Hacker

Développeur : Steve Cartwright
Éditeur : Activision, Inc.
Titre alternatif : ハッカー (Japon), Hacker : You’ve found your way in. But is there a way out? (boîte)
Testé sur : Commodore 64AmigaApple IIAtari 8 BitsAtari STMacintoshZX SpectrumAmstrad CPCPC (DOS)MSXPC-88

La série Hacker (jusqu’à 2000) :

  1. Hacker (1985)
  2. Hacker II : The Doomsday Papers (1986)

Version Commodore 64

Comme toutes les activités illégales, le piratage – ou hacking, pour employer un terme qui a aujourd’hui acquis un sens plus précis – a toujours été entouré d’une certaine mystique. Le mythe du jeune geek génial capable, avant même d’avoir vingt ans, de pénétrer dans les documents des institutions les plus secrètes n’aura même pas attendu l’invention d’internet pour se faire une place dans l’inconscient collectif, et des films comme WarGames y sont indéniablement pour quelque chose. La simple idée de pouvoir déclencher accidentellement la troisième guerre mondiale en pensant jouer à un jeu vidéo ne faisait qu’ajouter à la dramaturgie de la chose : « hacker », on ne savait pas encore très bien ce que ça voulait dire, mais c’était à la fois mystérieux, dangereux, et à première vue atrocement simple. De quoi alimenter toutes les paranoïas… ou les concepts commerciaux.

Prenez l’idée de base de Hacker : c’est précisément celle de vous placer face à quelque chose que vous ne connaissez pas. Le jeu s’ouvre, sans présentation, crédits ni écran-titre, sur un simple écran de Log In. Aucune instruction, aucune carte de référence, et le manuel lui-même ne contient strictement rien en-dehors des consignes pour lancer le jeu. Vous tapez donc un mot au hasard, faute d’autres possibilités, afin de voir ce qui se passe. Message d’erreur. Vous recommencez. La réponse change. Et, bien évidemment, à force d’insister, vous finissez fatalement par provoquer une réaction inopinée, et par entrer par erreur dans un système qui semble furieusement lié à une conspiration à l’échelle mondiale. Bienvenue dans Hacker.

La filiation du titre de Steve Cartwright avec le film de John Badham évoqué précédemment, WarGames, et sorti dans les salles deux ans auparavant, parait évidente ; elle se retrouve d’ailleurs jusque dans le visuel de la boîte du jeu qui rappelle furieusement l’affiche du long-métrage. L’idée, c’est de vous faire croire que vous allez à votre tour pouvoir pénétrer dans un super-ordinateur et changer la face du monde – la présentation publique du logiciel avait d’ailleurs fait croire que le premier écran du jeu était un imprévu suivi d’une véritable tentative de hacking, avant de dévoiler le pot-aux-roses.

Hacker est, à ce titre, un assez bon exemple de programme dont la présentation était plus importante que le jeu en lui-même : tout était fait pour que vous ne sachiez pas ce que vous vous apprêtiez à acheter, en-dehors d’une vague promesse, et toute la magie était là. Une méthode qui aura visiblement porté ses fruits, puisque le programme se sera vendu à plus de 50.000 exemplaires, et la longue liste de portages devrait vous confirmer son succès public. Mais près de 35 ans après la sortie du jeu, on peut penser qu’il y a désormais prescription et qu’il serait temps d’aborder la seule question qui vaille : Hacker, en tant que jeu, c’est quoi ?

Eh bien, dans les faits, quoi que vous tapiez sur l’écran de Log In, vous serez fatalement amené à passer à la deuxième phase au bout de trois essais, le programme prétextant une malfonction pour vous faire entre dans le système. Il en aura néanmoins profité pour vous donner un indice, qui ne sera exploitable qu’une fois que vous aurez progressé dans le jeu : lors de vos prochaines parties, inscrire le bon login pourrait donc vous amener à passer la phase deux… laquelle consiste en la présentation du robot dont vous allez prendre le contrôle pendant tout le jeu.

Une nouvelle fois, les instructions sont aussi cryptiques que lacunaires : il s’agira en fait de désigner des parties du robot correspondant à la description au bas de l’image à l’aide de votre curseur. Une nouvelle fois, agir au hasard sera le seul recours mais, pour faire bonne mesure, une fois que vous serez parvenu à identifier toutes les parties, le jeu vous demandera de recommencer la procédure depuis le début jusqu’à ce que vous ne fassiez aucune erreur de toute la séquence. Passionnant, hein ?

La troisième phase représentera heureusement le jeu en lui-même : vous allez en fait entreprendre de déplacer (une nouvelle fois sans aucune explication) le fameux robot de la phase deux sur une carte du monde, à l’aide d’un réseau ferroviaire souterrain qui vous sera dissimulé et dont il vous faudra dresser la carte vous-même. En plusieurs points, il vous sera possible de remonter à la surface pour rencontrer un espion qui s’exprimera exclusivement dans la langue du pays où il se trouve, avant d’échanger des informations avec lui. Le truc, c’est que chaque espion n’est intéressé que par un ou deux types d’objets, qui seront disponibles… chez un autre espion. L’objectif du jeu va donc être de trouver dans quel ordre rencontrer ces fameux espions pour pouvoir commercer avec eux et ainsi obtenir les fragments d’un document secret narrant un complot mondial, que vous devrez ensuite livrer au FBI. Mais attention, car des satellites surveillent votre progression, et échouer à répondre à leurs questions de sécurité signifiera la fin de la partie…

En l’essence, voilà donc en quoi consiste le jeu : une séquence d’essais/erreurs pour apprendre à jouer, une autre pour comprendre dans quel ordre effectuer les actions, avec un game over en cas d’erreur. Et c’est tout. Une partie complète, aidée de vos notes, se bouclant en une dizaine de minutes, on passe donc plus de temps à apprendre à jouer qu’à jouer – ce qui est à la fois l’essence du jeu et sa plus grande faiblesse. Car une fois le plaisir de la découverte passé – c’est à dire au bout de dix minutes – que reste-t-il ? Un jeu finalement extraordinairement basique, qui se limite à mémoriser un trajet optimisé pour l’effectuer sans erreur, après avoir noté quel espion nécessite quel objet. La seule subtilité étant que les réponses exigées par les satellites pour pouvoir continuer le jeu figurent toutes à l’intérieur du programme, il suffira donc de prendre des notes une fois les questions connues pour pouvoir fournir les réponses. Voilà. Le tout pour découvrir un « complot mondial » à peine digne du grand méchant de l’Inspecteur Gadget.

La réalisation correspondant à celle d’un jeu de 1985, et la partie ludique étant pour ainsi dire inexistante, autant dire que le maigre intérêt du logiciel ne survit tout simplement pas à l’étape de la découverte. C’est un peu le point faible de n’importe quel tour de passe-passe : une fois qu’on a compris le truc, la magie disparait, et la seule magie du jeu n’aura jamais été que de pousser le joueur à acheter une pochette surprise en pensant y trouver un titre révolutionnaire alors que la seule idée du programme n’est finalement que de vous laisser dans le noir – au propre comme au figuré – pendant l’essentiel de la partie afin de présenter le gameplay comme une récompense plutôt que comme le moyen de l’obtenir.

La magie se dissipant, comme on l’a vu, au bout de dix minutes, reste alors un jeu que vous n’aurez aucune raison de vous forcer à terminer plus d’une fois, la partie « centrale » étant rigoureusement dépourvue de fun. Le pire étant qu’au final, on n’aura rien hacké du tout ! Vous espériez explorer des bases de données pour dévoiler une passionnante et complexe intrigue ? Vous la jouer façon Neuromancer ? Nope. À la place, vous allez jouer à Pac-Man en moins bien. Mais il faut croire que Manipulateur de robot souterrain qui creuse dans les jardins des espions pour leur acheter des titres de propriété avec ses petites pinces sonnait moins bien que Hacker. Autant dire une capsule temporelle qui aura très mal résisté à l’usure du temps, et qui aura surtout transmis une précieuse leçon : lorsqu’on cherche à vous vendre un concept, c’est généralement qu’on n’est pas en train de vous vendre un jeu. À essayer pour les plus curieux, et à oublier immédiatement dans la foulée.

Vidéo – Cinq minutes de jeu :

NOTE FINALE : 07/20 Hacker est un parfait représentant des années 80, un assez bon résumé d'une époque où l'expérimentation était la clé et où apprendre à jouer était une des phases les plus intéressantes des jeux en eux-mêmes. L'essai/erreur est donc au centre de tout, le principal défaut étant que reproduire tout ce qu'on a compris plus d'une fois devient, la découverte passée, aussi inintéressant que laborieux. Une fois le jeu transformé en une sorte de labyrinthe caché à recommencer jusqu'à ce que l'on ait noté dans quel ordre effectuer les actions, on se retrouve alors face à un désert vidéoludique qu'on n'aura absolument aucune raison de relancer lorsque la partie aura été menée à son terme – et pas beaucoup plus en cas de game over. Typiquement le genre de titre auquel on peut aujourd'hui consacrer une dizaine de minutes animé d'une curiosité réelle avant de passer à autre chose. CE QUI A MAL VIEILLI : – Un principe intrigant, mais qui ne le reste pas au-delà des dix premières minutes – Un gameplay inutilement complexe pour un principe finalement très basique – Une histoire trop grossière pour intéresser réellement – Une rejouabilité proche du néant – Un jeu qui n'a finalement strictement rien à voir avec le hacking – Les rares bonnes idées sont trop bien dissimulées pour que la très grande majorité des joueurs aient la chance de les trouver

Version Amiga

Hacker pourra au moins se vanter d’avoir été un des tout premiers titres disponibles sur Amiga… comprendre : sur Amiga 1000, l’Amiga 500 n’ayant été disponible à la vente que deux ans après la sortie du jeu. À une époque où Cinemaware n’était pas encore venu ouvrir la boîte de Pandore des réalisations somptueuses, on trouve donc sans surprise une adaptation plus colorée et plus travaillée que sur C64, sans pour autant être ébouriffante – le titre de Steve Cartwright n’ayant de toute façon jamais cherché à en mettre plein les yeux, comme la quasi-totalité des logiciels de l’époque. Dans tous les cas, cela reste bien plus agréable. Au rang des nouveautés, on remarquera surtout l’usage de la souris, qui ne vous obligera plus à tester chaque touche du clavier une à une pour manipuler votre robot, puisqu’il s’agira désormais de se contenter de sélectionner les différents bouton visibles à l’écran à l’aide du curseur. L’expérience de jeu a également été légèrement fignolée, l’écran de Log In vous proposant désormais d’activer une fonction « aide », et les bruitages sont bien entendus de meilleure qualité que sur C64, mais rien de tout cela ne suffit hélas à transcender une expérience ludique toujours aussi inexistante. C’est mieux, mais ça aurait difficilement pu être pire.

NOTE FINALE : 07,5/20

Hacker sur Amiga profite d’une réalisation qui aura certainement impressionné quelques joueurs en 1985 – le gouffre technique séparant la machine du Commodore 64 est visible sur chaque écran, en dépit de la réalisation pour le moins fonctionnelle du titre. C’est hélas très loin de transformer le titre de Steve Cartwright en bon jeu, mais disons qu’on sera peut-être au moins tenté de s’accrocher trois ou quatre minutes de plus.

Version Apple ][

Difficile d’imaginer, en 1985, composer sans une machine comme le vaillant Apple II – qui allait, mine de rien, déjà sur ses neuf ans. Sans surprise, on se retrouve avec une version très proche de celle publiée sur C64, avec des graphismes peut-être encore un peu moins détaillés – mais plus colorés, comme souvent, la richesse de la palette n’étant pas le point fort de la machine de Commodore. À ce détail près, on remarquera également que le jeu s’efforce de vous livrer des informations sur l’interface dès l’écran de login, afin de savoir comment activer le joystick, par exemple, faute de quoi tout se jouera par défaut au clavier – rien de très handicapant. Bref, le même titre avec les mêmes défauts.

NOTE FINALE : 07/20

Rien à signaler pour ce Hacker sur Apple II, qui livre à peu près la version attendue, jouable et lisible sans être pour autant plus passionnante que la version originale. On s’en contentera.

Version Atari 8 bits

Au rang des autres ordinateurs 8 bits, l’ancêtre de l’Atari ST faisait également une très belle carrière. On ne sera donc pas surpris d’y voir également débarquer Hacker, dans une version ne variant pas d’un iota par rapport aux autres… à l’exception de l’apparition d’un logo « Activision » au lancement du jeu, faisant ainsi le choix de briser la démarche originale qui voulait vous faire croire que vous étiez réellement en train de pirater un système avancé. Choix étrange pour l’époque, mais qui ne changera pour ainsi dire rien à la façon d’approcher le jeu aujourd’hui : une fois encore, passé les dix premières minutes, difficile de s’amuser, surtout si ce n’est pas votre première partie. Mais bon, au moins, aucun problème majeur à signaler.

NOTE FINALE : 07/20

Les versions se suivent et se ressemblent pour Hacker, et ce n’est pas l’Atari 8 bits qui va venir bouleverser l’expérience originale. C’est toujours aussi limité passé les premières minutes d’intérêt poli. Mais on ne sait jamais, au cas où vous voudriez collectionner la ludothèque complète de la machine, peut-être désirerez-vous investir dans le jeu ?

Version Atari ST

Après l’Atari 8 bits, l’Atari 16 bits ! Je sens que les joueurs convulsifs ont déjà avancé leur jetons pour parier que cette version est identique à au moins 95% à celle parue sur Amiga 1000. Eh bien… en terme de réalisation, ils seront sans doute déçus d’apprendre qu’aucune version ne semble être le portage de l’autre – ce qui est finalement assez logique, l’Amiga étant encore loin de représenter autre chose qu’un potentiel marché d’avenir en 1985, et l’Atari ST étant encore au tout début de sa carrière. Alors que les graphismes sur Amiga avaient été l’œuvre de Gene Smith, il aura cette fois simplement suppléé une équipe d’Interplay… qui fait d’ailleurs un peu moins bien, avec une interface plus dépouillée où on ne retrouve pas les dizaines de petites fioritures de l’itération Amiga. Très honnêtement, on ne peut pas dire que cela soit bouleversant à un quelconque niveau, surtout qu’il est toujours possible de jouer à la souris et que l’expérience de jeu reste aussi b… enfin, disons plutôt : n’est pas plus insignifiante que sur Amiga. Bref, on reste globalement dans les mêmes clous.

NOTE FINALE : 07,5/20

L’histoire ne retiendra peut-être pas que la bataille entre Commodore et Atari avait débuté dès 1985, ni que le vainqueur était encore loin d’être évident à l’époque. En faisant le choix de graphismes légèrement moins détaillés que sur Amiga, la version ST de Hacker fait le choix de la lisibilité, mais ne peut hélas rien faire pour transcender l’expérience de jeu.

Version Macintosh

L’Apple II allait peut-être sur ses neuf ans, mais l’autre machine de la firme à la pomme, le sémillant Macintosh, soufflait pour sa part sa première bougie. La bonne nouvelle, c’est que ce portage de Hacker aura décidé de tirer partie de la haute résolution de l’ordinateur pour compenser la réalisation en noir et blanc. La mauvaise c’est que, passé l’écran du robot (très bien dessiné), on se retrouve face à une interface purement fonctionnelle sans la moindre forme de fioriture. Alors certes, on fait difficilement plus lisible, mais avec le recul on a encore un peu plus l’impression de jouer au démineur sous Windows 3.1. Pour le reste, rien d’extraordinaire, les rares éléments graphiques du jeu que sont les murs des souterrains et les espions sont bien représentés, et le son n’a pas de raison d’aller plus loin que les quelques bruitages entendus sur les autres versions.

NOTE FINALE : 07/20

Haute résolution ou pas, Hacker sur Macintosh ne parvient pas franchement à transcender une réalisation tout aussi fonctionnelle et minimaliste que sur les autres versions. On ne s’amuse pas plus, on n’est pas plus ébloui, mais c’est également très loin d’être pire que sur les autres systèmes domestiques. Une version qui en vaut bien une autre, c’est à dire pas grand chose.

Version ZX Spectrum

Reconnaissons au moins un mérite à Hacker : vu le caractère extrêmement limité de sa réalisation, des systèmes comme le ZX Spectrum partaient pour une fois avec un handicap nettement moins important qu’à l’accoutumée contre des machines plus onéreuses. Cela se vérifie d’ailleurs une fois en jeu : c’est au moins aussi beau et lisible que sur Apple II, si ce n’est plus. Les programmeurs n’ayant pas encore de bonne raison en 1985 de bâcler n’importe quoi le plus vite possible sur la machine de Sinclair, celle-ci emploie toute sa palette de couleurs pour le jeu, et pas une seule teinte ne bave sur le pixel d’à côté. On ne va pas aller jusqu’à dire que c’est beau, mais le travail a été fait très sérieusement – il n’y en avait certes pas beaucoup à fournir, mais quand même – et le son est toujours là.

