritures déjà mentionnées (la possibilité de créer votre propre nation, au hasard), et l’écran-titre à nouveau réduit à l’essentiel. La bonne nouvelle, c’est que ça marche toujours aussi bien, et que quitte à découvrir le jeu aujourd’hui, c’est au moins aussi confortable à faire dans cette version (Windows 3.1 a en plus l’avantage d’être assez simple à installer et à faire fonctionner sous DOSBox).

Encore une fois, on regrettera que les écrans fixes n’aient pas bénéficié d’un peu plus de soin

NOTE FINALE : 17,5/20

Clone assumé de la version parue sur Mac OS, Civilization pour Windows 3.1 apporte les mêmes options de confort, ainsi qu’une résolution plus adaptée à l’interface graphique de Microsoft. Quitte à découvrir une version un peu plus lisible et un peu plus ergonomique, ne vous privez pas.

Version Super Nintendo

Développeur : Asmic Software Inc.
Éditeur : KOEI Corporation
Date de sortie : 7 octobre 1994 (Japon) – Octobre 1995 (États-Unis)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Anglais, japonais
Support : Cartouche
Contrôleurs : Manette, souris
Version testée : Version américaine
Spécificités techniques : Cartouche de 12Mb
Système de sauvegarde par pile

Vidéo – L’introduction du jeu :

Ce n’est pas nécessairement un fait très connu, mais Civilization premier du nom aura également connu une adaptation sur console – en l’occurrence, sur la 16 bits de Nintendo, et aucune autre. Le relatif anonymat dans lequel cette version est parue vient sans doute de l’année de sa sortie, sur une console en fin de vie.

La déesse Machin vous octroie généreusement les mêmes découvertes qu’aux autres civilisations avant de vous laisser en plan

Comment s’en sort ce portage, alors ? Niveau contenu, tout a l’air d’être à sa place, de l’introduction à la modélisation de la planète, en passant par les quatorze civilisations et les cinq niveaux de difficulté. On assiste même à une petite scénarisation très japonaise, avec une déesse qui vous apparait en début de partie pour vous décrire les pouvoirs qu’elle vous laisse avant de vous laisser vous débrouiller (la générosité divine ayant apparemment ses limites). Graphiquement, le jeu est assez agréable, peut-être pas aussi fin que sur PC mais vous n’aurez aucun problème pour différencier les types de terrain. On pourra en revanche regretter que l’écran de jeu voit un bon quart de sa surface bouffé par des frises dont la seule fonction est purement décorative, parce qu’on aurait sans doute largement profité du gain de surface de jeu offert par le plein-écran. On notera également que le jeu profite dorénavant d’un thème musical en fond sonore en toute circonstance, sympathique quoique rapidement répétitif ce qui n’est pas une bonne chose pour un jeu sur lequel on est appelé à passer des heures.

L’écran de jeu est clair et lisible, mais on aurait bien aimé en profiter en totalité

Côté interface, on pouvait craindre le pire de l’absence de clavier, mais ce portage parvient à faire tenir toute l’interface sur trois boutons de la manette sans rien sacrifier au passage. Presser le bouton A avec le curseur sur une unité ou une ville vous permettra de faire apparaître la liste des actions possibles ; sur un espace vide, vous pourrez accéder à un menu plus général vous autorisant à régler vos impôts, à voir la carte du monde ou à sauvegarder (une seule partie à la fois, malheureusement, mais on remerciera le jeu de se passer d’un indigeste système de mot de passe). Le bouton B fera apparaitre un menu didactique avec les ressources dispensées par chaque type de terrain selon le gouvernement en place, et le bouton Y vous permettra de déplacer une unité sans avoir à sélectionner l’option « Move » dans le menu du bouton A. Les informations qui auraient pu prendre de la place à l’écran (date, argent, répartition des impôts) ne sont affichées que sur l’écran de fin du tour.

L’écran de recherche est désormais dépourvu de description historique

Ce serait donc aussi simple ? Eh bien, oui, c’est plus fastidieux que de pouvoir tout faire à la souris et au clavier – même si la souris de la Super Nintendo est gérée, pour l’occasion – mais force est de reconnaître que le tout a été bien pensé. L’écran de ville, par exemple, a désormais été divisé en plusieurs menus afin de vous concentrer sur l’aspect que vous cherchez à modifier. Bien sûr, sachant que le moindre déplacement vous demandera au minimum deux pressions de bouton, l’interface tend à s’alourdir en milieu de partie – n’espérez pas jouer aussi vite que sur les versions sur ordinateurs. Mais on aurait également bien du mal à imaginer une solution plus efficace pour porter un jeu aussi complexe que Civilization sur une manette à six boutons.

