Inca

Développeur : Coktel Vision
Éditeur : Coktel Vision
Titre alternatif : インカ帝国 黄金郷の復活 (graphie japonaise)
Testé sur : PC (DOS)CD-i
Version non testée : Macintosh

La série Inca (jusqu’à 2000) :

  1. Inca (1992)
  2. Inca II : Wiracocha (1993)

Version PC (DOS)

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (CD-ROM) :

« Le XVIe siècle.
Des quatre coins de l’Europe, de gigantesques voiliers partent à la conquête du Nouveau Monde. À bord de ces navires, des hommes avides de rêves, d’aventure et d’espace, à la recherche de fortune. Qui n’a jamais rêvé de ces mondes souterrains, de ces mers lointaines peuplées de légendes, ou d’une richesse soudaine qui se conquerrait au détour d’un chemin de la cordillère des Andes ? Qui n’a jamais souhaité voir le soleil souverain guider ses pas au cœur du pays Inca… »

Désolé pour la référence culturelle obligée qui ne parlera qu’aux quadragénaires, je n’ai pas pu résister. L’empire Inca reste encore aujourd’hui un grand mystère, une source d’émerveillement et de théories plus ou moins fumeuses destinées à expliquer l’inexplicable, tels ces improbables blocs de plus de 300 tonnes utilisés pour la constructions des temples, ou l’intérêt des pistes tracées dans la poussière du sol de Nazca. Plus étonnante, plus surnaturelle encore, reste la question de savoir comment cet empire qui s’étendait du Chili à l’Équateur a pu s’effondrer en quelques années à peine face à une poignée de conquistadors mal équipés. Autant de questions si passionnantes et aux possibilités si riches qu’on peut se montrer surpris que le jeu vidéo n’ait pas plus souvent cherché à s’en emparer.

L’histoire d’Inca, justement, prend sa source en 1525, soit sept ans avant que Francisco Pizarro ne débarque pour participer à mettre à sac l’Amérique du Sud. Huayna Capac, le dernier grand inca, sait déjà que les conquistadors vont arriver. Ceux-ci se lanceront à la recherche de l’Eldorado, mais ils ne le trouveront jamais, et pour cause : aveuglés par leur soif d’or, ils ne comprendront jamais que la véritable richesse des Incas est leur savoir. Ce savoir, Huayna Capac l’a dissimulé dans l’espace-temps, et la prophétie veut que, cinq siècles plus tard, un homme fasse son apparition. Ce sera lui, l’Eldorado, et son rôle sera de devenir la nouvelle incarnation du pouvoir et du savoir incas. Et cet homme, cet élu, naturellement, ce sera vous…

Voilà qui a au moins le mérite d’être dépaysant. Inca est un titre qui, au moment de sa parution, fin 1992, passait pour extraordinairement ambitieux. Le studio français Coktel Vision, jusqu’alors plus connu pour des titres ludo-éducatifs ou des jeux comme Gobliiins, avait alors mis les petits plats dans les grands : digitalisations en 256 couleurs, décors modélisés en 3D, incrustations vidéos, scènes cinématiques qui décrochaient les mâchoires… Il est parfaitement évident, dès les premières minutes de jeu, que le titre avait d’emblée été pensé pour le support CD-ROM – pas encore suffisamment démocratisé, en 1992, pour prendre le risque de faire l’impasse sur la version disquette. Toujours est-il que c’est très joli, que l’ambiance est immédiatement posée, et que l’on a immédiatement envie de se mettre en route pour mettre la main sur les trois pouvoirs qui nous permettront de faire renaître l’empire inca.

Le jeu vous donne rapidement la main pour vous laisser débuter votre mission. Et là, première surprise : on ne se retrouve ni face à un point-and-click, ni face à un jeu à la Myst. Inca est en fait composé de plusieurs phases distinctes et faisant la part belle à l’action, jugez plutôt. Toutes vos missions commenceront à bord du Tumi, un vaisseau spatial (!) qui vous permettra de rejoindre les planètes où Huayna Capac a dissimulé les gemmes qui détiennent les clés du savoir inca. Vous vous retrouvez alors dans une vue du cockpit qui n’est pas sans rappeler Wing Commander, avec la planète à rejoindre en face de vous.

Vous vous dirigez à la souris : le bouton droit permet d’accélérer, le bouton gauche de tirer, les touches F1 à F3 sélectionneront vos armes. Deux types de menaces pourront s’interposer entre vous et votre objectif : des champs d’astéroïdes ou des chasseurs adverses. Dans le premier cas, il suffira d’aller tout droit en détruisant les rochers sur votre route, dans le deuxième, il faudra pratiquer du dogfight vraiment pas passionnant avec notamment la possibilité d’utiliser des missiles infaillibles dès l’instant où l’adversaire est verrouillé. Très honnêtement, on s’ennuie pas mal, et on est assez pressé de rejoindre la planète dans les deux cas, tant les possibilités ludiques sont faibles. Pour ne rien arranger, la jouabilité est médiocre, avec un curseur de souris qui a tendance à se déplacer n’importe où de manière erratique alors qu’on ne lui a rien demandé : ça commence plutôt mal.

Une fois arrivé sur la planète, deux autres types de scènes d’action s’offrent à vous : le premier vous propose de détruire des vaisseaux en les coursant dans une tranchée au cours d’un passage qui hurle son envie de rejouer l’attaque de l’Étoile Noire dans Star Wars. Le deuxième, lui, vous demande de vous déplacer dans des décors pré-calculés en tirant sur des ennemis en incrustation vidéo. Dans les deux cas, on est dans du pur rail shooter consistant à déplacer un viseur sur des cibles, et c’est loin d’être palpitant. Dans le deuxième, c’est même ultra-fastidieux, puisque vous aurez plusieurs fois l’occasion de parcourir d’interminables labyrinthes constitués de salles toutes identiques, en enchainant des combats sans intérêt pendant parfois plus de dix bonnes minutes. C’est, ludiquement parlant, assez proche du zéro absolu. Heureusement, il reste la partie aventure, et la résolution d’énigmes…

Malheureusement, une nouvelle fois, Coktel Vision n’aura pas décidé de briller par le génie de son gameplay. En fait, les énigmes rappellent énormément celles d’un de leurs autres jeux, Gobliiins, le côté décalé en moins. En effet, la logique y est pratiquement absente : confronté à des situations dont vous ne savez rien, dans des lieux que vous ne connaissez pas, avec des objets dont vous ne connaissez pas la fonction, la seule méthode de résolution repose 95% du temps sur l’essai/erreur. Traduit en clair : on clique partout au hasard, avec tous les objets, en priant pour que cela produise quelque chose.

Et le pire, c’est que les rares fois où il s’avère qu’il y avait effectivement une logique, on la comprend le plus souvent après coup, après avoir résolu le problème au hasard… C’est très, très mal pensé, et cela est d’autant plus frustrant que l’univers du titre donne réellement envie d’aller plus loin pour s’imprégner de son atmosphère inimitable. Hélas, les rares tentatives visant à faire un peu décoller le scénario et à créer une tension tombent à plat, faute de la cohérence la plus élémentaire. Ainsi, au premier tiers du jeu, Aguirre, votre ennemi juré, vous fait prisonnier. Il est plus puissant que vous, vous êtes son pire ennemi, l’homme à abattre, il n’aurait qu’un geste à faire pour vous tuer. Au lieu de quoi, il essaie de vous enrôler alors que rien ne laisse deviner qu’il ait besoin de vous d’une quelconque manière, et va jusqu’à vous laisser le temps de méditer sur la question en vous enfermant en fond de cale, vous laissant ainsi l’opportunité de vous enfuir. Pas très malin, le grand méchant…

L’ennui, c’est que tout le jeu est de cet acabit, et que chaque moment où on devrait être vissé à notre siège finit fatalement par trahir une incohérence, une absurdité ou un vide d’information qui fait qu’on ne connait jamais vraiment le sens de ce qu’on est en train de faire. Et puis d’ailleurs, quelle importance ? Dans tous les cas, cela aboutira aux mêmes types de séquences d’action, et le fait qu’elles deviennent plus longues et plus difficiles au fil du jeu ne les rend hélas jamais intéressantes.