NOTE FINALE : 07/20

Pour une fois, le ZX Spectrum n’aura à rougir de sa technique ni face aux autres ordinateurs 8 bits, ni même face aux machines 16 bits : Hacker ne se métamorphose pas en bon jeu sur l’ordinateur de Sinclair, mais la réalisation est irréprochable et le titre tourne à la perfection. C’était bien la moindre des choses.

Version Amstrad CPC

Signe révélateur : l’Amstrad CPC, tout comme le PC, aura fait partie des dernières machines servies pour le portage de Hacker. Il faut dire que, dès 1986, les développeurs avaient manifestement déjà parfaitement intégré les nombreuses similitudes techniques entre la machine d’Amstrad et le ZX Spectrum et avaient donc décidé de proposer des versions très semblables sur les deux – et tant pis pour le CPC, dont les capacités graphiques et sonores étaient pourtant très supérieures. Sans surprise, on se retrouve donc ici avec un portage qui n’aura certainement pas dû sa date de sortie tardive aux efforts déployés dans sa réalisation : prenez la version ZX Spectrum, modifiez deux couleurs, et voilà ! On se retrouve donc avec une adaptation particulièrement feignante, mais qui fait le travail.

NOTE FINALE : 07/20

Le seul enseignement à tirer de ce portage de Hacker sur CPC, c’est qu’il n’aura décidément pas fallu longtemps aux développeurs pour décider que la machine d’Amstrad n’était rien de plus qu’un processeur de ZX Spectrum avec d’autres composants autour. En résulte une version qui est à peine un calque de celle parue sur la machine de Sinclair, mais hé, puisque le jeu n’aurait de toute façon pas été meilleur en étant mieux réalisé…

Version PC (DOS)

Le PC, en 1986, n’était encore qu’une machine de travail hors de prix – l’émergence de modèle moins chers mais tout aussi puissants assemblés par Amstrad allait commencer à changer un peu les choses. En attendant, on sait encore à quoi s’attendre : graphismes en CGA et haut-parleur interne. En ce qui concerne ce dernier point, sachant qu’aucune version du jeu ne contient la moindre note de musique, on ne se sentira pour une fois pas trop pénalisé de se contenter d’entendre les rares bruitages du jeu dans une qualité à peine plus basse que sur les autres machines. Pour ce qui est des graphismes, on sent que l’inspiration est clairement à chercher du côté des versions 16 bits. Évidemment, en 4 couleurs, le résultat n’est pas ébouriffant, mais pour peu qu’on possède un écran composite (ou une version récente de DOSBox SVN qui permet d’émuler les différents modes CGA en appuyant sur F12), on se retrouve avec un résultat un peu plus coloré. Bon, c’est toujours très loin des versions ST et Amiga, mais ça reste ce qu’on pouvait espérer de mieux sur PC à l’époque.

NOTE FINALE : 07/20

Hacker offre sur PC une version conforme à ce qu’on était en droit d’attendre de la machine d’IBM en 1986, à savoir pas grand chose. L’adaptation n’a en tous cas pas franchement à rougir de la comparaison avec les portages 8 bits, surtout avec un écran gérant les connexions composites. Un mauvais jeu, mais une adaptation correcte.

Version MSX

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Le succès d’Hacker aura décidément transcendé toutes les frontières puisqu’en 1988, c’était cette fois sur le marché japonais qu’il atterrissait, porté et commercialisé par Pony Canyon. Pour l’occasion, le titre aura subi une refonte graphique qui aura décidé de tirer parti des capacités du MSX 2 ; c’est objectivement assez réussi de ce côté-là, c’est même très loin d’être ridicule face à ce que proposaient les systèmes 16 bits de pointe (comprendre : l’Atari ST et l’Amiga). En fait, le plus gros problème du jeu est surtout qu’il a été intégralement traduit en japonais, ce qui fait que les phases vous demandant de lire des indices spécifiques (l’identification du robot, les espions) vous demanderont de savoir lire la langue, sans quoi vous ne pourrez probablement même pas dépasser la deuxième phase. Sachant que le titre n’a de toute façon jamais déplacé les foules pour sa réalisation, on laissera cette version aux japonais ou à ceux qui sont confortables avec leur langage écrit.

NOTE FINALE : 07,5/20

Si vous savez lire le japonais, la version MSX d’Hacker est sans doute une des plus agréables à jouer. Si vous ne savez pas lire le japonais, je doute que ce soit ce programme qui vous donne envie d’apprendre.

Version PC-88

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Je pense que vous devez commencer à comprendre le principe, vous ne devriez donc pas vous attendre à ce qu’Hacker sur PC-88 propose une quelconque différence, en termes de contenu, avec ce qu’offraient absolument toutes les autres versions. En fait, l’attraction principale, ici, sera avant tout constituée par la résolution native de la machine de NEC, en 640×400. Sur la carte du monde, rien à dire : ça en jette. Malheureusement, ce n’est pas vrai sur tous les écrans (le robot rend à peu près aussi mal que sur Commodore 64), et surtout, le jeu est une nouvelle fois en japonais, ce qui devrait une fois compliquer la vie de la grande majorité des joueurs. Mais bon, si ce genre d’inconvénient ne vous pose pas de souci, c’est indéniablement une bonne version pour découvrir le jeu.

NOTE FINALE : 07,5/20

Hacker sur PC-88 a le mérite d’offrir une version en haute résolution aux joueurs qui auraient la chance de savoir lire le japonais et le masochisme d’avoir envie de jouer à Hacker.

A Mind Forever Voyaging

Développeur : Infocom, Inc.
Éditeur : Infocom, Inc.
Testé sur : PC (DOS)Amiga, Apple II, Atari ST, Commodore 128, Macintosh

Version PC (DOS)

On n’y pense pas forcément entre deux parties de Day of the Tentacle ou de Gabriel Knight, mais l’antique genre du jeu d’aventure textuel, qui aura connu son âge d’or dans la première moitié des années 80, n’a pas miraculeusement disparu du jour au lendemain avec la naissance des premières aventures dites « graphiques », qu’elles s’appellent Mystery House ou surtout King’s Quest.

En fait, l’une des plus célèbres sociétés spécialisées dans ce que les anglo-saxons désignaient sous le terme d’interactive fiction, la vénérable Infocom, aura continué à développer des aventures textuelles jusqu’à la toute fin des années 80. Une anomalie ? Non, plutôt le signe que, même à une période de profonde mutation de l’industrie vidéoludique, les jeux reposant intégralement sur l’imagination continuaient de bénéficier d’un écho favorable – souvent bien aidés par une qualité d’écriture qui aura mis un peu plus de temps à s’imposer comme une évidence dans les grosses productions. On aura l’occasion, en ces pages, de découvrir les nombreuses qualités d’un genre hélas largement réservé aux anglophones. Et pour aborder le genre, quel meilleur exemple que A Mind Forever Voyaging ?

Derrière ce titre ô combien magnifique (d’ailleurs puisé directement dans un poème de William Wordsworth) se cache une aventure d’anticipation très inspirée de l’actualité politique américaine du milieu des années 80, mais jugez plutôt. L’action se déroule en 2031. Votre nom est Perry Simm, et vous pensiez avoir vécu une existence normale… jusqu’à ce qu’on vous révèle que vous êtes en fait une unité informatique nommée PRISM, et que les 20 années que vous pensiez avoir vécues correspondaient en fait à onze années dans une simulation.

Votre découverte du monde réel correspond à une mission confiée par votre créateur, le professeur Abraham Perelman : les États-Unis d’Amérique du Nord sont sur le point de mettre en place une politique néo-conservatrice encouragée par le sénateur Richard Ryder, basée sur le recul des prérogatives de l’état, le protectionnisme commercial, le retour aux valeurs traditionnelles ou encore l’instauration de la conscription militaire. Ce sera à vous de découvrir la viabilité de cette politique via le simulateur dans lequel vous avez passé toute votre vie : en déambulant dans la cité imaginaire de Rockvil, au Dakota du Sud, vous allez pouvoir découvrir la vie quotidienne de la population américaine sur une période de plusieurs décennies, et revenir faire votre rapport dans le monde réel afin de témoigner de l’évolution de la situation, en bien… comme en mal.

Voilà pour le point de départ, dont on appréciera déjà l’originalité. Comme vous l’aurez compris, votre expérience de jeu prendra la forme d’une longue promenade à travers les époques, à visiter la même ville tous les dix ans pour juger de l’évolution de la situation. Le titre se déroulera donc à 95% au sein de la simulation, où vous ne serez pas pour autant envoyé en touriste : il s’agira d’enregistrer des scènes pertinentes afin de pouvoir les faire visionner à votre créateur une fois de retour dans le monde réel. Votre capacité d’enregistrement est loin d’être illimitée ; pas question, donc, de se promener en enregistrant indifféremment tout ce qui se présente à vous.

Mais comme il n’est pas nécessairement possible non plus d’anticiper tout ce qui pourrait se produire, il faudra être prêt à revivre la même journée encore et encore et à y activer votre enregistreur au bon moment (l’heure est affichée en permanence en haut à droite) afin de ne rien laisser passer. Pour la première décennie, au moins, les choses sont claires : le jeu s’ouvre sur une liste d’endroits à visiter pour prendre la température locale ; prenez bien le temps de les noter et de partir à leur recherche à l’aide de la carte fournie avec le jeu… et si ça ne suffit pas, dessinez-en une vous-même !

Car dans la grande traditions des jeux d’aventure textuels, vous pouvez vous déplacer en donnant directement une direction cardinale, mais aussi attendre, observer autour de vous, sauvegarder à n’importe quel moment, enregistrer ce qui se passe, lire un journal, vous asseoir à une table, manger au restaurant, rendre visite à votre femme… Ou même quitter la simulation sur un coup de tête, ou simplement parce que vous estimez avoir récolté les données que vous étiez venu chercher avant de les présenter au Pr. Perelman. Ce qui signifie également que mourir à l’intérieur de la simulation vous renverra simplement dans le monde réel, libre de reproduire l’expérience si vous le jugez nécessaire.

La grande force de ce système, c’est qu’on se sent rapidement impliqué par cette visite à la première personne, qui devient de plus en plus prenante au fur et à mesure que la politique entreprise commence à montrer ses effets. Certaines scènes vont assez loin, et l’inspiration de livres comme 1984 ou Le Meilleur des Mondes est évidente, mais on peut aussi parfois être fasciné par le caractère profondément visionnaire de certaines descriptions, surtout à une époque où le néolibéralisme est triomphalement installé à la tête de la plupart des démocraties occidentales.

Le titre n’en reste pas moins un jeu de science-fiction des années 80, où le bloc de l’Est est toujours bien vivant au milieu du XXIe siècle, et où la charge politique n’est pas toujours aussi subtile qu’elle le souhaiterait, mais on appréciera de voir A Mind Forever Voyaging mener son idée jusqu’à son terme et de guider la petite bourgade de Rockvil à un destin parfois assez surprenant. On se laisse donc facilement porter par l’expérience, en menant notre enquête à notre rythme, et en s’agaçant parfois de la voir piétiner faute d’avoir trouvé un élément pertinent qui nous échappe. Mais dans l’ensemble, l’expédition est relativement aisée, et pour cause : il n’y a pratiquement aucune énigme.

De fait, avant un stade très avancé du jeu, il est impossible de « perdre » : chaque décennie pouvant être ré-explorée jusqu’à plus soif, impossible de rater définitivement un élément crucial et de rester bloquer, et même la mort n’est qu’une péripétie. Une philosophie plutôt en avance sur son temps, pour un titre de 1985 ! La conséquence en est également qu’il est difficile de parler de jeu : l’interactivité n’est ici qu’une occasion de découvrir un récit à notre propre rythme, et on est plus face à un livre dont on pourrait découvrir une grande partie des chapitres dans n’importe quel ordre que devant une véritable arborescence vous imposant de faire constamment le bon choix sous peine d’échec comme l’aurait fait un Livre dont vous êtes le héros.

Autant dire que les fans d’énigmes complexes et d’exercices de logiques risquent de faire la moue devant la passivité qui résumera l’essentiel de l’expérience. Les amateurs de science-fiction et de récits bien menés, eux, devraient pardonner beaucoup plus de choses au jeu, pris par une histoire bien racontée dont ils auront une furieuse envie de connaître le fin mot. Mais ceux qui réussiront à dépasser l’absence d’images et le bon niveau d’anglais nécessaire pour entreprendre l’aventure pourront passer un très bon moment, qui pourrait même les amener à cogiter un peu. Pour un titre allant sur ses 35 ans, ce n’est quand même pas si mal.

Vidéo – Dix minutes de jeu :

NOTE FINALE : 15/20 A Mind Forever Voyaging est, à bien des niveaux, un titre très particulier ; c'est à peine un jeu, davantage une visite guidée dans une Amérique reaganienne futuriste décrite au vitriol, sans autre recours que votre imagination. Tandis qu'il dépeint la lente descente aux enfers de la petite cité de Rockvil, le récit imaginé par Steve Eric Meretzky dérange et fascine, au point qu'on y revienne chaque fois encore un peu plus piqué par la curiosité jusqu'à découvrir le fin mot de l'histoire. L'humour qui a fait la renommée d'Infocom est cette fois aux abonnés absents, laissant la place à un univers plus mature qui verse carrément, à terme, dans le brûlot politique. Autant dire un titre très difficile à noter et qui ne plaira pas à tout le monde, mais auquel les anglophones devraient laisser sa chance, le temps de revenir à une autre conception du jeu d'aventure et de la narration vidéoludique. À essayer. CE QUI A MAL VIEILLI : – Bonne maîtrise de l'anglais écrit obligatoire – Prise en main délicate sans un passage par le manuel – Jeu militant : si vous ne partagez pas sa vision du monde, vous risquez de grincer des dents – Pratiquement aucune énigme : c'est davantage un livre interactif qu'un jeu

A Mind Forever Voyaging sur les autres systèmes

Comme vous pouvez vous en douter, le titre d’Infocom étant une aventure exclusivement textuelle où le terme de « réalisation » n’a pas vraiment de sens, tester indépendamment chaque version comme je le fais habituellement m’a paru profondément inutile. Le déroulement du jeu est de toute façon strictement identique d’une version à l’autre, et celles-ci ont d’ailleurs toutes été développées en parallèle pour une sortie simultanée avec la version PC en 1985, à l’exception de la version Amiga qui aura dû, pour sa part, attendre la mise sur le marché de la machine de Commodore en 1986. Les seules nuances seront à chercher du côté de l’interface : là où la version PC offre un texte blanc sur fond bleu, l’Apple II opte pour le blanc sur fond noir, le Commodore 128 pour le bleu sur fond noir, et les autres versions pour le noir sur fond blanc. Toutes sont parfaitement lisibles, même si ma préférence va à la version PC.

Fables & Fiends : Hand of Fate

Développeur : Westwood Studios, Inc.
Éditeur : Virgin Games, Inc.
Titres alternatifs : Fables & Fiends : The Legend of Kyrandia – Book Two (PC CD-ROM – États-Unis), Fables & Fiends – The Legend of Kyrandia : Hand of Fate (Book Two) (Gog.com), Kyrandia 2 (titre usuel), Kyrandia II : The Hand of Fate (Japon), The Hand of Fate (écran-titre)
Testé sur : PC (DOS)FM TownsPC-98
Disponible sur : Mac OS X (10.7.0), Windows (XP, Vista, 7, 8, 10)
En vente sur : Gog.com (Mac, Windows)

La saga Kyrandia (jusqu’à 2000) :

  1. Fable & Fiends : The Legend of Kyrandia – Book One (1992)
  2. Fables & Fiends : Hand of Fate (1993)
  3. The Legend of Kyrandia : Book 3 – Malcolm’s Revenge (1994)

Version PC (DOS)

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (version CD-ROM) :

L’année 1992 avait marqué, on s’en souvient, l’entrée en fanfare de Westwood Studios dans le monde du point-and-click. Lâché au milieu d’un genre alors légèrement embouteillé, cannibalisé par les deux ogres LucasArts et Sierra On-Line, The Legend of Kyrandia avait fait l’effet d’une petite bombe – moins sous l’effet de ses mécanismes de jeu que de celui de sa réalisation enchanteresse, véritable monument du pixel art.

Les joueurs attendaient donc avec impatience une suite que laissait deviner le très parlant « Book One » apposé au sommet de la boîte du premier opus. Celle-ci débarqua dès l’année suivante, avec deux absences de taille sur les boîtes européennes : celle du titre de la saga, et surtout celle d’un gros « 2 » juste derrière qui aurait pourtant pris tout son sens autant chronologiquement que commercialement. L’explication en restera certes mystérieuse, mais on pourrait en hasarder une : Hand of Fate est autant une suite qu’un… spin-off.

