Martian Memorandum

Développeur : Access Software, Inc.
Éditeur : Access Software, Inc.
Titres alternatifs : Tex Murphy : Martian Memorandum (Steam.com), Tex Murphy 2 – Martian memorandum (Gog.com)
Testé sur : PC (DOS)
Disponible sur : Linux (Ubuntu 16.04, Ubuntu 18.04), Windows (7,10)
En vente sur : GOG.com (vendu en pack avec Mean Streets)

La saga Tex Murphy (jusqu’à 2000) :

  1. Mean Streets (1989)
  2. Martian Memorandum (1991)
  3. Under a Killing Moon (1994)
  4. The Pandora Directive (1996)
  5. Tex Murphy : Overseer (1997)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Décembre 1991
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Dématérialisé, disquettes 5,25″ (x6) et 3,5″
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Version testée : Version dématérialisée émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 80286 – OS : MS-DOS 3.0 – RAM : 640ko
Modes graphiques supportés : MCGA, VGA
Carte sonore supportée : AdLib, MSound, haut-parleur interne, PS/2 Speech Adapter, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

2039. Dans un bureau enfumé, un détective usé médite sur les errements de la société humaine en contemplant l’atmosphère chargée de retombées nucléaires à travers la fenêtre de son bureau californien.

Le crâne transformé en étau par une sévère gueule de bois, Tex Murphy considère sa situation, six ans après les événements narrés dans Mean Streets : malgré la généreuse avance que lui avait laissé Sylvia Linsky à l’époque, il est désormais fauché comme les blés, et en serait probablement réduit à aller retrouver des animaux de compagnie enfuis si une grosse affaire ne venait pas à nouveau de lui tomber dessus : Marshall Alexander, le PDG de la très puissance compagnie Terraform, l’envoie retrouver sa fille Alexis qui a été, selon lui, enlevée. En dépit de l’identité du client, l’affaire ne serait pas plus étrange qu’une autre si M. Alexander ne semblait pas se soucier de la disparition d’un mystérieux artéfact en même temps que de celle de sa fille. Un artéfact dont il ne veut rien vous dire, mais à la poursuite duquel votre traque vous emmènera jusque sur la planète Mars…

Retour en 1991 sur Terre : parmi les genres vidéoludiques en pleine santé se trouve le jeu d’aventure, qui vient alors d’accueillir en son sein des titres comme Loom, Monkey Island 2 ou King’s Quest V.

Access Software, qui n’est pas encore réellement parvenu à se faire un nom au sein d’un univers dominé par les deux géants que sont Sierra On-Line et Lucasfilm, compte bien capitaliser sur le petit succès d’estime de Mean Streets pour inscrire définitivement les aventures de son privé du futur, Tex Murphy, dans la légende du jeu vidéo. Toujours décidée à proposer des jeux à la pointe de la technologie, la compagnie américaine espère également moderniser un peu son moteur de jeu afin de proposer une enquête cette fois plus concentrée sur les mécanismes, désormais bien installés, du point-and-click, sans l’alourdir par des phases qui n’avaient pas nécessairement fait l’unanimité.

Oubliez donc les balades en speeder et les fusillades dans les rues mal famées : Tex Murphy voyage toujours énormément, mais ne vous impose plus de passer autant de temps que lui dans son véhicule – et son pistolet ne lui servira qu’à une seule et unique reprise au cours de toute l’aventure. Désormais, l’interface proposée par le jeu ne se divisera plus qu’entre des phases d’enquête et des phases de dialogue.

Dans ce dernier cas, vous aurez simplement à choisir vos réponses parmi une liste, ou à choisir d’offrir un objet de votre inventaire histoire de graisser la patte de votre interlocuteur – ou, au contraire, de le menacer avec des preuves compromettantes. Pour ce qui est des phases d’enquête, on se retrouve en terrain connu : des verbes d’action en bas de l’écran et votre héros qui se déplace sur la fenêtre de jeu. Libre à vous, donc, de passer chaque lieu au peigne fin comme vous le faisiez dans le précédent épisode, mais avec une interface bien plus aisée à prendre en main.

Si le jeu ne propose plus d’inutiles séquences d’action, les occasions de mourir sont plus nombreuses que jamais, la faute notamment à plusieurs passages faisant appel à vos réflexes ou à votre habileté pour progresser au milieu de pièges mortels. Ce ne serait que modérément gênant si le jeu n’avait pas la mauvaise idée de vous renvoyer directement au début de votre aventure en cas d’échec (conseil : sauvegardez souvent, et sous plusieurs noms), et surtout, si la maniabilité de Tex n’était pas aussi atroce.

Demander à notre héros de se rendre en un point précis de l’écran ressemble en effet souvent à une lutte de l’homme contre la machine, tant le moindre pixel sur sa route l’empêche de faire un pas, et le simple fait de commander à notre détective d’avancer en ligne droite tient parfois du miracle à l’état pur. Pour ne rien arranger, plusieurs séquences-clés du jeu sont à réaliser en temps limité, sans aucun indication quant au temps qu’il vous reste, et on peut rapidement se retrouver dans une situation inextricable pour avoir sauvegardé au mauvais moment. C’est, à n’en pas douter, le plus gros point noir du jeu – un travers qui perdurera hélas, à des degrés moindres, pendant l’intégralité de la série.

Les dialogues ont également leur part de défauts – mais ceux-ci tiennent, paradoxalement, à l’ambition assumée du jeu. En effet, comme son prédécesseur, Martian Memorandum cherche à en mettre plein la vue : graphismes en VGA, reconnaissance de la majorité des cartes sonores (dont la Roland MT-32), et toujours le fameux Realsound qui permet de vous bluffer même si vous n’avez qu’un haut-parleur interne.

Mais histoire de placer la barre encore un peu plus haut, le titre propose de nombreuses digitalisations sonores, et même quelques animations en pseudo-vidéo. Évidemment, comme on peut s’en douter, faire tenir une telle débauche technologique sur quelques disquettes 3,5 pouces a un prix : beaucoup des dialogues du début du jeu se limitent en fait à trois ou quatre réactions écrites d’avance que le programme vous ressert quoi que vous veniez de dire – histoire, bien évidemment, d’économiser de la place. Curieusement, plus le jeu avance et plus le titre d’Access Software choisit purement et simplement d’oublier ces satanées digitalisations pour laisser enfin les personnages avoir quelque chose à dire – bref, une curieuse idée qui aura probablement plus gêné les programmeurs qu’autre chose.

Tous ces errements sont d’autant plus dommageables que, comme pour le premier épisode, on peut très vite s’intéresser à l’enquête et à ses ramifications, qui deviennent fatalement plus que planétaires, comme on pouvait s’en douter. Une nouvelle fois, l’extrême densité de personnages, de lieux à visiter et de fausses pistes – sans oublier le bon niveau d’anglais exigé pour y comprendre quelque chose – vous demandera probablement de prendre des notes pour orienter votre enquête, faute de quoi vous risquez rapidement de ne plus savoir qui est qui ni ce que vous êtes censé trouver.

Et si l’univers du titre est une fois de plus assez dépaysant, on regrettera en revanche que l’humour, volontiers en-dessous de la ceinture, ne soit pas toujours aussi mordant qu’il le souhaiterait (mais je suppose qu’imaginer un successeur à Fidel Castro, le nommer « Big Dick » et le doter – littéralement – d’une tête de gland était quelque chose de très drôle au début des années 90). La réalisation, malgré son désir de modernité, a finalement plus mal vieilli que celle des titres en EGA de la même période (coucou, Monkey Island), et la jouabilité a trop de faiblesses pour graver Martian Memorandum dans les mémoires. On sent bien que l’ambition d’Access Software ne pouvait trouver son bonheur que dans le support CD-ROM qui s’apprêtait à se démocratiser – et à contribuer à donner enfin ses lettres de noblesse à l’un des détectives les plus sympathiques du dixième art.

Vidéo – Dix minutes de jeu :

Récompenses :

  • Tilt d’or 1991 (Tilt n°97, décembre 1991) – Nommé dans la catégorie « Meilleur jeu d’aventure sur Micro »

NOTE FINALE : 14/20 Modernisé, dépoussiéré, enfin débarrassé de phases d'action et de simulation aussi inutiles qu'inintéressantes, Martian Memorandum se rêvait comme une enquête dans la continuité directe de Mean Streets, aussi prenante tout en se voulant un peu plus accessible. Malheureusement, le titre reste pénalisé par de frustrantes phases d'obstacles, parfois chronométrées, qui ne seraient que désagréables si le logiciel ne devait pas également composer avec une maniabilité douteuse – jamais on n'avait rencontré de jeu d'aventure où il est aussi difficile de parvenir à déplacer le personnage principal. Cela handicape une enquête qui peut autrement se montrer très prenante pour peu que l'on se donne la peine de la jouer à l'ancienne, en prenant des notes – mais cela empêche surtout Martian Memorandum d'être enfin le titre qui aurait fait entrer Tex Murphy dans les mémoires. Dommage. CE QUI A MAL VIEILLI : – Des phases piégées ou chronométrés qui n'apportent rien d'autre que l'opportunité de recommencer sa partie depuis le début si on sauvegarde au mauvais moment – Une lourdeur insupportable dans le déplacement de Tex – Mieux vaut prendre des notes pour ne pas se perdre dans les dizaines de personnes et de lieux impliqués dans l'enquête – Un humour parfois au ras des pâquerettes (Big Dick Castro...) – Bon niveau d'anglais requis

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Martian Memorandum sur un écran cathodique :

Mean Streets

Développeur : Access Software, Inc.
Éditeur : Access Software, Inc.
Titres alternatifs : Tex Murphy : Mean Streets (Steam.com), Tex Murphy 1 – Mean Streets (Gog.com)
Testé sur : PC (DOS)Commodore 64AmigaAtari ST
Disponible sur : Linux (Ubuntu 16.04, Ubuntu 18.04), Macintosh, Windows (7, 10)
En vente sur : GOG.com (Linux, Macintosh, Windows), Steam.com (Linux, Macintosh, Windows)

La saga Tex Murphy (jusqu’à 2000) :

  1. Mean Streets (1989)
  2. Martian Memorandum (1991)
  3. Under a Killing Moon (1994)
  4. The Pandora Directive (1996)
  5. Tex Murphy : Overseer (1997)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Novembre 1989
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Supports : Disquettes 5,25″ (x6) et 3,5″ (x3)
Contrôleurs : Clavier, joystick
Version testée : Version disquette émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 8088/8086 – OS : PC/MS-DOS 3.0 – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : CGA, EGA, Hercules, MCGA, Tandy/PCjr, VGA
Carte sonore supportée : Haut-parleur interne

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

« Montre-moi quelle affiche de film célèbre est plagiée par la couverture de ta boîte de jeu et je te dirai qui tu es. »

Pour tous les spécialistes de la science-fiction, pour tous les fans d’Harrison Ford, pour tous les amateurs de Ridley Scott, une étrange impression de déjà-vu s’est probablement manifestée en observant la boîte de Mean Streets, et pour cause : difficile de ne pas y voir de lien avec l’affiche de Blade Runner. Imaginez la Californie du futur, ses villes tentaculaires, sa nuit permanente, ses terres arides transformées en décharges géantes et ses voitures volantes. Familier ? Pas de « Réplicants » ici, toutefois, mais des mutants déformés ou dévisagés par les retombées nucléaires. Et au milieu du chaos, un détective privé anachronique vêtu d’un imperméable à la Boggart, et dont les amateurs de jeux d’aventure seront amené à réentendre parler à plusieurs reprises : Tex Murphy.

Bien avant d’accéder à la renommée à l’ère du CD-ROM et des FMV par le biais d’Under a Killing Moon, Tex écumait en effet déjà la côte ouest du futur à bord de son speeder, avec ses poings, son flingue et ses poches vides. Nous sommes en 2033, et une femme évidemment fatale vient de vous confier une enquête très bien payée : découvrir les réelles causes de la mort de son père, Carl Linsky. Lequel s’est apparemment suicidé en se jetant du haut d’un pont devant témoin, ce qui semble définitivement exclure la piste du meurtre. Mais vous pencher sur les activités de la victime vous amènera rapidement à découvrir un homme inquiet qui craignait pour sa vie, et surtout un mystérieux projet nommé « Overlord » qui va vous obliger à naviguer entre les grands pontes, les petites frappes et les nervis de cet étrange parti politique néo-fasciste appelé « Law and Order » afin de réussir à faire la lumière sur toute cette affaire.

Comme vous l’aurez déjà deviné, le jeu vous place naturellement dans la peau de Tex Murphy, déjà incarné à l’écran par Chris Jones – comme ce sera le cas durant toute la saga pendant plus de vingt-cinq ans – à la recherche de la vérité sur la mort de Carl Linsky. Nous sommes en 1989, le concept du point-and-click commence à peine à exister, et la plupart des jeux d’aventure se jouent encore à l’aide d’indigestes lignes de commande. Mais Mean Streets, lui, est un jeu très ambitieux, et cette ambition se ressent déjà dans la multitude des possibilités offertes par le titre.

Concrètement, le logiciel développé par Access Software va vous confronter à trois types de situation : des phases de simulation, des phases d’action et des phases d’aventure. Les amateurs de point-and-click auront probablement déjà tiqué, tant le mélange des genres est quelque chose qui sera rapidement passé de mode, et pour de très bonnes raisons. Mean Streets a heureusement la bonne idée de ne pas trop s’éparpiller en faisant le choix de simplifier au maximum les phases ne relevant pas de l’aventure pure et dure. Pour ce qui est de la simulation, elle est assez basique : elle consistera à piloter votre voiture volante d’un point à un autre pour mener l’enquête, dans une carte en 3D surface pleine qui en envoyait sans doute plein les yeux à l’époque et qui réemployait pour l’occasion une partie du code d’Echelon, développé deux ans plus tôt par Bruce Carver, le fondateur d’Access Software.

La conduite est assez simple, et les commandes vous seront résumées sur un écran d’aide affiché par un simple pression de la touche H, et il existe même un pilotage automatique qui vous permettra de voyager au gré des coordonnées que vous découvrirez au fil de la partie sans à avoir à vous battre avec les commandes. Seul inconvénient : attendez-vous à passer beaucoup de temps dans votre voiture, et même si cette idée participe indéniablement à l’immersion du joueur, d’un point de vue strictement ludique, il aurait sans doute été beaucoup plus intéressant de vous contenter de choisir votre destination sur une carte et de vous y rendre immédiatement. En l’état, les trajets ne sont jamais très longs – une minute grand maximum – mais ce pilotage automatique qui juge nécessaire de vous placer au pixel près au-dessus d’un point avant de se décider à vous y poser vous fera perdre un temps que vous pourriez consacrer à quelque chose de plus intéressant, dommage.

Deuxième type : les phases d’action. Il vous arrivera, en trainant dans des quartiers mal famés, de vous faire agresser par des malfrats. Vous vous retrouverez alors dans un mini-jeu consistant à avancer vers la droite en tuant les ennemis qui se dirigent vers vous. Je vous rassure : ce n’est vraiment pas compliqué, mais on ne peut pas dire que ça soit très intéressant non plus. Pour ceux qui auraient du mal, il est de toute façon possible de régler la difficulté de ces phases dans le menu des options. Disons que ça casse la routine.

Car bien évidemment, le cœur du jeu consistera à mener l’enquête. Si le programme se contentera parfois de vous balancer une simple description textuelle, l’aventure se déroulera principalement de deux manières : en interrogeant des gens et en passant plusieurs lieux au peigne fin. C’est bien sûr, et de très loin, la partie la plus intéressante du jeu, et celle-ci vous demandera de prendre soigneusement des notes tant vous risquez rapidement de crouler sous les noms, les coordonnées, les termes obscurs et les fausses pistes. Mais vous risquez de vite vous prendre au jeu, car le scénario est suffisamment bien mené pour vous donner envie d’en savoir plus – au moins jusqu’à ce que l’identité du ou des coupables devienne évidente, et que vous vous trouviez embarqué dans une résolution un peu plus fastidieuse vous demandant de trouver huit cartes magnétiques et les mot de passe correspondants, où les choses commencent à s’essouffler un peu.

Mais avant d’en arriver là, il faudra vous comporter comme un authentique privé de cinéma, et la chose pourrait se révéler un peu plus compliquée que vous ne l’aviez prévu. Non seulement il faudra poser les bonnes questions – en tapant les noms qui vous intéressent manuellement, d’où le besoin vital de prendre des notes en cours de jeu – mais il faudra également parfois faire usage de vos poings, ou graisser la patte de témoins peu causant. Dans le même ordre d’idée, vous bénéficiez d’un visiophone vous autorisant à contacter votre secrétaire, qui pourra mener des recherches pour vous, ou votre indic, Lee Chin, qui le fera, elle, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Vous remarquerez que cela fait déjà plusieurs fois qu’on évoque l’argent, dans ce test : celui-ci risque effectivement de vous être d’une utilité vitale, et le pécule a priori confortable de 10.000$ avec lequel vous commencez le jeu pourrait fondre comme neige au soleil à force de devoir mettre la main à la poche pour faire parler les gens peu causants. Il vous est heureusement possible, lors de vos analyses de scènes de crime, de trouver des objets de valeur que vous pourrez vendre directement depuis votre inventaire histoire de vous refaire la cerise.

Ces phases d’analyse, d’ailleurs, sont de loin les plus complètes et les plus délicates. L’interface assez lourde, entièrement au clavier (le jeu n’utilise jamais la souris), vous permettra de fouiller partout avec une efficacité maximale, même si vous devrez également parfois composer avec l’urgence de désactiver en 5 ou 10 minutes une alarme qui se serait enclenchée à votre entrée. Certains éléments importants sont très bien cachés, mais il est de toute façon toujours possible de revenir sur place après coup. Ce sera même parfois nécessaire, le temps de trouver des gants de protection pour éviter de vous entailler les doigts ou un tournevis qui vous permettrait de démonter un système de sécurité – Tex a heureusement le bon goût d’employer automatiquement n’importe lequel des objets figurant dans son inventaire.

Il faudra souvent retourner tous les meubles, fouiller méthodiquement le moindre recoin, pour accéder enfin aux éléments qui vous permettront de faire avancer votre enquête – le jeu est heureusement assez bien agencé de ce côté-là. Comptez facilement entre quinze et vingt heures pour venir à bout du jeu une première fois – sans doute beaucoup plus si vous tournez en rond, car les endroits à fouiller sont nombreux et les indices parfois rares, surtout si vous avez oublié de noter un nom important. Il est heureusement possible de réinterroger tout le monde au cas où vous auriez le sentiment d’avoir oublié quelque chose. On pourra également apprécier les petites références plus ou moins cachés à Star Trek ou à Retour vers le Futur.

Niveau réalisation, nous sommes en 1989, et il faut reconnaître qu’Access Software a mis le paquet. Le jeu est certes très loin de représenter le pinacle du pixel art, mais il était l’un des tous premiers programmes à tirer parti du VGA, dont il fait un usage parfois maladroit, mais incontestablement bien plus agréable à l’œil que ce que permettaient les 16 couleurs de l’EGA. On remarquera le recours récurrent à des images digitalisées, profitant pour l’occasion de l’expérience accumulée par le studio en développant Leader Board puis World Class Leader Board (l’animation du golfeur avait été obtenue en filmant Roger Carver et en tirant parti d’une technologie de digitalisation primitive) qui allaient devenir, un an plus tard, la série des Links.

Autre innovation, le « Realsound » vanté en grandes lettres sur la boîte. De quoi s’agit-il ? Eh bien tout simplement d’une autre innovation de Bruce Carver : un procédé permettant de tirer le meilleur du haut-parleur interne du PC. De fait, même si les thèmes musicaux sont aussi courts que rares, ils sont d’une qualité assez bluffante, et les quelques digitalisations vocales du titre pourraient sans difficulté faire rougir une Sound Blaster ! Malheureusement, c’est quand même le silence qui vous accompagnera pendant le plus clair de la partie, et l’aspect révolutionnaire du « Realsound » n’aura finalement eu aucune valeur face à la rapide démocratisation des cartes sons intervenant à la même époque. Mais pour 1989, soyons honnêtes, Mean Streets représente clairement le haut du panier, et une véritable prouesse technologique. Rappelons qu’il était encore courant de trouver des jeux développés en EGA deux ans après sa sortie…

Le défaut qui passera le plus mal, pour le joueur actuel, restera malgré tout l’absence (à ma connaissance) de localisation du jeu en français sur PC : s’aventurer dans cette aventure sans une bonne maîtrise de l’anglais n’a pas plus d’intérêt que de lire un polar sans en comprendre un traitre mot. C’est dommage, car une fois la prise en main digérée – soit une poignée de minutes – l’enquête, pour légèrement datée qu’elle soit, est néanmoins rapidement prenante ; suffisamment, sans doute, pour vous pousser à la mener à son terme. Et qui sait ? Vous pourriez bien apprendre à l’apprécier au point de souhaiter le revoir, ce fameux Tex Murphy.

Vidéo – Quinze minutes de jeu :

NOTE FINALE : 13,5/20

Quelque peu empesé par une prise en main au clavier et par une multitude de phases plus ou moins utiles qui trahissent son âge, Mean Streets n'en demeure pas moins une enquête plaisante dans une Californie futuriste à la Blade Runner où l'atmosphère des films noirs se mêle parfaitement à l'ambiance post-apocalyptique. Mener l'enquête sur la mort de Carl Linsky vous demandera d'être méthodique, scrupuleux et de prendre des notes, mais la façon dont l'univers se dévoile, bien servi par une écriture efficace, vous donnera une bonne raison de chercher à en savoir plus. Dommage, malgré tout, que le jeu vous impose de multiplier des allez-et-retours dispensables et qu'il soit inaccessible aux non-anglophones. Une première aventure de Tex Murphy à (re)découvrir.