Pire encore : il est impossible de sauvegarder, et il faudra composer avec un indigeste système de mot de passe. En 1992 ! Autant dire qu’une fois la nostalgie mise de côté, on se retrouve avec un logiciel qui peut attiser une certaine curiosité, mais dont chaque partie est un peu plus désagréable que la précédente. Si la réalisation, graphique comme sonore, a encore un cachet certain, ce qui faisait illusion au siècle dernier (et encore, on en sentait déjà très bien les limites à l’époque) ne suffit malheureusement plus à dissimuler les très nombreuses tares du gameplay, qui va du néant total à l’insupportable. Difficile de ne pas penser à un titre comme Dragon Lore, qui allait tomber deux ans plus tard exactement dans les mêmes pièges. C’est réellement dommage, car on sent bien qu’il y avait matière à faire un univers profond et original doté de suffisamment de matière pour lancer une prolifique saga. Au lieu de quoi, reste cette désagréable question qui agite parfois les gamers âgés face à un programme qui aura représenté une partie de leur enfance : « Mais comment on faisait pour jouer à ces trucs-là ? »

Enfin, et comme cela était prévisible, Inca sera également rapidement sorti dans une version CD-ROM qui semblait mieux correspondre à son ambition initiale. Au menu, et sans surprise : de la musique qualité CD, quelques cinématiques un peu plus longues, des dialogues entièrement doublés (en anglais, cette fois, ce qui brise d’ailleurs un peu l’immersion car on peut se demander pourquoi Huayna Capac ne nous parle plus en inca), un niveau final un peu plus long, et quelques petites adaptations au système original, puisque le jeu comprend désormais quatorze mots de passe au lieu de douze dans la version disquette. Notons également l’introduction chantée (visible ci-dessus) qui faisait son petit effet à l’époque, même si je ne sais pas trop pourquoi la chanson s’arrête abruptement en plein milieu (défaillance de DOSBox ?). Sans la musique, la version CD n’apporterait pratiquement rien, les doublages anglais (d’ailleurs pas très bien joués) étant plutôt un pas en arrière.

Vidéo – Dix minutes de jeu (version CD-ROM) :

Récompenses :

  • Tilt d’or 1992 – Meilleurs graphismes micro (Tilt n°109, décembre 1992)
  • Tilt de bronze 1992 – Meilleure bande-son micro (ibid.)

NOTE FINALE : 09,5/20 En dépit d'un scénario très original et d'une réalisation fantastique au moment de sa sortie, Inca restera dans les mémoires comme l'annonciateur d'une des tares récurrentes des productions françaises des années 90 : privilégier la forme sur le fond. Ce qui aurait pu être un formidable jeu d'aventure n'aura finalement été qu'un film interactif mal assemblé à partir de phases d'action sans intérêt et d'énigmes ne reposant sur rien d'autre que sur l'expérimentation tous azimuts. Improbable mélange entre Star Wars et Les Mystérieuses Cités d'Or, Inca demeure une expérience aussi dépaysante que déstabilisante, mais souvent plus frustrante que ludique, avec un scénario qui ne tient jamais les promesses qu'il avait laissé entrevoir. Dommage. CE QUI A MAL VIEILLI : – La moitié du jeu est composée de phases d'action dont l'intérêt ludique évoque le néant – Les énigmes évoquent plus la logique de Gobliiins que celle de Myst - et, dans ce cas précis, ce n'est pas un compliment – Il y avait tellement mieux à faire, sur la base de ce scénario...

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Inca sur un écran cathodique :

Les avis de l’époque :

« C’est à une véritable superproduction que vous allez pouvoir assister, votre PC tenant lieu en l’occasion de salle de cinéma interactive. (…) Les éléments graphiques et sonores sont intégrés comme cela ne l’avait jamais été auparavant. Les objets en raytracing se reflètent sur le sol, les animations et les scrollings sont proches de la perfection, la musique et les bruitages accompagnent parfaitement l’action… C’est bô ! (…) C’est plus un film interactif qu’un jeu. Cela explique la note « modérée » que je lui attribue. »


Jean-loup Jovanovic, Tilt n°110, janvier 1993, 16/20

Version CD-i

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Avec un jeu pensé d’entrée pour l’avènement du CD-ROM et du multimédia, le CD-i était pratiquement un passage obligé – en tous cas, en 1993, cela semblait encore faire sens. Comme on peut s’en douter, le jeu débarque sur la plateforme de Philips avec un contenu largement identique à celui de l’itération DOS, avec néanmoins quelques petites nuances. La première – et la plus surprenante – étant la présence d’un doublage français intégral, là où les possesseurs de la version CD-ROM sur PC devaient se contenter des voix anglaises avec des sous-titres (un « data pack » très rare et vendu avec le CD audio existerait apparemment pour bénéficier de ces voix sur la version PC, mais bon courage pour en dénicher un exemplaire aujourd’hui). On constate également quelques petites modifications dans les graphismes, comme par exemple le sprite de la première planète qui a changé, mais pour l’essentiel cela reste exactement la même chose proposé à la résolution du CD-i, en 728×280, d’où de grandes bandes noires à attendre. Le jeu n’est hélas pas devenu meilleur, mais on dira qu’il ne dépare pas franchement au sein de la ludothèque de la machine.

NOTE FINALE : 09,5/20

Difficile de savoir pourquoi cette version CD-i d’Inca bénéficie des voix françaises dont avait été privée la version PC, mais pour le reste le résultat est globalement identique, à quelques minuscules modifications graphiques près. Si vous voulez absolument découvrir le titre de Coktel Vision, vous ne devriez pas être plus malheureux de le faire sur la machine de Philips.

Les voyageurs du temps : La menace

Développeur : Delphine Software
Éditeur : Delphine Software
Titres alternatifs : Future Wars : Adventures in Time (Amérique du Nord), Future Wars : Time Travellers (Europe), フューチャーウォーズ 時の冒険者 (Future Wars : Toki no Bōkensha, Japon)
Testé sur : AmigaAtari STPC (DOS)PC-98Sharp X68000

La ligne Cinématique de Delphine Software :

1 – Les voyageurs du temps : La menace (1989)
2 – Secret défense : Opération Stealth (1990)
3 – Croisière pour un cadavre (1991)

Version Amiga

Date de sortie : Octobre 1989
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ (x2)
Contrôleur : Souris
Version testée : Version disquette testée sur Amiga 600
Configuration minimale : Système : Amiga 1000 – OS : Kickstart 1.2 – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : OCS/ECS
Installation sur disque dur supportée

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Lorsqu’il s’agit d’évoquer une période où la créativité française battait son plein dans l’univers vidéoludique, la plupart des vieux briscards se souviennent alors immédiatement, avec l’œil embrumé, de la fin des années 80 et du début des années 90. Il faut dire que de l’Arche du Captain Blood et son thème composé par Jean-Michel Jarre à des titres comme Another World ou Dune, les équipes françaises d’alors semblaient reines pour proposer des OVNIs réellement novateurs qui ne ressemblaient à rien d’autre, et qui bousculaient chacun à leur manière le train-train bien rodé de la création de jeu vidéo.