Le scénario du titre part d’ailleurs sur des bases assez fantasques : Kyrandia est en train de disparaître ! Les mystiques royaux pédalent dans la semoule, tout le monde semble être pris de court, jusqu’à ce qu’une mystérieuse main géante ne vienne offrir la solution : il faut retrouver l’ancre de pierre qui amarre le royaume à la réalité. Et pour mener cette mission un peu étrange, c’est la jeune Zanthia, seule rescapée du casting du premier épisode, qui va donc devoir s’y coller, découvrant au passage que son expédition va être sérieusement compliquée par le fait qu’on lui a volé son chaudron et tous ses ingrédients…

Oubliez donc Brandon, Kallak, Brynn, Garm et Brandywine – ou même Malcolm, d’ailleurs, l’ex-grand-méchant de la saga. Oubliez également les territoires parcourus dans le premier opus : le seul lien existant est donc Zanthia, sa hutte et son marécage – lequel a d’ailleurs beaucoup changé. Oui, c’est un peu radical, mais hé, pourquoi pas. On s’est suffisamment plaint des suites opportunistes reprenant peu ou prou le pitch et le concept du titre de base pour aller protester contre un parti-pris un peu plus culotté !

La bonne nouvelle, c’est que si une chose n’a pas changé, c’est bien la qualité de la réalisation du jeu. Les studios Westwood ont probablement eu en leur sein certains des plus grands artistes de la période, et ça se sent : chaque écran du jeu tire véritablement la quintessence de ce que le VGA pouvait offrir. C’est beau ! La variété est également de mise : depuis votre marais initial jusqu’à un monde volant en passant par les champs de blé, les pentes enneigées ou les souterrains volcaniques, on en prend véritablement plein les mirettes.

Le travail réalisé est réellement impressionnant, car tout est animé avec un grand soin, et notre héroïne elle-même arbore pas moins de huit tenues différentes pendant la partie (ce qui signifiait redessiner tous les sprites de chaque étape de toutes ses animations à chaque fois) ! Pour ne rien gâcher, la réalisation sonore est elle aussi à la hauteur de celle du premier épisode, particulièrement avec une Roland MT-32 où on touche à la perfection de ce qu’avait à offrir la musique MIDI. De ce côté-là, rien à dire : le jeu est absolument inattaquable.

Là où les choses feront peut-être un peu moins l’unanimité, c’est que le système de jeu basé à 90% sur des objets à collecter, lui, est toujours de la partie. Le bon côté, c’est que leur placement et leur utilisation est désormais nettement moins aléatoire : Zanthia est une alchimiste, et vos premières actions consisteront à retrouver les pages de son précieux grimoire afin de disposer de recettes à utiliser pour créer des potions.

Le mauvais, c’est que la logique des énigmes est, elle, toujours aussi cryptique. Si, par la force des choses, on finit généralement par se douter que le programme attend de nous qu’on prépare telle ou telle potion par déduction en observant les ingrédients qu’il met à notre disposition (le déroulement de la partie est extrêmement linéaire : vous terminez un endroit avant de passer à un autre), mieux vaut s’accrocher, parfois, pour comprendre la logique des actions qu’on nous fait réaliser. Je n’ai toujours pas compris, par exemple, pourquoi la seule façon de détourner l’attention d’une mère de son nourrisson était de transformer un boulet de canon en or avant de lui offrir (!), ni en quoi il pouvait paraître naturel d’offrir à deux pêcheurs un fromage en guise d’appât.

On est face à une logique souvent opaque (les anglophones parlent de « moon logic »), qui pousse à une expérimentation frénétique évoquant des jeux comme Gobliiins – en moins maîtrisé. Si cela n’est pas forcément un défaut rédhibitoire en soi, les nombreuses déambulations et autres longues minutes passées à collecter des ingrédients ou à essayer des actions au hasard finissent, elles, par se montrer rébarbatives. Pour ne rien arranger, il est toujours possible de mourir (quoique plus rarement) et surtout de se retrouver dans des situations bloquantes, parfois de manière totalement imprévisible ! Bref, mieux vaut prendre l’habitude de sauvegarder régulièrement et sous plusieurs noms sous peine de s’exposer à de très mauvaises surprises.

L’autre aspect déroutant du jeu est… eh bien, son déroulement en lui-même. Legend of Kyrandia, on s’en souvient, n’était déjà pas un titre marquant de par la profondeur de son univers ou la complexité de ses personnages. Un sentiment prolongé dans cette aventure, où vous n’échangerez pour ainsi dire jamais plus de deux phrases avec quiconque. Chaque environnement traversé ne s’embarrasse jamais d’une introduction, d’un contexte, ou même – plus grave encore – d’une cohérence.

Le royaume de Kyrandia semble n’avoir ni unité, ni loi, ni coutume ; pas même une carte pour vous aider à vous en faire une vue générale : chaque personnage n’existe que par rapport au vôtre, quitte à en faire apparaître de nulle part pour les faire disparaître l’instant d’après sans rime ni raison. C’est déjà parlant pour le dénommé Marko qui revient systématiquement dans vos pattes pour tenter de vous séduire avec la subtilité d’un bulldozer, mais cela devient même gênant dans le cas du « grand méchant » du jeu, dont l’origine et les objectifs sont exposés en une simple phrase au détour d’une conversation anodine !

On ne saura d’ailleurs jamais pourquoi il cherche à faire disparaître Kyrandia – il est méchant, débrouillez-vous avec ça. Dans le même ordre d’idées, alors que vous êtes quand même censée porter le destin du monde sur vos épaules, ne comptez pas croiser une seule personne pour vous aider à rejoindre le centre de la terre : pas un mystique, pas un garde, pas un badaud ne viendra à votre secours quand bien même leur vie et celle du reste de la planète en dépend – d’ailleurs, alors que vous verrez fréquemment Kyrandia disparaître autour de vous au début du jeu, le phénomène semble cesser purement et simplement de se manifester sans aucune explication pendant tout le reste de l’aventure.

Bref, on peine quand même sérieusement à se sentir concerné par le destin de cet univers à la Lewis Carrol qui aurait pu être extraordinairement sympathique si quelqu’un s’était juste donné le mal d’imaginer un vague lien pour relier entre eux les dizaines d’écrans qui composent le jeu. En fait, c’est bien simple : sans Zanthia au casting, on passerait son temps à se demander si on est vraiment en train de jouer à un jeu situé dans le même monde que le premier opus…

La conséquence est que, si la magie opère toujours à un certain niveau, on peine parfois à se passionner pour l’improbable patchwork anarchique qui nous sert de terrain de jeu. Quand la réflexion se limite neuf fois sur dix à cliquer n’importe où en attendant de voir ce qui se passe, on finit par sentir s’installer un morne ennui qui fait qu’il est presque plus intéressant de parcourir le jeu avec une solution que sans – un cruel aveu de faiblesse. L’expérience a ses bons moments, mais aussi des passages vraiment laborieux (Volcania et ses collectes à répétition…) qui font qu’on reste davantage pour le plaisir de la découverte que pour celui de jouer. Bref, la nostalgie jouera certainement un rôle prépondérant au moment de trouver à Hand of Fate des qualités qu’il n’a pas toujours. Cela en fait-il un mauvais jeu ? Certes non, mais on se dit parfois qu’il aurait aussi pu être bien davantage que ce qu’il est avec un game design un peu plus cohérent.

Quelques mots, enfin, sur la version française : celle-ci est bien plus réussie que le travail assez bancal réalisé sur le premier opus. Plus de faute ni de barbarisme, le travail est fait proprement et ça fait du bien. Si la version disquette du jeu profite d’une introduction entièrement doublé en français, la version CD, pour sa part, la conserve… avant de proposer des dialogues intégralement en anglais pendant tout le reste de la partie, offrant ainsi un jeu en VOST à 99%, avec 1% de VF dedans. Vu la qualité des voix anglaises, on sera en tous cas heureux que l’équipe en charge de la localisation n’ait pas pris le risque de doublages réalisés par des acteurs sous-motivés ou pas assez nombreux.

Vidéo – Quinze minutes de jeu (version CD-ROM) :

NOTE FINALE : 15,5/20 En choisissant d'abandonner pratiquement tous les personnages du premier épisode pour se focaliser sur l'improbable quête de Zanthia, Fable & Fiends : Hand of Fate aura opté pour un choix assez radical. Il n'aura en revanche pas abandonné les mécanismes pour le moins nébuleux des énigmes du premier opus ni, heureusement, sa sublime réalisation. En résulte une aventure certes dépaysante et toujours emplie d'une indéniable magie, mais où l'absence quasi-totale de cohérence ou de profondeur risque également de laisser bien des joueurs assez dubitatifs. Une épopée à la Alice au Pays des Merveilles, avec ses morceaux de bravoure et ses errances, mais on ne peut s'empêcher de penser qu'il manque un petit quelque chose à cette aventure pour réellement entrer dans la cour des grands. CE QUI A MAL VIEILLI : – Logique des énigmes toujours aussi particulière (certaines sont totalement incohérentes) – Des situations bloquantes parfois totalement aléatoires – Énormément d'allées-et-venues – Collectes d'ingrédients souvent fastidieuses – Univers sympathique mais manquant cruellement d'épaisseur

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Hand of Fate sur un écran cathodique :

Version FM Towns
Kyrandia II : The Hand of Fate

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Comme beaucoup de jeux DOS occidentaux, Hand of Fate aura également tenté sa chance sur les ordinateurs japonais de la période – cela tombait bien, ceux-ci était justement de plus en plus proches de simples clones de la machine d’IBM, jusqu’au système d’exploitation. On ne sera donc pas surpris de se retrouver, sur FM Towns, face à une version au contenu et à la réalisation identiques à ce qu’on avait pu observer sur PC deux ans plus tôt. Seules nuances : le jeu étant désormais en japonais, les caractères kanjis sont affichés en 640×400 pour les rendre plus lisibles et, de façon plus surprenante, on constate surtout qu’il n’y a plus de doublage des voix une fois passée l’introduction – c’est littéralement la version disquette occidentale traduite en japonais et gravée sur un CD ! Autant dire qu’elle ne présente donc qu’un intérêt purement historique aux yeux des joueurs occidentaux, mais au moins le titre n’a-t-il rien perdu d’autre en route.

NOTE FINALE : 15,5/20

On s’attendait à la copie conforme de Hand of Fate sur PC traduite en japonais, et c’est exactement ce qu’on obtient – sauf que pour le coup, il s’agit de la copie de la version disquette, format CD-ROM ou pas, car tous les doublages ont disparu au-delà de l’introduction ! Cela rend cette version encore un peu plus inaccessible aux joueurs ne parlant pas japonais, mais ils n’auront de toute façon aucune raison de regretter une version autrement identique à celle parue sur PC.

Version PC-98
Kyrandia II : The Hand of Fate

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Pour cette itération PC-98 d’Hand of Fate, les choses vont avoir le mérite d’aller vite : c’est très exactement la même chose que sur FM Towns. La réalisation sonore peut offrir un rendu un peu différent en fonction de votre matériel, mais pour le reste, c’est toujours le même jeu, il est toujours en japonais, il n’y a toujours pas de voix passé la cinématique d’introduction, et les graphismes comme les énigmes n’ont pas changé d’un micron.

NOTE FINALE : 15,5/20

Exact équivalent de la version parue simultanément sur FM Towns, Hand of Fate délivre à peu près la performance à laquelle on pouvait s’attendre sur PC-98, même s’il est toujours aussi dommage que les voix aient disparu. Pour tout le reste, vous serez de toute façon au moins aussi bien sur PC, donc inutile de vous fatiguer à dénicher cette version.

Rex Nebular and the Cosmic Gender Bender

Développeur : MPS Labs
Éditeur : MicroProse Software, Inc.
Testé sur : PC (DOS)
Version non testée : Macintosh
Disponible sur : Linux, Windows
En vente sur : Gog.com, Steam.com (Linux, Windows)

Les jeux basés sur le moteur MADS (jusqu’à 2000) :

  1. Rex Nebular and the Cosmic Gender Bender (1992)
  2. Return of the Phantom (1993)
  3. Dragonsphere (1994)
  4. Once Upon a Forest (1995)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Novembre 1992
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Supports : Dématérialisé, disquettes 5,25″ et 3,5″
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version dématérialisée émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 80286 – OS : PC/MS-DOS 4.0 – RAM : 640ko
Modes graphiques supportés : MCGA, VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, Covox Sound Master, Covox Speech Thing, haut-parleur interne, Pro Audio Spectrum, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

MicroProse. Voilà une société à laquelle il faudrait penser, un jour, à consacrer un dossier, tant il y aurait de choses à dire sur la compagnie cofondée par un certain Sid Meier – et qui évoquera bien des souvenirs enrobés de nostalgie aux joueurs de l’ancienne génération.

Songez qu’en 1992, MicroProse avait déjà dix ans. Et, comme cela a déjà été évoqué en ces pages, la compagnie alors principalement connue à l’époque pour ses simulations et ses jeux de stratégie était en train de chercher à sortir un peu de sa zone de confort pour s’attaquer à d’autres des genres-rois de la période : le jeu de rôle et surtout le jeu d’aventure. Dans le premier cas, cela aura donné cette année-là Challenge of the Five Realms et surtout Darklands. Dans le second, c’était l’occasion d’étrenner le moteur pompeusement intitulé Microprose Adventure Development System (ou MADS), qui ne comptera finalement que quatre titres à son actif. Et le premier jeu à en avoir tiré parti est sans doute le plus célèbre : Rex Nebular and the Cosmic Gender Bender.

L’histoire vous est narrée dans l’introduction visible en ouverture du test : vous êtes (fort logiquement) Rex Nebular, sorte d’aventurier macho du futur très « hansoloesque », de retour de mission pour le commandant Stone, lequel vous a envoyé chercher un vase ancien contre monnaie sonnante et trébuchante. Êtes-vous parvenu à mettre la main sur le fameux artéfact ? C’est ce qu’un Rex de mauvais poil va entreprendre de raconter à Stone, fort courroucé d’une expédition qui aura eu l’occasion de venir à bout de son vaisseau spatial, le Cochon Glissant, et qui, plus grave encore, aura également égratigné sa virilité…

Voilà pour le pitch de départ, qui vous voit donc débuter la partie au fond de l’océan, dans un appareil en ruines, pourchassé par des femmes ayant un sérieux contentieux à régler avec la gent masculine. L’occasion de découvrir une interface très inspirée de celle des production LucasArts de l’époque : une liste de verbes à gauche, un inventaire à droite. Seule absence marquante : pas de verbe « utiliser » au menu. Et pour cause, chacun des (très nombreux) objets en votre possession profitera de sa propre liste d’actions, comptant généralement au moins une action absurde (si vous ramassez un bras tranché, ne soyez donc pas surpris que le jeu vous propose de lui serrer la main). Un très bon moyen d’aborder deux éléments clés du jeu : sa tonalité et son humour.

L’interface a beau emprunter à LucasArts, difficile de ne pas immédiatement penser à l’autre compagnie maîtresse des jeux d’aventure de l’époque, Sierra On-Line, en lançant le jeu. Qu’il s’agisse de l’esthétique VGA très fouillée où on sent que le pixel art a rapidement cédé devant un scanner et une application 3D, ou des grands pavés descriptifs accompagnant la moindre des actions du jeu, comment ne pas immédiatement penser à Space Quest (qui s’apprêtait alors à publier son cinquième épisode) et ne pas trouver à Rex de faux airs de Roger Wilco ?

Dès les premiers plans sur le cockpit de votre vaisseau dans lequel on pourra distinguer, pêle-mêle, des dés pendus au rétroviseur, une cheminée, une voiture radiocommandée ou un panier de basket au-dessus d’une corbeille à papier, on comprend rapidement que le titre de Kenn Nishiuye ne se prend pas trop au sérieux. Autant le dire tout de suite : l’aventure vous mettant aux prises avec une planète intégralement dominée par les femmes aurait largement pu être imaginé par Mark Crowe, Scott Murphy et Al Lowe, tant leur influence semble prégnante à chaque écran du jeu. Al Lowe ? Eh oui car, thématique oblige, le jeu fait également appel – à très faible dose – à un érotisme léger qui oblige d’ailleurs le jeu à proposer une option afin de censurer les rares scènes salaces, au cas où vous seriez dangereusement émoustillé par la vue d’une paire de seins de trois pixels de large.

L’humour, quant à lui, repose principalement sur deux mécanismes : de longues descriptions textuelles, comme on l’a vu, proposant souvent un côté décalé assez mordant, et le décalage entre votre macho d’aventurier et le monde féminisé dans lequel il évolue. Autant dire que sans une solide maîtrise de l’anglais écrit, vous risquez de vous ennuyer ferme, tant le jeu n’a que rarement recours à des gags visuels – et tant ceux-ci font rarement mouche. Un reproche qu’on pourra d’ailleurs appliquer à la quasi-totalité du jeu, hélas.

À chercher à louvoyer quelque part entre Space Quest, Leisure Suit Larry et Maniac Mansion, il arrive en effet assez souvent que ce Rex Nebular s’égare en route. Le jeu, très ardu dans son ensemble (il propose heureusement trois modes de difficulté), semble chercher sa philosophie en même temps que son récit pendant la plus grande partie de l’aventure. Alors qu’on s’attend à évoluer au contact d’une société dominée par les femmes pendant l’essentiel de l’aventure, cet aspect n’occupe finalement qu’une place assez mineure de l’histoire, vous invitant à passer un bon quart du jeu à la surface d’une planète lambda où il n’y a rien à voir, un autre quart dans des couloirs tous semblables où les interactions avec les femmes sont extrêmement limitées à tous les niveaux, et enfin une moitié dans « Machopolis », une ville autrefois habitée par les hommes et désormais… totalement désertée !