CE QUI A MAL VIEILLI :

– Réalisation révolutionnaire pour l'époque, mais sérieusement datée aujourd'hui
– On passe au final plus de temps à conduire sa voiture qu'à mener l'enquête
– Interface au clavier qui aurait largement bénéficié de l'usage de la souris
– Le mélange des genres n'est pas la meilleure idée de la série
– Entièrement en anglais, et en anglais d'un bon niveau

Version Commodore 64

Développeur : The Code Monkeys Ltd.
Éditeur : U.S. Gold Ltd.
Date de sortie : Novembre 1989
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 5,25″
Contrôleurs : Clavier, joystick
Version testée : Version disquette
Configuration minimale : RAM : 64ko

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Mean Streets représentant, à sa manière, la pointe de la technologie en 1989, on pouvait se demander comment le jeu allait s’en tirer sur le modeste ordinateur 8 bits de Commodore. Eh bien, étonnamment, pas tout-à-fait aussi mal qu’on pouvait le craindre : ¨l’équipe de The Code Monkeys a fait le choix de ne rien couper dans le jeu – à part la musique après l’écran-titre et les rares digitalisations, mais l’ambiance sonore était déjà particulièrement discrète sur PC – et non seulement toute l’aventure est toujours là, mais la réalisation est plus qu’honnête.

On a même conservé les phases de survol en 3D ! Force est de constater, malgré tout, que ça se traine un peu et qu’il n’y a plus grand chose à voir lors des phases en voiture, mais on appréciera l’ambition intacte du titre. Le jeu est toujours aussi sympathique, même s’il vous faudra jongler entre le clavier et le joystick, et surtout composer avec des temps de chargement à rallonge et avec des changements de disquette intempestifs, ce qui, dans un jeu où l’on passait déjà beaucoup de temps à attendre sur PC, est vite dommageable. Bref, jouer demandera une bonne dose de patience, mais l’effort reste louable.

NOTE FINALE : 10/20

Porter Mean Streets sur Commodore 64 tenait plus du défi que de la promenade de santé, mais The Code Monkeys a entrepris la chose avec beaucoup de sérieux, au point de conférer une expérience de jeu étonnamment proche de celle sur PC. Si la réalisation est réellement impressionnante pour la machine 8 bits, il faudra malgré tout composer avec une lenteur handicapante, encore plombée par des temps de chargement à rallonge et de fréquents changements de disquettes, qui réservera cette version aux nostalgiques patients.

Version Amiga

Développeur : The Code Monkeys Ltd.
Éditeur : U.S. Gold Ltd.
Date de sortie : Novembre 1990
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ (x2)
Contrôleurs : Clavier, joystick
Version testée : Version disquette testée sur Amiga 1200
Configuration minimale : Système : Amiga 1000 – OS : Kickstart 1.2 – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : OCS/ECS

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Mean Streets fut certainement l’un des tout premiers exemples de jeu porté depuis le PC vers l’Amiga plutôt que dans le sens inverse ; il fut aussi certainement le premier titre à être techniquement inférieur sur la machine de Commodore. En termes de réalisation, si ce portage est clairement moins coloré qu’en VGA, on ne peut pas dire que l’on perde énormément au change, et les graphismes font largement le boulot.

Côté son, en revanche, si l’unique thème musical du jeu est toujours là en qualité Paula (c’est à dire mieux que le haut-parleur interne du PC, comme on pouvait s’en douter), la plupart des bruitages ont disparu et vos vols au-dessus de la Californie se feront désormais dans un silence de mort. La vraie surprise vient plutôt de l’existence d’une version française que je n’ai jamais rencontrée sur PC : celle-ci a le mérite d’exister et de proposer des phrases construites dans un français à peu près correct, en dépit de plusieurs fautes d’orthographe, de quelques contresens et d’un certain nombre de trahisons. Pour un joueur ne maitrisant pas un mot d’anglais, autant dire qu’elle représentera le Saint Graal, mais les anglophones auront toutes les raisons de s’en tenir éloignés.

NOTE FINALE : 13/20

Mean Streets sur Amiga propose une version techniquement inférieure à celle parue sur PC, sans que l’on perde énormément au change, et a surtout l’avantage d’exister dans une version française certes très perfectible mais qui a au moins le mérite de permettre aux non-anglophones de s’intéresser à l’enquête. Pour tous les joueurs allergiques à la langue de Shakespeare, c’est une alternative très satisfaisante, mais les autres n’auront pas de réelle raison de la préférer à sa consœur sur PC.

Les avis de l’époque :

« Le système de fouille est une merveille de simplicité et il offre un grand confort d’emploi, sans jamais ralentir le rythme du jeu. Vous ferez parfois de mauvaises rencontres en arrivant sur les lieux que vous désirez inspecter, et il vous faudra alors dégainer pour faire face aux gangsters qui cherchent à vous abattre. Cette partie du jeu n’offre vraiment aucun intérêt, mais il faut quand même faire très attention si vous ne souhaitez pas mourir. (…) Mean Streets présente une intrigue fort bien construite, car les interrogatoires et les indices vous permettent de progresser très logiquement dans votre enquête. »


Alain Huyghues-Lacour, Tilt n°86, Janvier 1991, 17/20

Version Atari ST

Développeur : The Code Monkeys Ltd.
Éditeur : U.S. Gold Ltd.
Date de sortie : Novembre 1990
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ double face (x2)
Contrôleurs : Clavier, joystick
Version testée : Version disquette testée sur Atari 1040 STe
Configuration minimale : Système : 520 ST – RAM : 512ko

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Qui dit portage sur Amiga dit également portage sur Atari ST. Sans surprise, Mean Streets ne fait pas exception à la règle, et propose une version pratiquement calquée sur celle parue sur la machine de Commodore. Graphiquement, les nuances sont infimes, pour ne pas dire indécelables. Sur le plan sonore, on pouvait craindre le pire, mais le dispositif Realsound conçu par Access pour le PC fait également des merveilles sur l’Atari ST, et le thème musical fait pratiquement jeu égal avec ce que produisait la puce Paula. En revanche, je sais qu’une version française du jeu existe, mais bon courage pour mettre la main dessus.

NOTE FINALE : 13/20

Pas de surprise pour ce Mean Streets sur Atari ST, qui offre une expérience quasi-identique à celle disponible sur Amiga. En revanche, bon courage pour le trouver en français.

Les avis de l’époque :

« La réalisation est excellente, le programme utilisant tour à tour 3D vectorielle pour la simulation de vol et graphismes plus classiques mais très fouillés pour les lieux à visiter. De nombreuses animations graphiques et sonores digitalisées renforcent l’ambiance. (…) Une excellente enquête policière, riche et prenante. »

Jacques Harbonn, Tilt n°88, Mars 1991, 17/20

The Secret of Monkey Island

Cette image provient du site http://www.mobygames.com

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Lucasfilm Games LLC
Testé sur : PC (DOS)AmigaAtari STFM TownsMacintoshSEGA CD
Disponible sur : Browser, iPad, iPhone, Macintosh, PlayStation 3, Windows, Xbox 360 (The Secret of Monkey Island : Édition Spéciale)
En vente sur : GOG.com (Windows), Steam.com (Windows)

La saga Monkey Island (jusqu’à 2000) :

  1. The Secret of Monkey Island (1990)
  2. Monkey Island 2 : LeChuck’s Revenge (1991)
  3. The Curse of Monkey Island (1997)
  4. Escape from Monkey Island (2000)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Octobre 1990 (version EGA) – Décembre 1990 (version VGA) – Août 1993 (version CD-ROM)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, espagnol, français, italien
Supports : CD-ROM, disquettes 5,25″ et 3,5″
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Versions testées : Versions EGA, VGA et CD-ROM émulées sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 8088/8086 (version disquette), Intel 80286 (version CD-ROM) – OS : PC/MS-DOS 3.1 – RAM : 640ko
Modes graphiques supportés : CGA, EGA, Hercules, MCGA (version VGA), Tandy/PCjr, VGA (version VGA)
Cartes sonores supportées : AdLib, Game Blaster, haut-parleur interne, Roland MT-32/LAPC-I (via un patch pour la version EGA), Sound Blaster, Tandy/PCjr

Vidéo – L’écran-titre du jeu (VGA) :

Au plus profond des Caraïbes…


Voilà déjà une phrase qui plante immédiatement le décor. Le XVIIe siècle, l’âge d’or de la piraterie, le rhum, le grog, les corsaires, les ports improbables où la vie ne valait pas cher, les échanges de coups de canons entre les galions et les corvettes, et des îles plus ou moins connues éparpillées par dizaines entre la mer des Sargasses et Maracaibo. Avouez que ça fait rêver, non ?

The Secret of Monkey Island, un certain sens de la mise en scène (VGA)

Autres temps, autres mœurs : nous sommes en 1990, à un des tournants de l’âge d’or du jeu vidéo, et Lucasfilm est en pleine forme. Après avoir marqué les mémoires avec des titres comme Maniac Mansion ou Zak McKracken, le studio américain commençait à se faire un nom plus que respectable au sein de l’univers vidéoludique. Pourtant, le changement de décennie allait s’annoncer comme une année charnière, avec la parution de deux titres qui marqueront les mémoires pour des raisons différentes : l’excellent Loom et le légendaire The Secret of Monkey Island.

Guybrush Threepwood réussira-t-il à triompher de toutes les épreuves ? (EGA)

Prenez un jeune freluquet au nom improbable de Guybrush Threepwood. Imaginez-le en train de débarquer, une nuit, sur l’île de Mêlée™, en clamant haut et fort son unique objectif : devenir un pirate. Bien évidemment, rejoindre les Frères de la côte et consort ne se décrète pas : il faudra d’abord commencer par faire ses preuves face au conseil des pirates, en apprenant à maîtriser des disciplines constituant le B-A-BA de la piraterie : l’escrime, le vol et la chasse au trésor. Il faudra, surtout, composer avec la population… disons, « pittoresque » de l’île, apprendre à décrypter la logique très particulières des cartes aux trésors, composer avec le vaudou … et peut-être même rencontrer l’amour et affronter le fantôme du terrible pirate LeChuck, quitte, pour cela, à découvrir le secret de la légendaire Île aux Singes…

On était capable de très jolies choses avec 16 couleurs, en 1990 (EGA)

The Secret of Monkey Island est un jeu d’aventure conçu par Ron Gilbert, avec le secours de Tim Schafer et Dave Grossman dont on retrouvera, par la suite, les noms au générique de titres comme Day of the tentacle ou Full Throttle. Il s’agit, comme on peut s’en douter, d’un point-and-click vous plaçant aux commandes de Guybrush Threepwood, bien décidé à réaliser son rêve en embarquant dans une aventure qui le mènera bien au-delà de l’Île de Mêlée, via un scénario ouvertement inspiré du roman Sur des mers plus ignorées… de Tim Powers, publié en anglais trois ans plus tôt. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à l’origine, le titre avait été considéré comme un possible jeu de rôle allant largement puiser dans Sid Meier’s Pirates! (Ron Gilbert cite même Ultima parmi ses inspirations) avant de revenir rapidement à une forme plus classique.

Le jeu multiplie les références à Loom, sorti la même année (EGA)

L’interface du titre repose, comme c’était déjà le cas pour tous les titres du studio depuis Maniac Mansion, sur une interface intégralement contrôlée à la souris et basée sur une série de verbes d’action servant à dicter vos actions sur votre inventaire ou sur le reste de l’environnement. Autant dire que la prise en main du titre nécessitera difficilement plus d’une poignée de secondes, d’autant qu’il bénéficie de ce qui deviendra la fameuse « philosophie Lucasfilm » qui fait que non seulement le jeu est non-bloquant (comprenez par là qu’il ne vous sera jamais nécessaire de recharger une partie pour avoir pris une mauvaise décision) mais également que votre personnage ne peut pas mourir (bon, en fait, il peut, lors d’une occasion particulière dans le jeu, mais il faut vraiment le vouloir).

Il faut trouver un trésor pour devenir pirate, donc les pirates vendent des cartes au trésor. Logique. (VGA)

Une philosophie d’ailleurs totalement imputable à Ron Gilbert qui, après avoir travaillé sur Indiana Jones and the Last Crusade, avait cherché à matérialiser ses réflexions sur le game design des jeux d’aventure via un manifeste intitulé, dans son style inimitable, Why Adventure Games Suck (soit en français : « Pourquoi les jeux d’aventure craignent ») et publié en décembre 1989 dans The Journal of Computer Game Design –  un document fondateur dans l’histoire du point-and-click, et peut-être l’un des plus importants de l’histoire du game design, rien que ça. Ce moment historique où un joueur n’aurait plus besoin de recommencer une partie depuis le début pour avoir oublié de ramasser un objet apparemment sans importance dans un jeu d’aventure, c’est The Secret of Monkey Island qui en aura été une des premières manifestations – avec Loom, paru quelques mois plus tôt.

L’Ile de Mêlée devrait vous servir de terrain de jeu pendant un bon moment (VGA)

Tant qu’à faire, la valeur d’un jeu d’aventure, on le sait, se mesure en partie à la qualité de sa réalisation, mais surtout à celles de son écriture et de la conception de ses énigmes. Sans surprise, Ron Gilbert et sa fine équipe seront parvenus à réaliser une alchimie si parfaite de ces trois critères que le titre en est venu à inscrire son nom bien au-delà du monde du jeu vidéo.

Le gouverneur Marley, votre chasse au trésor à vous (EGA)

Le premier point devant absolument être mentionné est l’humour du titre, et sa capacité à faire mouche avec une belle régularité. La légende veut que Dave Grossman et Tim Schafer aient des humours très différents, au point de se voir confier des sections différentes du jeu, et que la rencontre de l’ironie pince-sans-rire de l’un avec les gags beaucoup plus visuels de l’autre aurait au final eu un effet détonnant. Si l’humour du titre est très différent de l’approche « Tex Avery-esque » de Day of the Tentacle, par exemple, le constant décalage entre son univers et les personnages, parfois farouchement anachroniques, qui y évoluent, est très efficace. Le jeu comporte à ce niveau quantité de morceaux de bravoures gravés au fer rouge dans la mémoire des joueurs, comme ces fameux combats au sabre se jouant… à la manière de concours d’insultes, dont les répliques savoureuses ont été écrites par l’écrivain Orson Scott Card (dont je vous recommande au passage l’excellent cycle d’Ender) ou encore cette scène absolument fabuleuse où toute l’action se déroule derrière un mur, hors de la vue du joueur, et où le déroulement des événements est en fait narré par la ligne de commande au milieu de l’interface ! Autant dire qu’il n’était pas encore fréquent, à l’époque, de rire jusqu’à en avoir les larmes aux yeux devant un jeu vidéo, et que Monkey Island est venu bousculer cela avec un aplomb qui force le respect.

Un pont, un troll, logique. Même dans ses choix les plus surprenants, le titre retombe toujours sur ses pattes (VGA)

Les énigmes, elles aussi, savent se montrer aussi absurdes que retorses – sans jamais se montrer illogiques pour autant. Quand vous évoluez dans un univers où il est parfaitement évident de trouver un poulet en caoutchouc avec une poulie au milieu, et où le grog est si corrosif qu’il vous permet de faire fondre des serrures, autant vous habituer à changer votre façon de penser – la qualité globale des énigmes du jeu mérite dans tous les cas d’être saluée pour sa faculté à mettre exactement dans le mille d’un bout à l’autre.

L’humour de la VF n’est hélas pas au niveau de celui de la VO (EGA)

Quitte, d’ailleurs, à vous pousser à vous arracher les cheveux un bon moment, car le titre est loin d’être facile, mais il n’est absolument jamais difficile pour de mauvaises raisons – une preuve définitive, au passage, qu’un joueur n’avait pas besoin d’aboutir à un game over toutes les deux minutes pour rencontrer des difficultés à terminer un jeu d’aventure, et une parfaite démonstration de la leçon de game design que Ron Gilbert venait de livrer au reste de l’industrie. Non seulement on ne peut pas « perdre » au sens d’être obligé de recommencer la partie ou de repartir d’une sauvegarde, mais en plus la difficulté ne repose jamais sur un objet de deux pixels de haut dissimulé à un endroit absurde. Apprendre à tenter les actions les plus improbables sur touts les objets passant à portée de votre main pourra en revanche rapidement devenir une seconde nature.

Les gros plans sont particulièrement réussis, surtout en 256 couleurs (VGA)

La bonne nouvelle est que l’aventure est d’autant plus agréable à parcourir que la réalisation du titre figure clairement dans le haut du panier de l’année 1990. Dans sa version originale en EGA, le titre tire déjà merveilleusement parti des 16 couleurs de sa palette pour afficher des décors grandioses et des animations soignées. Mais le programme aura également connu, quelques semaines après sa sortie, une version VGA en 256 couleurs qui relève encore le niveau d’un cran, particulièrement lors des portraits en plein écran, absolument superbes.

Les combats de sabre, un des nombreux moments cultes du jeu (EGA)

Dans les deux versions, le titre est très agréable à l’œil, et démontre déjà le savoir-faire indéniable des graphistes de chez Lucasfilm à cette époque. Niveau musical, le titre tire avantage des cartes AdLib et Sound Blaster, en proposant notamment ce fameux thème reggae qui sera réutilisé tout au long de la saga. Comme pour Loom, un patch ajoutant la gestion de la Roland MT-32 aura également été publié quelques semaines après la sortie du jeu, même s’il présente le défaut difficilement pardonnable de ne fonctionner qu’avec la version originale en anglais – un vrai faux pas (cela ne concerne apparemment que la version EGA). On regrettera juste que la musique ne se fasse pas toujours entendre, laissant trop souvent la place à de grands silences un peu oppressants.

L’univers du jeu, aussi délirant soit-il, est toujours animé d’une certaine cohérence. Même quand on rencontre des cannibales qui s’inquiètent de leur régime (EGA)

L’un des coups de génie de la saga, cependant, et l’un de ceux qui lui vaut d’être encore aujourd’hui le centre de débats passionnés entre les fans, est l’existence d’un second niveau de lecture du jeu.

Vous serez heureux de goûter enfin à la lumière du jour dans la deuxième partie du jeu (EGA)

En effet, le deuxième épisode de la saga (et le dernier à avoir été écrit par Ron Gilbert avant Return to Monkey Island en 2022) se sera terminé par une révélation majeure que je ne vais évidemment pas vous spoiler, mais qui aura jeté un regard nouveau sur l’aventure vécue au cours des deux premiers épisodes – et notamment sur certains écrans ayant fait cogiter les joueurs pendant des nombreuses heures. Cette idée absolument géniale permet, encore aujourd’hui, de redécouvrir le jeu après avoir fini sa suite et de chercher entre les lignes des indices pour comprendre le véritable secret de l’Île aux Singes – même près de trente ans après. Le genre de petits détails qui transforment un très bon jeu en un titre de légende.

On trouve de tout, sur l’île de Mêlée ! (VGA)

Quelques mots, en conclusion, sur la version française du titre. Celle-ci, malgré de réels efforts, est hélas passablement décevante. En-dehors d’un nombre dérangeant de coquilles, fautes d’accord (les traducteurs des jeux Lucas semblent avoir des problèmes récurrents pour distinguer un futur d’un conditionnel) et autres mots traduits n’importe comment (non, « exhilarating » ne veut pas dire « exhilarant » !!!), la plus grosse perte se situe au niveau de la traduction de l’humour en lui-même. Certes, cet humour passablement absurde et très anglo-saxon n’est pas forcément facile à rendre en français, mais en-dehors de quantités de gags tombant à plat, certains ont purement et simplement été ignorés ou mal compris – un travers qui restera hélas vrai pendant l’essentiel de la série. Pas de quoi fuir cette version pour les joueurs en froid avec la langue de Shakespeare, mais je ne peux que recommander aux anglophones de s’en tenir à la version originale, sous peine de voir le jeu amputé d’une partie de son humour.

La version CD-ROM :

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Qui dit « début des années 90 » dit quasi-obligatoirement « CD-ROM » dans la même phrase, surtout dans le domaine du jeu d’aventure qui se prêtait particulièrement à la transposition sur galette numérique. Après le fiasco qu’avait été la version CD de Loom, on était en droit de se montrer méfiant face à ce portage de Monkey Island, qui ne reproduit heureusement pas les mêmes erreurs. Pas de coupes, cette fois : le contenu du CD est strictement équivalent à ce que proposait la version sur disquettes, la protection de copie en moins, naturellement.

L’interface, en bas de l’écran, est désormais bien moins austère

Côté graphique, le titre reprend sans surprise la réalisation de la version VGA, en prenant malgré tout le soin de dépoussiérer l’interface : les verbes « allumer » et « éteindre » ont disparu (et pour cause : ils ne servaient à rien), et surtout, l’inventaire bénéficie dorénavant d’une représentation intégralement graphique qui préfigure Day of the Tentacle, et s’avère moins tristounette que la simple liste textuelle des autres versions. Autant dire qu’on tient là la plus belle et la plus accessible de toutes les versions, au moins jusqu’à la sortie de l’Édition Spéciale de 2009.

Le coucher de soleil du début de la version EGA a disparu, en 256 couleurs

Côté son, évidemment, on attend cette version CD au tournant, et on sera heureux de profiter d’une musique qui enterre sans discussion possible les thèmes entendus sur Amiga ou avec une Roland MT-32. Je vous laisse profiter du thème, audible dans la vidéo ci-dessus, pour vous faire un avis. Le jeu bénéficie également de nouveaux bruitages de toute beauté, qui vous permettront enfin d’entendre la mer et le cri des mouettes sur la jetée près du SCUMM bar. En revanche, déception du côté des voix, puisqu’il n’y a tout simplement pas de doublages dans cette version, pas plus qu’il n’y en aura dans la suite. Il faudra donc attendre le troisième épisode, en 1999, pour connaître enfin la voix de Guybrush Threepwood, ce qui est un peu dommage.