L’une des obsessions récurrentes d’alors, chez ces compagnies, semblait être de multiplier les ponts entre le jeu vidéo et le septième art pour s’intéresser à un aspect encore très négligé par les titres d’alors : la mise en scène. Et c’est ainsi avec une ambition certaine que la toute jeune compagnie fondée en 1988, Delphine Software, décida de partir à l’assaut du jeu d’aventure en lançant une ligne de jeu baptisée « cinématique ». Avec, pour inaugurer cette ligne, un titre qui aura marqué bien des joueurs d’alors : Les Voyageurs du Temps.

Prenons un personnage lambda, comme un laveur de carreau. Imaginons qu’au milieu d’une journée de travail pas très valorisante, il s’en aille fouiller le bureau de son directeur, bien décidé à jouer un bon tour à ce dernier pour tromper l’ennui (et vraisemblablement prendre la porte dans la foulée). Là où les choses deviennent intéressantes, c’est quand une série de manipulations a priori anodines l’amènent carrément à découvrir un passage secret le guidant vers une machine temporelle… et vers le début d’une aventure qui s’étendra depuis la préhistoire jusqu’au XLIVème siècle. C’est déjà plus alléchant, non ?

En terme de philosophie, Les Voyageurs du Temps est en fait un titre qui pourrait faire la jonction entre les deux grandes écoles du jeu d’aventure d’alors : celle de Sierra Online et celle de Lucasfilm Games. De la seconde, il reprend une ergonomie très simple ne faisant appel qu’à la souris. Le clic droit fait apparaître un menu d’action, appuyer sur les deux boutons en même temps permet de sauvegarder, de charger ou de quitter. On notera quelques ratés, en revanche, comme lors de cette phase vous demandant de rentrer cinq chiffres sur un clavier en temps limité. On pourrait croire qu’il suffirait d’utiliser la commande « actionner » sur le dispositif et de cliquer sur les cinq chiffres dans l’ordre, mais ce serait trop simple : il faudra en fait ouvrir le menu, sélectionner « actionner », puis cliquer sur le premier chiffre et répéter ainsi toute la manœuvre quatre fois de suite – le tout à un moment où vous jouez la montre ! Plutôt lourd…

D’ailleurs, le côté non-bloquant, « non-mourant » des jeux de chez Lucas n’a pas cours ici : non seulement on peut très souvent se retrouver bloqué faute d’avoir en sa possession un objet devenu inaccessible à ce stade du jeu, mais le taux de mortalité, lui aussi, est directement hérité des jeux de chez Sierra. Des loups aux moustiques en passant par les moines, les plafonds qui descendent ou les sables mouvants, la moitié du contenu du jeu semble s’être liguée pour vous faire la peau. Pour ne rien arranger, le seul recours en cas de décès est de charger la partie – ou de la recommencer à zéro. Attendez-vous d’ailleurs à recommencer le jeu souvent, précisément à cause des tracas bloquants exposés plus haut.

Il faut d’ailleurs préciser que, en dépit de son héritage point-and-click, c’est également du côté de la vieille école que le titre de Delphine Software va pêcher une bonne partie de sa jouabilité. Contrairement à un Indiana Jones and the Last Crusade paru à la même période, par exemple, et où le personnage se déplaçait automatiquement lorsque vous lui demandiez d’accomplir une action, vous devrez ici guider votre héros jusqu’à l’endroit où vous voulez le faire agir, ce qui est très vite pénible – d’autant plus qu’il faut souvent être placé à quelques millimètres d’un objet pour parvenir à l’actionner.

Ce ne serait que modérément gênant si le programme ne vous demandait pas à de nombreuses reprises d’interagir avec des dangers mortels en attendant de vous que vous vous placiez juste à côté des dangers en question – et parfois même en temps limité, histoire de vous compliquer encore un peu la vie – et surtout si votre personnage n’avait pas autant de mal à voyager d’un point à un autre dans les endroits étroits. On s’énerve parfois pendant dix bonnes secondes en cherchant à franchir une simple porte. Mais ce n’est pas fini : les énigmes, elles aussi, nous ramènent tout droit aux jeux d’aventure du milieu des années 80. Soyons clairs : elles ne reposent que très occasionnellement sur la logique, et font beaucoup plus appel à l’expérimentation tous azimuts. Le jeu semble trouver parfaitement naturel qu’on dégote une corde sous la racine d’un arbre et qu’on l’utilise sur une branche pour s’y hisser et attendre sans aucune raison, mais il faut reconnaître qu’on ne trouve ce genre de solution qu’en utilisant anarchiquement un peu tout et n’importe quoi n’importe où.

Surtout, la chasse au pixel est constamment de mise : il n’est pas rare de rater un objet important faute d’avoir distingué une zone d’action de deux pixels de large, et pire encore : la fonction « examiner » vous indique souvent que vous n’apercevez rien d’intéressant tant que vous n’êtes pas juste à côté de l’objet à observer ! On congédie donc souvent des pans entiers du décor lors de nos recherches, nous fiant bêtement à l’affirmation du programme selon laquelle il n’y a rien à voir, pour découvrir qu’on aurait mieux fait d’aller fourrer – littéralement – son nez partout.

C’est à ce niveau que Les Voyageurs du Temps a le plus mal vieilli : on est définitivement plus proche d’un héritier des King’s Quest que des Zak McKracken. C’est dommage, car même si la narration a elle aussi plutôt souffert du passage du temps, on reste curieux de chercher à comprendre comment notre laveur de carreaux s’est retrouvé embarqué dans une aventure spatio-temporelle. Les enjeux mettent quelques heures à se matérialiser, et ils tombent un peu de nulle part, mais l’univers a cette patte propre aux années 80 qui le rend immédiatement sympathique et fait regretter qu’aucune suite n’ait jamais vu le jour.

Surtout que s’il est un aspect, en revanche, ou le titre excelle, c’est du côté de la réalisation. On l’a dit, l’ambition de Delphine Software était de proposer une expérience « cinématique », et le contrat est parfaitement rempli. Aucun jeu d’aventure sorti à la même période ne peut rivaliser avec les graphismes dessinés par un certain Éric Chahi – on est très loin des 16 couleurs de Loom ou Monkey Island, pourtant sortis un an plus tard : rien que le premier écran en envoie plein les yeux. Les atmosphères sont très variées, depuis les vitraux des monastères jusqu’aux paysages futuristes très post-apocalyptiques – dommage que tout ne soit pas toujours en plein écran, car lorsque c’est le cas le jeu est vraiment superbe.

La musique est également très réussie – ce qui fait d’ailleurs regretter qu’elle se fasse si rarement entendre. On a droit à une introduction, à des scènes animées, à des petits détails qui rendent le monde vivant ; en ce sens, le jeu est clairement précurseur, et pave le chemin de futurs petits bijoux à la Day of the Tentacle. Rien que pour cela, on sera tenté de lui pardonner beaucoup de choses, car en dépit de ses nombreux défauts, Les Voyageurs du Temps est un jeu qui a indéniablement du caractère, ce petit quelque chose qu’on appelle de la personnalité : on a vu très peu de titres, à un ou deux Space Quest près, qui se rapprochent de lui.