Résultat : alors qu’on s’attendait à enchainer des dialogues hilarants et des situations ubuesques, bien encouragé par la promesse du « changeur de sexe » (gender-bender) du titre, on se retrouve au final avec de vagues séquences beaufisantes de type « les femmes veulent être indépendantes mais elles rêvent en secret d’un mâle pour les fertiliser, lol » et autres références hyper-datées qui font qu’on a bien du mal à s’attacher à un univers qui n’a aucune profondeur et, pour tout dire, pratiquement aucune idée.

D’autant que, plutôt que de tomber dans la farce et d’accepter de verser ouvertement dans la caricature, le titre passe son temps à chercher à se donner un côté adulte, avec son érotisme cheap d’un côté mais aussi avec des séquences de gore qui semblent totalement hors de propos dans un programme qui ne sait jamais s’il doit évoluer au premier, au deuxième ou au troisième degré. Écueil assez parlant à ce niveau, le jeu s’obstine jusqu’au bout à s’accrocher à la quête la plus insignifiante qui soit dans un univers de guerre des sexes : trouver ce foutu vase n’ayant absolument aucun lien avec le reste de l’intrigue. On se retrouve au final avec un titre qui fait penser à Martian Memorandum, avec un humour à peine plus fin, mais avec un univers et une enquête nettement moins travaillés.

Si ceux espérant se payer une bonne tranche de rigolade en s’essayant au jeu feraient bien de visionner en préambule quelques extraits du titre afin d’éviter une douche froide, les amateurs de défi relevé, eux, devraient passer un bien meilleur moment, à condition d’apprécier à la fois les énigmes corsées et légèrement fastidieuses (ah, la composition d’explosifs, ah, les piles à recharger, ah, les lasers à détourner…) ainsi qu’une bonne dose de chasse au pixel dans un environnement qui ne vous affiche jamais aucune information en promenant votre curseur : il faudra cliquer partout.

On meurt également souvent mais, pas de panique, le programme vous renvoie alors immédiatement à l’écran précédent. On regrettera en revanche que le jeu ne rebondisse jamais sur le fait que l’histoire est racontée à la première personne : Stone pourrait réagir au fait que vous lui racontiez votre mort alors que vous êtes en fait piqué juste devant lui (le genre de détail auquel avait pensé Monkey Island 2, par exemple) ; mais non, rien n’est prévu pour vous rappeler le point de départ du récit. Si, en dépit de tous ces reproches, Rex Nebular n’est pas à proprement parler un mauvais jeu, il ressemble plus à une promesse déçue, à un titre qui aurait pu être beaucoup d’autres choses mieux pensées et infiniment plus intéressantes à condition d’un game design mieux arrêté et d’une philosophie plus réfléchie.

Même la réalisation a perdu énormément de son charme, la plupart de ses digitalisations baveuses soutenant souvent très mal la comparaison avec des chef d’œuvre du pixel art comme The Legend of Kyrandia, paru la même année. Et quand on voit les monuments comme Day of the Tentacle qui s’apprêtaient à débarquer, en plein âge d’or du genre, on n’est au final pas très surpris que ce Rex Nebular ait quelque peu glissé dans l’oubli, ni que MicroProse n’ait jamais vraiment réussi à se faire un nom dans un domaine où la compagnie américaine avait manifestement pris le train avec un peu de retard. Reste un jeu qui parlera principalement aux nostalgiques et aux joueurs les plus avides de découvrir cette fameuse grande période du jeu d’aventure.

Vidéo – Quinze minutes de jeu :

Récompenses :

  • Tilt d’or 1992 (Tilt n°109, décembre 1992) – Meilleur jeu d’aventure Micro

NOTE FINALE : 14/20 Pour son entrée dans le monde du point-and-click, MicroProse aura décidé de composer avec des ingrédients éprouvés : une dose de LucasArts, un gros morceau de Space Quest, une pincée de Leisure Suit Larry... Le résultat est ce Rex Nebular imparfait dont l'intrigue à base de guerre des sexes est finalement dramatiquement sous-exploitée, n'offrant que des poncifs rebattus et accusant un gros coup de vieux sans jamais oser verser franchement dans la folie douce qu'elle laissait espérer. Dans un univers qui manque trop de personnalité pour marquer durablement les esprits, on pourra se laisser porter par un humour parfois plus fin qu'il n'en a l'air, mais reposant intégralement sur une bonne connaissance de l'anglais. Une balade souvent éprouvante qui pourra se montrer sympathique sur la durée, mais qui risque hélas de laisser pas mal de monde sur le bas côté. CE QUI A MAL VIEILLI : – Un humour reposant beaucoup sur le texte et qui impose de bien maîtriser l'anglais... – ...et un côté beauf, heureusement à petites doses, mais qui peine franchement à faire sourire – Un univers qui sonne creux et auquel on ne s'attache pas – Une réalisation assez froide très loin de rivaliser avec les meilleurs titres de la période – Très difficile – Beaucoup d'allées-et-venues entrecoupées de cinématiques impossibles à passer dans la deuxième moitié du jeu

Les avis de l’époque :

« Le scénario combine magistralement science-fiction et humour décapant, sans tomber à aucun moment dans la vulgarité. L’intrigue est très bien menée et les énigmes demandent plus que jamais de la réflexion. […] Un chef d’œuvre qui n’a pas volé son Tilt d’or, même face au tout récent King’s Quest VI de Sierra. »

Thomas Alexandre, Tilt n°109, décembre 1992

Simon Woodroffe’s Simon the Sorcerer II

Développeur : Adventure Soft Ltd.
Éditeur : Adventure Soft Ltd.
Titres alternatifs : Simon the Sorcerer II : The Lion, the Wizard and the Wardrobe (écran-titre),魔法师西蒙2 (Chine), שוליית המכשף 2 (Israël)
Testé sur : PC (DOS)
Disponible sur : Android, Amiga, iPad, iPhone, Macintosh, Windows (7, 8, 10)
En vente sur : Gog.com, Steam.com (Édition 25ème Anniversaire)

La série Simon the Sorcerer (jusqu’à 2000) :

  1. Simon the Sorcerer (1993)
  2. Simon Woodroffe’s Simon the Sorcerer II (1995)
  3. Simon the Sorcerer’s Pinball (1998)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Août 1995
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, espagnol, français (version française intégrale), italien
Supports : CD-ROM, dématérialisé, disquette 3,5″
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version CD-ROM émulée sous ScummVM
Configuration minimale : Processeur : Intel 80386 – OS : PC/MS-DOS 4.0 – RAM : 4Mo – Vitesse lecteur CD-ROM : 2X (300ko/s)
Modes graphiques supportés : MCGA, VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, General MIDI, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Dès la séquence de fin de Simon the Sorcerer, il était à peu près établi qu’une deuxième aventure était sur les rails. Le titre de Simon Woodroffe ayant connu un véritable succès à la fois critique et commercial, tous les voyants semblaient au vert pour initier un nouvelle série à succès capable de rivaliser avec Monkey Island – on aura donc attendu avec confiance la sortie de ce fameux deuxième épisode, qui aura quand même pris pas moins de deux ans.

Une durée qui n’a a priori rien d’exceptionnel, sauf que les choses allaient très vite dans les années 90, et que le genre du point-and-click était alors en train de vivre ce qui ressemblait furieusement au contrecoup de l’âge d’or qu’il venait de traverser. Désormais mis de côté au profit des Doom-like et de la 3D émergente, les jeux d’aventure étaient bel et bien en train d’amorcer une lente et douloureuse agonie, mais ça, ils ne le savaient pas encore. Et du côté de chez Adventure Soft, la prise de risque semblait minimale au moment de resservir au public nécessairement impatient plus ou moins la même chose que deux ans auparavant.

L’histoire vous est une nouvelle fois narrée par une longue cinématique, cette fois un tantinet plus ambitieuse que celle du premier épisode (mais une nouvelle fois vampirisée par une longue séquence de crédits). Contrairement à ce que la fin du premier opus pouvait laisser supposer, le maléfique sorcier Sordide n’est pas mort – ou pas complètement, disons ; il semble plutôt avoir hérité d’une sorte de statut zombiesque qui n’est pas sans rappeler celui du pirate LeChuck dans Monkey Island 2.

Bien décidé à se venger de celui qui a causé sa perte, il décide d’avoir recours à une armoire magique afin de servir de portail entre les dimensions –  et ainsi, de mettre la main sur Simon. Bien évidemment, les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu, et si Simon est bel et bien transporté une nouvelle fois dans l’univers du jeu, il atterrit non pas chez Sordide mais auprès de Calypso (qui ne vit apparemment plus à Fleur Deli) qui lui révèle que pour pouvoir rentrer chez lui, il aura besoin d’une substance rare nommée la Mucusade. Et voilà donc notre anti-héros à nouveau en mission pour une quête qui ressemblera a priori pas mal à celle du premier épisode : vaincre Sordide et repartir.

Si deux ans séparent Simon the Sorcerer II de son prédécesseur, on ne peut pas dire que les différences sautent immédiatement aux yeux. Simon est certes un peu plus vieux, et arbore désormais une queue de cheval qui lui vaudra de se faire fréquemment moquer quant à son manque de virilité (on reparlera de l’humour du jeu un peu plus tard), mais on ne peut pas dire que le reste soit dépaysant. L’interface à base de verbes du premier épisode a laissé la place à une nouvelle interface à base d’icônes… qui occupe toujours un bon tiers de la fenêtre de jeu, là où on aurait pu espérer profiter, comme dans Sam & Max, du plein-écran. Pour ne rien arranger, cette interface envahissante est moins lisible que celle du premier opus, ce qui fait que la jouabilité semble y avoir perdu plutôt qu’autre chose.

Cet aspect assez paresseux, autant l’évoquer dès maintenant, car on se souvient que le premier épisode était parvenu à placer la barre à un niveau relativement élevé en terme de réalisation. Deux ans plus tard, à une époque où les jeux en FMV à la Gabriel Knight 2 rivalisaient avec les titres en SVGA façon Space Quest 6, Simon the Sorcerer II ne craint apparemment pas de débarquer dans un VGA sans éclat.

Non seulement l’avancée technique depuis le premier opus est loin d’être flagrante, mais on a même plutôt le sentiment que la qualité graphique a reculé en deux ans – un ressenti qu’on peut attribuer en partie au fait que les superbes extérieurs de Simon the Sorcerer ont ici pratiquement disparu au profit d’un environnement devenu à 90% urbain, en tous cas dans la première partie de l’aventure. L’équipe graphique a changé, pas pour le mieux malheureusement, et on aura bien du mal à se sentir émerveillé devant le moindre écran du jeu – d’autant que les sprites sont toujours aussi moches et les animations toujours aussi lacunaires.

Quand on compare avec le soin minutieux d’un Day of the Tentacle paru, lui aussi, deux ans plus tôt, on comprend rapidement que Simon the Sorcerer II avait déjà un côté furieusement daté à sa sortie et que les choses ne sont pas franchement allées en s’améliorant au cours des vingt-cinq dernières années. Sans être à proprement parler moche, le titre est, au mieux, relativement quelconque.

Un malaise qui vient hélas rapidement à gagner d’autres secteurs du jeu. L’humour très britannique du premier épisode semble se chercher ici un côté plus transgressif – bien incarné, en ce sens, par un Simon en pleine puberté qui se voudrait plus incisif que jamais… mais qui franchit hélas un peu trop souvent la ligne de la beaufitude, particulièrement quand il s’adresse à une femme.

Il parait d’ailleurs difficile de ne pas mentionner le fait que certaines blagues qui pouvaient encore passer dans les années 90 sont aujourd’hui devenues plus que limites, le personnage d’Um Bongo, véritable catalogue ambulant de tous les poncifs racistes sur les noirs africains fourni avec l’accent petit-nègre en VO comme en VF, en étant un assez bon exemple. On se surprend un peu trop souvent à grincer des dents ou à afficher une grimace navrée là où on espérait passer un bon moment. N’est pas Ron Gilbert qui veut…

Ces errements se retrouvent d’ailleurs à tous les niveaux, dans une aventure qui peine à décoller faute de véritables enjeux dans ses dix ou quinze premières heures. Après avoir servi de prétexte pendant l’introduction, Sordide disparait ainsi totalement du récit pour la quasi-totalité de l’histoire, et les personnages intéressants ne courant pas les rues, l’univers peine dramatiquement à se montrer aussi magique que celui du premier opus. Tout a un air de déjà-vu, des éternels contes et légendes revisités à une sauce devenue un peu trop prévisible jusqu’aux dialogues interminables où les bons mots sont bien trop rares.

Si on visite la ville où se situe l’action avec une certaine curiosité pendant les premières heures, les innombrables allées-et-venues additionnées à des énigmes parfois franchement tirées par les cheveux finissent par instaurer une certaine lassitude qui fait qu’on est presque soulagé de voir la scène de fin se dérouler sous nos yeux. Est-ce à dire pour autant que Simon the Sorcerer II est un mauvais jeu ? Non, loin de là – l’aventure, très longue, va même en s’améliorant sur la durée – mais on devra s’accrocher durant de longs, très long moments avant de se débarrasser de ce mauvais goût de réchauffé qui nous colle au palais dès le lancement du titre.

Du côté de la version française, on remarquera que le jeu a cette fois été entièrement doublée dans la langue de Molière. Le résultat est correct, sans plus – le plus gros défaut étant la faiblesse du casting mobilisé, que j’aurais bien du mal à estimer à plus de trois personnes (à vue de nez, deux hommes et une femme).

Si Simon est l’un des personnages qui s’en tire le mieux avec un doubleur souvent en roue libre (qui semble très fier de ses imitations de Stallone), on pourra noter dès l’introduction la tendance du doubleur de Sordide à mettre totalement à côté en terme d’intonation (je pense qu’il découvre ses dialogues au moment où il les lit, comme tous les autres acteurs, d’ailleurs), alors que ce que je pense être l’unique doubleuse du titre mêle à la fois un sous-jeu constant à un parler trainant qui finit par rapidement taper sur les nerfs. La traduction, de son côté, connait les mêmes écueils que dans le premier opus, et même plus : coquilles, contresens… Une nouvelle fois, ce n’est jamais catastrophique, mais on ne peut pas dire que ça soit transcendant non plus – c’est fonctionnel, voilà. Un bon résumé pour un jeu qui remplit son cahier des charges sans jamais le transcender.

Vidéo – Quinze minutes de jeu :

NOTE FINALE : 15/20 Le propre des miracles, c'est qu'ils ne se produisent qu'une seule fois. En remettant le couvert pour Simon the Sorcerer II, Adventure Soft n'aura malheureusement pas réussi à remettre dans le mille dans tous les secteurs où la compagnie britannique y était parvenue deux ans plus tôt. Entre un humour où le malaisant côtoie un peu trop souvent le graveleux, une réalisation pas à la hauteur de celle du premier opus et une aventure qui met beaucoup trop de temps à décoller, on ne retrouve tout simplement plus grand chose de la magie qui avait su apparaître dans Simon the Sorcerer premier du nom. Le titre de Simon Woodroffe sait malgré tout se montrer prenant, voire même sympathique sur la durée – à condition d'y consacrer beaucoup de temps et de parvenir à passer au-delà de la déception initiale. CE QUI A MAL VIEILLI : – Humour louvoyant un peu trop fréquemment quelque part entre Bigard et Michel Leeb – Certains personnages qui confinent au racisme ordinaire (Um Bongo...) – Réalisation décevante – Interface moins lisible et toujours aussi envahissante que dans le premier épisode – Doublage français qui n'a pas dû mobiliser plus de trois personnes, et encore

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Simon the Sorcerer II sur un écran cathodique :

Les avis de l’époque :

« Tout ceci serait splendide si ce jeu ne ressemblait pas trop au premier. À l’époque, les voix étaient déjà présentes sur un CD, le graphisme était exactement le même et l’interface était plus parlante. Ce manque d’amélioration nuit gravement à l’intérêt du jeu : au bout de deux ans, on aurait pu s’attendre à quelques petits plus notamment au niveau du graphisme. »

Léo de Urlevan, Joystick n°65, novembre 1995, 68%

Simon the Sorcerer

Développeur : Adventuresoft Ltd.
Éditeur : Adventure Soft Publishing Ltd.
Titres alternatifs : 魔法师西蒙 (Chine), שוליית המכשף (Shuliyat Hamechashef, Israël)
Testé sur : PC (DOS)AmigaAmiga CD32
Version non testée : Acorn 32 bits
Disponible sur : iPad, iPhone, Macintosh, Windows (7, 8, 10)
En vente sur : Gog.com, Steam.com (Édition 25ème Anniversaire)

La série Simon the Sorcerer (jusqu’à 2000) :

  1. Simon the Sorcerer (1993)
  2. Simon Woodroffe’s Simon the Sorcerer II (1995)
  3. Simon the Sorcerer’s Pinball (1998)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Septembre 1993
Nombre de joueurs : 1
Langue : Allemand, anglais, français (voix en anglais, textes en français)
Supports : CD-ROM, dématérialisé, disquette 3,5″
Contrôleur : Souris
Versions testées : Version CD-ROM et disquette émulées sous ScummVM
Configuration minimale : Processeur : Intel 80286 – OS : MS-DOS 5.0 – RAM : 640ko – Vitesse lecteur CD-ROM : 1X (150ko/s)
Modes graphique supportés : MCGA, VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (version CD-ROM) :

Il en va parfois du jeu vidéo comme du vin rouge : il y a de bonnes et de mauvaises années.