Vidéo – Quinze minutes de jeu (version CD-ROM) :

NOTE FINALE : 18/20 (versions EGA/VGA) - 19/20 (version CD-ROM) Rencontre improbable entre un humour absurde à la Monty Python, un univers délicieusement décalé où les fantômes pirates côtoient les cannibales végétariens, et un souffle épique portés par les ports des Caraïbes, The Secret of Monkey Island est peut-être l'un des représentants les plus mémorables et les plus accomplis d'un genre qu'il a largement contribué à populariser. Louvoyant entre les morceaux de bravoure et les scènes cultes, ballotés entre les énigmes retorses et les bijoux d'écriture, le navire mené par Ron Gilbert et son excellent équipage aura été mené à bon port avec une maestria rare, qui lui vaut d'être resté amarré à la légende près de trente ans après sa sortie. Une aventure à vivre au moins une fois, avec le reste de la saga dans la foulée. CE QUI A MAL VIEILLI : – Certaines énigmes particulièrement machiavéliques – Version française décevante – Pas de gestion de la Roland MT-32 sur les versions localisées (version EGA) – Connaîtra-t-on un jour le véritable secret de l'Île aux Singes ?

Bonus – Ce à quoi peut ressembler The Secret of Monkey Island sur un écran cathodique (version EGA) :

Les avis de l’époque :

« The Secret of Monkey Island est un de ces bons jeux d’aventure qui paraissent régulièrement. Il n’a rien d’exceptionnel mais il procure de longues heures de passionnantes recherches. Je le recommande donc uniquement aux mordus des aventures en tous genres. Aux autres, je dirais qu’ils ne ratent rien d’impérissable. »

Dany Boolauck, Tilt n°82, Octobre 1990, 15/20

Version Amiga

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Ubisoft France SAS
Date de sortie : Janvier 1991 (Europe) – Juin 1991 (États-Unis)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, espagnol, français, italien
Support : Disquette 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette testée sur Amiga 600
Configuration minimale : Système : Amiga 1000 – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : OCS/ECS
Installation possible sur disque dur

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

On aurait pu penser, en voyant la version Amiga de The Secret of Monkey Island paraître quelques semaines à peine après la version PC, que ce portage serait un simple clone des versions PC EGA et Atari ST, comme cela avait été le cas pour Loom. Mais grosse surprise en lançant le jeu : le titre est bien décidé à profiter de toute la palette de couleurs de la machine de Commodore, et le travail sur les portraits, notamment (ou le fait que le coucher de soleil du début du jeu ait là aussi disparu), tend à indiquer que cette version aura été développée en même temps que la version VGA.

Les portraits vont clairement lorgner du côté de la version VGA

Concrètement, le jeu est graphiquement plus détaillé que dans les version EGA et Atari ST, même si on perd également une partie des choix très marqués en terme de palette chromatique – et que le jeu est sensiblement plus lent. On sera donc tenté de placer ce portage au-dessus de la version originale, mais en-dessous de la version VGA. Côté musique, en revanche, l’Amiga met tout le monde d’accord : à part la Roland MT-32, aucune carte son ne rivalise avec ce qu’offre la puce Paula. Le fameux thème reggae du jeu est vraiment splendide, à tel point qu’on a bien du mal à se décider à le couper au lancement du jeu (lancez la vidéo, si vous ne me croyez pas !), et cela reste vrai pour les autres morceaux de musique pendant le reste de la partie. C’est bien simple : il faudra attendre les versions CD-ROM du jeu pour supplanter l’itération Amiga. En terme de contenu et de déroulement du jeu, en revanche, le titre est très exactement identique aux autres versions.

Le jeu est plus beau et plus détaillé qu’en 16 couleurs

NOTE FINALE : 18/20

Tirant, pour une fois, intégralement parti des capacités de l’Amiga, The Secret of Monkey Island dispose, sur la machine de Commodore, d’une excellente version qui n’est supplantée graphiquement que par la version VGA et musicalement que par les itérations CD.

Version Atari ST

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Ubisoft France SAS (France)
Date de sortie : Juin 1991
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ double-face (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette testée sur Atari 1040 STe
Configuration minimale : Système : 1040 ST – RAM : 1Mo
Écran monochrome supporté
Installation possible sur disque dur

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Peu de grosses surprises pour cette version Atari ST de The Secret of Monkey Island. Comme on pouvait s’y attendre, le jeu est graphiquement un calque de la version EGA, et l’aventure n’a pas changé d’un iota en passant sur la machine d’Atari. En revanche, la grosse déception se situe du côté sonore : non seulement ce portage rivalise à peine avec ce qu’était capable de produire le haut-parleur interne du PC, mais en plus, plusieurs des thèmes musicaux du titre ont purement et simplement disparu ! C’est d’autant plus dommage qu’il était tout à fait possible de connecter une Roland MT-32 à un Atari ST mais, contrairement à la version PC, aucun patch n’a a ma connaissance vu le jour pour en tirer parti. Cela ne pénalise heureusement que légèrement le jeu, mais suffit à faire de cette version la moins bonne de toutes celles parue sur le marché.

Pas de quoi se sentir dépaysé, pour les possesseurs de la version EGA

NOTE FINALE : 17,5/20

Ça a le gout de la version EGA, ça a la texture de la version EGA, ça pourrait être une simple copie conforme de la version EGA ; malheureusement, les limitations sonores de l’Atari ST additionnées à des coupes injustifiées dans les thèmes musicaux du jeu font de cette version de The Secret of Monkey Island le mouton noir de tous les portages du titre. Un joli mouton noir, mais quand même.

Version FM Towns

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Victor Musical Industries, Inc.
Date de sortie : Septembre 1992
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : CD-ROM
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version CD-ROM japonaise
Configuration minimale : RAM : 2Mo

Vidéo – L’introduction du jeu :

Comme Loom, paru la même année, The Secret of Monkey Island aura connu les joies d’un portage sur FM Towns. Mais contrairement à son collègue, qui s’était érigé en sorte de « version absolue » du jeu, la faute aux (très) nombreux errements de la version CD-ROM, les choses seront ici beaucoup plus simples : cette version est la copie conforme de celle parue sur PC (comprendre : la version CD-ROM, naturellement)… à quelques curieux détails près – le pirate qui tournoyait sur le lustre du SCUMM Bar a disparu, par exemple. Graphismes en 256 couleurs, bande sonore numérique, il ne manque une nouvelle fois que les doublages, mais pour le reste on ne voit pas trop ce qu’on pourrait demander de plus – on récupère même l’inventaire dessiné, à la Monkey Island 2. Pour ne rien gâcher, il ne sera même pas nécessaire ici de savoir lire le japonais, puisque la version anglaise est disponible au lancement. Évidemment, dénicher cette version a d’autant moins d’intérêt que celle parue sur PC, elle, n’a rien de rare, mais si jamais vous avez envie de découvrir le jeu sur la machine de Fujitsu, eh bien rien ne devrait vous encourager à changer d’idée.

Hmm… Il ne manquerait pas quelqu’un, là ?

NOTE FINALE : 19/20

Pas de version ultime ici, ou plutôt à peu près la même que celle qui aura été distribuée à la même époque sur PC : The Secret of Monkey Island sur FM Towns n’est rien d’autre que la transcription (presque) fidèle de la version CD-ROM du jeu, et en anglais s’il vous plait. Si, pour une raison quelconque, vous êtres bien décidé à ne pas la découvrir directement sur PC, voilà au moins une alternative qui ne vous privera pas de grand chose de plus que de la version française.

Version Macintosh

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Lucasfilm Games LLC
Date de sortie : 1992
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette
Configuration minimale : Processeur : Motorola 68020 – OS : System 6.0.7 – RAM : 2Mo

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

En 1992, le Macintosh avait beau être toujours considéré comme un ordinateur de bureau (cela a-t-il vraiment changé ?), il commençait à pouvoir afficher sans difficulté exactement ce que proposait un PC de pointe. Cela se ressent d’ailleurs dans ce portage de The Secret of Monkey Island : graphiquement, c’est une pure transcription pixel perfect de la version VGA du jeu – cela tombe bien, c’était la plus belle. Au niveau sonore, le résultat est déjà un peu plus ouvert au débat : je le trouve personnellement plutôt inférieur à ce que laissait entendre une AdLib – et donc à des kilomètres d’une Roland MT-32 – mais on reste très au-dessus de ce qu’offrait la version Atari ST. Le résultat final ne devrait donc frustrer personne, même si on pourra regretter que la version CD-ROM n’ait pas fait le trajet jusqu’à la machine d’Apple.

On sait ce qu’on est venu chercher, et on l’obtient

NOTE FINALE : 18/20

Aucune mauvaise surprise pour The Secret of Monkey Island sur Macintosh, qui débarque dans une version graphiquement identique à l’itération VGA, avec une réalisation sonore qui ne fera certes pas oublier la version CD-ROM, mais qui ne devrait faire fuir personne non plus.

Version SEGA CD

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : JVC Musical Industries, Inc.
Date de sortie : 23 septembre 1993 (Japon) – Novembre 1993 (États-Unis)
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : CD-ROM
Contrôleurs : Manette, Mega Mouse
Version testée : Version américaine
Spécificités techniques : Système de sauvegarde par mot de passe

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Voyant débarque le Mega-CD dans les foyers européens, Lucasfilm y vit fort naturellement l’occasion rêvée de porter toute sa gamme de jeux d’aventure sur un support CD qui était fait pour cela, et sur une machine dont l’architecture était assez proche de celle de l’Amiga. The Secret of Monkey Island fut donc envoyé en éclaireur, histoire de juger de la viabilité du marché pour leur gamme de jeux… et de décider de ne pas prolonger l’expérience, après que le jeu a connu un bide commercial.

C’est largement aussi beau que sur Amiga, même si le jeu est étrangement devenu très sombre

On pourra très certainement attribuer ce bide aux difficultés rencontrées par le Mega-CD, à cette époque, pour trouver son public, la faute à un catalogue de titres se résumant à l’époque à 90% à une suite de jeux en FMV. Car le portage effectué sur la machine de SEGA, lui, est irréprochable. Jugez plutôt : niveau sonore, le titre est identique à la version PC CD-ROM sortie un an plus tôt, de la musique aux bruitages. Graphiquement, le Mega-CD ne peut évidemment pas rivaliser avec les 256 couleurs de la version PC, il reprend donc ceux de la version Amiga en plus sombre (j’ai augmenté la luminosité sur les captures) – l’interface retouchée en plus. La maniabilité au pad est un tout petit peu moins naturelle qu’à la souris, mais le titre reste parfaitement jouable, bref, un sans-faute presque intégral. Je dis « presque », car en plus des temps de chargement à répétition, la version française n’aura pas fait le chemin jusque sur la machine de SEGA, et pour cause : le jeu ne sera jamais sorti en Europe.

Mieux vaut pousser un peu la luminosité de votre écran (comme ici), sinon on n’y voit rien du tout

NOTE FINALE : 18/20

Porté sur Mega-CD, The Secret of Monkey Island y délivre une copie presque parfaite, la réalisation tirant le meilleur du hardware de la machine de SEGA. La qualité de la musique CD est toujours irréprochable, et la maniabilité au pad est limpide. Dommage, en revanche, que cette version soit strictement réservée aux anglophones – et qu’elle soit aussi sombre.

Dune

Développeur : Cryo Interactive Entertainment
Éditeur : Virgin Games
Testé sur : PC (DOS)AmigaMega-CD

La saga Dune (jusqu’à 2000) :

  1. Dune (1992)
  2. Dune II : Battle for Arrakis (1992)
  3. Dune 2000 (1998)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Avril 1992 (version disquette) – Mai 1993 (version CD-ROM)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français (voix en anglais, textes en français)
Supports : CD-ROM, disquettes 5,25″ et 3,5″
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Version testée : Versions disquette et CD-ROM émulées sous DOSBox Staging
Configuration minimale : Version disquette :
Processeur : Intel 80286 – OS : PC/MS-DOS 3.0 – RAM : 640ko
Mode graphique supporté : VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, AdLib Gold, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro

Version CD-ROM :
Processeur : Intel 80386 – OS : PC/MS-DOS 5.0 – RAM : 640ko – MSCDEX : 2.2 – Vitesse lecteur CD-ROM : 1X (150ko/s)
Mode graphique supporté : VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, AdLib Gold, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Dune de Frank Herbert n’est pas seulement un pilier majeur de la littérature de science-fiction. Il partage également avec Don Quichotte une caractéristique étrange : celle d’être une adaptation maudite. Tout comme Orson Welles ou Terry Giliam se sont successivement cassés les dents en cherchant à faire un film tiré de l’œuvre de Miguel de Cervantes (avec une lutte de près de vingt ans pour terminer son film dans le cas du second), Alejandro Jodorowsky ou David Lynch auront laissé quelques cheveux et perdu quelques rêves en se frottant au premier livre d’une saga réputée inadaptable. Bon courage, donc, à Denis Villeneuve, qui se prépare au moment où j’écris ces lignes à porter sur grand écran un univers face auquel de plus célèbres que lui se sont déjà ramassés jusqu’à renier partiellement leur travail.

Mais en dépit des très nombreuses passerelles existant entre le septième et le dixième art, le fait est que Dune, de manière inexplicable, a souvent beaucoup mieux vécu ses adaptations vidéoludiques que ses semi-ratages dans les salles obscures. Et avant même que Westwood Studios ne s’empare du bébé pour fonder, pratiquement à lui tout seul, le genre de la stratégie en temps réel avec Dune II, Cryo s’était déjà mis à l’ouvrage avec un titre qui aura fait énormément pour asseoir la réputation du studio français – et accessoirement celle d’un compositeur du nom de Stéphane Picq, mais nous y reviendrons.

Projetons-nous donc en 1992. À cette époque, Cryo Interactive va sur ses deux ans, la société française résultant de la fusion entre ERE informatique et son label Exxos, lui-même créé avec le soutien de… Alejandro Jodorowsky (comme le monde est petit !). Alors qu’Exxos avait signé ses débuts suite à un grand succès commercial nommé Captain Blood avant que le soufflé ne retombe, la faute à des jeux un peu « trop français » dans leur conception de type Kult ou Purple Saturn Day, le premier jeu made in Cryo, Extase, aura lui connu des ventes relativement confidentielles.

Alors, pour son deuxième projet, le studio français table sur quelque chose de plus ambitieux, un projet qui tenait à cœur à Philippe Ulrich depuis des années : la toute première adaptation vidéoludique de Dune – celle-là même qui nous intéresse aujourd’hui. Mais sur quel terrain asseoir un jeu tiré du livre-univers de Frank Herbert ? Ce ne sera pas de la stratégie, comme dans le cas du choix opéré par Westwood la même année, mais bien une alchimie étrange entre jeu d’aventure à la première personne, gestion et combat stratégique – le développement du jeu se sera d’ailleurs révélé à peu près aussi chaotique, accidenté et constellé d’improbables retournements que celui du film de Lynch, la faute à une relation exécrable avec Virgin Games. Un assemblage bâtard entre différents gameplay incompatibles, comme c’était un peu trop souvent la mode à la fin des années 80 ? Peut-être quelque chose de plus enthousiasmant que ça : après tout, dans le cadre du jeu vidéo également, les miracles existent.

Le jeu vous place donc directement dans la peau de Paul Atréides, fraichement débarqué sur la planète Dune, et plus précisément au palais Arakeen, avec toute sa famille. La mission confiée par l’empereur Shaddam IV est a priori simple : assurer la récolte de l’épice-mélange, la substance la plus précieuse de tout l’univers, qu’on ne trouve nulle part ailleurs que sur la planète Arrakis, mieux connue sous le nom de Dune, donc (en même temps, vu le titre du jeu, j’ose espérer que vous aviez déjà compris que vous n’alliez pas passer la partie sur Pluton). Mais vous n’êtes pas exactement seuls sur cette fameuse planète, puisque vos rivaux de toujours, la famille Harkonnen, sont toujours sur place avec la ferme intention de vous placer des bâtons dans les roues. Surtout, le peuple du désert, les mystérieux Fremen, pourrait représenter votre plus grand allié – et il se murmure justement parmi eux qu’un messie fera un jour son apparition, un étranger qui connaitra toutes leurs coutumes et les emmènera un jour vers le Jihad…

Abordons donc le premier point fort de Dune : sa prise en main. Chose encore assez exceptionnelle pour un titre de 1992 (et sans doute dû en grande partie à la pression de Virgin Games, qui haïssait l’interface des premières versions du jeu), un passage par le manuel sera totalement facultatif. Tous les enjeux de la partie vous sont résumés lors de la sympathique introduction (visible ci-dessus) qui fait d’ailleurs presque office de bande-annonce de la partie à venir, procédé fort original encore aujourd’hui. Puis, une fois la partie commencée, l’interface vous affiche la liste des actions possible par un menu en bas de l’écran, tandis que bouger le curseur de la souris jusqu’à l’un des bords de la fenêtre vous permet de vous déplacer.

Histoire de ne pas rater une porte, un indicateur des directions qu’il est possible d’emprunter est affiché en bas à droite, et une encyclopédie placée dans le coin inférieur gauche permettra aux distraits de retrouver les informations qui leur aurait échappé quant à l’univers. La sauvegarde, quant à elle, se fera impérativement par une visite à votre chambre, où vous pourrez vous observer dans un miroir qui aura également le mérite de vous communiquer une information plus importante qu’elle en a l’air : la vitesse à laquelle vos yeux se colorent en bleu à cause de la saturation du sang par l’épice.

Comme on le voit, difficile de faire plus simple : toutes les informations sont visibles à l’écran, et le jeu se joue parfaitement en ne faisant usage que d’un seul bouton de la souris sans jamais toucher au clavier. Mais pour ne rien gâcher, les premières conversations feront également office de tutoriel, puisque chaque personnage prendra le soin de se présenter, de vous rappeler ses liens avec vous et de vous dire clairement ce qu’on attend de vous lors des prochaines minutes. Un moyen très ingénieux de prendre le joueur par la main et de lui permettre de découvrir, tout au long de la partie, les possibilités sans cesse croissantes qui vont s’offrir à lui – justement, votre père vous propose de rejoindre Gurney Halleck qui est parti préparer le terrain dans les premiers sietchs (les habitats Fremen) à proximité du palais. L’occasion pour vous d’aller faire connaissance avec les autochtones et de les convaincre de travailler pour vous puisque ramasser l’épice restera un objectif majeur pendant l’intégralité de la partie.

C’est à ce moment qu’on ne peut qu’apprécier l’ingéniosité du système de jeu, et surtout la façon dont il tire savamment parti de l’œuvre dont il est tiré. En effet, rapidement, les possibilités de votre personnage vont s’étendre, lui offrant la capacité de communiquer par télépathie. Ainsi, si donner des instructions à vos Fremen vous demandera au début de partie d’aller leur rendre visite grâce à l’ornithoptère qui sera votre premier moyen de transport, vous pourrez rapidement les contacter directement depuis la carte stratégique dans un rayon qui s’étendra selon votre maîtrise – jusqu’à couvrir le globe dans son entier. Dans le même ordre d’idée, de nouveaux enjeux apparaitront au fur et à mesure de la partie, vous laissant le loisir d’entrainer vos Fremen au combat, de leur trouver un leader, de voyager à dos de ver des sables, de rencontrer l’amour et même de commencer à faire naître la végétation sur Dune !

Bref, la lassitude ne s’installe jamais, grâce à des personnages hauts en couleur tirés directement de l’œuvre originale venant développer à chaque fois le scénario un peu plus loin, et c’est avec un plaisir non dissimulé que les fans du livre pourront recroiser Thufir Hawat, Duncan Idaho, Liet Kynes, Harah ou Stilgar. Surtout, les joueurs n’ayant jamais mis le nez dans le roman ni dans aucune de ses adaptations ne seront absolument pas perdus, ce qui est un autre tour de force.

À noter que les fans du long-métrage de David Lynch, eux aussi, pourront s’en donner à cœur joie en comptant les références au film, le design de certains personnages (à commencer par Paul Atréides, mais aussi sa mère Jessica) en étant directement tiré – une nouvelle fois sous la pression de Virgin Games, bien décidé à capitaliser sur la licence du film, et non sur celle du livre. On remarquera d’ailleurs que Feyd Rautha Harkonnen a des traits très inspirés de ceux de Sting… sans lui ressembler trop ouvertement, le chanteur ayant refusé qu’on emploie son image dans le jeu, tout comme Patrick Stewart et bien d’autres. Ce qui aura conduit bien des personnages à disposer d’un design original – celui originellement voulu par l’équipe de développement – ce qui sera l’occasion de saluer la qualité exceptionnelle de la réalisation du titre. Soyons francs : c’est magnifique, d’abord parce que le titre a une « patte » certaine qui n’a pas pris une seule ride, ensuite parce qu’on ne peut qu’admirer le soin apporté à une multitude de petits détails, comme la gestion du jour et de la nuit avec les aurores/crépuscules correspondants, les vols en vue subjectives à bord de votre ornithoptère (ou à dos de ver), les effets de zoom et de distorsion lors des conversations télépathiques, le quasi photoréalisme de certains visages, etc.

Le titre de Cryo tire pleinement parti des 256 couleurs de sa palette, le rendant aujourd’hui encore très agréable à l’œil. On sera d’ailleurs heureux de constater que les vols en pseudo-3D mentionnés plus haut tiennent compte du relief que vous survolez, affichant des pierres dans les zones rocheuses, et des arbres par centaines lorsque vous serez parvenu à faire grandir de la végétation sur Arrakis. On s’y croit à fond ! Mais quitte à aborder la réalisation du titre et sa magie si particulière, il serait criminel de ne pas aborder l’un des aspects les plus marquants du titre de Cryo : sa musique.