Le menu principal est accessible à tout moment

NOTE FINALE : 16/20

Très bonne surprise que ce portage fait avec sérieux : naturellement, la maniabilité est un peu plus lourde que sur ordinateur, mais une fois le pli pris le joueur reprend très vite ses marques. On pourra simplement regretter que le jeu ait choisi de sacrifier son aspect didactique en supprimant tous les textes de descriptions des différentes recherches.

Dragon Lore : La légende commence

Développeur : Cryo Interactive Entertainment
Éditeur : Mindscape, Inc.
Titres alternatifs : Dragon Lore : The Legend Begins (États-Unis, Royaume-Uni), Dragon Lore : Se inicia la Leyenda (Espagne), Dragon Lore : Die Legende beginnt (Allemagne), Dragon Lore : A Lenda se inicia (Brésil), Dragon Lore (3DO)
Testé sur : PC (DOS)3DO
Disponible sur : Macintosh, Windows (7, 8, 10)
Version non testée : PC-98
En vente sur : GOG.com

La saga Dragon Lore (jusqu’à 2000) :

  1. Dragon Lore : La Légende Commence (1994)
  2. Dragon Lore II : Le Coeur de l’Homme-Dragon (1996)

Version PC (DOS)

Vidéo – L’introduction du jeu :

Au début des années 90, Cryo Interactive a commencé à capitaliser sur le succès, tant critique que commercial, de son excellente adaptation de Dune pour se forger une réputation de studio à la patte inimitable, que ce soit graphiquement ou musicalement.

La « French Touch » semblait alors avoir le vent en poupe, tandis qu’Eric Chahi provoquait un tremblement de terre à sa façon avec Another World, ou que des titres tels que Captain Blood, sorti quelques années plus tôt, avaient durablement marqués les esprits à l’échelle internationale. Les années passant, cependant, jusqu’au début des années 2000, une autre réputation – un peu moins flatteuse – commença à coller à la peau des productions françaises : celle de programmer des jeux magnifiques, à la réalisation de haute volée… mais avec un intérêt ludique flirtant dangereusement avec le néant. Or, nous voici justement en 1994, année de la sortie de Dragon Lore : La légende commence, et une question pourrait rapidement se dessiner : cette réputation était-elle déjà justifiée ?

Commençons déjà par placer le cadre : Dragon Lore est un jeu d’aventure – la plus grande partie du temps à la première personne – vous mettant aux commandes de Werner, jeune fermier qui se découvrira (au terme de dix minutes de jeu impliquant des activités aussi trépidantes que de faire regagner son pâturage à une vache) l’héritier des von Wallenrod, famille appartenant au clan des Chevaliers Dragons. Après quoi, votre rôle sera de l’aider à réclamer sa place légitime, sachant que votre approche des énigmes – et particulièrement de votre goût ou non pour la violence – influencera le dénouement du jeu.

Violence ? Oui, Dragon Lore propose un système de combat, et même toute une variété d’armes dont vous pourrez équiper votre personnage. Ces combats se dérouleront de la façon la plus limitée imaginable : en cliquant sur l’adversaire, et en répétant l’opération jusqu’à ce que lui ou Werner ait trouvé la mort.

Sachant que le jeu n’affiche strictement aucune forme d’information, ni impacts à l’écran, ni gémissement, ni absolument rien qui vous permette de connaître votre état de santé ou celui de votre opposant – et que les barres vitales sont cachées au fin fond de votre inventaire, à un endroit où je vous mets au défi de les trouver si vous n’avez pas lu le manuel – autant dire que l’implication du joueur se limite à prier pour la divinité de son choix en espérant que les choses se passent pour le mieux – ce qui est généralement le cas, du moins au début du jeu. Mieux vaut prendre l’habitude de sauvegarder souvent, ceci dit : sachant que chercher à adresser la parole à quelqu’un en tenant une arme revient à lui cogner dessus, autant dire qu’un accident est vite arrivé, et qu’on peut vite se retrouver à se battre contre notre pauvre vieux père adoptif au bout de vingt secondes de jeu faute d’avoir saisi les subtilités de l’interface.