Quelques mots, en conclusion, sur la version française du titre : toute l’équipe du jeu étant française, on pourrait s’attendre à un résultat irréprochable… mais, signe également de l’amateurisme rampant de l’époque, les textes sont riches en fautes d’orthographe, de grammaire et de conjugaison. Rien de dramatique, mais on ne peut s’empêcher de tiquer en constatant que personne, à l’époque, n’aura jugé utile d’investir dans un correcteur – ou simplement, de faire relire les dialogues par quelqu’un doté d’une maîtrise du français de niveau classe de troisième.

Vidéo – Cinq minutes de jeu :

Récompenses :

  • Tilt d’or 1989 – Meilleur jeu d’aventure en français (versions Amiga et Atari ST)
  • Tilt d’or 1989 – Meilleure animation sonore

NOTE FINALE : 13,5/20 Pionnier du point-and-click et du jeu vidéo « cinématique », Les Voyageurs du Temps : La Menace aura été à n'en pas douter un des jeux d'aventure majeurs de la fin des années 80, grâce notamment à une ergonomie efficace et à une réalisation de pointe. Suivre notre laveur de carreau au fil du temps était – et reste encore – une expérience profondément dépaysante, et on ne peut que regretter que la série annoncée par le titre se soit au final cantonnée à cet unique épisode. Replonger dans l'aventure nécessitera en revanche de composer avec des mécanismes usés et frustrants obligeant à régulièrement recommencer le jeu depuis le début, et surtout à expérimenter un peu tout et n'importe quoi faute d'énigmes claires et logiques. Un digne représentant de son époque – en bien comme en mal. CE QUI A MAL VIEILLI : – On peut se retrouver irrémédiablement bloqué pour avoir raté un objet qu'on ne peut plus retourner chercher – Placement au millimètre nécessaire pour la moindre action – Beaucoup de chasse au pixel – Énigmes ne reposant pratiquement jamais sur la logique – Taux de mortalité élevé

Les avis de l’époque :

« Le scénario, nous l’avons dit, est passionnant mais le « plus » de ce logiciel vient des graphismes riches en détails. Ajoutez à cela une bonne animation et vous obtenez d’admirables effets visuels dans certaines séquences. En outre, de superbes fonds musicaux vous accompagnent tout au long de l’aventure. Bref, ce logiciel signé Delphine Software est le meilleur logiciel d’aventure français de ces deux dernières années. »

Dany Boolauck, Tilt n°70, Octobre 1989, 18/20

Version Atari ST

Développeur : Delphine Software
Éditeur : Delphine Software
Date de sortie : Janvier 1990
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ simple face (x3)
Contrôleur : Souris
Version testée : Version disquette testée sur Atari 1040 STe
Configuration minimale : Système : 520 ST – RAM : 512ko
Écran couleur nécessaire
Installation sur disque dur supportée

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Comme la plupart des jeux Delphine Software, Les Voyageurs du Temps aura été développé conjointement sur Atari ST et Amiga, ce qui explique que les différences entre les trois versions soient aussi rares. Les nuances, purement techniques, ne seront pas à chercher du côté des graphismes : c’est identique à la version Amiga. En revanche, du côté du son, l’Atari ST peine comme souvent à rivaliser avec la puce Paula, et les bruitages (pas très nombreux à la base, il est vrai) ont purement et simplement disparu. Le reste du logiciel est tout à fait conforme au test rédigé plus haut, n’espérez donc pas de grands bouleversements.

NOTE FINALE : 13/20

Les Voyageurs du Temps : La Menace sur Atari ST est un clone assumé et parfaitement réalisé de la version Amiga : n’espérez aucune modification ou nouveauté, il n’y en a pas. Seules les limitations sonores de l’Atari ST sont perceptibles : la musique est moins bonne et les bruitages ont disparu, mais pour le reste, personne ne sera dépaysé.

Version PC (DOS)

Développeur : Daniel Morais
Éditeur : Delphine Software
Date de sortie : Octobre 1990 (version disquette) – 1992 (version CD-ROM)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand*, anglais, français*
*version disquette uniquement
Supports : CD-ROM, disquettes 5,25″ (x3) et 3,5″ (x2)
Contrôleurs : Clavier, souris
Versions testées : Versions disquette et CD-ROM émulées sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 8088/8086 – OS : PC/MS-DOS 2.1 – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : CGA, EGA, Hercules, MCGA, Tandy/PCjr, VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, haut-parleur interne, Roland MT-32
Lien utile : Patch de traduction en français pour la version CD-ROM par Threepwang

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Sans surprise, Les Voyageurs du Temps auront continué leur route jusque sur PC, d’abord exclusivement en EGA, puis rapidement dans une version un peu plus évoluée en 256 couleurs et tirant parti des cartes sonores AdLib, Sound Blaster et Roland MT-32. Cette sélection permet à cette version de se hisser à la hauteur, voire légèrement au-dessus de la version Amiga pour ce qui est de la partie sonore, d’autant que les bruitages, eux, sont de retour. Graphiquement, les 256 couleurs du VGA permettent aisément d’afficher la même chose que sur Amiga et ST – dommage qu’on n’ait pas cherché à bénéficier de cette palette étendue, ni à dépoussiérer un peu l’interface du jeu au passage, mais je chipote.

La version CD-ROM :

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Curiosité : Les Voyageurs du Temps sera également sorti dans une version profitant du support CD… mais malheureusement, uniquement aux États-Unis et sous son titre américain de Future Wars. Oubliez donc la version française, ce qui, pour un titre développé par une équipe 100% tricolore, est assez désagréable (rassurez-vous, un fan a depuis corrigé cette anomalie, vous trouverez le lien vers son patch dans le pavé technique). Qu’apporte concrètement cette version ? Eh bien, sans surprise, de la musique CD, de meilleure qualité que ce pouvait proposer la Roland MT-32. Mais ce n’est pas tout : on trouve également de nouveaux thèmes, ce qui permet de tirer un trait sur les très longues phases silencieuses, pour les remplacer par des thèmes qui sentent fort le MIDI, CD ou pas, et qui tranchent un peu avec l’ambiance générale, même si j’imagine qu’il s’agit principalement d’une question de goût. Pas de voix digitalisées, en revanche, et le reste du jeu n’a pas changé d’un iota.

NOTE FINALE : 13,5/20

Les Voyageurs du Temps : La Menace n’aura pas raté le tournant des années 90, en tirant profit de tout ce que le PC avait à offrir de meilleur à l’époque : le VGA et les cartes sonores. Certes, le titre ne bénéficie nullement des 256 couleurs de la palette du PC, mais propose un calque fidèle de la version Amiga, sans sacrifier les bruitages comme l’avait fait la version ST. À vous de choisir si vous préférez les performances sonores de la puce Paula ou celles de la Roland MT-32. Quant à la version CD-ROM, elle sera réservée aux joueurs souhaitant bénéficier de thèmes musicaux plus nombreux.