N’allons pas par quatre chemins : la B.O. composée par Stéphane Picq et Philippe Ulrich est l’une des œuvres les plus marquantes de toute l’ère 16 bits, et sans doute bien au-delà. Tirant partie de toutes les cartes sonores de l’époque, depuis l’AdLib jusqu’à la Roland MT-32 en passant même par la gestion des capacités spécifiques de l’AdLib Gold et de son module Surround (pour la petite histoire, seuls deux jeux tireront pleinement parti de ces capacités, tous deux issus des studios Cryo : Dune et KGB), celle-ci livre une partition inoubliable avec des sonorités électroniques sans équivalents dans le monde du jeu vidéo – à tel point qu’elle fut l’une des premières B.O. de jeu vidéo à paraître sur CD sous le titre de Dune : Spice Opera. Autant dire que l’ensemble des mélodies qui la composent représente une extraordinaire madeleine de Proust pour tous les joueurs s’étant un jour ou l’autre essayé au jeu, l’atmosphère fabuleuse qu’elles dégagent étant une excellente raison de replonger périodiquement dans un titre qu’on aura pourtant fini des dizaines de fois.

À noter d’ailleurs que le jeu est malheureusement très court – ne comptez pas plus de quatre ou cinq heures pour le boucler – et que son extrême accessibilité le rend également très facile. Les demandes de l’empereur en terme de livraisons d’épice sont très raisonnables, et vous ne devriez pas avoir trop de mal à tenir confortablement le rythme tout en vous laissant le temps d’entrainer vos troupes pour aller apprendre la politesse aux Harkonnen.

Les aspects « gestion » et « stratégie » du jeu sont d’ailleurs simplissimes : on dit à chaque troupe de Fremen ce qu’elle doit faire et où, et le reste se fait sans nous ; tout juste gardera-t-on un œil sur l’équipement de tout ce beau monde pour optimiser son efficacité, une moissonneuse d’épice n’étant pas vouée à tenir très longtemps sans un ornithoptère pour surveiller les vers des sables, et une troupe de combattants pouvant obtenir des résultats drastiquement différents selon qu’elle soit équipée de Kriss ou d’armes atomiques. Certes, on peut mourir pour avoir un peu trop trainé la patte, pour avoir échoué à comprendre ce qu’on attendait de nous ou pour avoir effectué un survol un peu trop téméraire en plein territoire Harkonnen, mais il faudra rarement plus de deux parties pour venir à bout du titre – avec un petit pincement désagréable qui nous fera comprendre qu’on aurait volontiers passé six ou sept heures de plus sur Arrakis. Un très bon signe pour un titre aussi accessible que prenant qu’on aura bien du mal à lâcher et dont l’univers comme les mélodies risquent de s’inviter dans nos souvenirs pour quelques dizaines d’années. Quelques mots enfin, comme c’est la coutume, sur la version française du jeu : Cryo étant une société française, on n’aura aucune mauvaise surprise à ce sujet. Tous les dialogues sont écrits dans un français irréprochable, littéraire, sans coquille ni faute de grammaire, bref, vous pouvez foncer les yeux fermés.

La version CD-ROM :

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Dune est également l’un des premiers jeux occidentaux à avoir été porté sur CD-ROM. Comme souvent à l’époque, remplir une galette avec un jeu qui tenait sur trois disquettes 3″1/2 demandait un peu d’imagination, et on sera déçu de constater que tirer parti du support pour profiter de la B.O. du jeu dans toute sa pleine gloire n’était visiblement pas à l’ordre du jour. Eh oui, CD ou pas, il faudra encore composer avec très exactement la même musique MIDI – sublime, certes – que sur la version disquettes. On constatera en revanche qu’il est dorénavant possible de faire cohabiter deux cartes sonores, par exemple histoire de profiter des voix à côté d’une Roland MT-32.

Car bien évidemment, le jeu est désormais intégralement doublé – uniquement dans la langue de Shakespeare, hélas, mais la qualité du jeu des acteurs est irréprochable. Les sous-titres, eux, reste en français, personne ne sera donc perdu dans cette version. Cryo aurait très bien pu en rester là, mais on sent que l’envie de proposer un petit coup de polish sur leur jeu a fait son chemin entre deux versions, ce qui fait qu’on sera également heureux de constater l’apparition de quelques fioritures bienvenues. Tout d’abord, le jeu profite désormais, en ouverture de son introduction, d’une petite présentation vidéo de l’univers par la princesse Irulan (la fille de l’empereur Shaddam IV), directement tirée du film de David Lynch. Les formats de compression de l’époque étant encore assez… rudimentaires, on devra se contenter d’un affichage façon « un pixel sur quatre », mais le résultat reste relativement efficace pour peu qu’on ait la bonne idée de plisser les yeux ou de s’éloigner un peu de son écran.

Une fois en jeu, en constatera quelques autres modifications. Tout d’abord, une table mixage est désormais présente en permanence dans l’interface au bas de l’écran. Un très bon moyen de profiter de la musique du titre, d’autant qu’il est désormais possible d’écouter tous les morceaux à la suite, façon CD, sans que leur ordre soit dicté en rien par vos actions en jeu. Du côté des graphismes, autre surprise : les déplacements en pseudo-3D ont désormais laissé place à de la 3D pré-calculée, tout comme le désert dans son ensemble qui abandonne ainsi le pixel art. On appréciera ou pas, mais force est de constater que le côté « froid » et impersonnel imputable à la 3D ne fait pas trop de dégâts ici. On constatera également que les entrées des sietchs ou le bas des marches du palais Arakeen ont également été modélisés en 3D. Les intérieurs, les portraits et tout le reste du contenu du jeu, eux, restent entièrement dessinés à la main, ce qui est une très bonne chose.

Vidéo – Quinze minutes de jeu (version CD-ROM) :

Du côté des fans :

En tête des raisons qui valent à Dune, le jeu vidéo, de bénéficier d’une popularité intacte plus de trente ans après sa sortie se situe sa formidable bande originale – qui avait déjà fait fait, comme on l’a vu, l’objet d’une sortie au format CD, chose encore exceptionnelle à l’époque. Il se trouve que Stéphane Picq ayant récemment récupéré les droits de l’album en question, il en a tiré un remaster que vous pouvez désormais acquérir sur Bandcamp à cette adresse. Un excellent moyen de (re)découvrir dans des conditions optimales des thèmes musicaux qui ont marqué une génération.

Récompenses :

  • Tilt d’or 1992 (Tilt n°109, décembre 1992) – Meilleure bande-son micro

NOTE FINALE : 18/20 Au milieu de la ludothèque ô combien irrégulière en terme de qualité issue des studios Cryo, Dune fait figure d'exception autant que de chef d’œuvre : le titre qui aura miraculeusement accompli l'alchimie entre respect de l’œuvre dont il est tiré, réalisation exceptionnelle, musique légendaire, prise en main immédiate et savant mélange entre aventure, stratégie et gestion. Plus qu'un jeu, Dune est à la fois l'un des plus beaux hommages au livre de Frank Herbert et au long-métrage de David Lynch, mais également une expérience à nulle autre pareille, quelque part entre une balade en terre inconnue portée par une ambiance fabuleuse, exploration, découverte, et cette impression tenace d'être redevenu un enfant de onze ans avec une capacité d'émerveillement intacte. Le jeu est certes un peu court – ce qui ne lui laisse pas le temps de devenir trop redondant – et définitivement trop simple, mais il porte en lui une magie comme on n'en rencontre plus à l'heure de l'ultra-réalisme et de la 3D reine. Tout simplement un titre de légende. CE QUI A MAL VIEILLI : – Le jeu se termine très vite – Difficulté purement anecdotique

Les avis de l’époque :

« Techniquement, ce jeu est très proche de ce qui, pour moi, est la perfection. Les graphismes sont très beaux et soutenus par des changements de palette à couper le souffle. (…) Mais à mon avis, ce qui fait la force de ce jeu, c’est la musique. Lancer Dune et mettre le casque sur les oreilles est une expérience étonnante. Du jamais-ouï sur micro-ordinateur. »


Jean-Loup Jovanovic, Tilt n°101, Avril 1992, 18/20

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Dune sur un écran cathodique :

Version Amiga

Développeur : Cryo Interactive Entertainment
Éditeur : Virgin Games, Inc.
Date de sortie : Juin 1992
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Version testée : Version disquette testée sur Amiga 600
Configuration minimale : Système : Amiga 500/2000 – OS : Kickstart 1.2 – RAM : 1Mo
Modes graphiques supportés : OCS/ECS
Installation sur disque dur supportée
Lecteur de disque externe supporté

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Tout comme sa suite-qui-n’en-est-pas-une, programmée par Westwood et publiée la même année, Dune aura également connu sa conversion sur Amiga. Sans surprise, le déroulement de l’aventure et le contenu du jeu sont strictement équivalents à l’original sur PC, intéressons-nous donc à ce qui fait la spécificité de cette version: sa réalisation.

Graphiquement, tout d’abord, la palette de l’Amiga 500 ne peut pas rivaliser avec les 256 couleurs de la version PC. Les graphismes sont donc moins colorés, ce qui ne sera une surprise pour personne. En revanche, force est de reconnaître que cela reste plus que correct, et que si les écrans fixes ne provoquent plus les mêmes claques que sur la machine d’IBM, le titre demeure très agréable à l’œil, notamment grâce à des sélections judicieuses dans les couleurs à utiliser. Bref, si personne n’aura de raison de privilégier cette version à sa consœur pour ses graphismes, personne n’aura de raison de la bouder non plus.

Du côté de la musique à présent, comme on le sait, l’Amiga est sensiblement mieux équipé pour rivaliser avec la version PC – même équipée d’une Roland MT-32, dont la réalité du gain qualitatif par rapport à ce que proposait le jeu avec une AdLib ou une Sound Blaster pourrait déjà être sujet à débat.

Et à ce niveau-là, pas de problème, la puce Paula fait au moins jeu égal avec la concurrence. La comparaison est rendue difficile par le fait que la version Amiga ne va pas piocher exactement les mêmes morceaux que la version PC au sein de l’album Spice Opera (et surtout, par le fait qu’il n’y a plus désormais que trois thèmes audibles !), mais si cela modifie très légèrement l’ambiance du titre, le résultat reste largement à la hauteur de la version PC – les débats faisant même rage, entre les passionnés, pour savoir si la musique de cette version ne serait pas encore meilleure. Inutile de prendre part dans un duel entre deux écoles de nostalgiques : la B.O. est une nouvelle fois fantastique, et ce portage sur Amiga reste une curiosité qui vaut largement la peine d’y prêter une oreille, le temps d’une ou deux heures de jeu.

NOTE FINALE : 17/20

D’accord, Dune sur Amiga est moins beau que sur PC, c’est indiscutable. Cela n’empêche pas cette version de s’en sortir avec les honneurs, tant elle tire le maximum d’une palette limitée – et surtout, tant elle rend à nouveau une copie irréprochable au niveau musical. Sensiblement différente de celle de la version originale, la B.O. de ce portage vous délivrera malgré tout au moins autant de frissons que sur PC, et les amateurs des compositions de Stéphane Picq et Philippe Ulrich auraient tort de ne pas aller s’essayer à la version Amiga, à leur tour, histoire de profiter d’un nouveau parfum de madeleine de Proust. Une très bonne version.

Version Mega-CD

Développeur : Cryo Interactive Entertainment
Éditeur : Virgin Games, Inc.
Date de sortie : Décembre 1993 (Amérique du Nord) – Janvier 1994 (Europe)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Anglais, français (version française intégrale)
Support : CD-ROM
Contrôleur : Joypad
Version testée : Version européenne
Spécificités techniques : Système de sauvegarde par mémoire interne ou CD BackUp RAM Cart

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Surprise qui n’en est peut-être pas complètement une : Dune aura également été porté sur Mega-CD. Mais après tout, considéré que le titre de Cryo était l’un des premiers à tirer avantage du support, quelle destinée plus logique pour lui que d’aller égayer un peu la ludothèque de la machine de SEGA ? Surtout que la firme japonaise semblait très intéressée, à l’époque, à porter des jeux d’aventure venus du PC – du moins jusqu’à ce que des ventes médiocres ne douchent un peu leur enthousiasme.

Cette version Mega-CD reprend donc, comme on pouvait s’y attendre, le contenu de la version PC CD-ROM pratiquement à l’identique. Je dis « pratiquement » pour deux raisons : tout d’abord, les limitations techniques évidentes inhérentes à la machine de SEGA, et ensuite, grâce à l’apparition d’une nuance de taille. En effet, lors du lancement du jeu, le titre vous propose de choisir votre langue, entre l’anglais et le français – jusqu’ici, rien de révolutionnaire. Mais si vous avez la bonne idée de sélectionner la langue de Molière, vous aurez la surprise de découvrir une version française intégrale, doublages inclus (doublages que vous pourrez d’ailleurs entendre dans l’introduction ci-dessus) ! Eh oui, contrairement à la version PC CD-ROM qui n’offrait que des doublages anglophones, Dune sur Mega CD propose des voix françaises de très bonne qualité – les acteurs ne tombent ni dans l’excès d’emphase ni dans le sous-jeu, les timbres sont bien choisis en fonction des personnages, bref, on est a des kilomètres de l’amateurisme constaté dans d’autres jeux à la même époque – au hasard dans le Dragon Lore du même Cryo. On remarquera d’ailleurs que même le discours introductif de la princesse Irulan est directement repris de la VF du Dune de David Lynch – voilà ce qu’on appelle du travail bien fait !

Mine de rien, cette ambition certaine au moment du portage peut représenter une grosse différence en terme d’immersion – d’autant que les anglophones ne seront spoliés en rien, les voix originales étant toujours présentes à condition de choisir de jouer en anglais au début de la partie. Pour ne rien gâcher, le reste du jeu n’a pas été galvaudé : la maniabilité au pad ne pose aucun problème, et la réalisation graphique reste à la hauteur – même si elle reste très loin de ce qu’offre l’Amiga, aux capacités pourtant relativement proches. La 3D pré-calculée des scènes de vol, elle, vient directement de la version PC – en 32 couleurs, certes, mais là encore le travail est très propre.

Bien sûr, le jeu peut difficilement rivaliser avec la version PC dans ce domaine, mais la fabuleuse ambiance du titre ne souffre pas trop – d’autant que la musique, elle aussi, est toujours présente. Entre les versions existantes, la B.O. a fait son choix : ce sont les thèmes de la version PC qui ont été repris… même si plusieurs thèmes ont disparu au passage. Et si la qualité musicale pourra sembler très légèrement inférieure à ce que proposait l’AdLib, le plaisir demeurera quasiment intact. En résumé, une version sérieuse avec de sérieux arguments à faire valoir.

NOTE FINALE : 17,5/20

Le Mega-CD n’était pas forcément la plateforme où on attendait Dune, et pourtant, au final, quel choix aurait pu paraitre plus logique ? Là où on aurait pu s’attendre à un simple portage de la version PC CD avec les graphismes de la version Amiga, la machine de SEGA nous rappelle qu’elle en a dans le ventre en proposant un portage, certes inférieur graphiquement au titre sur PC (et sur Amiga) et avec quelques thèmes musicaux en moins, mais largement apte à faire jeu égal dans tous les autres domaines – et même à le surpasser sur le plan de la qualité de la localisation puisque cette version reste la seule à proposer des voix françaises, et de qualité, excusez du peu ! Bref, une excellente surprise que tous les amateurs du titre devraient essayer au moins une fois.

Sam & Max : Hit the Road

Cette image provient du site http://www.mobygames.com

Développeur : LucasArts Entertainment Company
Éditeur : LucasArts Entertainment Company
Testé sur : PC (DOS)Macintosh
Disponible sur : Windows, Linux, Mac OS X
En vente sur : Gog.com (Linuw, Mac, Windows), Steam.com (Linux, Mac, Windows)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Décembre 1993
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, espagnol, français (version française intégrale), italien
Supports : CD-ROM, dématérialisé, disquette 3,5″
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Version testée : Version dématérialisée émulée sous ScummVM
Configuration minimale : Processeur : Intel 80286 – OS : PC-DOS/MS-DOS 3.0 – RAM : 2Mo – MSCDEX : 2.1 – Vitesse lecteur CD-ROM : 1X (150ko/s)
Mode graphique supporté : VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, General MIDI, Pro Audio Spectrum/16, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro/16

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (version CD-ROM) :

Connaissez-vous le concept de la police freelance ?

C’est assez simple. Imaginez un chien anthropomorphe invariablement coiffé d’un chapeau en feutre et vêtu d’un costume de détective à la Bogart, accompagné d’un lapin cynique, complètement taré et visiblement totalement insensible à la douleur. Leur métier ? Accomplir les missions que les vraies force de police ne veulent pas accomplir – généralement parce qu’elles sont aussi stupides qu’inintéressantes – contre espèces sonnantes et trébuchantes, avec rien d’autre que leur jugeote, leur logique très personnelle, leur voiture de police probablement volée, un flingue surdimensionné et le secret espoir de pouvoir détruire autant de choses que possible. Vous obtiendrez alors Sam et Max, deux héros imaginés par Steve Purcell en 1987 – oui, le même Steve Purcell que celui qui travailla sur les deux Monkey Island ou sur Zac McKraken and the Alien Mindbenders, ce qui place tout de suite le personnage et une partie de son univers graphique.

Attendez-vous à vivre des instants magiques. Et des concerts de Country, aussi.

Lorsqu’on est un jeu d’aventure programmé par les studios LucasArts, publié en plein âge d’or de la compagnie et du point-and-click, et qu’on débarque moins d’un an après le chef d’œuvre qu’était (et qu’est toujours) Day of the Tentacle, autant dire qu’on arrive avec une certaine pression sur les épaules, proportionnelle aux colossaux espoirs placés sur l’univers loufoque et ô combien prometteur du titre.

La carte du jeu s’étoffera au fur et à mesure de votre enquête

Heureusement, dès les premières secondes de la partie, Sam & Max : Hit the Road se charge de nous rappeler que les artistes de chez LucasArts n’ont rien perdu de leur savoir-faire, en nous servant une introduction aussi efficace que délicieusement absurde, parfaitement à-même de faire comprendre immédiatement au joueur dans quelle réalité il vient de mettre les pieds. Et sitôt lâché dans le bureau du duo policier que l’on incarnera sans interruption pendant tout le jeu, l’enquête démarre sur les chapeaux de roues, sans autre précision que la présence d’un contact secret dans la rue. L’occasion d’approcher la logique très particulière du jeu – et notamment le recours systématique à Max, le lapin, pour toutes les basses œuvres impliquant la violence gratuite – avant de vous diriger vers la fête foraine locale, où on ne tardera pas à vous engager pour retrouver un Bigfoot enfui avec une femme-girafe, tout en vous confrontant à ce qui constituera votre plus grand adversaire durant l’essentiel de la partie : un chanteur de Country avec une moumoute.

Certaines énigmes vous demanderont de faire preuve d’imagination

Un an, c’est court, mais cela aura visiblement laissé le temps aux petits gars de chez LucasArts pour dépoussiérer un peu leur interface. Fini, les mots-clés ! Dorénavant, on utilisera un système d’icônes assez proche de ce que pouvait proposer la concurrence de chez Sierra Online à la même époque, avec un carton figurant votre inventaire en bas à gauche de l’écran. Grand avantage de cette approche : la fenêtre de jeu n’est plus réduite d’un tiers par la présence de l’interface, et le titre peut s’afficher dans toute sa pleine gloire et en plein écran – ce qui tombe bien, car le jeu est superbe. On touche ici – un peu à la manière de The Legend of Kyrandia mais dans un style très différent – à la quintessence de ce qu’a pu offrir le VGA, la maitrise graphique affichée dans Day of the Tentacle étant toujours à l’œuvre dans chacun des nombreux écrans du jeu.

Une petite partie de Car Bomb ?

Une nouvelle d’autant plus excellente que le jeu propose une visite très particulière des États-Unis d’Amérique, et que les dizaines de destinations qui se débloqueront au fur et à mesure de votre enquête vous permettront d’admirer le grand luxe de détails offerts par des environnements aussi pittoresques que la plus grande pelote de ficelle du monde, un vortex mystérieux, une activité de saut à l’élastique organisée directement depuis les narines des statues présidentielles du Mont Rushmore, des dinosaures mécaniques entourés de puits de goudron ou même un monde en réalité virtuelle coincé au milieu de la villa de votre pire ennemi.

Le jeu saura vous adresser des messages subtils

Tout cela bouge dans tous les sens et fourmille d’idées, qu’il s’agisse des trouvailles graphiques ou des délicieux dialogues du jeu – sans parler des nombreuses idées grotesques qui vous laisseront l’occasion de vous payer quelques crises de fous-rires, comme ce qui sera susceptible de se produire si jamais vous lancez de l’argent dans un puits pour faire un vœu (grand moment si vous demandez à savoir ce à quoi peut bien être en train de penser Max). Bref, un univers tout entier au service du jeu, un jeu tout entier au service de l’univers : une osmose parfaite, en quelque sorte.

N’hésitez pas à profiter des attractions de la fête foraine pour vivre de grands moments

L’autre bonne nouvelle, c’est que Sam & Max propose une durée de vie sensiblement plus élevée que celle de Day of the Tentacle. Le mérite en revient autant à l’aventure, plus longue, mais surtout aux énigmes parfaitement retorses qui vont vous demander, une fois de plus, de vous projeter dans la logique tout à fait particulière du titre. Tout est toujours parfaitement absurde, mais rien n’est jamais illogique : votre premier réflexe devra souvent être de considérer Max comme un outil plutôt que comme un coéquipier ; votre ami lapin étant à peu près invulnérable, vous en viendrez rapidement à trouver parfaitement naturel de le plonger dans l’eau avant de le plaquer contre un disjoncteur pour provoquer un court-circuit.