L’interface, d’ailleurs, parlons-en : elle constituera, à bien des niveaux, le premier des multiples griefs que l’on pourra nourrir à l’encontre du jeu. Tout d’abord, Dragon Lore permet de voyager, un peu à l’instar de Myst, en déplaçant un curseur dans des environnements fixe en 3D pré-calculée. Parfois, lors d’un changement de « zone », le programme affichera une petite animation qui sera l’occasion de vous en mettre plein les yeux en vous montrant votre personnage en situation. C’est l’occasion de faire deux remarques :

  1. Si la 3D du jeu représentait, à l’époque, la crème de la crème de ce que pouvait proposer un programme pour nous décrocher la mâchoire, il est particulièrement cruel de constater à quel point celle-ci a infiniment plus mal vieilli, vingt ans après sa réalisation, que ce que pouvaient proposer les illustrations en pixel art à la même période. Plus que la modélisation des personnages et des décors, ce sont surtout les animations qui prêtent désormais à sourire tant la moindre action mise en scène par le jeu laisse transpirer par tous les pores une raideur anti-naturelle sur laquelle il est très difficile de fermer les yeux en tant que joueur du XXIe siècle.
  2. Le curseur utilisé pour les actions, en forme de dragon, est infiniment moins lisible qu’une simple flèche – un reproche que l’on risque de reformuler souvent en parlant de l’interface. De fait, il est extrêmement fréquent de rater une possibilité d’action ou une direction qui s’offrait à nous simplement pour avoir échoué à décrypter ce qu’était censé nous montrer ce maudit curseur.

Dans le même ordre d’idées, le jeu entreprend souvent de vous faire faire le tour de volumes assez basiques situés au milieu de votre route, et il est impressionnant de constater à quel point le simple fait de vouloir aller en ligne droite vers un point situé immédiatement en face de vous puisse parfois représenter une lutte de plusieurs dizaines de seconde entre l’homme et la machine. J’hésite d’ailleurs à parler de l’inventaire, et surtout du fait que les attributions des clics gauche et droit de la souris parviennent à être suffisamment obtuses et bordéliques pour qu’il arrive encore fréquemment, même après plusieurs heures de jeu, qu’on lâche un objet en cherchant à l’utiliser, ou que l’on s’arrache les cheveux pour réaliser une action a priori très simple.

Imaginons par exemple que vous vouliez jeter un sort, grâce au livre de magie dissimulé dans un endroit hautement improbable et que vous pourrez espérer trouver au terme d’une dizaine de minutes de jeu. Il vous faudra déjà un sortilège, ce qui peut paraître logique, mais il vous faudra également commencer par aller dans l’inventaire pour l’associer avec votre livre de sorts. Bon, mais ce sortilège, vous ne savez toujours pas à quoi il correspond, ni comment le lancer : il faut donc prendre le livre de sorts et cliquer avec sur les yeux de votre personnage, afin de voir son contenu et de mémoriser les trois runes qui vous permettront de lancer le sortilège. Notez-les bien, car à présent, il va être temps de le lancer, ce sort : il faudra donc retirer tout ce que vous aviez dans les mains pour y placer le livre, et ensuite quitter l’inventaire pour être enfin autorisé à faire un clic droit pour sélectionner vos runes – et finalement jeter le sortilège. Imaginez-vous en train de refaire le même cirque à chaque fois que vous voudrez essayer d’utiliser la magie sur quelque chose, et vous devinerez aisément la lourdeur du système.

Mais bon, des lourdeurs, il y en avait dans tous les jeux des années 90, pas vrai ? Les premiers Alone in the Dark n’étaient pas très jouables, par exemple. L’important, dans un jeu d’aventure comme celui-là, c’est le scénario, les dialogues, l’atmosphère ; en un mot : l’univers. Vu le travail superbe qui avait été effectué sur Dune, on devrait s’attendre au meilleur, pas vrai ?

Pas vrai ?

Nous en arrivons au stade où je vais réellement me montrer sévère avec Dragon Lore. L’écriture du jeu est mauvaise, c’est un fait. Mauvaise dans sa structure, tout d’abord : le jeu vous promène, de manière finalement extrêmement linéaire, dans des environnements incohérents alignés totalement sans queue ni tête, avec l’espoir que la magie va opérer. On est donc censé ne pas se poser de question en trouvant une structure ancienne composée de crânes géants, avec des squelettes qui se baladent et un petit dragon qui vous parle avec un cheveu sur la langue (un dégât imputable à la VF, mais j’y reviendrai) à à peine cent mètres de la ferme familiale où nous avons apparemment passé les dix-huit premières années de notre vie. On peut d’ailleurs passer, en deux clics, d’une grotte à une auberge dirigée par un lutin juché sur les épaules d’un troll, ou bien à un marécage de champignons géants – ne cherchez pas une logique, il n’y en a pas.