Version PC-98
Future Wars : Toki no Bōkensha

Développeur : Voice and Image Products
Éditeur : Starcraft, Inc.
Date de sortie : 24 juin 1991 (Japon)
Nombre de joueurs : 1
Langue : Japonais
Support : Disquette 5,25″
Contrôleurs : Clavier, souris
Versions testées : Versions disquette
Configuration minimale : Système : PC-9801VM/VX – OS : MS-DOS 3.1 – RAM : 640ko
Roland MT-32/LAPC-I supportée

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Comme beaucoup de point-and-click ayant connu un certain succès en occident, Les voyageurs du temps aura également tenté sa chance sur les ordinateurs japonais, par l’entremise de Starcraft, éditeur parmi les plus prolifiques en la matière avec Pony Canyon. Transposé sous son titre américain de Future Wars, le titre s’attèle à transposer aussi fidèlement que possible la version Amiga, même si, pour des raisons techniques, c’est davantage de la version PC que ce portage se rapproche – particulièrement si vous reliez votre ordinateur à une Roland MT-32. On notera d’ailleurs que, comme sur la version PC, un processeur un millipoil trop rapide aura tendance à provoquer des clignotements de sprites assez désagréables. À ce désagrément près, le jeu est exactement identique aux versions PC et Amiga, si l’on fait abstraction du fait qu’il a été intégralement traduit en japonais, bien sûr. Autant dire qu’un joueur européen n’aura aucune raison de se démener pour mettre la main sur ce portage, sauf à collectionner convulsivement tout ce qui a trait au jeu, mais au moins maintenant vous saurez que vous n’avez rien raté.

NOTE FINALE : 13,5/20

Si, pour une raison quelconque, vous souhaitez découvrir Les voyageurs du temps plus ou moins à l’identique de sa version originale mais en japonais, ce portage sur PC-98 devrait réaliser tous vos vœux. Dans le cas contraire, cela ne vaut certainement pas la peine de vous ruiner pour faire importer cette version.

Version Sharp X68000
Future Wars : Toki no Bōkensha

Développeur : Voice and Image Products
Éditeur : Starcraft, Inc.
Date de sortie : 9 juillet 1991 (Japon)
Nombre de joueurs : 1
Langue : Japonais
Support : Disquette 5,25″
Contrôleurs : Clavier, souris
Versions testées : Versions disquette
Configuration minimale :

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Un mois et demi après la version PC-98, avec le même studio à la baguette, Les voyageurs du temps était porté sur le Sharp X68000. Et pour le coup, les choses vont aller vite : on hérite d’une version exactement semblable à celle sur PC-98, à la double-exception qu’on n’aura pas ici à risquer de clignotements de sprites intempestifs et que les bruitages sont de meilleure qualité que dans toutes les autres versions (même celle sur CD-ROM, qui n’avait il est vrai pas fait un effort particulier en la matière). Bien sûr, le titre est à nouveau en japonais, ce qui le réservera à ceux qui parlent la langue où à ceux qui connaissent déjà le déroulement du jeu par cœur.

NOTE FINALE : 13,5/20

Aucune surprise pour ce Future Wars sur Sharp X68000 – même si on remarquera que les (rares) bruitages du jeu sont meilleurs ici. Si vous estimez que cela est une raison suffisante pour investir dans ce portage intégralement en japonais, c’est votre droit, mais dans le cas contraire vous serez aussi bien sur n’importe quelle autre version.

Under a Killing Moon

Développeur : Access Software, Inc.
Éditeur : Access Software, Inc.
Titre alternatif : Tex Murphy : Under a Killing Moon (Gog.com)
Testé sur : PC (DOS)
Disponible sur : Windows (XP, Vista, 7, 8, 10), Linux (Ubuntu 14.04, Ubuntu 16.04, Ubuntu 18.04), Mac OS X (10.6.8)
En vente sur : Gog.com (Linux, Windows), Steam.com (Linux, Macintosh, Windows)

La saga Tex Murphy (jusqu’à 2000) :

1 – Mean Streets (1989)
2 – Martian Memorandum (1991)
3 – Under a Killing Moon (1994)
4 – The Pandora Directive (1996)
5 – Tex Murphy : Overseer (1997)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Novembre 1994
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français (voix en anglais, textes en français)
Support : CD-ROM, dématérialisé
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version dématérialisée émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 80386 DX 25MHz – OS : MS-DOS 5.0 – RAM : 4Mo – Vitesse lecteur CD-ROM : 1X (150ko/s)
Modes graphiques supportés : SVGA, VESA
Cartes sonores supportées : AdLib/Gold, Ensoniq Soundscape, ESS Audiodrive, General MIDI, Gravis UltraSound/ACE/Max, Microsoft Sound System, MPU-401, Roland MT-32/LAPC-I/RAP-10, Sound Blaster/Pro/16/AWE 32

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

La démocratisation du CD-ROM dans la première moitié des années 90 a été, à bien des niveaux, un cadeau empoisonné pour beaucoup de développeurs.

Pour une industrie bien rodée qui commençait à parfaitement maîtriser ses temps de développement et ses coûts de production, devoir assumer la révolution annoncée par le support CD posait plusieurs colles ; la première et la plus évidente étant de savoir comment remplir la fameuse galette et ses 640, voire 700 mégas, là où on avait pris l’habitude de se contenter de cent fois moins. Autant dire que les premiers titres parus sur CD sonnaient souvent creux.

Pour un développeur imaginatif, en revanche, le CD-ROM pouvait constituer la porte d’entrée vers des titres infiniment plus recherchés que ce qu’avait autorisé une poignée de disquettes. Et les premiers jeux à réellement tirer parti du nouveau support, tels The 7th Guest, Myst ou Wing Commander III, partageaient déjà deux caractéristiques tenant autant à la capacité de stockage qu’à l’envol de la puissance des processeurs : la vidéo et la 3D. Deux aspects qu’il conviendra également d’invoquer pour évoquer Under a Killing Moon.

Après deux premières tentatives de jeu d’aventure futuriste qui laissaient un goût d’inachevé, Access Software vit rapidement dans le CD-ROM la pièce qui manquait à son très ambitieux puzzle. Aussi, au moment d’offrir une troisième aventure au détective privé Tex Murphy, la société américaine décida de mettre les petits plats dans les grands ; jugez plutôt : quatre CDs, deux millions de dollars de budget (soit une somme très importante à l’époque), et même quelques noms ronflants au casting parmi lesquels rien de moins que James Earl Jones (Star Wars) dans le rôle du dieu des détectives (ce qui est d’autant plus remarquable que même les jeux Star Wars officiels de chez LucasArts n’avaient jamais pu compter sur la voix officielle de Dark Vador à l’époque !). Et histoire de ne pas perdre les habitués de la saga, c’est une fois de plus le lead designer Chris Jones lui-même qui prête ses traits, mais aussi sa voix et son interprétation, à Tex Murphy. Certes, Wing Commander III allait trouver le moyen de placer la barre encore un cran au-dessus la même année, mais sur le papier, il faut bien reconnaître que ça avait de la gueule – surtout en 1994, où le jeu vidéo nourrissait encore de sérieux complexes par rapport à l’industrie cinématographique.

Vous revoilà donc plongé en 2042, trois ans après Martian Memorandum, dans votre bonne vieille San Francisco post-troisième guerre mondiale. Fidèle à lui-même, Tex est redevenu un loser qui passe son temps à cuver son whisky en méditant avec amertume sur le fiasco qu’a été son mariage. Histoire d’enfoncer le clou, un de ses plus vieux amis, le Colonel, avec qui il s’était brouillé quinze ans auparavant pour l’avoir dénoncé à l’ordre des détectives, vient lui rendre visite histoire de passer l’éponge sur leur dispute – et d’en profiter pour dire à Tex les quelques vérités qu’il n’a pas envie d’entendre. Placé face à son statut d’épave ambulante, le jeune détective décide de remettre le pied à l’étrier en allant chercher du travail d’investigation – n’importe lequel, à n’importe quel prix. Et c’est donc à ce moment que vous prenez les commandes, sans vous douter que vous allez, une fois de plus, finir par vous retrouver avec l’avenir de la planète entre les mains.