Une simple pression sur la touche B vous permettra de basculer en noir et blanc

Tout le jeu étant de cet acabit, on peut parfois se retrouver devant des blocages quelque peu frustrants, mais l’expérimentation étant systématiquement récompensée par des répliques débiles, on trouve rarement le temps long. Notons quand même que l’humour n’est pas le même que celui de Day of the Tentacle, davantage inspiré, pour sa part, des univers de Tex Avery – Sam & Max repose sur un décalage constant et sur une authentique qualité d’écriture plus que sur des gags graphiques qui restent malgré tout très présents, il suffira de demander à faire un tour sur le Cône de la Tragédie dans la fête foraine pour s’en rendre compte.

Sam et Max ne respectent rien, et c’est chouette

Dans tous les cas, comptez sur quinze à vingt heures de bonheur, et sans doute davantage si vous êtes décidé à profiter de la moindre idée grotesque du jeu, et il y en a beaucoup. À titre d’exemple, sachez ainsi que vous pourrez trouver de nombreux mini-jeux au sein d’une même partie, tous totalement facultatifs, et qui vont d’une partie de saut au-dessus des panneaux indicateurs de l’autoroute à des jeux de société très amusants comme un matériel de coloriage vous permettant de mettre en couleurs des illustrations du jeu, ou encore une version alternative de la bataille navale qui vous demandera de détruire des véhicules routiers ! Et histoire de laisser au joueur le plaisir de profiter d’une ambiance façon film noir, une simple pression sur la touche B vous permettra de basculer sur un affichage en noir et blanc, histoire de vous la jouer Casablanca sous acide si le cœur vous en dit. Y’a pas à dire, ils pensent vraiment à tout, chez LucasArts !

Le jeu sait se montrer… dépaysant

Quelques mots, à présent, sur la version française. Si celle-ci est de qualité professionnelle – un cas encore trop rare en 1993 – elle doit en revanche composer avec l’extrême difficulté de restituer le décalage et l’état d’esprit si particulier des dialogues originaux. Ce qu’elle fait assez bien, dans l’ensemble, mais contrairement à ce qui avait été observé dans Day of the Tentacle, où l’adaptation avait fait mouche à tous les niveaux, la traduction reste ici légèrement inférieure au texte original – extrêmement difficile à restituer dans toute sa pleine gloire, il faut bien le reconnaître. Les anglophones de bon niveau pourront donc lui préférer la version originale, mais les joueurs ne parlant que la langue de Molière ne devraient pas se sentir lésés pour autant.

Comme souvent avec LucasArts, la réalisation est fabuleuse

La version CD-ROM :

Comme c’était désormais la coutume l’année de sa sortie, Sam & Max : Hit the Road a également bénéficié d’une version CD intégralement parlée. Vous pourrez donc cette fois profiter d’un jeu d’acteur de qualité pour interpréter les savoureux dialogues du jeu. Gros bonus – et nouveauté pour l’époque, tant il était rare qu’on aille mobiliser des doubleurs français pour un jeu vidéo – le titre aura cette fois était entièrement doublé dans la langue de Molière.

Les dialogues perdent légèrement à la traduction, mais le travail a été fait très sérieusement

Et, autre excellente surprise, c’est Jean-Claude Donda, très grand professionnel ayant prêté sa voix à un nombre incalculable de personnages de films et de dessin animés (et futur grand habitué des productions LucasArts, d’ailleurs), qui double à la fois Sam et Max – et qui le fait excellemment bien, comme il le faisait déjà dans l’introduction de la version sur disquettes. Petite curiosité : l’introduction, d’ailleurs, a été redoublée par rapport à la version disquettes ; les voix du savant fou et de sa victime ont changé, peut-être parce que la qualité assez faible de l’enregistrement original aurait un peu juré sur une version CD-ROM et que les comédiens de la première version n’étaient plus disponibles. C’est un peu dommage, la prestation des nouveaux venus paraissant légèrement inférieure à ceux de la version disquette, et le principal défaut de cette nouvelle VF est d’ailleurs son faible nombre de doubleurs comparé à la masse de personnages à interpréter – cela reste malgré tout du travail de qualité, surtout pour un jeu sorti en 1993.

Vidéo – Quinze minutes de jeu :

NOTE FINALE : 18,5/20 Day of the Tentacle avait été un chef d’œuvre, Sam & Max : Hit the Road parvient l'exploit de respecter le même niveau d'exigence avec encore un peu plus de contenu, un peu plus de folie, et au moins autant de maîtrise. Si le joueur ne sera plus pris par surprise après avoir encaissé la gifle administrée par le successeur de Maniac Mansion la même année, il n'en profitera pas moins d'une aventure longue, absurde, ciselée et délectable où strictement rien ne sera impossible – surtout tout ce qui est grotesque. La règle d'or de LucasArts – on ne peut pas mourir, on ne peut pas être bloqué – permet de savourer la moindre minute de l'aventure comme on le ferait avec un grand cru, et de parcourir une Amérique comme on ne l'a jamais vue aux commandes de deux sociopathes au grand cœur. Une virée parfaitement inoubliable. CE QUI A MAL VIEILLI : – Nada

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Sam & Max sur un écran cathodique :

Les avis de l’époque :

« Plutôt que de bavasser pendant des heures sur Sam & Max, je vais vous faire un petit résumé de la situation : ce jeu est parfait ! Les clics souris répondent parfaitement, les séquences animées peuvent être écourtées, la vitesse du texte est paramétrables (sic), le scrolling est impeccable, le scénario est fabuleux, les graphismes fameux, la bande son… bref parfait ! Le simple fait de savoir que vous êtes en train de perdre du temps en lisant cet article alors que vous pourriez être en train d’y jouer me rend malade. »

Noëlle Béronie, Tilt n°122, Janvier 1994, 94%

Version Macintosh

Développeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Éditeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Date de sortie : Janvier 1996
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Supports : CD-ROM, dématérialisé
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version CD-ROM testée sous MacOS 9.0
Configuration minimale :
Le même jeu, avec deux belles bandes noires et un filtre pas indispensable, mais facultatif

Comme Day of the Tentacle au même moment, Sam & Max aura eu le droit à son portage sur Mac – ou plus spécifiquement sur PowerMac – près de trois ans après la version MS-DOS quand même. Pour l’occasion, pas de version disquette ici : le jeu est exclusivement paru dans sa version CD-ROM (et n’a apparemment jamais été localisé en français). Pour l’occasion, le titre est naturellement exactement identique à ce que proposait la version PC en termes de contenu, et la réalisation sonore reste de haut-niveau sans nécessairement aller chatouiller ce qu’on pouvait obtenir de mieux sous General MIDI, mais cela reste très anecdotique. La seule nuance est à chercher du côté des graphismes, présentés au choix en 320×240 (dans une fenêtre), en résolution doublée (soit en plein écran si votre bureau est en 640×480), en entrelacé ou bien avec un filtre pour adoucir les graphismes, lequel présente les mêmes limites que dans Day of the Tentacle – mais en restant donc purement optionnel. Une fois de plus, la configuration demandée est relativement gourmande par rapport à celle qui était nécessaire pour faire tourner le jeu sous DOS, mais dès l’instant où vous avez le matériel pour (ce qui ne devrait pas exactement constituer une gageure au XXIe siècle), vous pourrez profiter du jeu avec le même plaisir que les possesseurs de PC.

NOTE FINALE : 18,5/20

Sam & Max : Hit the Road sera arrivé sur Mac exclusivement sur CD-ROM, et avec des options graphiques assez anecdotiques qui ne transcenderont jamais vraiment ce que peut offrir le PC. Le résultat, exagérément gourmand, n’en reste pas moins toujours aussi agréable à jouer.

Fables & Fiends : The Legend of Kyrandia – Book One

Développeur : Westwood Studios, Inc.
Éditeur : Virgin Games, Inc.
Titres alternatifs : Kyrandia (titre usuel), Legend of Kyrandia (titre usuel alternatif), The Legend of Kyrandia (Book One) (Gog.com)
Testé sur : PC (DOS/Windows 3.1)AmigaMacintoshPC-98
Version non testée : FM Towns
Disponible sur : Mac OS X (10.7.0), Windows (XP, Vista, 7, 8, 10) – Version PC CD-ROM émulée sous ScummVM
En vente sur : Gog.com (Mac, Windows)

La saga Kyrandia (jusqu’à 2000) :

  1. Fables & Fiends : The Legend of Kyrandia – Book One (1992)
  2. Fables & Fiends : Hand of Fate (1993)
  3. The Legend of Kyrandia : Book 3 – Malcolm’s Revenge (1994)

Version PC (DOS/Windows 3.1)

Date de sortie : Mai 1992 (version disquette) – Juillet 1993 (version CD-ROM)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français (voix en anglais, textes en français)
Supports : CD-ROM, dématérialisé, disquettes 5,25″ (x4) et 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version dématérialisée émulée sous ScummVM
Configuration minimale : Version disquette :
Processeur : Intel 8088/8086 – OS : PC/MS-DOS 3.3 – RAM : 640ko
Modes graphiques supportés : MCGA, VGA
Cartes sonores supportées : AdLib/Gold, haut-parleur interne, Pro Audio Spectrum, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro, Tandy/PCjr

Version CD-ROM :
Processeur : Intel 80386 – OS : PC/MS-DOS 5.0, Windows 3.1 – RAM : 2Mo – MSCDEX : 2.2
Modes graphiques supportés : MCGA, VGA
Cartes sonores supportées : AdLib/Gold, Pro Audio Spectrum, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (version CD-ROM) :

Il y a bien longtemps, dans le paisible monde de Kyrandia, l’équilibre régnait grâce à la Kyragemme et au pacte passé avec l’Autre Royaume. Hélas, Malcolm, le bouffon royal, assassina le roi Guillaume et la reine Catherine avant de s’emparer du pouvoir de la Kyragemme et d’en tirer de terrifiants pouvoirs magiques.

Les Mystiques du royaume, à la tête desquels se trouvait le puissant Kallak, unirent alors leurs pouvoirs pour emprisonner Malcolm. Malheureusement, la Kyragemme resta sous le contrôle du bouffon maléfique, et le temps passant, les Mystiques commencèrent à voir leurs pouvoirs magiques se réduire comme peau de chagrin… jusqu’au jour fatal où Malcolm devint à nouveau libre de ses mouvements. Celui-ci commença alors à répandre anarchiquement la destruction sur Kyrandia, bien décidé à aller se venger de Kallak. Mais il ignorait que le petit-fils du chef des Mystiques, un jeune homme a priori banal nommé Brandon, était destiné à devenir son plus puissant adversaire…

Nous voici en 1992, et la guerre fait rage. Ou plutôt, LES guerreS FONT rage, mais s’il en est une qui parle alors aux joueurs sur ordinateur, c’est bien celle qui oppose les deux ténors du jeu d’aventure que sont Sierra Online et LucasArts Games.

Les deux firmes auront effectivement passé les années précédentes à se rendre coup pour coup dans une bataille ludico-commerciale tournant autour du genre roi (à l’époque) qu’est le point-and-click. Rien qu’entre 1990 et 1992, les joueurs auront eu le plaisir de voir sortir des titres comme Loom, The Secret of Monkey Island 1 et 2 ou encore King’s Quest V – tous de très bons titres parfaitement aptes à entretenir la flamme de la rivalité d’alors. Mais surprise : voilà que Westwood Studios, jusqu’ici principalement connu pour la saga des Eye of the Beholder, décide de s’inviter à la fête en lâchant ce The Legend of Kyrandia que personne n’avait vu venir.

Comme l’introduction (visible ci-dessus) vous l’aura d’ores et déjà fait comprendre, le titre vous place aux commandes de Brandon, petit fils de Kallak et adolescent pas spécialement dégourdi ni particulièrement charismatique, qui se retrouve propulsé futur sauveur du royaume après avoir découvert son grand-père transformé en pierre. Ce sera donc à vous que reviendra la lourde tâche de le guider à travers le royaume de Kyrandia en zigzagant entre les embuches pour parvenir à vaincre Malcolm et à restaurer la paix, le calme et les petits oiseaux.

Pour cela, le jeu met à votre disposition une interface limpide ne faisant usage que d’un seul bouton de la souris. Oubliez les verbes, les lignes de commandes ou les icônes : ici, le curseur fera tout le travail pour vous, et vous déplacer, ramasser un objet ou vous adresser à un personnage se fera dans tous les cas avec un simple clic gauche. Seules petites nuances : votre inventaire – constamment visible en bas de l’écran – est limité à dix emplacements, et vous vous verrez alloué, au fil de l’aventure, une amulette magique à laquelle il vous appartiendra de restaurer ses différents pouvoirs, visibles sous la forme de quatre pierres précieuses auxquelles vous devrez rendre leur éclat.

Sauver un royaume enchanté en détresse n’avait, même à l’époque, absolument rien de nouveau : King’s Quest avait déjà engendré une saga très prolifique depuis le milieu des années 80 en déclinant le concept à répétition. Dès lors, quels arguments le titre de Westwood Studios pouvait-il bien avoir à avancer afin de prétendre se faire un nom au milieu des deux mastodontes au sommet de leur forme ?

Le premier saute aux yeux dès les premiers écrans : pour tous les fans du pixel art, le jeu était et reste une référence absolue. Là où King’s Quest V ou Monkey Island 2 avaient fait le choix d’aquarelles scannées en 256 couleurs, The Legend of Kyrandia parvient à leur damer le pion sans complexe grâce à la bonne vieille méthode des graphismes réalisés à la main, pixel par pixel. Ce qui frappe d’entrée de jeu est l’ambiance véritablement enchanteresse véhiculée par le titre : chaque écran est magnifique, se promener dans ce royaume boisé est un vrai plaisir, et on ne peut qu’admirer le soin du détail accompagnant le moindre arbre, le plus petit rocher ou la plus délicate des fleurs que le jeu choisit de nous montrer sur chacun de ses écrans. Le charme opère littéralement dès l’introduction du titre (l’effet de changement de focale réalisé sur Kallak était absolument bluffant pour l’époque), et rarement on aura eu le sentiment, dès les premières secondes de jeu, d’être propulsé sur un autre monde. L’effet est d’ailleurs renforcé par les très agréables thèmes musicaux qui participent grandement à l’ambiance à la fois magique et bucolique du titre, et qui tirent admirablement parti de tout une gamme de cartes-son allant de la Sound Blaster à la Roland MT-32. N’hésitez pas à visionner les quinze premières minutes de jeu, en conclusion de l’article : le dépaysement est là.

Le second tient au ton relativement léger adopté par le titre, assez loin des prétentions ronflantes de King’s Quest qui cherchait à faire du Disney sans nécessairement en avoir le talent, et s’obstinait à décliner au premier degré de fastidieuses variantes de princesses/pères/familles à sauver sans nécessairement s’appliquer à employer les éléments aptes à captiver le joueur.

En dépit du côté enchanteur de l’univers traversé, les quelques dialogues du jeu sont souvent placés sous le signe de l’humour, et donnent même parfois lieu à des situations qui font mouche pour peu que le contexte s’y prête (Ah, Darm et son dragon Brandywine…). De la même manière, Brandon n’a rien du chevalier en armure, et saura constamment vous rappeler son incapacité à faire le bon choix dès l’instant où vous n’êtes pas là pour le tenir en laisse. Et, histoire de vous rappeler son agaçante immaturité, il passera littéralement la moitié du jeu à se plaindre – sans jamais se montrer pour autant insupportable, ce qui est un excellent point.

Les points communs avec la saga de Sierra Online ne s’arrêtent d’ailleurs pas là, car contrairement à la philosophie adoptée chez LucasArts à l’époque, The Legend of Kyrandia est un jeu où l’on peut mourir. Si cela tombe rarement du ciel, mieux vaut malgré tout prendre l’habitude de sauvegarder souvent – car en cas d’accident, ne comptez pas sur le programme pour vous faire réapparaitre deux minutes plus tôt : ce sera chargement d’une précédente partie ou game over. Si cela peut parfois s’avérer frustrant, le jeu n’est pas très difficile – ni très long, hélas – et les passages les plus complexes, comme cette fameuse grotte qui vous demandera de faire usage de baies de feu pour éclairer votre chemin sous peine de décès immédiat, sont finalement assez simples à franchir dès l’instant où l’on se donne la peine de dessiner un plan.

En revanche, si la logique des énigmes n’est jamais très complexe, on regrettera la vraie mauvaise idée du jeu : la façon aléatoire dont apparaissent certains objets. Pour être clair, le jeu vous demande à plusieurs reprises d’aller collecter des éléments un peu partout pour résoudre des énigmes ne reposant parfois sur rien d’autre que sur l’essai/erreur, et non seulement cela va vous imposer de traverser et retraverser ad nauseam les très nombreux écrans du jeu à la recherche des fameux ingrédients, mais en plus certains sont placés de façon totalement arbitraire et aléatoire quelque part dans le jeu, en vous laissant le soin de découvrir où. Trouver un objet pourra parfois vous demander de traverser une trentaine d’écrans ! Sachant qu’il faudra souvent expérimenter pour découvrir quoi faire – et qu’un objet est bien souvent détruit ou perdu lorsque vous l’employez à mauvais escient – autant dire qu’il vaut mieux sauvegarder avant la moindre tentative pour s’éviter de fastidieux allez-et-retours.

Plus grave : il est possible, en de rares occasions, de détruire définitivement des objets vitaux que vous ne pourrez plus jamais ré-obtenir par la suite – méfiez-vous particulièrement du puits que vous trouverez après une vingtaine de minutes de jeu. Ces quelques tracas pourront réellement vous gâcher une partie, ce qui explique sans doute pourquoi le titre n’a, malgré son succès critique et commercial, pas hérité de la même reconnaissance que des titres comme The Secret of Monkey Island.

C’est d’autant plus dommage qu’une fois ces quelques passages fastidieux mis de côté, on peut passer un très bon moment en visitant Kyrandia, particulièrement si les graphismes en VGA parviennent encore à vous tirer une petite larme de nostalgie.

En dépit du peu de rencontres que l’on est amené à faire, et d’un scénario qui ne gagne jamais en épaisseur, on se plait à découvrir l’univers du jeu à hauteur d’homme, écran par écran, pour goûter à la magie si particulière que le titre parvient si bien à délivrer. On ne sera donc pas surpris de découvrir que The Legend of Kyrandia aura été le premier épisode d’une trilogie ayant laissé de nombreux souvenirs émus aux joueurs s’y étant essayés à l’époque, et qui maudissent encore le déclin rédhibitoire ayant frappé le domaine du point-and-click depuis la fin des années 90.

Quelques mots, comme c’est la coutume, pour évoquer la qualité de la version française : celle-ci, hélas, est assez médiocre. Oh, certes, pas de coquille, pas de faute d’orthographe – mais la traduction, en revanche, semble parfois avoir été faite au logiciel tant les maladresses côtoient les contresens. Dès l’introduction, vous pourrez ainsi lire Kallak écrivant « Brandon, aide-moi » alors qu’il est en fait en train d’écrire une lettre à Brynn pour lui demander d’aider Brandon…

La plupart des phrases sont ainsi de simples calques mot-à-mot des phrases en anglais, reproduisant leur structure grammaticale, ce qui fait que beaucoup des dialogues amusants du jeu tombent à l’eau faute d’une adaptation de qualité. On décèlera aussi des problèmes plus gênants, comme cette énigme en fin de jeu vous demandant de sélectionner des livres dont les initiales forment le mot « OPEN », et qui risquera de poser beaucoup de problèmes aux non-anglophones qui ne verront pas nécessairement la logique à former un mot ne signifiant rien dans la langue de Molière… bref, du mauvais travail. Quant à la version CD-ROM, elle offre sans surprise exactement le même jeu avec des dialogues entièrement doublés – en anglais. Le travail des acteurs est de qualité sans être à sauter au plafond, et en-dehors de Brandon, les personnages récurrents de la saga comme Zanthia ou Malcolm changeront d’ailleurs de doubleurs dans les prochains épisodes. Les anglophones auront au moins l’avantage de pouvoir profiter des dialogues sans être obligés de souffrir des approximations de la VF.