Dans le même ordre d’idées, après nous avoir demandé d’aller lui chercher un bol et de ramener la vache dans son pré, voilà que notre père adoptif nous sort tout à coup en deux phrases que nous ne sommes pas son fils et que nous ferions mieux de partir parce que nous sommes un Chevalier Dragon. C’est pour le moins… succinct, totalement anti-dramatique, et ça aurait peut-être mérité un petit effort de mise en scène, non ? D’ailleurs, en règle générale, on peine énormément à se sentir impliqué tant absolument rien ne semble participer à rendre le monde dans lequel on évolue vivant, crédible, ou simplement cohérent.

Pratiquement tous les personnages que l’on croise sont les autres Chevaliers Dragons : sachant qu’il n’y en a que quatorze dans le monde en vous comptant, c’est quand même du bol. Ils semblent d’ailleurs n’avoir rien de mieux à faire que de glander en attendant de vous donner ou non leur vote pour le grand final – sauf le grand méchant, qui s’appliquera à vous mettre des bâtons dans les roues. Dans l’ensemble, on se contente d’aller au prochain endroit pour essayer de résoudre la prochaine énigme – et manque de chance, c’est soit d’une facilité délirante soit au contraire une gageure sans nom, mais il n’y a pas de juste milieu. Et le fait que le jeu ne semble jamais se sentir gêné de repousser sans explication des solutions évidentes n’aide pas non plus à percer la logique de l’ensemble. Nouvel exemple, parce que je vous sens décrocher : vous vous retrouvez face à une plante carnivore géante qui vous bloque le passage. Ça tombe bien : vous avez dans votre livre de sorts un sortilège de boule de feu qu’on peut imaginer diablement efficace contre un végétal. Sauf que non : dans la logique du jeu, votre boule de feu devait servir à nettoyer une toile d’araignée (!) quelques écrans auparavant, et rien d’autre. Non, la vraie solution est limpide : il faut ramasser un os près de la plante, l’associer à une corde et en faire un grappin qui vous permettra de franchir l’obstacle en jouant à Tarzan à deux mètres de la plante carnivore – qui pourrait d’ailleurs tout à fait vous gober au passage, mais c’est pas grave, on la garde, Coco, c’est dans la boîte.

Tout le jeu étant de cet acabit, on est rapidement tenté d’utiliser n’importe quoi n’importe où n’importe comment, et de résoudre le reste à grands coups d’épées dans la tronche parce que ça a au moins le mérite d’être une solution claire.

C’est d’autant plus vrai que les dialogues du jeu (enfin… les monologues de ceux qui s’adressent à vous, puisque vous ne prononcez pas un mot de toute la partie) sont rarement plus longs que celui que vous adresse votre père adoptif avant de vous foutre dehors, et que si les doublages vont de l’honnête au passable dans la version originale, ils vont du médiocre au consternant dans la version française.

J’ai déjà évoqué le dragon avec un cheveu sur la langue, parlons un peu du lutin qui parle du nez, de l’asiatique avec un accent abominablement cliché et raciste digne d’un Michel Leeb sous Tranxène (répondant ainsi assez bien au personnage affligé, lui, d’un accident africain comme on oserait plus en faire depuis vingt-cinq ans), l’orque doté pour sa part d’un accent marseillais (!) ou encore ce type bleu (?!) totalement en roue libre en partant dans les aigus et dans le n’importe quoi visiblement improvisé qui achève de vous convaincre qu’il n’y a eu aucune forme de direction d’acteur pendant toute la localisation du jeu.

C’est bien simple, il n’y a pas un personnage de tout le jeu qui bénéficie d’un doublage ne fut-ce qu’honnête, et on en aurait presque honte d’être vu en train de jouer au jeu en public quand s’enclenche une conversation. En revanche, il y a certainement moyen de s’offrir quelques crises de fous-rires nerveux en imaginant où et comment ont été recrutés les acteurs responsables de ce carnage. Oh, et évidemment, la synchronisation labiale est complètement passée à la trappe lors de la VF, mais en sera-t-on réellement surpris ?

Pour ne rien arranger, le jeu n’est pas extrêmement long – à condition de ne pas rester bloqué (comptez peut-être cinq ou six heures si c’est votre première partie), et il est également abondamment bugué (Ah ! Ces monstres qui se coincent dans les murs ! Ces plantages en accédant à l’inventaire !).