L’enquête est lancée, et si Under a Killing Moon est toujours un jeu d’aventure, vous allez rapidement constater qu’il se présente sous une forme particulièrement originale. Grâce à ses vidéos, tout d’abord, qui participent bien sûr énormément à l’atmosphère du titre, mais aussi par sa jouabilité : oubliez le point-and-click, les verbes de commandes et les écrans fixes, le troisième épisode de la saga vous place désormais directement dans la peau de Tex Murphy… à la première personne.

Vous allez ainsi vous déplacer au fil des environnements du jeu – à commencer par votre bureau, ou même la rue en bas de celui-ci – en temps réel, à la souris. Une simple pression sur la touche espace vous permettra de faire apparaitre une interface avec les habituels verbes et un curseur à promener sur ce sur quoi vous étiez en train de poser les yeux. Si cela est déjà une excellente idée en terme d’immersion – vous vous promenez désormais littéralement dans l’environnement quotidien de Tex, avec un moteur 3D qui représentait sans peine le haut du panier en 1994 – c’est également une très bonne trouvaille d’un point de vue ludique. La chasse au pixel prendra en effet une nouvelle signification quand vous vous retrouverez désormais à regarder sous les meubles ou à déplacer des objets pour voir ce qui peut se cacher derrière, et vous allez vite développer des réflexes vous poussant à retourner les paillassons ou à décrocher les tableaux, des fois qu’un coffre-fort se trouverait derrière.

Mine de rien, cela participe plus que jamais au côté « enquête comme si vous y étiez », car cela vous oblige à repenser la façon de passer une scène de crime au peigne fin en réfléchissant selon des situations logiques plutôt qu’en promenant aléatoirement le curseur sur tout l’écran. Le moindre objet intéressant pourra déclencher un commentaire, souvent bien écrit, de Tex lui-même, ce qui fait qu’on ne met que quelques minutes à se sentir dans le rôle du détective privé. Notons d’ailleurs que l’interface est cette fois totalement irréprochable, et va même jusqu’à intégrer une aide que vous pourrez aller consulter au cas où vous commenceriez à tourner en rond – une approche très intelligente, à une époque où on ne pouvait pas encore se précipiter sur internet pour trouver une solution. Bref, on est surpris, mais jamais laissé de côté – et on en vient à regretter que le concept n’ait pas mieux prospéré depuis lors.

Bien sûr, à de très nombreuses reprises, vous aurez l’occasion de discuter avec l’un des personnages du jeu, ou de vivre une situation suffisamment importante ou dramatique pour justifier l’utilisation de la vidéo. L’occasion de constater qu’en dépit des quatre CD utilisés, l’équipe de développement a tout fait pour gagner un maximum de place – il est fréquent, par exemple, qu’un seul personnage à la fois bouge pendant que le reste de la vidéo est figé. Dans le même ordre d’idée, on sent parfaitement que tout a été tourné face à un fond vert – ou plutôt bleu, comme c’était la norme à l’époque – et l’incrustation paraitra rarement très convaincante à un joueur du XXIe siècle, mais on parle là du charme inhérent à ce type de production des années 90.

Force est de reconnaître que le fait d’interroger les témoins de vive voix rend le jeu infiniment plus vivant que ce à quoi ses deux préquelles nous avaient habitués, et on se retrouve parfois à avoir un franc éclat de rire face à une situation absurde ou face à une réplique bien sentie. Le système de dialogue du jeu vous demande d’ailleurs de choisir une attitude plus qu’une phrase précise, un peu comme c’était le cas dans Martian Memorandum, ce qui peut parfois avoir des effets inattendus, surtout dans les conversations importantes. À noter, d’ailleurs, qu’il est parfaitement possible de saboter l’aventure pour avoir voulu un peu trop jouer au malin, mais le titre aura alors le bon goût de vous le notifier immédiatement par une vidéo vous annonçant que vous venez de planter votre enquête. Sachant qu’il est toujours possible de mourir – notamment lors de phases d’infiltration qui vous demanderont de faire preuve de prudence – prenez l’habitude de sauvegarder souvent, et sous plusieurs noms, sans quoi, vous risquez de vous arracher les cheveux à un stade avancé de la partie.

Puisque la vidéo est prépondérante dans le programme, autant évoquer le jeu d’acteur : la part du lion revient à Chris Jones qui, en tant que héros de l’aventure, est présent dans 95% des saynètes que vous serez amenés à voir. Sans être un comédien de génie, on sent Chris très à l’aise dans un rôle bien évidemment taillé sur mesure pour lui, et il est très difficile de ne pas le trouver éminemment sympathique, même quand il donne (souvent par votre faute) dans l’humour lourdingue. Le reste du casting est globalement satisfaisant – j’entends par là qu’il ne risque que rarement de vous faire sortir du jeu, mais il faut reconnaître que certaines prestations font plus que fleurer l’amateurisme (à ce titre, observez la vidéo du premier quart d’heure du jeu, et dites-moi qui, de l’actrice jouant la femme de Tex ou de l’employé venu retapisser les fauteuils, joue le plus mal).

Quant aux têtes d’affiche venues cachetonner sans vergogne (à part James Earl Jones, qui a accepté de travailler très en-dessous de son salaire habituel pour faire plaisir à son petit-fils fan de jeu vidéo), qu’il s’agisse de Margot Kidder (Superman) ou de Brian Keith (Cher Oncle Bill), elles font le travail avec professionnalisme. Seule exception : Russel Means (Le Dernier des Mohicans), qui n’en a visiblement rien à foutre, comme on dit vulgairement. Reste qu’en dépit de la dose de kitsch imputable au concept, on se prend très vite au jeu, et on voit passer la vingtaine d’heures qui nous sépare de la cinématique de fin avec un vrai plaisir. L’enquête est prenante, l’enjeu ne tarde pas à grandir, et on a rarement eu l’occasion depuis de se sentir à ce point dans la peau d’un détective privé – en un mot, Under a Killing Moon est non seulement l’épisode le plus réussi de la saga, mais certainement celui qui a le mieux vieilli et qui reste sans doute la meilleure porte d’entrée, aujourd’hui, pour découvrir les aventures de Tex Murphy.

Quelques mots, comme c’est la coutume, sur la version française. Celle-ci se contente de sous-titres – pas de doublage intégral dans la langue de Molière, ce qui n’est pas nécessairement une perte tant un travail médiocre aurait irrémédiablement saboté l’ambiance du titre. On se contentera donc d’une traduction bien réalisée, et qui fait de réels efforts pour conserver les jeux de mot et les différentes subtilités du texte original – même si elle connait deux ou trois ratés. Du bon travail, néanmoins.