Vidéo – Quinze minutes de jeu (version CD-ROM) :

Récompenses :

  • Tilt d’argent (Tilt n°109, décembre 1992) – Meilleure bande-son micro

NOTE FINALE : 16/20 Sans être profondément original ni particulièrement bien écrit, The Legend of Kyrandia a pourtant toutes les qualités d'un joyau parfaitement poli, avec une réalisation qui doit représenter le sommet de ce qu'a pu produire le pixel art, et une jouabilité d'une simplicité ébouriffante. Proposant une promenade qui est un enchantement, permettant d'apprécier le moindre écran de ce royaume qu'on apprend à aimer à chaque pas, on regrettera que le titre de Westwood Studios fasse paradoxalement preuve d'un certain manque d'ambition, en offrant une aventure trop courte et entachée de lourdeurs qui auraient facilement pu être évitées en se penchant un peu plus longtemps sur le game design. Reste une très bonne initiation à cet univers magique et emprunt d'un charme et d'une identité qui n'appartiennent qu'à la première moitié des années 90. CE QUI A MAL VIEILLI : – L'inventaire limité et les énigmes du jeu imposent un certain nombre d'allers-et-retours dont on se serait bien passés. – Les dialogues sont rares, et le jeu est assez court - on aurait vraiment aimé passer un peu plus de temps dans cet univers – Les énigmes sont globalement assez mal conçues - sans être illogiques, elles ne sont tout simplement pas très intéressantes – On peut se retrouver bloqué pour avoir détruit un objet indispensable

Les avis de l’époque :

« On en prend plein la vue et plein les oreilles. Les graphismes sont superbes. Avec les nuances de couleur, les programmeurs ont réussi à faire oublier la résolution. Côté musical, Kyrandia est tout simplement un sérieux prétendant au Tilt d’or dans ce domaine. À cela s’ajoute quelques animations du plus bel effet, finalement Kyrandia est un jeu auquel on prend beaucoup de plaisir à jouer, bien qu’il soit un peu facile de progresser dans l’aventure.« 

Marc Menier, Tilt n°106, Octobre 1992, 17/20

Version Amiga

Développeur : Westwood Studios, Inc.
Éditeur : Virgin Games, Inc.
Date de sortie : Décembre 1992
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ (x9)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette française testée sur Amiga 600
Configuration minimale : Système : Amiga 1000 – OS : Kickstart 1.2* – RAM : 1Mo
Modes graphiques supportés : OCS/ECS
Installation sur disque dur supportée
*Incompatible avec Kickstart 3.0

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Comme le temps passe vite… Alors qu’en 1990, l’Amiga était encore le roi du monde (bon, enfin plutôt de l’Europe), les gains de puissance constatés sur IBM PC au début des années 90 ont commencé à faire payer le manque d’évolutivité de la machine de Commodore. De fait, début 1992, L’Amiga 1200 n’était pas encore sorti, et le chipset AGA capable de rivaliser avec le VGA n’était par conséquent pas encore disponible… bon, il l’était fin 1992, au moment de la sortie de cette version Amiga, mais on va dire que Westwood Studios n’était pas au courant, ou bien que le studio américain jugeait que le marché du 1200 n’était pas encore assez porteur pour s’y intéresser. Quoi qu’il en soit, le fait est qu’un Amiga 500 ou 600 peine logiquement à rivaliser, en termes de réalisation, avec une version qui faisait cracher leurs tripes aux cartes graphiques des PCs de l’époque. La palette du jeu a été appauvrie, et même si la réalisation de ce portage est très loin d’avoir été galvaudée, on ne peut pas demander à une palette de 64 couleurs de faire aussi bien qu’une palette de 256. Si certains décors s’en sortent très honorablement, les dégradés sont nettement moins fins, et la plupart des personnages – dont Brandon – se voient dorénavant dotés d’une couleur de peau orange/marron qui trahit les limites des capacités graphiques de l’Amiga. La musique ne relève hélas pas le niveau, la puce Paula ne rivalisant ni avec une Roland MT-32, ni – ce qui est plus surprenant – avec une modeste Sound Blaster.

Le vrai manque de l’Amiga, néanmoins, ne vient pas tant de ses capacités graphiques que de son processeur. Autant être clair : sans un Amiga 600 et un disque dur, le jeu se traine à en être injouable. Et même avec une configuration relativement solide, il faudra composer avec plusieurs secondes de chargement à chaque transition d’écran – ce qui, dans un jeu où on voyage beaucoup, devient vitre très pénalisant. On sent d’ailleurs que Westwood Studios a fait son possible pour soulager le processeur de la machine, la fenêtre de jeu étant désormais encadrée de lignes noires, mais las ! Rien n’y fait, et le confort de jeu en souffre atrocement. Pour achever d’enfoncer le clou, le jeu n’est même pas compatible par défaut avec un Amiga 1200 puisqu’il ne tourne pas sous Kickstart 3 – il faudra utiliser un dispositif de type Relokick 1.3 pour avoir une chance de le faire fonctionner ! Et il est même spécifié sur la boîte que les utilisateurs de Kickstart 2 (ceux d’un A500+, au hasard) ne pourront utiliser qu’un seul lecteur de disquette. Légèrement handicapant, pour un jeu qui tient sur neuf disquettes… Bref, à tout prendre, le plus simple reste sans doute de découvrir le jeu sur PC.

NOTE FINALE : 14/20

Mis à genou par un jeu développé pour une machine bien plus puissante que les Amiga 500 ou 600, The Legend of Kyrandia voit son portage sur ces machines se transformer en un laborieux chemin de croix. Si la réalisation s’en sort très honnêtement – en dépit d’une qualité musicale assez décevante – la lenteur générale du titre le réservera soit à des joueurs patients, soit à des nostalgiques, et bon courage pour le faire tourner dans des conditions décentes sur des systèmes au-delà de l’Amiga 500.

Version Macintosh

Développeur : The Dreamers Guild
Éditeur : MacPlay
Date de sortie : 1993
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Supports : CD-ROM, disquette 3,5″ (x5)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version CD-ROM française testée sur Quadra 650
Configuration minimale : OS : System 6.0.7 – RAM : 1,5Mo
Mode graphique supporté : 256 couleurs

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (CD-ROM) :

En 1993, le Macintosh commençait à devenir, à l’instar de son concurrent direct le PC, une machine de jeu. The Legend of Kyrandia y aura donc atterri – dans une transcription très fidèle de ce que proposait la version PC. Pas de mode « haute résolution » à espérer ici – ce qui aura au moins le mérite de nous éviter de voir le magnifique pixel art du jeu mutilé par un filtre dégueulasse – mais en revanche, le gamma est curieusement élevé. Niveau sonore, le jeu est un peu moins emballant que sur PC – impossible ici de brancher une Roland MT-32, et le processeur sonore de base du Mac fait un peu moins bien que ce qu’offraient l’AdLib et la Sound Blaster, plus proche de ce qu’on pouvait entendre sur Amiga. Le seul point dommageable est l’impossibilité de jouer en réel plein-écran ; quoi qu’il arrive, vous aurez le droit à la barre de menu en haut de l’image à permanence, ce qui signifie d’ailleurs que la gemme en bas à gauche de l’interface, qui servait originellement à accéder aux options, n’a plus aucun usage. À ce détail près, le jeu n’a pas changé d’un pouce, et la version CD-ROM bénéficie bien sûr toujours des voix anglaises. Aucune mauvaise surprise, donc.

NOTE FINALE : 15,5/20

Copie quasi-carbone de la version PC, The Legend of Kyrandia sur Mac ne pêche qu’au rang de la réalisation sonore – et encore, d’assez peu – et de cette satanée interface intégrée à l’OS qui empêche de jouer en vrai plein-écran. Cela ne pénalise fort heureusement que très marginalement l’expérience de jeu.

Version PC-98
Fables & Fiends : The Legend of Kyrandia

Développeur : Westwood Studios, Inc.
Éditeur : StarCraft, Inc.
Date de sortie : 15 février 1994 (Japon)
Nombre de joueurs : 1
Langue : Japonais
Supports : CD-ROM, disquette 3,5″ (x5)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version CD-ROM japonaise
Configuration minimale : Système : PC-9821Ap – RAM : 1,6Mo
Carte son supportée : PC-9801-86

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (CD-ROM) :

Une nouvelle fois éditée par StarCraft, cette version PC-98 arrive avec son lot de surprises ; pas du côté du contenu, qui n’a naturellement pas bougé, mais bien de celui de la réalisation. La plus visible – immanquable, pourrait-on même dire – est à chercher du côté des graphismes : aussi incongru que cela puisse paraître, le jeu choisit de s’afficher en 640×400 et en 16 couleurs. Le résultat est… assez peu emballant, reconnaissons-le, et même en plissant les yeux, difficile de ne pas sentir une tragique déperdition depuis la version VGA – c’est même très loin des versions EGA basse résolution qui fleurissaient encore au tout début des années 90, et il suffit de retourner voir des images de Loom ou de The Secret of Monkey Island pour s’en rendre compte. La bonne nouvelle, en revanche, c’est que le jeu tourne beaucoup mieux que sur n’importe quelle configuration Amiga, et qu’il s’en sort également mieux que la machine de Commodore sur le plan sonore – même si, pour une raison mystérieuse, toutes les voix ont disparu en dépit du support CD. Oh, et naturellement, détail qui a son importance : tous les textes sont désormais intégralement en japonais. Bref, une curiosité à réserver à ceux ayant envie de posséder toutes les versions du jeu.

NOTE FINALE : 13/20

On en va pas se mentir : The Legend of Kyrandia en seize couleurs, même avec la résolution doublée, ça n’est plus tout-à-fait la même chose. Amputé de sa sublime réalisation, et désormais inaccessible aux joueurs ne parlant pas japonais, le titre a le mérite de tourner comme un charme, mais on ne saura objectivement pas trop à qui le recommander alors que la version DOS, très supérieure, est aujourd’hui à la portée de n’importe qui.

L’Affaire Vera Cruz

Développeur : Gilles Blancon
Éditeur : Infogrames Multimedia SA
Titre alternatif : Vera Cruz (international)
Testé sur : Amstrad CPCMSXZX SpectrumCommodore 64PC (DOS)
Version non testées : Thomson MO, Thomson TO

Version Amstrad CPC

Saint-Étienne, le 8 octobre 1985. Vera Cruz, prostituée notoire appréhendée plusieurs fois pour racolage, git au sol dans une flaque de sang. Près de sa main, un pistolet automatique 9mm, à son flanc, un impact de balle, sur sa table une lettre d’adieux… et dans son cendrier, deux mégots provenant de deux marques de cigarettes différentes. Suicide ? Cela parait trop simple… Et en tant que sergent de la Gendarmerie Nationale, c’est bien entendu vous qui allez passer la scène de crime au peigne fin avant de mener l’enquête pour découvrir si, oui ou non, quelqu’un avait tout intérêt à faire disparaitre Vera Cruz…

Mener l’enquête pour découvrir le coupable s’est vite affirmé comme un des principes de base du jeu d’aventure. Quoi de plus immersif pour le joueur, en effet, que de se retrouver dans la peau de Sherlock Holmes ou de Philip Marlowe et de faire fonctionner sa matière grise histoire de faire enfin la lumière sur une affaire qui l’aura obsédé pendant plusieurs heures ? Mais il n’y a pas que les détectives privés et leurs histoires rocambolesques, dans la vie : il y a également le quotidien de la police, pour qui résoudre des affaires n’a rien d’exceptionnel. On se souvient que dès la fin des années 80, des sagas comme Police Quest vous proposaient déjà d’endosser l’uniforme et de porter le badge histoire de vous proposer d’incarcérer les criminels selon des méthodes réalistes et documentées. Mais deux ans avant les débuts de la série de Sierra Online, l’idée avait déjà germé en France, avec l’Affaire Vera Cruz – un jeu programmé par Gilles Blancon, lui-même gendarme de son état.

Le jeu, qui vous propose – vous l’aurez deviné – d’enquêter sur la mort de la jeune femme du titre, se divise en deux parties. La première consistera à passer la scène de crime au peigne fin – et à noter tout ce qui vous parait intéressant, le jeu ne retenant rien pour vous : l’enquête, vous allez la faire à l’ancienne, avec un carnet et un crayon à la main. Vous allez donc promener un curseur sur l’écran à l’aide des flèches du clavier avant de prendre des photos avec la touche Copy, le but étant bien évidemment de révéler des informations intéressantes. Mieux vaut y passer du temps, d’abord parce le jeu attend généralement un placement du curseur au pixel près pour vous révéler les données qui vous intéressent, ensuite parce que certains indices sont très bien cachés (si bien cachés, en fait, qu’ils ne sont pas directement visibles à l’écran), enfin parce que tout ce que vous allez trouver dans cette pièce sera votre seule matière pour faire démarrer votre enquête.

L’enquête, justement, représentera la deuxième partie du jeu. Déjà ? Oui, souvenez-vous que nous sommes en 1985 : ne vous attendez pas à parcourir l’Europe, à écumer les quartiers sordides à la recherche d’indics à faire parler après leur avoir fait manger une salade de phalanges ; en tant que gendarme, toutes vos recherches vont se faire depuis votre bureau. Vous pourrez profiter pour cela d’un ordinateur vous mettant instantanément en contact avec les principaux services de police, que vous aurez tout loisir de contacter grâce à l’interface – intégralement textuelle – du jeu. Le principe est simple : vous choisissez une action grâce à une des touches indiquées à l’écran (E pour un examen, M pour envoyer un message, D pour recueillir un déposition, etc), après quoi vous serez amené à entrer des détails (par exemple, si vous demandez un examen, précisez s’il s’agit d’une autopsie, d’une analyse graphologique, d’une étude balistique…) ou à préciser le lieu et le service demandés.

En effet, que vous demandiez des informations à une gendarmerie, à un commissariat, à la préfecture, à la Brigade Départementale de Recherche Judiciaire, au Centre de Recherche de la Répression Judiciaire ou même à une prison, il faudra bien préciser le ou laquelle : vous vous doutez bien que la préfecture de Caen n’aura a priori pas grand chose à vous dire sur une affaire située dans le Forez. Tout cela peut sembler très technique et inutilement complexe, heureusement le jeu prend la peine de vous donner les éléments pertinents à chaque analyse ou déposition – en prenant bien soin de vous préciser le service dont il relève – ce qui fait que vous n’aurez jamais à questionner tous les services de toutes les villes un par un dans une tentative désespérée pour trouver quelqu’un capable de vous répondre. En revanche, le manuel risque d’être indispensable pour connaître les services concernés et l’acronyme vous permettant de les joindre – à moins que vous ne soyez officier de gendarmerie, auquel cas vous vous sentirez sans doute plus en terrain connu. Petit détail grisant du côté de l’immersion : il vous est possible d’imprimer, par simple pression sur la touche I, tout ce qui sort de l’imprimante virtuelle de votre enquêteur.

Si le titre en lui-même est très court, et peut largement être fini en une quinzaine de minutes, tout le sel de l’enquête va être de faire fonctionner vos neurones à chaque fois que vous rencontrerez une impasse – la grande pression venant du fait que vous ne serez jamais certain d’avoir tout trouvé sur le lieu du crime, et qu’il sera impossible d’y retourner sans recommencer la partie. On est également parfois un peu dans le doute à cause d’une trop grande latitude : dès le début de l’enquête, le programme vous demande d’entrer tous les objets ramassés lors de votre recherche, mais ne vous offre aucun retour ni aucune indication sur la manière de les décrire. Lorsque l’on a trouvé un paquet de cigarettes de marque Rothmans, que doit-on écrire ? « Paquet » ? « Cigarettes » ? « Rothmans » ? Il en va de même pour les adresses et pour les villes, et on tâtonne parfois pour réussir à contacter quelqu’un dont on a pourtant le nom et l’adresse complète. Une fois le principe assimilé, en revanche, l’enquête progresse relativement vite – principalement parce qu’elle n’implique, au final, même pas une dizaine de personnes. Une fois les comparaisons adéquates effectuées, les suspects seront bien plus enclins à passer à table, et vous pourrez alors accuser votre coupable à l’aide de la touche A – et réaliser si vous avez ou non fait fausse route.

En dépit d’une certaine lourdeur de l’interface textuelle, le jeu est encore relativement agréable à jouer – vos options sont, après tout, clairement indiquées à l’écran. Si la réalisation générale du titre est extrêmement sobre (graphismes quasi-intégralement en noir et blanc, aucune musique, l’imprimante comme seul bruitage), on appréciera le soin apportés aux portraits, dont plusieurs reprennent d’ailleurs des visages connus et parfaitement reconnaissables. On aurait sans doute apprécié de participer à une enquête un peu plus ambitieuse – une qui vous fasse sortir de votre bureau, par exemple – mais remis dans le contexte de l’époque, l’Affaire Vera Cruz s’en sort très bien.

Note : le jeu étant très court, un extrait de dix minutes aurait pratiquement fait office de solution complète. Une fois n’est pas coutume, il m’a donc semblé plus pertinent de vous laisser découvrir le jeu par vous même – une vidéo ne vous ayant pas appris grand chose de plus que les captures d’écrans qui accompagnent le test.

NOTE FINALE : 11,5/20 Avant le point-and-click, à une époque où les jeux d'aventure commençaient à peine à faire usage de graphismes, on ne sera pas surpris de voir en L'Affaire Vera Cruz un jeu relativement austère. Mais en dépit de la brièveté de l'enquête et de son caractère résolument banal (n'espérez pas découvrir le secret des Templiers après une aventure qui vous aurait fait traverser l'Europe, vous resterez à la gendarmerie pour enquêter sur la mort d'une prostituée), force est de reconnaitre qu'on se prend rapidement au jeu et qu'on s'efforce de résoudre dans les règles de l'art l'affaire qui nous est proposée. Les joueurs résidant du côté de Lyon ou de Saint-Étienne pourront également apprécier d'évoluer, pour une fois, dans un cadre familier plutôt qu'à Manhattan ou à San Francisco. Si la moitié de la difficulté du jeu provient de l'interface et du flou dans lequel elle vous laisse, votre enquête s'effectuera de toute façon avec un papier, un crayon, et quelques longs instants de réflexion à établir un lien vers le prochain protagoniste jusqu'à résolution de l'affaire. Et à ce niveau, la mission est parfaitement remplie. CE QUI A MAL VIEILLI : – Le jeu se divise entre la scène du crime et votre bureau, n'espérez donc pas faire du tourisme – Si on appréciera le côté terre-à-terre et réaliste de l'enquête, on aimerait quand même prendre du galon pour s'occuper d'une affaire un peu plus ambitieuse – Manuel obligatoire si vous ne connaissez pas les procédures de la gendarmerie française au milieu des années 80 – Très court – Interface qui vous laisse un peu dans le flou

Version MSX

L’Affaire Vera Cruz aura eu le mérite de voyager un peu et de faire connaître la Gendarmerie Nationale à l’autre bout du monde, la preuve avec cette version pour ordinateurs japonais sortie dans la langue de Shakespeare en 1986. Si le contenu est strictement identique à celui de la version CPC, on constatera que le jeu vous propose d’entrée de jeu de choisir quelle partie de l’enquête vous voulez aborder – ce qui ne change pas grand chose, la phase sur la scène du crime pouvant être évacuée d’une simple pression sur Entrée dans la version originale, mais bon, au moins vous pourrez vous économiser un temps de chargement (ce qui, sur cassette, n’est pas anecdotique). Niveau réalisation, le titre est un peu plus coloré que sur CPC – ce qui n’est pas un exploit et n’apporte pas grand chose, cassant même un peu l’ambiance « polar en noir et blanc » de la version originale. Résolution inférieure oblige, les petits éléments aidant à l’immersion comme le moniteur de votre ordinateur ou les trous sur les côtés de votre feuille de listing ont disparu, ce qui est dommage. L’enquête, pour sa part, n’a pas changé – même si la traduction n’est pas toujours irréprochable, se voyant privée de nombreux détails.

NOTE FINALE : 11/20

Peu de changements pour l’Affaire Vera Cruz sur MSX, mais entre la résolution plus basse et la perte de la version française, on lui préfèrera l’original sur CPC.

Version ZX Spectrum

Une fois porté sur ZX Spectrum, L’Affaire Vera Cruz doit composer avec quelques changements mineurs : le jeu emploie désormais une couleur en plus du rouge (le sac de Vera est bleu, je suis sûr que votre vie est bouleversée par cette nouvelle), et garde le moniteur d’écran dans la deuxième partie, en dépit d’une résolution plus faible. On remarquera également que le curseur ne se déplace plus pixel par pixel pendant la phase de recherche, ce qui simplifie votre découverte d’indices. Détail sans importance, sauf pour les anglophones (qui ne liront de toute façon pas ces lignes) : la traduction est de meilleure qualité que sur MSX.

NOTE FINALE : 11,5/20

Transposé sur ZX Spectrum, L’Affaire Vera Cruz fonctionne toujours aussi bien – dommage que la VF soit passée à la trappe, mais la machine de Sinclair n’était pas la plus représentée sur le marché français.

Version Commodore 64

À bien des niveaux, L’Affaire Santa Cruz sur C64 n’est qu’un portage de la version MSX : même lacunes au niveau de l’interface et de la traduction, mêmes choix dans les couleurs de fond. En revanche, l’interface bénéficie également des couleurs, ce qui la rend plus lisible, et le titre profite désormais d’un morceau de musique, par ailleurs assez guilleret, ne collant pas du tout à l’ambiance polar et que vous aurez probablement vite fait de couper, enfin bon, merci pour l’effort. Pour le reste, on est en terrain connu.

NOTE FINALE : 11/20

Si on appréciera diversement l’apparition d’une musique tout à fait dispensable – mais qui a le mérite d’exister – on regrettera que cette version de L’Affaire Vera Cruz n’existe pas en français, et que la version anglophone ait été une fois de plus traduite à la truelle.

Version PC (DOS)

Porté sur PC en 1987, L’Affaire Vera Cruz n’aura pour une fois pas trop à souffrir des limitations de couleur du mode CGA. Le titre est graphiquement assez proche de la version CPC, en un petit peu plus coloré. La deuxième partie du jeu fait une fois de plus le choix d’une résolution supérieure, mais reste un peu moins détaillé que dans la version originale. En revanche, si on appréciera de récupérer le jeu en français, on regrettera la relative imprécision du curseur pendant la partie recherche de l’enquête.

NOTE FINALE : 11,5/20

Ne boudons pas notre plaisir : le PC était sans doute d’ores et déjà capable de bien mieux que ça en 1987, mais L’Affaire Vera Cruz est toujours là, en français, dans une version légèrement moins jouable mais un tantinet plus colorée. Si jamais vous souhaitiez lancer votre carrière dans la gendarmerie, vous savez dorénavant où commencer.