Prenez 1993, par exemple. Pour le jeu d’aventure, c’est un peu l’équivalent de 1959 pour le Pommard : l’année du siècle. Du côté de chez LucasArts : millésime exceptionnel avec Day of the Tentacle et Sam & Max, soit deux des meilleurs titres jamais produits par la firme américaine. Les choses n’allaient pas mal non plus du côté de Sierra Online, avec Freddy Pharkas, Space Quest V, Leisure Suit Larry 6 et surtout Gabriel Knight, là encore un des plus grands jeux d’aventure jamais produits par la société de Ken et Roberta Williams. Cerise sur le gâteau : Westwood Studios touchait également les étoiles avec le deuxième épisode de Legend of Kyrandia : Hand of Fate. Autant dire que s’il fallait isoler un âge d’or du genre, il tiendrait sans difficulté dans cette simple période de douze mois, définitivement gravée dans la légende.

D’ailleurs, cette année 1993 fut si exceptionnelle pour le point-and-click qu’elle vit également arriver un outsider inattendu, sous la forme d’Adventuresoft, société britannique venue crânement tenter sa chance avec Simon the Sorcerer.

Face aux écrasants concurrents évoqués plus haut, c’était déjà extraordinairement gonflé. Mais l’ambition du jeu imaginé par Simon Woodroffe était visiblement sans limite : non content de débarquer au beau milieu de la production des ténors du genre comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, le titre se permettait même d’aller invoquer des références aussi indépassables que Secret of Monkey Island, Tolkien, C. S. Lewis ou la saga des King’s Quest. Un sacré culot de la part d’un petit David au milieu de tous ces Goliath ! Et de quoi piquer la curiosité du joueur au moment de lancer les improbables aventures du jeune sorcier.

Vous incarnez donc le jeune Simon, transporté contre son gré dans un monde magique en cherchant à récupérer son chien. Votre mission, que vous l’acceptiez ou non, consistera à arrêter le maléfique sorcier Sordide, principal obstacle entre vous et Calypso, le magicien qui vous a fait atterrir ici. Vous n’aurez pour seul guide qu’une lettre laissée par Calypso lui-même avant de vous retrouvé lâché dans la nature. Premier objectif : devenir un sorcier en commençant par rencontrer le Conseil des Magiciens, justement réuni à l’auberge locale, qui devra d’abord vous faire passer une épreuve…

Cela vous rappelle quelque chose ? C’est parfaitement normal : comme cela a déjà été dit, Simon the Sorcerer est un jeu qui regorge de références, et Monkey Island n’est que l’une d’entre elles. En dirigeant votre jeune apprenti sorcier et son cynisme à toute épreuve, doublé d’une libido clairement plus prononcée que celle du premier Guybrush Threepwood venu, vous aurez ainsi le plaisir de trouver de nombreuses références aux contes de fées comme dans n’importe quel King’s Quest, mais cette fois lourdement parodiées : quand les trolls ne font pas grève face aux boucs, c’est Raiponce qui est en fait une truie à demi métamorphosée en femme.

On notera aussi un certain « Golem » qui vous appelle « Mon Trésor » et qui fait en fait partie d’une société de fans de Tolkien, un duel contre une sorcière tout droit sorti de Merlin l’Enchanteur, des nains outrageusement portés sur la bière qui sifflent en travaillant, sans oublier des clins d’œil appuyés au cycle de Narnia, comme lorsque vous trouvez une table de sacrifice que votre Simon vous décrira comme « utile pour raser les lions ».

Il y en a partout, dans tous les sens, et le jeu ne se prend strictement jamais au sérieux, quitte à faire intervenir un coup de fil en plein milieu de l’affrontement final. On appréciera d’ailleurs, à ce titre, que le logiciel reprenne non seulement l’interface des jeux LucasArts de l’époque, avec les verbes de commande et l’inventaire graphique, mais également leur philosophie : impossible de mourir ou d’être définitivement bloqué. Votre logique sera donc la seule arme indispensable – à condition que vous puissiez la tordre un peu au besoin, naturellement.

Si la plupart des énigmes du jeu sont, à leur manière, parfaitement logiques, il faudra également y placer l’indispensable dose d’absurdité pour espérer triompher de l’aventure – quitte à ce que Simon lui-même vous fasse remarquer que ramasser de l’or avec un aimant au bout d’une corde ne devrait pas fonctionner dans un monde plus cohérent. Si le jeu sait se montrer très drôle, il peut également se montrer parfois un peu trop bavard, et on aimerait que certains des longs échanges qui se produisent entre plusieurs interlocuteurs sans solliciter votre intervention aient la bonté de s’écourter un peu. On regrettera également une certaine dose de chasse au pixel, certains objets comme des boîtes d’allumettes, des pierres ou des brindilles étant rarement évidents à trouver au milieu des (très) nombreux écrans du jeu.

Car s’il est une autre qualité à reconnaître à Simon the Sorcerer, c’est bien l’étendue de sa surface de jeu. Loin de se cantonner à une ville, voire à une simple maison comme l’excellent Day of the Tentacle, le titre de Simon Woodroffe vous place à côté d’une gigantesque forêt placée au pied de montagnes enneigées que vous pourrez parcourir d’un bout à l’autre au sein de ce qui doit facilement représenter une bonne cinquantaine d’écrans.

Cerise sur le gâteau : les extérieurs sont absolument magnifiques. Peut-être pas au point de rivaliser avec un Legend of Kyrandia pratiquement indépassable en la matière, ni avec la patte inimitable des productions LucasArts d’alors, mais on sera surpris du soin hallucinant du détail du moindre écran, avec ces visages dessinés dans la pierre et ces multiples décors d’une poésie rare qui donnent toute sa raison d’être à la carte magique livrée en début de partie, laquelle vous permettra fort heureusement d’écourter les très nombreux aller-et-retours que vous allez devoir effectuer. Même ainsi, il arrive que l’on tourne un peu en rond, peinant à retrouver un personnage ou un site particulier au sein de cet univers ô combien ambitieux mais que l’on apprend à connaître avec une sympathie indéniable au cours de la trentaine d’heures que pourra nécessiter le jeu.

Les rares reproches que l’on puisse formuler à l’encontre d’un titre auquel on finit rapidement par s’attacher tiendraient plus à quelques point de détails de la réalisation. On regrettera, par exemple, que les cinématiques d’introduction comme de fin soient simplement réalisées avec le moteur du jeu plutôt que de nous offrir des mises en scènes plus travaillées, avec des plans de coupes, des illustrations, voire des images de synthèse, comme celles que proposait la concurrence.

La fin est également un tantinet décevante, vous privant des remerciements et des félicitations que vous étiez en droit d’attendre pour vous précipiter immédiatement dans une future suite. Mais dans l’ensemble, on est rarement déçu de l’extraordinaire promenade qui nous est offerte, et on accueille rapidement Simon au sein du panthéon des personnages marquants de l’âge d’or du point-and-click où sa place était pourtant loin d’être gagnée d’avance. Mais hé, quand on connait le personnage, on sait les miracles qu’il est capable d’accomplir simplement au culot.

Un mot enfin sur la version française du jeu, qui a le mérite d’être relativement efficace en dépit d’un certain nombre d’erreurs de débutants (« rude » en anglais ne veut pas dire « rude » en français, confusion entre « sting » et « stink », plusieurs tournures calquées sur l’anglais…). Rien de trop pénalisant pour un joueur français, heureusement, et on ne trouve heureusement pas les nombreux errements orthographiques et/ou grammaticaux des productions Sierra de l’époque. Aucune raison de bouder cette version, donc. Pour ce qui est de la version CD, elle n’ajoute rien d’autre que des doublages – en Anglais, malheureusement, ce qui n’enlève malgré tout rien à la qualité du travail, exécuté de manière très professionnelle. On appréciera quelques grands moments, comme la conversation avec les vers à bois, particulièrement efficace.

Vidéo – Quinze minutes de jeu (CD-ROM) :

Récompenses :

  • Tilt de bronze 1993 (Tilt n°121, décembre 1993) – Meilleur jeu d’aventure

NOTE FINALE : 17/20 C'est réellement un fameux tour de magie qu'a accompli Simon the Sorcerer, en parvenant à se faire un nom au cœur de la plus grande année de toute l'histoire du point-and-click. Porté par un humour à toute épreuve et une réalisation qui côtoie souvent le merveilleux, le titre de Simon Woodroffe ose tout, parfois à contre-courant des attentes de l'époque, et parvient à écrire une histoire longue, mémorable et particulièrement efficace. Lâché dans un univers hyper-référencé doté d'une véritable magie, on accompagne le jeune sorcier jusqu'au terme de son périple sans jamais ressentir la lassitude, en dépit de quelques dialogues qui tirent parfois un peu en longueur, et on l'abandonne à contrecœur tant on était prêt à l'accompagner pour une aventure de plus – ce qui sera heureusement possible grâce à Simon the Sorcerer II. Un quasi sans-faute miraculeux, et un titre à (re)découvrir d'urgence CE QUI A MAL VIEILLI : – Dialogues parfois inutilement longs – On peut vite se perdre, même avec la carte magique – Cinématiques un peu plan-plan réalisées directement avec le moteur du jeu – Fin un peu décevante

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Simon the Sorcerer sur un écran cathodique :

Les avis de l’époque :

« J’adore les Lucas et Simon est de la trempe des softs de l’éditeur américain. On baigne littéralement dans le bonheur avec une ambiance magnifique digne des meilleurs contes de fées. Le système et la réalisation sont largement à la hauteur et parfois supérieurs aux Lucas. Le seul reproche que j’aurai à faire, c’est le manque d’originalité de l’histoire. »

Michel Houng, Génération 4 n°58, septembre 1993, 89%

« Franchement, je ne pensais pas trouver de sitôt un programme capable de rivaliser avec Day of the Tentacle. Dès les premières secondes du jeu, on est sous le charme de l’animation et de la richesse des décors. Mais heureusement, Simon the Sorcerer ne se contente pas d’être un beau jeu, il a aussi du coffre. »

Jacques Harbonn, Tilt n°118, octobre 1993, 88%

Version Amiga

Date de sortie : Février 1994
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ (x9)
Contrôleur : Souris
Versions testées : Versions disquette OCS et AGA testées sur Amiga 1200
Configuration minimale : Système : Amiga 1000 – RAM : 1Mo (1,5Mo en cas d’installation sur disque dur)
Modes graphiques supportés : AGA, OCS/ECS
Installation possible sur disque dur

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (AGA) :

En 1994, Commodore n’était pas franchement au sommet de sa forme (et pour cause : la société était sur le point de faire faillite), mais cela, le joueur lambda ne le savait pas forcément. Techniquement, le bon vieil Amiga 500 commençait à être sérieusement largué face à la concurrence des consoles de salon et des PC dopés aux hormones – mais les amigaïstes convaincus avaient bon espoir que l’Amiga 1200 allait changer la donne… quand bien même la machine flambant neuve avait sans doute perdu la guerre avant même sa commercialisation.

Pour les fans de jeu d’aventure, en tous cas, pas de jaloux pour ce qui est de la version AGA : elle est graphiquement identique à la version PC. La qualité musicale n’a également pas de quoi rougir de la comparaison avec la Roland MT-32, même s’il faudra en revanche obligatoirement se passer des voix, aucune version CD n’ayant vu le jour sur Amiga 1200. On pouvait se montrer un peu plus inquiet pour la version en 64 couleurs, mais force est de reconnaître que celle-ci s’en sort beaucoup mieux que l’itération Amiga de Legend of Kyrandia.

La palette de couleurs est très bien utilisée, et même si le jeu est légèrement moins beau, il reste très agréable à l’œil. En revanche, et pour une raison mystérieuse, la moitié de l’introduction a sauté dans cette version : vous vous retrouvez donc en jeu directement après la séquence de crédits sans rien voir des causes ni du déroulement de l’arrivée de Simon dans le monde magique. C’est… surprenant, et surtout dommageable, car cela prive encore un peu plus le jeu de sa dimension cinématique. À ce détail près, le contenu du jeu est strictement identique – et il existe également en français.

NOTE FINALE : 17/20 (version AGA), 16,5/20 (version OCS/ECS)

Simon the Sorcerer livre, dans sa version AGA, une version extrêmement proche de la version parue sur disquettes sur PC – son seul défaut, en somme, étant de n’avoir jamais bénéficié d’une version doublée sur CD-ROM. La version ECS, elle, impressionne par sa qualité visuelle en dépit de la palette réduite, mais doit également composer avec une coupe malheureuse qui ne s’imposait pas vraiment.

Version Amiga CD32

Date de sortie : Juillet 1994 (Europe)
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : CD-ROM
Contrôleur : Joypad
Version testée : Version européenne
Spécificités techniques : Système de sauvegarde par mémoire interne

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Parlons peu, parlons bien. Prenez la version PC CD-ROM de Simon the Sorcerer, mettez-y la musique de la version Amiga, jouez-y au pad, et voilà ! Vous avez un portage ma foi très fidèle à la meilleure version du jeu (à quelques ratés dans la synchronisation des voix digitalisées près), même si cela n’aura visiblement pas suffi à sauver l’éphémère console de Commodore de son tragique destin. Quoi qu’il en soit, on tient là à n’en pas douter l’un des meilleurs jeux d’aventure de l’Amiga CD32 – qui n’en compte de toute façon pas beaucoup, ce qui offre encore une raison supplémentaire de ne pas laisser passer celui-là. En revanche, il n’existe à ma connaissance pas de version française du jeu dans cette version.

NOTE FINALE : 17/20

Portage extrêmement proche de la version PC CD, Simon the Sorcerer sur Amiga CD32 profite à la fois des qualités de l’AGA et de celles du support CD pour offrir une version identique à 99% à l’originale – seule la musique reprend les sonorités des versions disquette sur Amiga, mais les voix, elles, sont là et c’est bien tout ce qu’on leur demande.

Project Firestart

Développeur : Dynamix, Inc.
Éditeur : Electronic Arts, Inc.
Testé sur : Commodore 64

Version Commodore 64

Date de sortie : Mars 1989
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 5,25″
Contrôleurs : Clavier, joystick*
*Joystick obligatoire
Version testée : Version disquette
Configuration minimale : RAM : 64ko

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Comme on a déjà eu l’occasion de le voir avec Dune II dans le cas de la stratégie temps réel, ou avec Kung-Fu Master dans le cas du beat-them-all, la question des origines d’un genre est souvent sujette à débat, même dans le cas d’un domaine plus ou moins récent. Prenez le cas du Survival Horror, par exemple. Pour le commun des mortels, ce genre évoquera quelques séries japonaises ayant vu le jour sur Playstation, et dont les deux plus célèbres demeurent Silent Hill et surtout Resident Evil – souvent considéré, dans le cas de ce dernier, comme étant l’initiateur du genre.

« Faux », dira immédiatement le vieux briscard en secouant la tête, avant de brandir le titre par lequel tout le monde s’accorde à dire que tout a commencé : Alone in the Dark. La grande majorité des retrogamers affirmera qu’il a raison et que le débat est terminé… et elle aura tort. Au fond de la salle, un antique possesseur de Commodore 64 se lèvera à son tour et, devant l’assistance médusée, il lancera un jeu paru pas moins de trois ans avant le titre de Frédérick Raynal et intitulé : Project Firestart (c’est également à ce stade qu’il y aura sans doute un troisième convive pour débarquer avec une copie de Zombi, paru encore trois ans plus tôt, et démarrer un sanglant combat de cannes et de déambulateurs, mais ce n’est pas le sujet qui nous intéresse aujourd’hui).