Vidéo – Les quinze premières minutes de jeu :

NOTE FINALE : 17,5/20 Après s'être cherchée pendant deux épisodes maladroits, la saga de Tex Murphy prend enfin son envol avec ce troisième épisode, qui parvient à mettre dans le mille dans pratiquement tous les domaines où ses deux prédécesseurs s'étaient plantés. Under a Killing Moon reste aujourd'hui encore un des rares exemples d'alchimie réussie entre des vidéos au service de l'histoire, un scénario bien ficelé, des énigmes intelligemment conçues, une prise en main irréprochable et une durée de vie très correcte. Oui, le jeu respire les années 90, avec ses incrustations à la truelle, son jeu d'acteur pas toujours inspiré et ses mille et une astuces pour faire tenir le programme sur quatre CD (là où la plupart des titres de l'époque peinaient encore à en remplir un seul), mais si vous voulez découvrir une façon rafraichissante de vivre une aventure à la première personne, accompagnez Tex dans son enquête. Vous ne le regretterez pas. CE QUI A MAL VIEILLI : – Les vidéos ont un côté AB Production : c'est mal compressé, mal incrusté, parfois mal joué - mais, hé, ça fonctionne quand même – Encore de nombreuses occasions de mourir – L'humour, s'il est un peu plus léger que dans le précédent épisode, reste assez largement en-dessous de la ceinture

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Under a Killing Moon sur un écran cathodique :

Les avis de l’époque :

« Un nouveau pas dans le jeu sur CD-Rom vient d’être franchi avec UAKM. Il est évident que la technologie et les techniques de programmation sont désormais suffisantes pour offrir au joueur des produits multimédias. Je me suis délecté littéralement de cette fabuleuse aventure, ne regrettant qu’une seule chose : sa durée. Parfaitement étudié, ce soft est le précurseur d’une nouvelle génération de jeu d’aventure vidéo, que l’on peut enfin qualifier de film interactif. »

Didier Latil, Génération 4 n°72, décembre 1994, 95%

Martian Memorandum

Développeur : Access Software, Inc.
Éditeur : Access Software, Inc.
Titres alternatifs : Tex Murphy : Martian Memorandum (Steam.com), Tex Murphy 2 – Martian memorandum (Gog.com)
Testé sur : PC (DOS)
Disponible sur : Linux (Ubuntu 16.04, Ubuntu 18.04), Windows (7,10)
En vente sur : GOG.com (vendu en pack avec Mean Streets)

La saga Tex Murphy (jusqu’à 2000) :

  1. Mean Streets (1989)
  2. Martian Memorandum (1991)
  3. Under a Killing Moon (1994)
  4. The Pandora Directive (1996)
  5. Tex Murphy : Overseer (1997)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Décembre 1991
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Dématérialisé, disquettes 5,25″ (x6) et 3,5″
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Version testée : Version dématérialisée émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 80286 – OS : MS-DOS 3.0 – RAM : 640ko
Modes graphiques supportés : MCGA, VGA
Carte sonore supportée : AdLib, MSound, haut-parleur interne, PS/2 Speech Adapter, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

2039. Dans un bureau enfumé, un détective usé médite sur les errements de la société humaine en contemplant l’atmosphère chargée de retombées nucléaires à travers la fenêtre de son bureau californien.

Le crâne transformé en étau par une sévère gueule de bois, Tex Murphy considère sa situation, six ans après les événements narrés dans Mean Streets : malgré la généreuse avance que lui avait laissé Sylvia Linsky à l’époque, il est désormais fauché comme les blés, et en serait probablement réduit à aller retrouver des animaux de compagnie enfuis si une grosse affaire ne venait pas à nouveau de lui tomber dessus : Marshall Alexander, le PDG de la très puissance compagnie Terraform, l’envoie retrouver sa fille Alexis qui a été, selon lui, enlevée. En dépit de l’identité du client, l’affaire ne serait pas plus étrange qu’une autre si M. Alexander ne semblait pas se soucier de la disparition d’un mystérieux artéfact en même temps que de celle de sa fille. Un artéfact dont il ne veut rien vous dire, mais à la poursuite duquel votre traque vous emmènera jusque sur la planète Mars…

Retour en 1991 sur Terre : parmi les genres vidéoludiques en pleine santé se trouve le jeu d’aventure, qui vient alors d’accueillir en son sein des titres comme Loom, Monkey Island 2 ou King’s Quest V.

Access Software, qui n’est pas encore réellement parvenu à se faire un nom au sein d’un univers dominé par les deux géants que sont Sierra On-Line et Lucasfilm, compte bien capitaliser sur le petit succès d’estime de Mean Streets pour inscrire définitivement les aventures de son privé du futur, Tex Murphy, dans la légende du jeu vidéo. Toujours décidée à proposer des jeux à la pointe de la technologie, la compagnie américaine espère également moderniser un peu son moteur de jeu afin de proposer une enquête cette fois plus concentrée sur les mécanismes, désormais bien installés, du point-and-click, sans l’alourdir par des phases qui n’avaient pas nécessairement fait l’unanimité.

Oubliez donc les balades en speeder et les fusillades dans les rues mal famées : Tex Murphy voyage toujours énormément, mais ne vous impose plus de passer autant de temps que lui dans son véhicule – et son pistolet ne lui servira qu’à une seule et unique reprise au cours de toute l’aventure. Désormais, l’interface proposée par le jeu ne se divisera plus qu’entre des phases d’enquête et des phases de dialogue.

Dans ce dernier cas, vous aurez simplement à choisir vos réponses parmi une liste, ou à choisir d’offrir un objet de votre inventaire histoire de graisser la patte de votre interlocuteur – ou, au contraire, de le menacer avec des preuves compromettantes. Pour ce qui est des phases d’enquête, on se retrouve en terrain connu : des verbes d’action en bas de l’écran et votre héros qui se déplace sur la fenêtre de jeu. Libre à vous, donc, de passer chaque lieu au peigne fin comme vous le faisiez dans le précédent épisode, mais avec une interface bien plus aisée à prendre en main.

Si le jeu ne propose plus d’inutiles séquences d’action, les occasions de mourir sont plus nombreuses que jamais, la faute notamment à plusieurs passages faisant appel à vos réflexes ou à votre habileté pour progresser au milieu de pièges mortels. Ce ne serait que modérément gênant si le jeu n’avait pas la mauvaise idée de vous renvoyer directement au début de votre aventure en cas d’échec (conseil : sauvegardez souvent, et sous plusieurs noms), et surtout, si la maniabilité de Tex n’était pas aussi atroce.

Demander à notre héros de se rendre en un point précis de l’écran ressemble en effet souvent à une lutte de l’homme contre la machine, tant le moindre pixel sur sa route l’empêche de faire un pas, et le simple fait de commander à notre détective d’avancer en ligne droite tient parfois du miracle à l’état pur. Pour ne rien arranger, plusieurs séquences-clés du jeu sont à réaliser en temps limité, sans aucun indication quant au temps qu’il vous reste, et on peut rapidement se retrouver dans une situation inextricable pour avoir sauvegardé au mauvais moment. C’est, à n’en pas douter, le plus gros point noir du jeu – un travers qui perdurera hélas, à des degrés moindres, pendant l’intégralité de la série.

Les dialogues ont également leur part de défauts – mais ceux-ci tiennent, paradoxalement, à l’ambition assumée du jeu. En effet, comme son prédécesseur, Martian Memorandum cherche à en mettre plein la vue : graphismes en VGA, reconnaissance de la majorité des cartes sonores (dont la Roland MT-32), et toujours le fameux Realsound qui permet de vous bluffer même si vous n’avez qu’un haut-parleur interne.

Mais histoire de placer la barre encore un peu plus haut, le titre propose de nombreuses digitalisations sonores, et même quelques animations en pseudo-vidéo. Évidemment, comme on peut s’en douter, faire tenir une telle débauche technologique sur quelques disquettes 3,5 pouces a un prix : beaucoup des dialogues du début du jeu se limitent en fait à trois ou quatre réactions écrites d’avance que le programme vous ressert quoi que vous veniez de dire – histoire, bien évidemment, d’économiser de la place. Curieusement, plus le jeu avance et plus le titre d’Access Software choisit purement et simplement d’oublier ces satanées digitalisations pour laisser enfin les personnages avoir quelque chose à dire – bref, une curieuse idée qui aura probablement plus gêné les programmeurs qu’autre chose.