The Legend of Zelda : A Link to the Past

Développeur : Nintendo EAD
Éditeur : Nintendo Co., Ltd.
Titre original : ゼルダの伝説・神々のトライフォース (Zelda no Densetsu : Kamigami no Triforce)
Testé sur : Super Nintendo
Disponible sur : Game Boy Advance, New 3DS, Nintendo Switch, Wii, Wii U
En vente sur : Nintendo eShop (version Super Nintendo, disponible uniquement en anglais)
Figure également parmi les jeux préinstallés sur Super Nintendo Mini

La saga The Legend of Zelda (Jusqu’à 2000) :

  1. The Legend of Zelda (1986)
  2. Zelda II : The Adventure of Link (1987)
  3. The Legend of Zelda : A Link to the Past (1991)
  4. Link : The Faces of Evil (1993)
  5. Zelda : The Wand of Gamelon (1993)
  6. The Legend of Zelda : Link’s Awakening (1993)
  7. Zelda’s Adventure (1995)
  8. The Legend of Zelda : Ocarina of Time (1998)
  9. The Legend of Zelda : Majora’s Mask (2000)

Version Super Nintendo

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Il y a longtemps, dans le beau royaume d’Hyrule entouré de montagnes et de forêts, des légendes parlaient d’un Pouvoir d’Or omniscient, caché dans un endroit secret. Beaucoup cherchèrent par les armes à pénétrer sur cette Terre d’Or, mais personne n’en revint jamais. Un jour, un pouvoir diabolique s’exhala de la Terre d’Or. Aussi le Roi ordonna-t-il à Sept Sages de sceller la porte de cette Terre d’Or. Ce sceau aurait dû demeurer à jamais. Mais quand ces événements occultés par les brumes du temps devinrent légendes, un mystérieux sorcier nommé Agahnim vint à Hyrule pour enlever le sceau…

Nous sommes en septembre 1992, et la Super Nintendo vient de faire son apparition, à peine quelques mois auparavant, sur le marché européen. Pour faire face à la Mega Drive lancée deux ans plus tôt – et qui s’est déjà taillée une solide réputation, particulièrement sur le marché occidental – la firme au plombier moustachu aura besoin d’un line-up conséquent, apte à faire relever la tête à des joueurs plongés dans leur partie de Sonic the Hedgehog. Deux titres en particulier se chargeront de retenir l’attention des acheteurs de toute la planète : le premier sera Super Mario World, le second sera The Legend of Zelda : A Link to the Past. L’histoire retiendra à quel point ces deux jeux auront immédiatement frappé fort, au point d’être encore régulièrement cités aujourd’hui comme les titres de référence de leur saga respective. Et pourtant, dans le cas de Zelda, la bataille était très loin d’être gagnée d’avance, tant on se souvient que le deuxième épisode avait divisé les joueurs autant qu’il avait installé la série dans la durée…

A Link to the Past vous place donc une nouvelle fois aux commandes de Link – en vous laissant, comme à chaque épisode, l’opportunité de lui choisir son petit nom. Dès les premiers instants, après la très sympathique introduction précédemment citée et que vous pourrez visionner dans la vidéo d’ouverture du test, le choix majeur de cet épisode est très clairement affirmé : fini, la vue de côté, fini, l’aspect jeu de rôle, cet épisode de Zelda retourne manifestement aux fondations de la série avec un épisode en monde ouvert en vue de dessus – et qui finira d’instaurer la norme pour tout l’ère 16 bits de la saga.

La première nouveauté – de taille, cependant – provient pourtant de la narration. Là où le premier Legend of Zelda reposait sur une liberté – et une absence d’indications – quasi-totale, A Link to the Past, lui, vous place dans une situation scénarisée dès les premiers instants. Une nuit d’orage, alors que votre oncle s’absente, une voix vient vous parler dans votre sommeil pour vous appeler à l’aide. Vous bondissez donc hors de votre lit pour prendre la route du château d’Hyrule, où vous parvenez à trouver un accès aux oubliettes dissimulé derrière un taillis. Vous y retrouvez votre oncle, blessé, qui vous confie son épée avant de vous demander de sauver la princesse Zelda. Mais la trouver ne sera, cette fois-ci, que le début du commencement…

Très gros bouleversement, donc, dans l’approche et dans l’accessibilité de ce troisième épisode. Si le jeu vous place toujours dans un monde ouvert – et même deux mondes, comme vous allez rapidement le réaliser – plus question cette fois de vous lâcher au hasard sans repère ni consigne et en vous souhaitant bonne chance. Le titre entreprend à présent de vous guider dans votre quête, étape par étape, que ce soit grâce à la présence de nombreux PNJs aptes à vous donner des indices ou des directions, mais aussi par le biais d’une carte consultable par le biais de la touche X et qui vous affichera clairement vos prochains objectifs grâce à des icônes très parlantes.

Cette excellente idée permet de se sentir un peu moins perdu au cœur d’un univers rivalisant sans peine avec la taille du monde du premier opus, mais désormais infiniment mieux agencé et plus vivant, avec ses villages, ses sanctuaires, sa forêt magique, ses marécages, mais également son monde des ténèbres hébergeant huit des douze donjons du jeu. Mais là où le programme fait vraiment fort, c’est en terme de contenu : chaque écran est littéralement rempli de secrets, de passages dérobés, de raccourcis et de petites trouvailles nécessitant bien souvent de multiplier les expériences avec les – très – nombreux objets du jeu. Et à ce titre, la durée de vie déjà très importante de l’aventure se trouvera encore considérablement prolongée par le temps infini que vous pourrez passer à retourner chaque pierre, à foncer dans chaque arbre ou à faire sauter chaque fissure à coups de bombes – plus besoin de les chercher au hasard, dorénavant – le plus souvent pour vous voir récompenser ou pour trouver une nouvelle petite énigme dont la résolution nécessitera parfois un objet que vous ne trouverez que bien des heures plus tard.

Si A Link to The Past reprend d’ailleurs, pratiquement à l’identique, l’interface du premier épisode, les possibilités sont dorénavant décuplées. Oui, vous êtes toujours équipé de votre épée – qui disposera cette fois de pas moins de quatre niveaux de puissance – et de votre inusable bouclier, lui aussi améliorable tout au long du jeu. Mais une grande partie des objets très utiles du titre ne se trouvera désormais plus dans les donjons – même si chacun d’eux a toujours son artéfact unique – mais dans le vaste monde, et certains d’entre eux seront d’ailleurs totalement facultatifs.

La plupart de ces objets tireront leur pouvoir d’une jauge de magie qu’il vous faudra remplir à l’aide de bonus trouvables au même titre que les rubis où les cœurs, et certains d’entre eux vous permettront de vous rendre invisible, de passer à travers certains obstacles, de détruire ou de paralyser tous les monstres à l’écran ou encore de vous rendre temporairement invincible. Vous aurez également l’opportunité de trouver des grandes fées vous permettant d’augmenter vos réserves de bombes et de flèches, mais aussi d’améliorer certains de vos objets – au hasard, votre bouclier ou votre boomerang. Signe de l’ambition accrue du titre, les réceptacles de cœur du premier épisode, qui vous permettaient d’allonger votre jauge de vie d’une unité, ont désormais laissé place à des fragments de cœur, qui rempliront la même fonction à la condition, cette fois, d’en trouver pas moins de quatre ! Bref, la grande force du premier Zelda – la multitude de secrets offerts par son exploration – a ici été surmultipliée, vous laissant plus d’indices sans jamais vous mâcher pour autant tout le travail. Autant dire que cette richesse impressionnante des possibilités est pour beaucoup dans la renommée pratiquement intacte dont jouit encore le titre aujourd’hui.

N’oublions pas pour autant, d’ailleurs, le cœur du jeu : la quête principale qui vous enverra une nouvelle fois combattre Ganon. Comme on l’a vu, l’aventure s’est étendue, vous envoyant tout d’abord collecter trois talismans dans trois donjons « d’initiation » avant de vous envoyer libérer les descendantes des Sept Sages dans sept nouveaux repaires, auxquels il faut ajouter la plus haute tour du château d’Hyrule et le donjon final – comme on peut le voir, le contenu du jeu est particulièrement conséquent.

La volonté d’accessibilité observée dans la mise en place se retrouve également dans l’aventure en elle-même : le monde est moins « ouvert », vous ne pourrez pas aller partout dès le début du jeu, et n’espérez même pas trouver le donjon final après dix minutes comme cela était possible dans le premier épisode – désormais, vous êtes encadré, et si la liberté est toujours très grande, elle n’est pas pour autant totale. D’autre part, la difficulté est sans commune mesure avec celle de Zelda II – ce qui ne signifie pas pour autant que le jeu est facile, très loin de là, mais la difficulté est beaucoup plus progressive, et le joueur patient pourra accumuler un équipement suffisamment impressionnant pour lui simplifier grandement les derniers donjons, autrement redoutables. Bref, le jeu prend le temps d’installer son univers et ses principes avant de vous lâcher la bride, et vous offre de très nombreuses opportunités d’adoucir un peu le challenge du titre – à condition de vous donner le mal de les trouver. Une excellente formule, ou chaque joueur pourra trouver son compte – et où les acharnés du « jeu fini à 100% » pourront espérer passer une trentaine d’heures à retourner le titre dans tous les sens pour trouver ce quatrième flacon ou cet ultime fragment de cœur.

Niveau réalisation, le jeu avait pour ambition de nous montrer ce que la 16 bits de Nintendo avait dans le ventre, et il le fait très bien. La richesse de la palette de couleurs de la Super Nintendo est parfaitement mise à contribution, les ambiances sont sublimes, on trouve des effets très ambitieux comme cette brume transparente dans la forêt oubliée – c’est absolument parfait, et on mesure immédiatement le gouffre technique séparant cette console de la NES. Côté musique, l’intégralité de la B.O. du titre était déjà devenue culte vingt secondes après sa sortie, le jeu ne reproduit à aucun niveau les faux pas du deuxième épisode et le ravissement est total. Pour un titre paru sur une console en début de vie, A Link to the Past place immédiatement la barre très haut – et elle mettra d’ailleurs plusieurs années à être dépassée.

Quelques mots enfin sur la version française du titre – car, cocorico, cet épisode est le premier à avoir bénéficié d’une localisation officielle. Sans être éblouissante par son génie, cette VF reste très bien réalisée, sans coquille ni fautes d’orthographe, sans oubli (même l’interface est dans la langue de Molière), bref, elle représente un excellente continuation de la volonté d’accessibilité du titre, ce qui permettra à un enfant de s’y essayer sans avoir un dictionnaire anglais-français à portée de la main. On appréciera.

Vidéo – Quinze minutes de jeu :

Récompenses :

  • Tilt d’or 1992 (Tilt n°109, décembre 1992) – Meilleur jeu d’aventure sur console

NOTE FINALE : 19/20 Après un deuxième épisode qui avait divisé les fans, Nintendo remet le couvert pour un titre qui aura été celui de la réconciliation : The Legend of Zelda : A Link to the Past est, sans hésitation possible, l'un des épisodes les plus réussis et les plus marquants d'une saga pourtant riche en titres d'exception. Ayant accompli avec une totale maestria la transition vers un gameplay plus encadré et plus scénarisé sans sacrifier en rien la liberté jouissive permise par le titre, le troisième épisode de la série aura constitué, à bien des niveaux, la véritable clé de voute sur laquelle se sera bâtie la suite de la saga. Un jeu qu'on peut redécouvrir, encore aujourd'hui, avec un plaisir totalement intact - et ça, c'est réellement la trace irréfutable d'un titre majeur. CE QUI A MAL VIEILLI : – Rien. Mais vraiment.

Bonus – Ce à quoi peut ressembler The Legend of Zelda : A Link to the Past sur un écran cathodique :

The Legend of Zelda

Développeur : Nintendo Research & Development 4
Éditeur : Nintendo Co, Ltd.
Titre original : The Hyrule Fantasy ゼルダの伝説 (The Hyrule Fantasy : Zelda no Densetsu – Japon)
Titres alternatifs : A Lenda de Zelda (Brésil), 젤다의 전설 (Corée), Adventure (titre de travail)
Testé sur : NES
Famicom Disk System
Disponible sur : 3DS, Game boy Advance, Switch, Wii, Wii U
En vente sur : Nintendo eShop (3DS, Wii U)

La saga Zelda (Jusqu’à 2000) :

1 – The Legend of Zelda (1986)
2 – Zelda II : The Adventure of Link (1987)
3 – The Legend of Zelda : A Link to the Past (1991)
4 – Link : The Faces of Evil (1993)
5 – Zelda : The Wand of Gamelon (1993)
6 – The Legend of Zelda : Link’s Awakening (1993)
7 – Zelda’s Adventure (1995)
8 – The Legend of Zelda : Ocarina of Time (1998)
9 – The Legend of Zelda : Majora’s Mask (2000)

Version NES

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Comment présenter une légende ? La question mérite d’être posée, tant le jeu que nous nous apprêtons à aborder à présent n’est pas un jeu comme les autres.

L’un des objectifs avoués de RetroArchives est d’amener des joueurs des dernières générations à se pencher sur des titres publiés parfois plusieurs années, voire plusieurs décennies, avant leur naissance. À faire découvrir les incontournables, les perles du passé, mais aussi les jeux obscurs, les grands oubliés, les curiosités, ceux qui méritent une deuxième chance – bref, l’univers vidéoludique du siècle dernier au sens large, dans sa variété et ses errances, depuis les titres pionniers et visionnaires jusqu’aux ratages oubliés.

Mais existe-t-il seulement au XXIe siècle un ermite égaré au fond d’une grotte perdue isolée quelque part au cœur d’une île non-répertoriée qui n’ait jamais entendu parler de The Legend of Zelda ?

Partons de cette évidence : ce nom, Zelda, tout le monde l’a déjà entendu, au même titre que d’autres mondialement connu à travers les générations, comme Super Mario pour citer une autre série légendaire de Nintendo.

Tout le monde connait Link, sa bouille d’elfe aux oreilles pointues, sa tenue verte, et sa quête quasi-permanente pour porter secours à la princesse éponyme au travers d’une saga si vaste que rares sont les joueurs à pouvoir se vanter d’en avoir fini chaque itération et chaque spin-off – ou même simplement d’avoir joué à chacun d’entre eux.

Puisqu’il est parfaitement évident qu’on ne peut pas imaginer un site de retrogaming n’abordant pas une série aussi prestigieuse, aussi fondatrice, aussi indispensable serait-on tenté de dire que celle de Zelda, le plus simple est donc de repartir du tout début. De l’origine. Voici donc The Legend of Zelda, et pourquoi il a bouleversé l’histoire du jeu vidéo.

Commençons par l’histoire qui, là aussi, évoquera bien des réminiscences à n’importe quel joueur s’étant essayé à un des titres de la série. Dans le royaume d’Hyrule existe, depuis des temps immémoriaux, une relique magique conférant un immense pouvoir à son détenteur : la Triforce. Celle-ci, comme son nom l’indique, est composée de trois éléments représentant chacun une valeur particulière : le pouvoir, le courage et la sagesse. Or voici que Ganon, le prince des ténèbres, est venu envahir le royaume d’Hyrule à la tête de son armée et est parvenu à s’approprier la Triforce du pouvoir.

Craignant qu’il ne parvienne également à mettre la main sur la Triforce de la sagesse, la princesse Zelda décide de la diviser en huit fragments qu’elle cache dans les donjons du royaume, avant de charger Impa, sa nourrice, de s’enfuir et de trouver un homme assez courageux pour sauver le royaume. Celle-ci, cernée par les hommes de Ganon, ne devra son salut qu’à l’intervention d’un jeune guerrier nommé Link. C’est donc à lui que reviendra la quête de réunir les huit fragments de la Triforce de sagesse qui seule lui permettra d’affronter Ganon dans son repaire et de libérer la princesse Zelda et le royaume d’Hyrule.

Difficile d’imaginer une quête plus universelle : le jeune sauveur parti à la rescousse du royaume (et de la princesse, comme dans tous les contes de fées). Et bien évidemment, ce sauveur, ce sera vous. Et la première question se posera immédiatement une fois l’introduction du jeu terminée et votre personnage nommé (tout le monde sait aujourd’hui qu’il s’appelle Link, mais à l’époque on était très loin d’imaginer que ce nom connaîtrait une telle notoriété à l’avenir) : comment sauve-t-on un royaume ?

Pour y répondre, le jeu avait le bon goût de proposer un manuel vous présentant l’univers, le récit, les bonus et les monstres du jeu, mais aussi et surtout une carte destinée à ne pas vous abandonner complètement au milieu de nulle part sans objectif ni directions. Car bien entendu, la première grande trouvaille du jeu, digne héritier en ce sens du Adventure paru sur Atari 2600, c’est sa totale non-linéarité mettant l’accent sur une composante qui n’a pas pris une ride, même plus de trente ans après sa sortie : l’exploration.

Votre héros commence la partie sur le premier écran de jeu avec les mains et les poches vides. L’interface en haut de l’écran vous permettra de réaliser qu’il dispose d’une jauge de vie représentée sous la forme de cœurs (trois au début du jeu), d’un compteur de clés, qui trouveront leur utilité dans les donjons, de bombes, dont vous anticipez qu’elles vous serviront à faire sauter quelque chose, et de rubis, qui serviront de monnaie dans le jeu, ainsi que de deux petites fenêtres – pour l’instant vides – et représentant les objets attribués respectivement au bouton B et au bouton A de la manette. Une pression sur Start fera apparaître une nouvelle fenêtre, affichant tout votre équipement – c’est à dire rien au lancement du jeu – ainsi que les fragments de la Triforce de sagesse en votre possession. Voilà, vous savez tout. Vous pouvez partir à l’aventure.

Puisque l’écran sur lequel vous commencez la partie comporte l’entrée d’une grotte, vous pensez probablement que c’est un aussi bon endroit qu’un autre pour commencer votre exploration. Vous entrez : un vieil ermite vous attend, et vous offre votre premier arme, une simple épée en bois. Par défaut, la voici automatiquement attribuée au bouton A, et vous vous empressez de quitter les lieux pour aller la tester sur le premier monstre venu. Ainsi débute votre odyssée, et elle ne ressemblera à celle de personne d’autre.

La première idée de génie de The Legend of Zelda est là : votre totale liberté. Vous voulez utiliser la carte pour foncer vers le premier donjon ? Faites donc. Vous voulez tâter un peu le terrain, découvrir les nombreux marchands, et l’utilité des bombes ou des flèches qu’ils vous vendent ? Rien ne vous l’interdit. Sûr de vos capacités, vous voulez foncer directement vers l’un des derniers donjons du jeu ? C’est possible (et c’est une très mauvaise idée, mais ne vous privez pas). Vous voulez essayer cette bougie que vous venez d’acquérir sur un monstre ? Hé, c’est amusant, ça le blesse. Dans une salle obscure ? Ça l’éclaire, c’est logique mais il fallait y penser. Sur un arbre ? Tiens, ça le brûle. Et puis, à force d’errer et de tenter vos petites expériences de ci de là, vous faites une découverte : sous cet arbre que vous venez de brûler se cachait un escalier ! Vous descendez les marches : un moblin vous offre cent rubis en échange de votre discrétion ! Hé, cela vaut le coup d’essayer plus souvent ! Et puisque des passages se cachent sous les arbres, peut-être que vos bombes pourraient déceler des accès cachés dans un des pans de roche ? Au terme de longues minutes d’efforts, gagné ! Vous avez trouvé une grotte secrète ! Vous vous précipitez à l’intérieur… et l’occupant des lieux, furieux, vous demande de rembourser la porte que vous venez de dynamiter fort discourtoisement. Cinquante rubis de perdu… vous repartez, dépité.

La grande force du titre, c’est que cette prime jubilatoire à la recherche et à l’envie de retourner chaque pierre – avec, comme on l’a vu, sa part de risque – ne fera que grandir tandis que vos possibilités d’action s’étendront. Chaque donjon du jeu comporte au moins un artéfact particulier qui s’avèrera bien souvent indispensable pour la suite. Comme cette échelle que vous pourrez utiliser en guise de pont, ou ce radeau qui vous aidera à vous élancer depuis des embarcadères. Il y a aussi ces objets extrêmement bien cachés sur la carte du monde, à l’image de ce bracelet de puissance qui vous permettra de déplacer des blocs de rocher – et parfois de découvrir d’étranges raccourcis – ou encore ces anneaux qui changent la couleur de votre tunique – et qui doublent, voire quadruplent, votre résistance.

Pour vous donner une idée des possibilités offertes à l’explorateur fanatique – ou au vieux briscard très expérimenté – il est tout à fait possible, pour le fouineur convulsif, d’aborder le tout premier donjon du jeu avec une jauge de vie, une résistance et des dégâts doublés ! Bref, les possibilités sont énormes, et elles peuvent trouver leur juste récompense pour ceux qui s’en donnent la peine. Autant dire qu’un joueur pourra littéralement passer des semaines – voire des mois – à explorer et à glaner des indices pour l’éclairer sur la marche à suivre, car un simple coup d’œil sur la carte vous permettra de réaliser que tous les donjons n’y sont pas présents, et certains, surtout parmi les derniers, peuvent s’avérer très, très délicats à trouver – sans même parler d’en venir à bout…

Les donjons, d’ailleurs, parlons-en : ils représentent à la fois un passage obligé, puisque vous devrez retrouver les fuit fragments qui y sont cachés, et également un des moments les plus marquants du jeu. Comme le monde extérieur, ils sont divisés en une succession d’écrans fixes dans lesquels vous transitez à la recherche de clés pour ouvrir les portes fermés, de murs factices à faire sauter à l’aide de vos bombes, de passages secrets à faire apparaître en poussant des blocs, d’accès fermés qui ne se déverrouilleront que lorsque vous aurez éliminé tous les adversaires d’une salle… Dans chacun d’eux, vous pourrez mettre la main sur une boussole, qui vous indiquera l’emplacement du boss, et sur une carte qui vous permettra de connaître le plan du donjon. Si les premiers de ces donjons peuvent se montrer assez abordables, et relativement linéaires, ils ne tardent pas à devenir labyrinthiques et à regorger de passages souterrains, de pièces cachées, d’indices soigneusement dissimulés – et de ces fameux objets uniques qui vous imposeront d’explorer méthodiquement pour être bien certain de ne rien avoir oublié d’important derrière vous.