Le jeu vous place en 2061, aux commandes d’un dénommé Jon Hawking. La station de recherche Prometheus (un nom ô combien prophétique pour la saga Alien !) ne répond plus. Sachant que son personnel de recherche travaillait sur un projet de manipulation génétique en vue de créer un nouveau type de travailleur capable d’extraire de l’iridium et du titane dans les environnements les plus hostiles, tout le monde se doute bien que quelque chose a dû mal se passer. Et c’est à vous que va revenir la mission d’aller enquêter et de faire le ménage…

Pour cela, vous déplacerez votre héros, d’ailleurs très bien animé, au sein de la gigantesque station de recherche. Vous pouvez vous déplacer au joystick, le seul bouton vous permettant, selon la situation, d’utiliser votre laser, de ramasser un objet, d’utiliser un levier ou un ordinateur, d’ouvrir une porte, de ramasser un médikit… Bref, même si l’inventaire et le menu de sauvegarde sont placés sur le clavier, on ne pourra qu’admirer la simplicité de l’interface qui a l’intelligence de s’adapter à la situation plutôt que de mettre à votre disposition, comme c’était à la mode à l’époque, une vingtaine de fonctions utilisant la moitié des touches du clavier dont la plupart ne seraient amenées à servir qu’une seule fois dans la partie. Non, ici on trouve rapidement ses marques, et c’est en se plaçant très rapidement dans la peau de notre mercenaire qu’on descend de notre navette pour partir explorer Prometheus.

Inutile de dire que le véritable personnage principal du titre de Dynamix, c’est bien cette station tentaculaire que l’on va parcourir pendant de nombreuses heures. Autant d’ailleurs en profiter pour aborder une autre des très nombreuses qualités du jeu : sa réalisation. Déjà en 1989, il était rare qu’on se montre impressionné par les graphismes d’un jeu sorti sur Commodore 64, le valeureux ordinateur 8 bits évoluant depuis quelques années dans l’ombre de l’Atari ST et surtout de l’Amiga.

Mais on ne peut qu’être soufflé par le soin apporté au design de Prometheus : loin d’aligner les pièces génériques clonées jusqu’à la nausée, Project Firestart dévoile au contraire une base très intelligemment conçue, avec non seulement ses long couloirs avec vue sur l’espace, ses systèmes d’énergie, son centre de contrôle, son armurerie, ses laboratoires, mais aussi sa cantine ou son terrarium. Parcourir des environnements aussi variés et aussi détaillés dans un jeu ne pesant que quelques dizaines de kilo-octets est un excellente surprise, et concourt énormément au plaisir qu’on prend à explorer la station et à annoter la carte fournie avec le jeu.

Mais là où Project Firestart est réellement impressionnant, toutefois, c’est par l’incroyable modernité de sa mise en scène. On a déjà détaillé sur ce site les prétentions cinématiques de Delphine Software à la sortie des Voyageurs du Temps, d’ailleurs paru le même mois, en Octobre 1989. Mais rétrospectivement, quel dommage que le jeu d’aventure français ait attiré toute la lumière sur lui (sans doute en grande partie par chauvinisme) quand on constate à quel point le titre de Dynamix n’a strictement rien à lui envier de ce côté-là.

À peine arrivée dans la base, gros plan sur un corps mutilé qui a eu le temps de tracer « DANGER » avec son propre sang… Ce genre de scènes cinématiques – justement – était extrêmement novateur dans ce qui ressemblait à un jeu d’action avec un point de vue fixe – comme tous les jeux d’action de l’époque. Mais on constatera, au fil de l’aventure, qu’on pourra assister à des scènes se passant à d’autres endroits dans la base, communiquer par radio, se retrouver plongé dans le noir parce que quelqu’un a coupé le courant… Non seulement c’était révolutionnaire à l’époque, mais on y croit encore largement à fond !

L’histoire, très inspirée de celle d’Alien, reprend à dessein tous ce qui n’était pas encore qu’une suite de poncifs à l’époque, et aura bien du mal à surprendre quiconque aujourd’hui. Mais on ne pourra qu’être admiratif en réalisant que l’histoire est déjà contée par le biais de messages informatiques à dénicher dans les différents ordinateurs de la station – inaugurant ainsi un principe qui sera popularisé par System Shock cinq ans plus tard – et, bien plus loin encore, par la série des BioShock !

Encore plus fort : le jeu trouve même le moyen d’impliquer d’autres personnages, une éventuelle mission d’escorte, et plusieurs fins en fonction de vos actions – en 1989 ! De fait, les possibilités sont tellement bluffantes qu’on a parfois l’impression de jouer à une sorte de « demake » de Dead Space réalisé par des fans au XXIe siècle, mais non, tout était déjà là en 1989 et il est presque incroyable que le jeu ne soit pas cité plus régulièrement comme une source d’inspiration majeure par tous les développeurs de Survival Horror.

Même aujourd’hui, même pour un joueur n’ayant jamais touché de sa vie à un Commodore 64, il y a quelque chose de profondément fascinant dans l’ambiance distillée par Project Firestart. Tandis qu’on parcourt les coursives en trouvant des scènes de meurtre un peu partout, on ressent la saisissante solitude de notre héros louvoyant constamment entre la claustrophobie de ces couloirs froids où un monstre vous observe peut-être, et l’agoraphobie angoissante de ces paysages stellaires que vous pourrez admirer au gré des grandes baies vitrées. Il y a quelque chose de quasi-magique, une peur viscérale enfouie au plus profond de nous, fonctionnant même avec quelques pixels et un peu d’imagination, et qui donne clairement envie de jouer dans le noir au beau milieu de la nuit.

Certes, les grandes lignes de l’aventure sont prévisibles, certes, les combats sont assez frustrants, certes on va sans doute beaucoup mourir avant de commencer à comprendre ce qu’on attend de nous – mais cela fonctionne si bien qu’on y revient avec un plaisir qui ne peut qu’interpeller un gamer blasé qui pensait n’avoir plus rien à découvrir dans l’univers du jeu vidéo. Sans doute la marque d’un de ces petits miracles qui se produisent si rarement: un titre exceptionnel, impressionnant par sa modernité, injustement oublié par le commun des mortels. Essayez-le, et vous pourriez découvrir un de ces voyages temporels qui vous renvoient à ce petit frisson qu’on ressentait parfois, lorsqu’on était enfant, face à un grand jeu qui allait nous changer à jamais.

Vidéo – Dix minutes de jeu :

NOTE FINALE : 17/20 Avec le recul, difficile de comprendre pourquoi Project Firestart n'a pas inscrit son nom en lettres d'or au sommet de la légende vidéoludique – tout juste pourra-t-on hasarder qu'il est sorti de manière trop confidentielle sur une machine qui avait déjà basculé dans l'ombre des ordinateurs 16 bits. Mais quelle injustice ! Titre visionnaire surprenant par son extraordinaire modernité, expérience cinématique de pointe à une époque où le terme n'avait pas cours même dans les jeux d'aventure, le jeu imaginé par Jeffrey Tunnell est une claque sans aucun équivalent ni sur Commodore 64 ni dans toutes les années 80, une sorte de Dead Space réalisé avec vingt ans d'avance. Bien sûr, la jouabilité est encore assez primitive, mais jamais encore on n'avait rencontré une atmosphère aussi prenante dans un jeu vidéo, ce sentiment fascinant de parcourir un film fantastique à la Alien dont on serait le héros, au point de se sentir viscéralement perdu au cœur d'une station spatiale au milieu de la nuit. Un logiciel à redécouvrir d'urgence. CE QUI A MAL VIEILLI : – Combats très basiques – on tire ou on fuit – Scénario sans surprise – Un peu court

Les avis de l’époque :

« Ce qui est particulièrement séduisant dans ce programme, c’est l’ambiance très oppressante qui s’en dégage. On s’y croirait ! Les amateurs de science-fiction retrouveront avec plaisir l’atmosphère des grands films du genre, comme Alien. […] Project Firestart est un programme envoûtant dont on ne risque pas de se lasser de sitôt. »

Alain Huyghues-Lacour, Tilt n°70, Octobre 1989, 18/20

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Project Firestart sur un écran cathodique :

Maupiti Island

Développeur : Lankhor
Éditeur : Lankhor
Testé sur : Atari STAmigaPC (DOS)

Les enquêtes de Jérôme Lange :

1 – Le Manoir de Mortevielle (1986)
2 – Maupiti Island (1990)

Version Atari ST

Date de sortie : Mars 1990
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ simple face (x2)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette française testée sur Atari 1040 STe
Configuration minimale : Système : 520 ST – RAM : 512ko

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Janvier 1954. À bord du Brisban, yacht égaré au milieu de l’Océan Indien, le détective Jérôme Lange fait route vers le Japon depuis Madagascar. Le 30 janvier, dans la soirée, une tempête est annoncée ; le navire doit faire escale sur l’île de Maupiti. Le 31, à neuf heures du matin, une certaine Maguy frappe à la porte de la cabine du détective : une jeune femme nommée Marie a été enlevée au cours de la nuit. Jérôme accepte de se pencher sur l’affaire avant de repartir pour le Japon : il aura devant lui 36 heures pour faire la lumière sur le sort de la dénommée Marie et sur le rôle qu’ont pu jouer les neuf personnes qui se trouvent sur Maupiti à ce moment. Une île paradisiaque… avec sa part d’ombre.

« Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette fameuse ambiance est très bien rendue, notamment grâce à une réalisation particulièrement réussie »

Quatre ans après Le Manoir de Mortevielle, Lankhor remet donc le couvert, bien décidé à offrir à son détective maison une autre enquête digne de son rang. On retrouve donc une nouvelle fois Jérôme Lange, mais aussi l’interface et les mécanismes qui avaient aidé au succès de sa première aventure graphique. Mais le cadre du jeu fait également le choix de s’éloigner des ambiances de vieux manoirs à la Agatha Christie : fini, la neige et les chambres cossues du premier épisode ; place à la moiteur tropicale, au ressac des eaux turquoises, aux cultes païens et à l’ambiance coloniale.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette fameuse ambiance est très bien rendue, notamment grâce à une réalisation particulièrement réussie pour un titre de 1990. À une période où la concurrence s’intitulait Loom ou The Secret of Monkey Island – excusez du peu ! – on ne peut malgré tout qu’être soufflé par les graphismes du jeu, qui donnent le sentiment de jouer dans une toute autre catégorie. Le moindre écran fourmille de détails et distille une atmosphère absolument fascinante, entres les nombreuses animations, les teintes de couleurs qui évoluent selon l’heure du jour ou de la nuit, ou encore les cris d’animaux sauvages et les craquements de la coque, le bruit des vagues dans le lointain… Car il faut souligner que la réalisation sonore est à l’avenant : on a très rapidement le sentiment d’évoluer sur une véritable île tropicale, que l’on va d’autant mieux apprendre à connaître qu’il faudra une nouvelle fois apprendre à mettre son nez absolument partout, à toute heure du jour ou de la nuit.

Les possibilités déjà copieuses offertes par l’interface du premier épisode ont en effet encore été gonflées. Il vous sera ainsi possible de vous cacher pour observer discrètement une situation pas claire, de suivre un personnage, voire de le passer à tabac. Mais vous pourrez également faire le choix de mémoriser jusqu’à huit phrases précises lors des conversations afin de les utiliser pour contredire les affirmations d’un de vos interlocuteurs, ou bien montrer des objets glanés sur les très nombreux endroits à visiter.

Autant dire, d’ailleurs, que tout ceux qui auront passé des heures à retourner le moindre bout de tapis du manoir de Mortevielle seront aux anges : la fonction « observer » intègre cette fois une loupe, qui vous aidera à distinguer des détails qui étaient impossibles à distinguer sur la vue normale. Il sera donc tout à fait possible – et souvent hautement nécessaire – de scruter le moindre pli, la plus infime cachette, du dos des tableaux jusqu’aux lattes de plancher mal fixées, afin d’espérer glaner petit à petit les centaines d’informations qui vous aideront à comprendre ce qui s’est passé. Attendez-vous à y passer des semaines, et à devoir recommencer le jeu à de très nombreuses reprises : il y a tout simplement trop de choses pour pouvoir espérer tout comprendre dès votre première partie, ou même à la dixième, et pour compliquer encore un peu la donne, certains lieux changent selon l’horaire de la journée (ah, les marées…) et la situation évolue au fur et à mesure de la partie !

« Les suspects sont devenus bien plus bavards, ce qui permet de profiter une nouvelle fois du très bon système de synthèse vocale »

Car non seulement vous pouvez tout à fait laisser la vie sur Maupiti Island, mais vous pourriez également vous retrouver avec un ou plusieurs morts sur les bras, ce qui fait que mener l’enquête jusqu’à sa conclusion risquera de vous demander de maîtriser à la perfection non seulement la personnalité et les contradictions des différents personnages, mais également de tenir un véritable registre de leurs allées-et-venues. Et bien évidemment, vous pourrez une fois de plus compter sur votre lot de passages secrets, de messages codés, de sous-texte politique et de références musicales.

L’excellent système de dialogue du premier épisode est heureusement toujours de la partie, et lui aussi s’est étoffé au passage. Les sujets à couvrir sont si nombreux qu’ils ont été répartis entre plusieurs thématiques, et de nouvelles questions viendront apparaître au fur et à mesure de vos découvertes.

« On se prend très vite au jeu, et on a rapidement envie de consacrer à cette île beaucoup plus que les 36 heures qu’y accorde Jérôme Lange. »

Cette fois, les différents protagonistes (superbement représentés, au passage) ne choisiront plus de vous envoyer paître au bout de quatre ou cinq questions : les suspects sont devenus bien plus bavards, ce qui permet de profiter une nouvelle fois du très bon système de synthèse vocale – enfin accompagné par défaut du texte écrit, ce qui permet aux interrogatoires de gagner en clarté et en confort. En revanche, fouiller partout en présence d’autres personnages ou même aller importuner les gens chez eux risque toujours de vous valoir des ennuis, sans même parler des recours les plus extrêmes, comme d’aller tabasser quelqu’un devant témoin ! Il faudra une nouvelle fois savoir attendre le bon moment pour aller mettre votre nez dans certaines affaires, et il pourra même être malin de regarder quelles fenêtres sont allumées la nuit pour être sûr de débarquer dans une pièce vide pour pouvoir fouiner tranquillement.

On se prend très vite au jeu, et on a rapidement envie de consacrer à cette île beaucoup plus que les 36 heures qu’y accorde Jérôme Lange. Si l’on est au début quelque peu perdu au milieu de tous ces personnages et de toutes ces données à intégrer (prise de notes obligatoire !), on finit par se fondre dans le décor, à retenir les petites histoires personnelles, les parcours de vie, les rancœurs, les aigreurs et les jalousies, et on s’émerveille également de réussir à trouver de nouveaux détails à chaque partie.

Si l’île de Maupiti semble vite visitée lors des premiers essais, on réalise après coup qu’il existe des dizaines d’endroits qui demandent de chercher un peu plus loin que le menu de déplacement ou que les portes bien en évidence. Surtout, comme on l’a vu, la quantité d’indices ou d’éléments en rapport avec l’histoire qu’il est possible de dénicher est proprement hallucinante. Toujours, on revient à la charge, et on trouve tantôt une pierre descellée sous laquelle est cachée une boule d’opium, tantôt une balle de pistolet, tantôt une mèche de cheveu ou une photo qui nous avait échappée jusqu’ici – sans jamais savoir à quel point ce que l’on vient de découvrir est un élément crucial ou une fausse piste. Le titre est très exigeant, à sa manière, et chacun pourra le résoudre en ayant suivi des trajets totalement différents. C’est un vrai jeu d’enquête avec tout ce que cela implique, et quand on voit à quel point la magie opère encore, on ne peut que regretter que les aventures du détective de Lankhor aient tourné court avant de donner lieu à un troisième épisode, à cause d’un accident nommé Black Sect. Mais ceci est une autre histoire…

Vidéo – Les dix premières minutes du jeu :

Récompenses :

  • Tilt d’or 1990 (Tilt n°85, décembre 1990) – Meilleur jeu d’aventure
  • Tilt d’or 1990 (ibid.) – Nommé dans la catégorie « Meilleur graphisme »

NOTE FINALE : 17,5/20 Si jamais vous avez toujours souhaité endosser le costume de Philip Marlowe ou d'Hercule Poirot, Maupiti Island est peut-être la concrétisation d'un de vos plus vieux rêves. Oubliez toutes les ficelles vues et revues du point-and-click : la deuxième enquête de Jérôme Lange vous demandera d'arpenter chaque centimètre de l'île et d'en connaître chacun des habitants sur le bout des doigts, au point d'être capable d'établir son emploi du temps heure par heure. La tâche est éprouvante, colossale, dantesque, tant chaque écran regorge de petits détails, de lettres, d'indices et d'anecdotes dont le simple fait d'établir la pertinence sera déjà une quête en soi. Riche en sous-intrigues et en éléments intimes, politiques ou passionnels, l'enquête que vous devrez résoudre nécessitera un esprit affuté et un investissement sur le long cours, et il faudra être bon, très bon, pour en voir le terme. Si vous êtes prêt à ne vivre qu'avec un carnet de notes pour établir la vérité à la force de déductions logiques, le titre de Lankhor est certainement de ceux qui vous feront marmonner dans un soupir : « Quel dommage qu'on ne fasse plus de jeux comme celui-là... » CE QUI A MAL VIEILLI : – C'est vraiment dur – Plusieurs énigmes qui demandent de se trouver à un endroit précis à un moment donné – La pression du temps à gérer, et l'état de forme de Jérôme par-dessus le marché ! – Certains indices pratiquement impossibles à trouver sans passer chaque écran au peigne fin centimètre par centimètre

Version Amiga

Développeur : Lankhor
Éditeur : Lankhor
Date de sortie : Juillet 1990
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ (x2)
Contrôleur : Souris
Version testée : Version disquette française testée sur Amiga 600
Configuration minimale : Système : Amiga 1000 – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : OCS/ECS

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Ce qui tourne sur un Atari ST est normalement capable de tourner à l’identique sur un Amiga 500, et ce n’est pas ce portage de Maupiti Island qui permettra d’affirmer le contraire. Les choses auront le mérite d’aller vite : c’est, dans l’absolu, très exactement le même jeu que sur Atari ST, et je serais même tenté de dire « au pixel près ». La réalisation sonore étant déjà irréprochable sur la machine d’Atari, il n’y a pas raison d’espérer ici des jingles plus marquants ou une synthèse vocale plus travaillée, mais juste un très bon jeu – ce qui tombe bien, car c’est précisément le cas ici.