Et alors qu’on trouvait rien de moins que Stéphane Picq, auteur de la superbe B.O. de Dune,  aux commandes de la musique, celle-ci ne se fait que très rarement entendre (un détail qui sera corrigé, avec plusieurs autres, dans une version « gold » hélas uniquement sortie aux États-Unis). Certes, l’univers sera prolongé dans Dragon Lore II, mais ça, c’est une autre histoire. Ce premier épisode, dans tous les cas, laissera peu de souvenirs impérissables de par son écriture, ou de par son gameplay, et de moins en moins de par sa réalisation. On erre davantage qu’on n’explore, on tâtonne au hasard davantage qu’on ne réfléchit, et au final on se sent entièrement spectateur d’un monde en carton-pâte où l’on recherche désespérément une épaisseur ou une logique, un peu à la façon de titres comme Hand of Fate qui avaient déjà plus misé sur la réalisation que sur l’écriture. En résumé : on a bien du mal à se sentir impliqué à un quelconque niveau, en dépit de l’ambition palpable de l’univers abordé. Elle n’était peut-être pas entièrement volée, finalement, cette réputation qui collait aux jeux français…

Vidéo – Quinze minutes de jeu :

NOTE FINALE : 11/20 À sa sortie, Dragon Lore : La légende commence était une vitrine technologique incroyable, un émerveillement permanent, un jeu enfin apte à utiliser pleinement les capacités que n'avait jusqu'ici laissé qu'entrevoir le support CD. Plus de vingt ans après, hélas, force est de reconnaître qu'il ne reste qu'un jeu maladroit à l'écriture simpliste porté par une narration confuse et un gameplay largement déficient. Certes, on a connu largement pire en la matière, en particulier dans les années 80, mais difficile de se sentir concerné par une aventure aussi incohérente, surtout quand ni les énigmes, ni les dialogues ne sont à la hauteur. On peut à la rigueur se laisser guider par une certaine curiosité face à l'univers du jeu, voire même lui trouver un certain charme – à condition de se montrer conciliant devant la 3D datée – mais l'expérience a objectivement mal vieilli. À réserver aux joueurs patients. CE QUI A MAL VIEILLI : – Une réalisation qui sent fort les balbutiements de la 3D – Une interface d'une rare maladresse – Des doublages français qui vont du médiocre au franchement gênant – Des énigmes à la logique déficiente – Un scénario aux enjeux très limités, avec un grand méchant de Prisunic aux motivations floues

Version 3DO
Dragon Lore

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

De toutes les consoles 32 bits qui auraient pu accueillir Dragon Lore en 1995, c’est sur la 3DO que Cryo – ou Mindscape, ou les deux, très honnêtement je serais bien en peine de vous dire d’où venait la décision – aura choisi de jeter son dévolu. La bonne nouvelle, c’est que la puissante – et coûteuse – machine avait a priori les arguments pour faire tourner comme un charme ce qui était encore considéré comme un titre (relativement) à la pointe de la technologie.

Petite facétie : les 3 CD-ROM du jeu comportant toutes les localisations européennes, il faudra commencer par faire un détour par le menu du jeu (en anglais) pour espérer lancer le jeu en français. Une fois cette gageure effectuée, on se retrouve avec une version techniquement équivalente à celle parue sur PC, et même à sa version Gold à en juger par la présence de thèmes musicaux que je n’avais pas entendus lors de mon test sur l’itération DOS. L’interface au pad a même le mérite de s’en sortir plutôt mieux que celle à la souris, chaque bouton ayant une fonction précise, on peut toujours sauvegarder n’importe quand, et les temps de chargement sont aussi rapides que sur PC. Bien évidemment, les choses sont un peu moins emballantes du côté purement ludique, le jeu étant toujours aussi mauvais, mais quitte à vous aventurer à le découvrir, autant le faire sur ce très bon portage.

NOTE FINALE : 11,5/20

Si Dragon Lore n’est pas miraculeusement devenu un jeu d’aventure merveilleusement écrit et doté d’un univers cohérent et de dialogues finement ciselés en passant sur 3DO, il n’empêche qu’il est ici techniquement inattaquable comparé à la version PC, visiblement tiré de la version « Gold », et qu’il se révèle même au moins aussi jouable au pad qu’à la souris. À tout prendre, une très bonne alternative pour un jeu médiocre.