Difficile de ne pas évoquer ces donjons sans mentionner leur fameux thème musical, totalement hypnotique, et qui parvient à placer en quelques notes une ambiance absolument fabuleuse – mais il serait plus difficile encore d’isoler un seul élément de la B.O. du jeu qui ne soit pas devenu culte aujourd’hui. Le fragment de Triforce sera bien sûr gardé par un boss qui demandera parfois une technique ou un objet précis pour être vaincu, et qui lâchera systématiquement, à sa mort, un réceptacle de cœur qui viendra augmenter votre jauge de vie – remplaçant ainsi en quelque sorte la montée de niveau des jeux de rôles de l’époque. Beaucoup de ces réceptacles peuvent également être dénichés sur la carte du jeu – parfois de façon visible, plus fréquemment soigneusement dissimulés, tout comme cette loterie, ou cette épée magique, ou ce vieux sage qui vous donnera un indice capital pour découvrir l’emplacement du dernier donjon, ou…

Le test s’étire, et j’ai le sentiment de ne toujours pas avoir abordé 10% du jeu. C’est certainement là une des grandes explications de sa renommé autant que de sa longévité : jamais on n’aurait imaginé un jeu à la fois aussi riche de possibilités et aussi simple à prendre en main : quatre flèches, trois boutons, et le monde est à vous.

C’est également la toute première cartouche de jeu à autoriser la sauvegarde – on comprendra donc d’autant plus aisément que la durée de vie du jeu ait pu représenter, elle aussi, une petite révolution dans le monde du jeu vidéo sur console de l’époque, où les titres étaient bien davantage pensés pour des cessions courtes et où l’essentiel de l’enjeu reposait dans le scoring. Surtout que je ne vous ai même pas encore annoncé qu’une fois le jeu terminé, une nouvelle quête commence… avec une nouvelle carte et de nouveaux donjons. Oui, vous pourrez repartir pour un deuxième tour de manège – et avec le sourire, en plus. Le jeu représente peut-être tout simplement cela : la première, la plus évidente, la plus accessible et au final la plus épique de toutes les grandes quêtes que les joueurs de l’époque rêvaient de pouvoir accomplir enfin sans posséder un ordinateur hors de prix, sans avaler 80 pages d’instructions et sans se frotter à une interface opaque mettant en jeu 120 touches du clavier. The Legend of Zelda, c’était vraiment l’aventure à portée de la main.

Vidéo – Dix minutes de jeu :

NOTE FINALE : 19/20 Il est aujourd'hui à peu près aussi stérile qu'inconcevable d'imaginer à quoi pourrait ressembler le monde vidéoludique actuel privé de l'héritage de The Legend of Zelda. Le jeu conçu par Takashi Tezuka et Shigeru Miyamoto représente une sorte de miracle comme on en voit peut-être un par génération : un jeu qui a visé juste dans tous les domaines qu'il explorait pour la première fois, du premier coup. Combien de titres âgés de trente ans peuvent aujourd'hui se vanter de se découvrir, manette en main, avec pratiquement le même plaisir qu'au jour de leur sortie ? Le triomphe instantané rencontré par le jeu à l'époque n'a rien d'usurpé : il demeure, à sa façon, le rêve d'enfant enfin concrétisé, cette quête initiatique qu'on nous avait implicitement promise en nous lisant des contes de fées le soir. Un classique immortel comme on n'en connaitra peut-être plus jamais. CE QUI A MAL VIEILLI : – Les indices sibyllins et la taille de la carte font qu'il faudra être vraiment bon pour découvrir les derniers donjons du jeu – Le fait que le jeu ne vous fasse réapparaitre qu'avec trois cœurs remplis à chaque chargement risque d'imposer de longues séquences de collecte de vie - à moins, bien sûr, de connaître l'emplacement des fées... – Le défi est particulièrement relevé - mais qu'il soit dit ici que découvrir ce jeu avec un guide ou une solution complète représenterait une hérésie sans nom, tant il repose précisément sur le plaisir de la découverte

Bonus – Ce à quoi peut ressembler The Legend of Zelda sur un écran cathodique :

Version Famicom Disk System
The Hyrule Fantasy ゼルダの伝説

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Les lecteurs attentifs auront sans doute été surpris de découvrir que The Legend of Zelda aura dû attendre 1994 pour sortir au Japon. Il s’agit bien évidemment de la date de sortie de la version cartouche japonaise, laquelle aura d’ailleurs représenté le tout dernier jeu produit par Nintendo sur sa console 8 bits. Zelda aura en fait surtout représenté le titre de lancement du Famicom Disk System, l’extension uniquement sortie au Japon et permettant de jouer sur des disquette plutôt que sur des cartouches – option qui aura rapidement cessé d’être pertinente, d’où son absence sur la scène internationale.

Néanmoins, on comprendra aisément que le jeu ait été idéal pour présenter les caractéristiques du système, à commencer par la sauvegarde aisée des données directement sur le support – pas besoin de couteuse pile ici ! Le jeu en lui-même est bien évidemment à 95% identique à son itération cartouche occidentale, même si on remarque quelques nuances intéressantes : il n’est bien évidemment sorti qu’en japonais (des patchs de fans auront réglé le problème depuis), il tire parti du micro intégré à la manette de la Famicom (certains ennemis peuvent être détruits en criant !), mais également des capacités sonores étendues de l’extension : le thème musical de l’écran-titre est ici subtilement mieux rendu, et une fois en jeu, ce sont surtout les bruitages qui sont améliorés. Il faudra malgré tout, support oblige, composer avec quelques écrans de chargement. Autant dire que pour les curieux, on a affaire ici à une alternative tout-à-fait valable, et pour cause : l’expérience originale, c’est celle-là et aucune autre.

NOTE FINALE : 19/20

C’est bien sur Famicom Disk System que The Legend of Zelda aura vu le jour, et c’est pour l’essentiel le même jeu tirant parti de quelques spécificités de la console japonaise et de son extension – comme le micro de la manette ou la puce sonore supplémentaire. Il en résulte un titre toujours aussi bon et peut-être même légèrement meilleur, et qu’on peut facilement découvrir en anglais aujourd’hui. Joie.

Maniac Mansion : Day of the Tentacle

Développeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Éditeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Titres Alternatifs : Day of the Tentacle (titre usuel), Il Giorno del Tentacolo (Italie), Der Tag des Tentakels (Allemagne), День Щупальца (Den’ Schupaltsa, Russie)
Testé sur : PC (DOS)Macintosh
Disponible sur : iPad, iPhone, Linux, Macintosh, PlayStation 4, PS Vita, Windows, Windows Apps, Xbox One (Remaster de 2016)
En vente sur : GOG.com (Linux, Macintosh, Windows), Mac App Store (Macintosh), PlayStation Store (PlayStation 4), Steam.com (Windows)

La série Maniac Mansion (jusqu’à 2000) :

  1. Maniac Mansion (1987)
  2. Day of the tentacle (1993)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Juin 1993 (disquette) – Septembre 1993 (CD-ROM)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Anglais (voix), français (textes)
Supports : CD-ROM, Disquette 3,5″ (x7)
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Versions testées : Versions CD-ROM et disquette françaises émulées sous ScummVM
Configuration minimale : Processeur : Intel 80286 – OS : MS-DOS 3.1 (version disquette), MS-DOS 5.0 (version CD-ROM) – RAM : 640ko (version disquette), 2Mo (version CD-ROM) – MSCDEX (version CD-ROM) : 2.1 – Vitesse du lecteur CD-ROM : 2X (300ko/s)
Modes graphiques supportés : VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, General MIDI, haut-parleur interne, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (version CD-ROM) :

Comment présenter un jeu comme Day of the Tentacle ?


À l’époque bénie où la société LucasArts et le jeu d’aventure connaissaient tous les deux un âge d’or – l’un n’étant certainement pas étranger à l’autre – combien de titres majeurs faut-il retenir parmi ceux sortis entre 1990 et 1995 ?

Si le nom de Monkey Island est désormais connu par à peu près n’importe quel joueur, quel que soit son âge, beaucoup évoqueront également ce qu’ils considèrent aujourd’hui comme le point-and-click humoristique ultime. Drôle, rythmé, avec une réalisation exemplaire, des animations à la Tex Avery, un humour à la Chuck Jones (ou l’inverse), le tout enrobant un scénario aussi absurde qu’absolument génial… Pas d’erreur : il ne peut s’agir que de Sam & Max ou de l’extraordinaire suite de Maniac Mansion : Day of the Tentacle, un jeu dont le titre est déjà tout un programme.

Commençons d’abord par aborder l’histoire. Je préfère vous prévenir : accrochez-vous.

Cinq ans après les événements narrés dans Maniac Mansion (et dont la connaissance n’est absolument pas nécessaire pour aborder le jeu, mais nous y reviendrons), la nature en fête laisse parler sa joie au cours d’un jour parfaitement banal, près du manoir de Fred Edison, le chef de famille déjanté du précédent opus. Les fleurs se balancent au vent, la rivière chante, les oiseaux aussi d’ailleurs – du moins jusqu’à ce qu’ils parviennent à hauteur du mutagène toxique relâché par le Pollu-O-Matic du Dr. Fred dans la rivière qui jouxte le logis familial, où les choses se passent un peu moins bien pour eux. Mais voilà justement que deux tentacules, Pourpre et Vert, approchent de la boue toxique crachée par les tuyaux de la machine susmentionnée – et naturellement, Pourpre a soif… Je vous laisse découvrir le reste de l’excellente introduction du jeu dans la vidéo qui ouvre cette article, mais sachez que, pour empêcher le tentacule pourpre – soudain transformé en génie du mal – de conquérir le monde, Bernard Bernoulli, rescapé du premier opus, ainsi que Hoagie le roadie et Laverne la, hmm, tarée, devront voyager dans le temps à l’aide des Chrono-WC inventés par le Dr. Fred. Sauf que, bien évidemment, le voyage va mal se passer, coinçant Hoagie 200 ans dans le passé et Laverne 200 ans dans le futur…

Je sais ce que vous pensez : ça commence très fort. Vous aurez peut-être envie de relire ce scénario pour vous assurer d’avoir tout compris : n’hésitez pas. Le plus brillant, c’est qu’une fois placé devant le jeu, toute la suite d’événements grotesques qui vont conduire vos trois personnages à agir au même endroit à trois époques différentes vous paraitra d’une logique parfaitement limpide. Vos objectifs seront donc clairs d’entrée de jeu : tout d’abord, trouver un moyen de ramener Hoagie et Laverne dans le présent, pour y rejoindre Bernard. Et ensuite, reprendre le plan initial et voyager jusqu’à la veille pour couper le Pollu-O-Matic et empêcher le tentacule pourpre de se transformer en génie et de conquérir le monde.

Simple sur le papier ? Même pas, mais attendez un peu de vous retrouver confrontés aux dizaines de trouvailles composant les énigmes du jeu pour pouvoir apprécier le programme à sa juste valeur. Car naturellement, si vos personnages peuvent s’échanger quelques menus objets par le biais de leur Chrono-WC (oui, cela aussi finira par vous paraître évident), il faudra également manipuler le temps à de très nombreuses reprises pour parvenir à vos fins, une action effectuée à l’époque coloniale pouvant parfaitement avoir des répercussions dans le lointain futur où les tentacules ont fini par prendre le pouvoir. Ne soyez donc pas étonnés d’avoir à congeler des hamsters, à modifier la constitution américaine, ou même à donner une forme très originale à la bannière étoilée : Day of the Tentacle ne respecte rien, et on lui en sera infiniment reconnaissant.

Autant aborder immédiatement le principal point fort du titre : son humour, à la fois léger et absurde, qui a le bon goût de faire mouche quasi-systématiquement. Plus encore que les dialogues savoureux, on retiendra la multiplicité des situations aberrantes, personne ne semblant choqué de voir un roadie discuter avec un cheval au milieu des pères fondateurs, ou des tentacules organiser des concours de beauté pour humains – toujours dans différentes variations du manoir du Dr. Fred, qui constituera le cadre de jeu des trois périodes. Car oui : ne soyez pas surpris de croiser, dans ce qui n’était encore qu’une auberge minable, Thomas Jefferson, George Washington ou Benjamin Franklin : c’est parfaitement normal. Et les amateurs de références historiques pourront apprécier à leur juste valeur les manipulations d’anecdotes célèbres qui transforment Washington en un abatteur de cerisiers professionnel, ou John Hancock en un homme qui espère fasciner les femmes avec la taille de sa signature.

On appréciera surtout la qualité exceptionnelle du design et de l’animation, le jeu réservant son lot de scènes croustillantes provoquant une franche hilarité, mais aussi une patte inimitable qui s’affirme au moindre décor à la perspective improbable, ou au soin apporté aux mouvements de vos personnages pour des animations aussi variées que de descendre le long d’un conduit de cheminée, de rentrer dans une horloge ou d’assassiner un clown gonflable à l’aide d’un scalpel. L’ambition du titre, même sur disquettes, est là encore notable : comme l’extrait des quinze premières minutes en fin de test vous le montrera, toutes les cinématiques de début du jeu sont intégralement doublées, profitant ainsi de l’espace offert par les sept disquettes du titre – et permettant de doter chaque personnage d’une identité forte dès les premières secondes de la partie.

À force d’entendre parler de références aussi obscures que les tentacules, le Dr. Fred ou encore cette fascination étrange qui semble entourer les hamsters et les micro-ondes, vous pourriez vous demander si le jeu ne s’adresse pas exclusivement aux joueurs de Maniac Mansion. Comme cela a déjà été souligné, la réponse est « non » : le jeu comprend bien évidemment tout un lot de clins d’œil au premier opus, à commencer par la famille Edison au grand complet et ce qu’elle est devenue après avoir été possédée par un météore tombé du ciel cinq ans auparavant, mais un joueur n’ayant jamais touché au prédécesseur de Day of the Tentacle ne mettra pas plus de quelques minutes à trouver ses marques dans l’univers ô combien unique du titre.

Mais, copieuse cerise sur un gâteau aux proportions déjà colossales, Maniac Mansion en entier est intégralement jouable dans le jeu pour ceux qui voudraient rattraper leur retard. Comment ? D’une manière très simple : pas de code secret, pas d’easter egg à débloquer : rendez-vous simplement dans la chambre d’Ed Edison, dans le présent, et utilisez l’ordinateur qui s’y trouve, et voilà ! Deux jeux pour le prix d’un, sachant que cette version « 2.0 » de Maniac Mansion a également connu son lot de petites modifications, la rendant encore un peu ardue que la version originale. Une initiative comme on aimerait en voir plus souvent.

Parlons interface, à présent : celle-ci, présente en bas de l’écran, se compose toujours de verbes comme cela était le cas pour tous les jeux d’aventure Lucasarts depuis… Maniac Mansion, justement. On remarquera néanmoins que celle-ci a été grandement optimisée : il n’y a plus que neuf verbes, désormais – évitant ainsi les nombreux doublons qui compliquaient inutilement les choses, et l’inventaire (lui aussi constamment présent à l’image) est présenté de manière graphique, avec des icônes très parlantes et parfaitement dessinées.

Deux petits portraits en bas à droite vous permettront de changer de personnage d’un simple clic – à condition que le personnage en question soit libre de ses mouvements, naturellement – et, afin d’éviter les allez-et-retours fastidieux jusqu’aux Chrono-WC, il suffira de faire glisser un objet jusqu’à l’un de ces portraits pour le transmettre à un de vos compagnons. On appréciera l’efficacité implacable de cette interface qui, contrairement à celle du premier opus, n’a pas pris une ride. En termes de durée de vie, les choses sont un peu plus difficiles à mesurer : cela dépendra de votre capacité à assimiler la logique assez particulière du titre. Aucune énigme n’est illogique ou incompréhensible ; je me souviens avoir fini le titre en trois jours lors de ma première partie – mais trois jours où j’avais été pour ainsi dire totalement incapable de décrocher du jeu. Une dizaine, voire une quinzaine d’heures me semble être une estimation correcte – dans tous les cas, croyez-moi, vous n’en regretterez pas la moindre minute.

Un mot, enfin – comme c’est désormais la tradition – sur la version française. Ne faisons pas durer le suspense : celle-ci est d’excellente qualité. Certes, on y trouve certaines coquilles récurrentes – le traducteur ignorant visiblement 1) que « tentacule » est un nom de genre masculin et 2) les règles de conjugaison permettant de distinguer un futur d’un conditionnel – mais cela n’impacte en rien le style et l’efficacité de la transcription de l’humour du jeu.

Certaines blagues sonnent même mieux en V.F. qu’en V.O. – un exploit suffisamment rare pour être mentionné. Et pour ce qui est de la version CD-ROM, rien de très surprenant : le jeu est totalement identique à la version d’origine mais rajoute un doublage intégral, dont on avait déjà pu juger d’une partie de la qualité lors de l’introduction de la version disquettes. Aucune version n’existe avec des voix françaises –  ce qui n’est pas forcément dommage, tant les voix originales collent à la perfection à leurs personnages – il faudra donc profiter de cette version CD en V.O.S.T.FR. Seul petit regret : le casting vocal se limite à cinq acteurs, ce qui fait que les mêmes voix reviennent trop souvent. Après ce qu’avait laissé entrevoir l’introduction, on espérait également une folie plus marquée – le résultat est propre, efficace, mais on aurait apprécié qu’il soit également un peu plus ambitieux.

Vidéo – Quinze minutes de jeu (version CD-ROM) :

Récompenses:

  • Tilt d’or 1993 (Tilt n°121, décembre 1993) – Meilleur jeu d’aventure
  • Tilt d’argent 1993 (ibid.) – Tilt d’or Micro Kids

NOTE FINALE : 19/20 Au royaume du point-and-click, Day of the Tentacle est plus qu'un roi, c'est une légende. De la première à la dernière seconde de jeu, le titre vous transporte dans un univers à la Tex Avery où l'absurde et la folie douce sont la norme, et où les Pères Fondateurs côtoient sans aucun complexe les savants fous, les paramilitaires dépressifs, les roadies fans de heavy metal et les tentacules à ventouses. Grâce à un système de jeu irréprochable, à des mécanismes qui confinent au génie, à un humour imparable parfaitement retransmis par une V.F. inspirée et à une réalisation qui n'a pas pris un début de commencement de ride, Day of the Tentacle reste aujourd'hui considéré - à raison - comme l'un des meilleurs jeux d'aventure jamais publiés. Ne jamais y avoir joué est pire qu'une lacune, c'est presque une faute. CE QUI A MAL VIEILLI : – Strictement rien.

Les avis de l’époque :

« Soyons net, Day of the Tentacle est, à mon avis, le meilleur jeu de l’année, toutes catégories confondues ! C’est LE soft que vous montrerez fièrement à vos copains pour les décider à acheter un PC. On a vraiment l’impression de se retrouver face à un véritable dessin animé. »

Marc Lacombe, Tilt n°121, décembre 1993

« Aucun doute, Day of the Tentacle mérite amplement son Tilt d’Or. Certains lui reprochent d’être trop court et il est vrai qu’il ne m’a fallu que quatre jours pour en venir à bout, mais je ne faisais plus rien d’autre, je refusais de boire, de manger et même Carole Bouquet nue dans ma baignoire ne m’aurait pas fait bouger de devant l’écran de mon PC ! C’est clair, aucun jeu ne m’a jamais apporté autant de plaisir. »

Morgan Feroyd, ibid.

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Day of the Tentacle sur un écran cathodique :

Version Macintosh

Développeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Éditeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Date de sortie : Janvier 1996
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : CD-ROM
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version CD-ROM américaine testée sous MacOS 9.0
Configuration minimale : Processeur : Motorola 68040 – OS : System 7.1 – RAM : 8Mo – Vitesse lecteur CD-ROM : 2X (300ko/s)

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Day of the Tentacle aura eu droit à sa version Macintosh mais, signe que l’ordinateur d’Apple ne se sera jamais réellement imposé comme une machine de jeu, le jeu aura quand même dû attendre près de trois ans pour avoir droit à son adaptation – laquelle se révèle d’ailleurs assez gourmande comparée à ce que demandait à la version PC. À ma connaissance, le jeu n’aura été distribué qu’au format CD-ROM (rien de très surprenant en 1996), et uniquement pour le marché nord-américain (peut-être une version française existe-t-elle – il ne s’agissait après tout que de reprendre les textes de la version PC – mais si c’est le cas, je ne l’ai pas trouvée). Naturellement, le contenu du jeu n’a pas changé d’un bit, et la réalisation est restée semblable à ce qu’on avait pu voir sur MS-DOS, à quelques nuances près dans le rendu sonore, qui demeure très satisfaisant. Du côté des graphismes, le jeu peut soit s’afficher en 320×200 dans une fenêtre, soit en « plein écran » en 640×400 avec les graphismes doublés (et deux bandes noires, le format natif de la machine étant en 640×480, et vous aurez évidemment un cadre si vous jouez à une résolution supérieure). Il est également possible d’afficher des graphismes « adoucis » avec un filtre qui fait à mes yeux plus de mal que de bien au pixel art du jeu, mais au moins n’est-il qu’optionnel ici. Pour le reste, inutile de faire la fine bouche : c’est toujours un des meilleurs jeux d’aventure jamais programmés.

NOTE FINALE : 19/20

Pas de surprise pour Day of the Tentacle sur Macintosh, qui délivre une expérience extrêmement proche de celle qu’on avait déjà pu apprécier sur PC, avec en bonus quelques fioritures plus ou moins utiles comme un filtre pour les graphismes.