NOTE FINALE : 17,5/20

Aucune déception du côté de la version Amiga de Maupiti Island, qui livre une prestation identique à celle qu’on avait pu observer sur Atari ST. C’est toujours aussi beau, c’est toujours aussi prenant – à acquérir les yeux fermés.

Version PC (DOS)

Développeur : Guillaume Genty
Éditeur : Lankhor
Date de sortie : Décembre 1991
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Supports : Disquette 5,25″ et 3,5″ (x2)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette française émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 80286 – OS : PC/MS-DOS 2.0 – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : Amstrad, CGA, EGA, Hercules, Tandy/PCjr, VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, haut-parleur interne, Sound Blaster

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Comme on le sait, en 1991, le PC commençait à vivre un changement de statut. La machine d’IBM, qui avait longtemps été à la traîne sur le plan vidéoludique – au point de peiner à rivaliser même avec des ordinateurs 8 bits – était soudain de train de devenir plus puissante que les deux machines qui avaient écrasé la fin des années 80, à savoir l’Amiga et l’Atari ST. Restait, bien sûr, à avoir envie de développer une adaptation tirant spécifiquement parti des capacités techniques de modèles certes puissants, mais que leur prix réservait à un public fortuné. Bonne surprise, donc, que cette adaptation, qui décide de réellement utiliser le matériel disponible du PC… ou presque.

Graphiquement, le jeu, on l’a dit, se situait clairement dans le haut du panier au moment de sa sortie. Lankhor ne s’y est pas trompé, en prenant le soin de développer des graphismes adaptés pour toutes les cartes de l’époque. En VGA, le jeu dame clairement le pion des versions Amiga et ST : non seulement c’est bien plus coloré, mais c’est aussi beaucoup plus riche en détails. Admirez la maison de Maguy, ci-dessus : par moment, on a presque l’impression de regarder une photo digitalisée. Tous les écrans ont été patiemment redessinés, enrichis, détaillés – c’est absolument superbe. Pour ne rien gâcher, les personnages eux aussi ont été recréés, et changent de visage pour l’occasion. C’est pratiquement un autre jeu ! Et en plus, le titre a même le bon goût de ne pas se transformer en musée des horreurs si on joue dans les autres modes graphiques : en EGA, c’est toujours très joli (il faut dire que le programme passe alors en haute résolution), et les graphismes basculent en nuances de gris en CGA afin de ne pas souffrir des teintes horribles du cyan-magenta-jaune-noir ! Seule petite déception de ce côté-là, en revanche : dans n’importe quel mode, toutes les animations ont disparu. C’est dommage, car elles concouraient réellement à l’ambiance du titre – et surtout, à son côté vivant. Mais ce n’est pas à ce niveau, hélas, que se situe la vraie déception.

Du côté sonore, passé le thème musical de l’écran-titre, c’est pour ainsi dire le calme plat. Oh, je vous rassure, la synthèse vocale est toujours là… Mais les sons d’ambiance ? Les petits jingles ? Tout ce qui venait dynamiser l’action et contribuer à l’aspect vivant du jeu ? Pfuuuit, poubelle. Quelle que soit votre carte sonore, attendez-vous à passer l’essentiel de la partie dans un silence de mort. Ça, c’est un vrai coup dur, car ce qui aurait pu être la version définitive du jeu s’avère en fin de compte amputé d’une partie de ce qui faisait tout le sel de l’aventure. Ce qui fait qu’en dépit de sa réalisation graphique très agréable, on préfèrera néanmoins parcourir Maupiti Island sur Amiga ou Atari ST.

NOTE FINALE : 17/20

Maupiti Island est nettement plus beau sur PC que sur Amiga ou Atari ST, c’est indéniable. Mais cela justifiait-il autant de sacrifices ? Supprimer les animations ressemble à un accès de fainéantise, mais ce n’est pas trop grave; supprimer les sons d’ambiance, les jingles et tout ce qui rendait le jeu incroyablement vivant au lieu de le limiter à une accumulation de tableaux fixes, en revanche, est réellement un prix trop cher à payer pour quelques détails graphiques en plus. Le jeu est heureusement toujours aussi bon, mais si vous avez une autre version sous la main, mieux vaut peut-être la privilégier à celle-ci.

Bonus – Les différents modes graphiques sur PC :

Pour tous les nostalgiques de cette époque où développer sur PC signifiait (déjà) imaginer un jeu pour des dizaines de configuration différentes, voici un petit exemple de ce que pouvait offrir un titre s’efforçant de gérer tous les modes graphiques de la période :

Mortville Manor

Développeur : Lankhor
Éditeur : Lankhor
Titres alternatifs : Le manoir de Mortevielle (écran-titre –  Atari ST), Le manoir de Mortvielle (écran-titre – Amiga, Amstrad CPC, PC), Der Landsitz von Mortville (Allemagne)
Testé sur : Atari STAmigaAmstrad CPCPC (DOS)
Version non testée : Sinclair QL

Les enquêtes de Jérôme Lange :

1 – Le Manoir de Mortevielle (1986)
2 – Maupiti Island (1990)

Version Atari ST

Date de sortie : Septembre 1987
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ simple face (x2)
Contrôleur : Souris
Version testée : Version disquette française testée sur Atari 520 STf
Configuration minimale : RAM : 512ko – Écran couleur

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Connaissez-vous Jérôme Lange ? Hélas, difficile de vous en vouloir si vous avez répondu par la négative. Tout le monde se souvient des Marlowe, des Maigret, des Chandler ou même des Burma… Mais ces grands détectives, à leur manière, ont accédé depuis longtemps à l’immortalité. Lange, lui, dans un univers vidéoludique parfois plus violent que les plus sombres des ruelles de Chicago, aura été déclaré disparu tandis qu’il s’embarquait pour le Japon. Et pourtant, ses deux premières enquêtes auront laissé des souvenirs à une génération de joueurs, dans l’esprit de qui résonnent encore ces mots : « Février 1951. Profession : détective privé. Le froid figeait Paris et mes affaires lorsque… »

Vous voici dans la peau de Jérôme Lange, qui vient de vous dévoiler son activité.  Une lettre de votre vieille amie Julia vous pousse à vous rendre au manoir de Mortevielle, pour une raison qui ne vous est pas exposée. Un lieu ancien, et chargé de souvenirs… Mais l’heure n’est pas venue de les évoquer : à peine arrivé sur place, vous apprenez que Julia est morte. Une tempête de neige bloquant désormais les routes, vous devrez enquêter sur les lieux, interroger les dix personnes présentes, et chercher à comprendre pourquoi votre amie tenait à vous faire venir ici. Mieux vaudra apprendre à vous faire discret, malgré tout : personne n’aime les gens qui posent des questions sans y avoir été invités, et encore moins les fouineurs.

Le premier titre du jeune studio de Lankhor avait à l’origine été programmé sur Sinclair QL, une machine si confidentielle à l’échelle de la France que je serais surpris que de nombreux lecteurs en aient déjà entendu parler (cette version s’est d’ailleurs si mal vendue qu’il n’en existe à l’heure actuelle aucun dump en français et qu’on pense même que cette version originale est perdue à tout jamais !). C’est néanmoins à partir de la version ST que cette première enquête de Jérôme Lange acquerra ses lettres de noblesses, grâce à un ajout extrêmement novateur… sur lequel je m’étendrai un peu plus tard. Pour l’heure, vous aurez sans doute remarqué que j’ai employé plusieurs fois le mot « enquête », et que je n’ai pas parlé à un seul instant de « jeu d’aventure ». Mortville Manor répond en effet à des mécanismes qui ne sont pas ceux du jeu d’aventure classique, et afin de bien comprendre de quoi il résulte, mieux vaut prendre le temps de commencer par s’attarder sur l’interface du jeu, très novatrice pour l’époque.

Pourquoi ? Eh bien déjà parce qu’à une époque où la ligne de commande était encore reine dans le monde de l’aventure graphique, on sera heureux de pouvoir jouer au titre de Bernard Grelaud et Bruno Gourier intégralement à la souris. Une série de menus déroulants en haut de l’écran vous permettra d’accéder au contenu de votre inventaire, de choisir où vous déplacer, de vous adresser à une des personnes présentes avec vous ou tout simplement d’agir par le biais d’une liste de verbes d’action extrêmement copieuse comprenant plus d’une vingtaine de termes !

« En cas de conversation, vous pourrez profiter d’un portrait animé de votre interlocuteur, et surtout d’une des plus grandes innovations de l’époque : la synthèse vocale »

Il sera ainsi possible de prendre un objet ou d’observer quelque chose, bien sûr, mais également de frapper, de gratter, de sonder, de tourner ou de sentir… Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est exhaustif ! Si la plus grande partie de la fenêtre de jeu sera consacrée à la représentation du lieu où vous vous trouvez – ce qui était encore loin d’être une évidence en 1987 – plusieurs autres informations utiles sont également disponibles sur la droite de l’écran : les gens présents dans la même pièce que vous – car, non, il ne seront pas représentés visuellement sur l’aire de jeu – l’ambiance qui règne (il sera peut-être plus difficile de pousser quelqu’un à vous répondre lorsque l’atmosphère est lourde), et également une pendule qui vous dévoilera l’heure, celle-ci ayant une importance puisque toute la population du manoir suit sa propre vie sans rester en permanence à votre disposition : il y a des heures de repas, des heures d’office à la chapelle, et si vous cherchez à interroger quelqu’un en particulier, vous risquez d’avoir à chercher un peu – d’autant plus que vous pouvez visiter non seulement l’intégralité du manoir, mais également ses environs.

En cas de conversation, vous pourrez profiter d’un portrait animé de votre interlocuteur – encore très rudimentaire, mais c’était déjà bluffant pour l’époque – d’une liste de sujets particulièrement fournie, et surtout d’une des plus grandes innovations de l’époque : la synthèse vocale. Pensez à monter le son : bien avant le support CD et les voix digitalisées, on avait trouvé un moyen pour que les personnages s’adressent à vous de vive voix.

Pour l’époque, c’était extraordinaire – il était exceptionnel d’entendre un jeu vidéo s’adresser à vous directement. En revanche, pour le joueur contemporain, qui aura surtout l’occasion de découvrir l’ancêtre rudimentaire de Siri, il sera sans doute nécessaire de faire répéter plusieurs fois les personnages, car ce qu’ils cherchent à articuler ressemblera parfois à de la bouillie sonore, et aucun des dialogues du jeu n’est affiché sous forme de texte par défaut. Question d’habitude à prendre, dira-t-on.

Le truc, c’est que bombarder tout le monde de questions en fouillant toutes les pièces à la vue de tous est une très, très mauvaise idée – une de celle qui devrait vous mener à un game over en un temps record.

« Ne vous attendez pas à terminer le jeu dès votre première partie : c’est rigoureusement impossible »

Si j’ai insisté aussi lourdement sur le fait que Mortville Manor était un jeu d’enquête, c’est aussi parce que des méthodes devenues banales dans l’univers du point-and-click, comme de ramasser tout ce qui traine et d’épuiser tous les sujets de conversation, n’auront pas cours ici. Si la plupart des personnages accepteront sans difficulté de répondre à quelques questions, ils finiront rapidement par s’agacer que vous les cuisiniez pendant de longues minutes. Et quitte à mener votre enquête en ouvrant les tiroirs ou en allant visiter les chambres, ayez au moins la présence d’esprit de le faire quand personne n’est dans la pièce avec vous…

Ne vous attendez pas à terminer le jeu dès votre première partie : c’est rigoureusement impossible. En fait, tout l’intérêt de l’enquête va précisément être, au fil de vos parties, d’accumuler suffisamment d’informations pour comprendre ce qui est en jeu, et pas simplement d’enchainer une suite de décisions pour arriver devant un écran de fin. Pour peu que vous disposiez d’une solution, l’enquête peut même être résolue en visitant cinq pièces et en accomplissant à peine une dizaine d’actions.

« Plus vous arpenterez les caves et les greniers, plus vous apprendrez à connaître chaque invité comme s’il s’agissait d’un membre de votre propre famille, plus le jeu sera prenant »

Le seul problème, c’est que vous ne comprendriez alors rien à tout le processus logique qui était censé vous amener jusque là. L’intérêt de l’histoire est précisément qu’elle pourra vous occuper pendant un sacré bout de temps, entre des parchemins à déchiffrer, des énigmes mettant en jeu des portées musicales, les jours de la semaine et les intérêts plus ou moins cachés de chacun des protagonistes. Le jeu est réellement difficile, mais son principal intérêt provient précisément du fait que la récompense sera exactement à la hauteur de l’énergie que vous aurez déployé à le résoudre. Plus vous arpenterez les caves et les greniers, plus vous apprendrez à connaître chaque invité comme s’il s’agissait d’un membre de votre propre famille, plus le jeu sera prenant. À l’inverse, errez sans but en faisant n’importe quoi et en ne notant rien et vous risquez vite de vous sentir perdu, l’étendue absolument délirante des possibilités offertes par la très copieuse liste de verbes interdisant de résoudre quoi que ce soit en épuisant méthodiquement les actions proposées sur chacun des lieux ou des objets du programme. Autant vous y préparer : la logique, et la logique seule, sera votre arme… avec parfois, il faut bien le reconnaître, un peu de chasse au pixel.

En effet, malgré son caractère novateur, il faut bien reconnaître que l’interface du jeu n’est pas toujours très intuitive. Même en sachant parfaitement ce que l’on cherche à faire, il faudra parfois tâtonner un peu pour trouver une cache ou une ouverture représentant une espace minuscule à l’écran, et utiliser un objet demandera également un peu de pratique, puisqu’il faudra absolument le tenir en main au préalable, et que la manœuvre n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le penser.

Il faudra probablement quelques parties pour prendre ses marques, en composant au passage avec une réalisation sympathique mais quelque peu datée, avant de réellement commencer à se sentir dans la peau de Jérôme Lange. Mais acceptez de faire cet effort, et vous pourriez alors avoir une très bonne surprise, car l’enquête, en dépit de quelques zones d’ombre assez frustrantes, peut vite se montrer très prenante. Suffisamment, d’ailleurs, pour que vous puissiez avoir envie d’accompagner notre détective jusqu’à Maupiti Island, mais ceci est une autre histoire…

Vidéo – Dix minutes de jeu :

Récompenses :

  • Tilt d’or 1987 – Meilleur logiciel d’aventure
  • Tilt d’or 1987 – Meilleur bruitage

NOTE FINALE : 15/20

L'une des principales originalités de Mortville Manor (mieux connu sous le nom affiché à l'écran-titre : Le Manoir de Mortevielle) est d'être un jeu d'enquête – un véritable jeu d'enquête. Oubliez les énigmes à base d'associations d'objets, les inventaires remplis de bizarreries ayant toutes une fonction ou la kleptomanie en rigueur dans les aventures graphiques : ici, vos meilleures armes seront un carnet de notes et votre jugeote, pour faire la lumière par vous-même dans un titre qui ne le fera jamais à votre place. L'interface intégralement à la souris a heureusement mieux vieilli que les lignes de commande, et la synthèse vocale confère encore un charme indéniable à une enquête qui reste relativement unique en son genre - sa suite directe exceptée. Tentez votre chance pour accompagner Jérôme Lange à la recherche de la vérité sur la mort de son amie Julia ; vous pourriez être très agréablement surpris.

CE QUI A MAL VIEILLI :

– La synthèse vocale, c'est sympa, mais ce n'est pas toujours très facile de comprendre ce que vous disent les autres invités
– On aurait sans doute pu disposer d'une interface plus conviviale si on ne devait pas jongler avec plus d'une vingtaine de verbes
– Graphiquement, le jeu fait son âge

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Mortville Manor sur un écran cathodique :

Version Amiga

Développeur : Alex Livshits
Éditeur : Lankhor
Date de sortie : 1988
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″
Contrôleur : Souris
Version testée : Version disquette française testée sur Amiga 1200
Configuration minimale : Système : Amiga 1000 – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : OCS/ECS

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Après s’être fait un nom sur Atari ST, Mortville Manor aura débarqué sur Amiga… en changeant au passage encore de titre, puisqu’il perd le premier « e » de « Mortevielle ». Peut-être une étourderie due à Alex Livshits, le responsable du portage du jeu ? Sans doute pas, car le titre ne récupèrera pas cette lettre manquante dans les autres portages. Toujours est-il que cette adaptation semble bien décidée à profiter du temps écoulé pour être un peu plus fignolée : on assiste par exemple pour la première fois à l’apparition d’un écran annonçant la série « Mystère » qui perdurera jusqu’à Maupiti Island, ainsi qu’à un portrait de Jérôme Lange rappelant furieusement Humphrey Bogart sur l’écran-titre. L’interface du jeu a été légèrement réorganisée, elle n’apparait désormais que lorsqu’on presse le bouton droit, et elle est bien plus colorée – tout comme la plupart des écrans du jeu, qui ont également souvent gagné en détails. Pour ne rien gâcher, la synthèse vocale est également un peu plus propre – les qualités sonores de l’Amiga aidant sans aucun doute à ce niveau – et les dialogues sont un peu plus compréhensible. Bref, c’est la même chose, mais encore en un peu mieux.

NOTE FINALE : 15,5/20

Assuré avec sérieux, le portage du Mortville Manor sur Amiga ne se sera pas contenté de reprendre à l’identique la version Atari ST, mais en aura profité pour proposer des graphismes plus colorés, une interface peaufinée et une qualité sonore supérieure. On aurait tort de se plaindre, d’autant plus que cela constitue autant de raisons supplémentaires de (re)découvrir ce très bon jeu.

Version Amstrad CPC

Développeur : Frédéric Carbonero
Éditeur : Lankhor
Date de sortie : 1988
Nombre de joueurs : 1
Langues: Anglais, français
Supports : Cassette, disquette 3″
Contrôleurs : Clavier, joystick
Version testée : Version disquette française testée sur Amstrad CPC 6128 Plus
Configuration minimale : Système : 464 – RAM : 64ko

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

On ne saura peut-être jamais pourquoi les développeurs français étaient ceux qui savaient tirer le meilleur de la machine d’Amstrad. Une seule chose est sure : ce n’est pas cette adaptation de Mortville Manor qui viendra prouver le contraire ! En effet, la réalisation graphique est une nouvelle fois de haute volée, au point de n’avoir pas à rougir de la comparaison avec les versions 16 bits. Bien sûr, la résolution est moins fine, mais les écrans sont très bien composés, et on retrouve immédiatement l’ambiance si particulière du jeu. La vraie claque, cependant, vient du côté du son : la qualité est quasi-équivalente à ce qu’on a pu entendre sur ST (à un léger souffle près) ! Même le (court) thème musical est livré à l’identique, c’est vraiment du très beau boulot. À noter que tous les dialogues apparaissent cette fois avec le texte pour les accompagner, vous n’aurez donc aucune excuse pour ne pas parvenir à mener votre enquête. Sans hésitation un des tout meilleurs jeux d’aventure du CPC.

Voilà ce qu’on peut appeler une version irréprochable

NOTE FINALE : 14/20

Les joueurs CPC, encore trop souvent habitués aux versions au rabais, pourront jubiler en découvrant ce superbe portage de Mortville Manor, si parfaitement réalisé qu’il n’a pour ainsi dire presque aucune raison de nourrir des complexes face à la version ST ! Un titre majeur de la ludothèque de la machine d’Amstrad.

Version PC (DOS)

Développeur : Clément Roques
Éditeur : Lankhor
Date de sortie : 1988
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Supports : Disquette 5,25″ et 3,5″
Contrôleur : Souris
Version testée : Version disquette française émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 8088/8086 – OS : PC/MS-DOS
Modes graphiques supportés : CGA, EGA, Hercules
Carte sonore supportée : Haut-parleur interne

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Les versions PC des années 80, c’est un peu comme une très vieille boîte de chocolats : on ne sait jamais à quoi s’attendre, mais on n’est quand même pas très rassuré au moment d’en goûter un. En 1988, pas encore de VGA à se mettre sous la dent… alors le jeu fait le choix de l’EGA en haute résolution. Le résultat est assez surprenant, notamment à cause d’un côté entrelacé assez bizarre, mais on s’habitue relativement vite (surtout si on a la chance d’avoir un vieil écran cathodique sous la main), et cela offre parfois même des graphismes plus détaillés, en particulier lors des dialogues. Côté sonore, pas encore de reconnaissance des cartes sons, mais le haut-parleur interne s’en sort malgré tout particulièrement bien – même le thème musical n’a rien à envier à ce que proposait la version ST. En fait, la réalisation sonore du titre est presque supérieure à celle du portage sur PC de sa suite, Maupiti Island, c’est dire ! Petit détail amusant, d’ailleurs : si vous lancez le jeu sous ScummVM, le titre utilise alors par défaut la synthèse vocale de Windows, donnant aux dialogues du jeu un petit coup de jeune ! Dans tous les cas, une version très sérieuse, une nouvelle fois, que Lankhor en soit remercié.

NOTE FINALE : 15/20

On avait beaucoup de choses à craindre d’une adaptation sur PC en 1988, mais l’équipe en charge de la conversion a bien mené sa barque, et cette version du Mortville Manor est pour une fois pratiquement à la hauteur des autres versions 16 bits, ne pêchant que par un effet entrelacé déstabilisant. Un vrai bon portage.

Bonus – ce à quoi pouvait ressembler le mode EGA haute résolution sur un écran cathodique :

Inca II : Wiracocha

Développeur : Coktel Vision
Éditeur : Sierra On-Line, Inc.
Titres alternatifs : Inca II : Nations of Immortality (Amérique du Nord), アギーレの逆襲 インカ帝国II (Japon)
Testé sur : PC (DOS)

La série Inca (jusqu’à 2000) :

1 – Inca (1992)
2 – Inca II : Wiracocha (1993)

Version PC (DOS)

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (CD-ROM) :

Suite à l’accomplissement de la prophétie et à la récupération des trois pouvoirs sacrés dans l’espace-temps, El Dorado fut sacré Grand Inca et parvint à fédérer les « quatre quartiers de l’Empire », le Tawantinsuyu. La culture inca s’est désormais répandue à travers la galaxie, créant une fédération à laquelle seules les « Terres Anciennes », sous la coupe d’Aguirre, refusent d’adhérer. Mais voilà qu’un astéroïde apparu de nulle part entraîne à sa suite catastrophes naturelles et perturbations cosmiques. El Dorado convoque donc un Conseil des Sages, auquel assistera son fils Atahualpa, pour décider de la façon d’affronter cette menace…

Le premier Inca aura laissé, on s’en souvient, des souvenirs assez contrastés aux joueurs. En dépit d’un univers original et d’une réalisation très impressionnante pour l’époque, le titre était tellement couturé de séquences hétérogènes chaotiquement organisées autour d’un scénario confus – pour ne pas dire illisible – qu’il finissait par évoquer la créature de Frankenstein. Au moment de remettre le couvert pour offrir l’inévitable suite à ce qui avait été un authentique succès critique et commercial, la question était donc de savoir à quel point Coktel Vision serait capable de tirer des leçons de ses erreurs du passé afin de proposer une expérience de jeu un peu plus satisfaisante.

Comme on l’a vu, le scénario du jeu prend la suite du premier épisode, d’une manière assez confuse, particulièrement pour les joueurs n’ayant pas eu l’occasion de jouer à Inca. Aucun personnage n’est présenté, le contexte est introduit en vingt secondes, les rares détails sur l’univers sont à chercher du côté du manuel. Pour ne rien arranger, l’univers graphique du titre est plus foutraque que jamais, et on passera une bonne partie du jeu à se demander d’où sort ce personnage appelé Kelt et habillé comme un aviateur des années 30, au milieu de cet univers futuriste à la Star Wars où se baladent des Incas emplumés et torse nu. Autant dire que pour s’intéresser à l’histoire, toujours aussi décousue et expédiée le plus vite possible sans jamais prendre le temps de développer quoi que ce soit ni de justifier les multiples incohérences, mieux vaudra conserver une âme d’enfant – ou choisir de s’en foutre.

Le jeu repose toujours sur une alternance entre des séquences d’action situées dans l’espace et des énigmes au sol. La bonne nouvelle, c’est qu’elles sont les unes comme les autres devenues sensiblement plus intéressantes depuis le premier épisode. Du côté des phases dans l’espace, le titre hurle toujours son désir de ressembler à Wing Commander, et ne s’en sort d’ailleurs pas trop mal en dépit de limites de gameplay évidentes. Si les premiers passages d’action ne sont pas très compliqués, le logiciel n’hésitera pas à craquer son slip et à vous placer seul face à jusqu’à une quinzaine d’appareils vers la fin du jeu, selon les décisions que vous aurez prises.

On regrette une nouvelle fois de ne pas simplement pouvoir passer ces séquences qui ne se renouvèlent jamais et qui finissent par être plus frustrantes qu’autre chose. Pour ce qui est des énigmes, elles ont eu la bonne idée d’être devenues plus logiques – un peu. Disons que si le gameplay de ces séquences repose encore beaucoup sur l’essai/erreur, on a généralement l’avantage d’avoir une petite idée de ce qu’on est censé accomplir, et d’utiliser pour y parvenir des objets ayant une fonction évidente comme une corde, de l’huile ou un marteau. Cela n’empêche pas les ratés, comme cette énigme que je qualifierais personnellement de « plus stupide de toute l’histoire du jeu vidéo », et qui vous demande de trouver « les plus belles prières » parmi dix rouleaux strictement identiques.

Sachant que chacun de ces rouleaux produit exactement la même chose que les neuf autres, que vous n’avez aucun indice, que vous ne savez même pas combien de prières vous êtes censé trouver ni dans quel ordre, les possibilités sont virtuellement infinies, vous condamnant à cliquer au hasard pendant des heures, voire des semaines ou des mois. Du génie à l’état pur… Heureusement, il s’agit plutôt d’une exception dans une série de puzzles rarement très bien agencés mais reposant nettement moins sur le pif total que ceux du premier épisode. La partie n’est de toute façon pas très longue, et peu très facilement être bouclée en moins de trois heures dès votre première partie, selon votre aptitude pour les scènes d’actions.

Du côté de la réalisation, on sent que l’ambition de Coktel Vision n’a pas faibli. Le jeu, cette fois sorti au format CD en même temps qu’au format disquette, est toujours rempli de séquences 3D, de dialogues doublés (nous y reviendrons), et de digitalisations animées à la truelle.

En effet, même si tout le monde parlait à l’époque de « film interactif », le titre ne contient en fait pas une seule vidéo « live ». Probablement dans un soucis de place, tous les dialogues ne sont pas joués par des acteurs devant une caméra, mais simplement servis par des images digitalisées (généralement des employés de Coktel Vision déguisés) dont on anime les yeux et la bouche pendant que des acteurs lisent les dialogues. Dire que le procédé, qui aura également fait ses classes dans des titres comme Rebel Assault, a mal vieilli est encore très en-dessous de la vérité. Lorsque cela ne sonne pas faux, cela vire au grotesque, et le doublage évoqué plus haut y est pour quelque chose.

En effet, le casting vocal est en très grande majorité joué par des employés de Coktel Vision, lui aussi, et il est très facile de juger de l’ampleur des dégâts dès les premières secondes de jeu, tant tout ce qui n’est pas sous-joué sonne abominablement faux. Probablement consciente de ses limites, l’équipe a eu la bonne idée de faire appel à un doubleur professionnel (et juste un seul, hélas) : Gilbert Levy, pour lequel vous dresser un CV exhaustif prendrait plusieurs pages, mais que la plupart d’entre vous connaîtront principalement comme le doubleur de Moe dans Les Simpson.

En dépit de l’extrême compétence de l’acteur, je dois avouer que prêter sa voix hyper-caractéristique (et souvent plus adaptée à des séries comiques) à 90% des personnages masculins apparaît quand même comme une cruelle erreur de casting. Ainsi, force est de reconnaître qu’Atahualpa, le héros du (début du) jeu, a bien du mal à ne pas passer pour un parfait couillon à chacune de ses prises de parole – mais c’est encore pire lorsqu’il répond à El Dorado, son père, également doublé par Gilbert Levy ! Le sommet du malaise doit néanmoins être atteint lorsque le pauvre Gilbert se sent obligé (à moins qu’on ne le lui ait demandé) de donner un accent « petit-nègre » digne d’un Michel Leeb de Prisunic à un personnage noir, brisant à la fois le peu d’immersion qui restait et sa crédibilité dans la foulée. On avait oublié ce sentiment de honte qui nous étreignait parfois lorsqu’on nous surprenait en train de regarder une émission débile, je ne sais pas s’il faut remercier Inca II de l’avoir ressuscité à sa façon. Notons également que le mixage du jeu n’est ni fait ni à faire, plaçant le volume de la musique plus haut que celui des voix, et qu’il est impossible de le régler ou d’afficher des sous-titres.

En résumé, en dépit de réels efforts pour guider le jeu vers une expérience plus satisfaisante que celle offerte par son prédécesseur, Inca II évoque avant tout ces productions réalisées par des lycéens fauchés avec un budget composé de deux Carambar et un bout de carton, et qui essaient de rejouer les grands classiques déguisés dans le rideau de la salle à manger avec un sérieux visant à compenser leur absence de talent.

Dire que le titre a mal vieilli à tous les niveaux reviendrait à enfoncer une porte ouverte, en dépit de quelques séquences réellement impressionnantes pour l’époque, et ce n’est certainement pas l’histoire mal ficelée et la mise en scène chaotique qui risquent de vous retenir. Malgré toute la sympathie qu’on cherche à avoir pour un jeu qui aura indubitablement visé trop haut, difficile de ne pas le considérer avec une certaine gêne lorsqu’on se rappelle qu’il est paru le même mois que Sam & Max, qui aura laissé une empreinte nettement plus marquante. C’est là le sort des pionniers : ce ne sont pas toujours les premiers à défricher le terrain qui découvrent l’Eldorado.

Quelques précisions, au passage, sur la version disquette : au menu, comme on pouvait s’en douter, beaucoup de coupes dans l’enrobage du jeu – qui était alors pourtant son principal argument de vente. Cela est perceptible dès la – désormais très courte – introduction du titre, qui se contente de quelques bouts de cinématiques et de pas grand chose d’autre. Tous les doublages sont passés à la trappe (est-ce vraiment une perte ?), la plupart des cinématiques en 3D ont été énormément raccourcies, et les dialogues ne sont plus animés. Départi d’une portion de son strass et de ses paillettes, le titre n’en apparait hélas que plus creux et plus mal écrit, mais conserve heureusement la grande majorité de l’expérience de jeu originale. Difficile, malgré tout, de ne pas avoir l’impression de jouer à une démonstration payante de la version CD-ROM.

Vidéo – Dix minutes de jeu (CD-ROM) :

Récompenses :

Computer Gaming World :

  • #18 Worst Game of All Time ( 18e pire jeu de tous les temps) – Novembre 1996
  • #4 Worst Back Story of All Time (4e pire scénario de tous les temps) – Novembre 1996

NOTE FINALE : 10,5/20 Objectivement, Inca II : Wiracocha est, à tous les niveaux, un meilleur titre que son prédécesseur – et mérite enfin d'être qualifié de « jeu », ce qui est indéniablement une grande avancée. Malheureusement, comme tous les programmes ayant misé sur leur réalisation plus que sur l'expérience ludique qu'ils avaient à offrir, le titre de Coktel Vision a beaucoup plus souffert du passage du temps que la plupart des logiciels sortis à la même période. Entre des séquences narratives qui font aujourd'hui sourire, quand elles ne sont pas navrantes voire carrément gênantes, un scénario bourré d'incohérences qui semble avoir été improvisé sur un coin de table et des phases d'action mieux pensées mais qui peine à se montrer amusantes plus de cinq minutes, on est presque surpris de voir à quel point la magie qui parvenait à agir à l'époque est aujourd'hui définitivement tarie. Clairement le genre de jeu qu'on ressort pour prendre un énorme coup de vieux plutôt que pour passer un bon moment. CE QUI A MAL VIEILLI : – Un doublage qui fait rire. Essayez d'embaucher au moins deux professionnels, la prochaine fois - et dirigez-les mieux – Le fil narratif est toujours aussi incohérent – Beaucoup de séquences qui sentent affreusement le toc avec vingt-cinq ans de recul – Les énigmes sont un peu plus logiques, mais elles ne volent toujours pas très haut – Trop court, trop facile

Les avis de l’époque :

« Aucun doute là-dessus : autant le premier épisode avait été « moyen », autant cette suite est excellente. Les aventuriers chevronnés trouveront le jeu assez simple, mais cela ne l’empêche pas d’être passionnant, au point qu’il est très difficile de se décoller de l’écran une fois plongé dans le jeu. […] Mes quelques critiques concernent surtout la durée du jeu : moins de 10 heures, c’est trop court. De plus, le jeu se termine trop brutalement. Néanmoins, Inca II est un excellent divertissement. »

Serge D. Grun, Tilt n°122, Janvier 1994, 91%