Tous ces errements sont d’autant plus dommageables que, comme pour le premier épisode, on peut très vite s’intéresser à l’enquête et à ses ramifications, qui deviennent fatalement plus que planétaires, comme on pouvait s’en douter. Une nouvelle fois, l’extrême densité de personnages, de lieux à visiter et de fausses pistes – sans oublier le bon niveau d’anglais exigé pour y comprendre quelque chose – vous demandera probablement de prendre des notes pour orienter votre enquête, faute de quoi vous risquez rapidement de ne plus savoir qui est qui ni ce que vous êtes censé trouver.

Et si l’univers du titre est une fois de plus assez dépaysant, on regrettera en revanche que l’humour, volontiers en-dessous de la ceinture, ne soit pas toujours aussi mordant qu’il le souhaiterait (mais je suppose qu’imaginer un successeur à Fidel Castro, le nommer « Big Dick » et le doter – littéralement – d’une tête de gland était quelque chose de très drôle au début des années 90). La réalisation, malgré son désir de modernité, a finalement plus mal vieilli que celle des titres en EGA de la même période (coucou, Monkey Island), et la jouabilité a trop de faiblesses pour graver Martian Memorandum dans les mémoires. On sent bien que l’ambition d’Access Software ne pouvait trouver son bonheur que dans le support CD-ROM qui s’apprêtait à se démocratiser – et à contribuer à donner enfin ses lettres de noblesse à l’un des détectives les plus sympathiques du dixième art.

Vidéo – Dix minutes de jeu :

Récompenses :

  • Tilt d’or 1991 (Tilt n°97, décembre 1991) – Nommé dans la catégorie « Meilleur jeu d’aventure sur Micro »

NOTE FINALE : 14/20 Modernisé, dépoussiéré, enfin débarrassé de phases d'action et de simulation aussi inutiles qu'inintéressantes, Martian Memorandum se rêvait comme une enquête dans la continuité directe de Mean Streets, aussi prenante tout en se voulant un peu plus accessible. Malheureusement, le titre reste pénalisé par de frustrantes phases d'obstacles, parfois chronométrées, qui ne seraient que désagréables si le logiciel ne devait pas également composer avec une maniabilité douteuse – jamais on n'avait rencontré de jeu d'aventure où il est aussi difficile de parvenir à déplacer le personnage principal. Cela handicape une enquête qui peut autrement se montrer très prenante pour peu que l'on se donne la peine de la jouer à l'ancienne, en prenant des notes – mais cela empêche surtout Martian Memorandum d'être enfin le titre qui aurait fait entrer Tex Murphy dans les mémoires. Dommage. CE QUI A MAL VIEILLI : – Des phases piégées ou chronométrés qui n'apportent rien d'autre que l'opportunité de recommencer sa partie depuis le début si on sauvegarde au mauvais moment – Une lourdeur insupportable dans le déplacement de Tex – Mieux vaut prendre des notes pour ne pas se perdre dans les dizaines de personnes et de lieux impliqués dans l'enquête – Un humour parfois au ras des pâquerettes (Big Dick Castro...) – Bon niveau d'anglais requis

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Martian Memorandum sur un écran cathodique :

Mean Streets

Développeur : Access Software, Inc.
Éditeur : Access Software, Inc.
Titres alternatifs : Tex Murphy : Mean Streets (Steam.com), Tex Murphy 1 – Mean Streets (Gog.com)
Testé sur : PC (DOS)Commodore 64AmigaAtari ST
Disponible sur : Linux (Ubuntu 16.04, Ubuntu 18.04), Macintosh, Windows (7, 10)
En vente sur : GOG.com (Linux, Macintosh, Windows), Steam.com (Linux, Macintosh, Windows)

La saga Tex Murphy (jusqu’à 2000) :

  1. Mean Streets (1989)
  2. Martian Memorandum (1991)
  3. Under a Killing Moon (1994)
  4. The Pandora Directive (1996)
  5. Tex Murphy : Overseer (1997)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Novembre 1989
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Supports : Disquettes 5,25″ (x6) et 3,5″ (x3)
Contrôleurs : Clavier, joystick
Version testée : Version disquette émulée sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 8088/8086 – OS : PC/MS-DOS 3.0 – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : CGA, EGA, Hercules, MCGA, Tandy/PCjr, VGA
Carte sonore supportée : Haut-parleur interne

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

« Montre-moi quelle affiche de film célèbre est plagiée par la couverture de ta boîte de jeu et je te dirai qui tu es. »

Pour tous les spécialistes de la science-fiction, pour tous les fans d’Harrison Ford, pour tous les amateurs de Ridley Scott, une étrange impression de déjà-vu s’est probablement manifestée en observant la boîte de Mean Streets, et pour cause : difficile de ne pas y voir de lien avec l’affiche de Blade Runner. Imaginez la Californie du futur, ses villes tentaculaires, sa nuit permanente, ses terres arides transformées en décharges géantes et ses voitures volantes. Familier ? Pas de « Réplicants » ici, toutefois, mais des mutants déformés ou dévisagés par les retombées nucléaires. Et au milieu du chaos, un détective privé anachronique vêtu d’un imperméable à la Boggart, et dont les amateurs de jeux d’aventure seront amené à réentendre parler à plusieurs reprises : Tex Murphy.

Bien avant d’accéder à la renommée à l’ère du CD-ROM et des FMV par le biais d’Under a Killing Moon, Tex écumait en effet déjà la côte ouest du futur à bord de son speeder, avec ses poings, son flingue et ses poches vides. Nous sommes en 2033, et une femme évidemment fatale vient de vous confier une enquête très bien payée : découvrir les réelles causes de la mort de son père, Carl Linsky. Lequel s’est apparemment suicidé en se jetant du haut d’un pont devant témoin, ce qui semble définitivement exclure la piste du meurtre. Mais vous pencher sur les activités de la victime vous amènera rapidement à découvrir un homme inquiet qui craignait pour sa vie, et surtout un mystérieux projet nommé « Overlord » qui va vous obliger à naviguer entre les grands pontes, les petites frappes et les nervis de cet étrange parti politique néo-fasciste appelé « Law and Order » afin de réussir à faire la lumière sur toute cette affaire.

Comme vous l’aurez déjà deviné, le jeu vous place naturellement dans la peau de Tex Murphy, déjà incarné à l’écran par Chris Jones – comme ce sera le cas durant toute la saga pendant plus de vingt-cinq ans – à la recherche de la vérité sur la mort de Carl Linsky. Nous sommes en 1989, le concept du point-and-click commence à peine à exister, et la plupart des jeux d’aventure se jouent encore à l’aide d’indigestes lignes de commande. Mais Mean Streets, lui, est un jeu très ambitieux, et cette ambition se ressent déjà dans la multitude des possibilités offertes par le titre.

Concrètement, le logiciel développé par Access Software va vous confronter à trois types de situation : des phases de simulation, des phases d’action et des phases d’aventure. Les amateurs de point-and-click auront probablement déjà tiqué, tant le mélange des genres est quelque chose qui sera rapidement passé de mode, et pour de très bonnes raisons. Mean Streets a heureusement la bonne idée de ne pas trop s’éparpiller en faisant le choix de simplifier au maximum les phases ne relevant pas de l’aventure pure et dure. Pour ce qui est de la simulation, elle est assez basique : elle consistera à piloter votre voiture volante d’un point à un autre pour mener l’enquête, dans une carte en 3D surface pleine qui en envoyait sans doute plein les yeux à l’époque et qui réemployait pour l’occasion une partie du code d’Echelon, développé deux ans plus tôt par Bruce Carver, le fondateur d’Access Software.

La conduite est assez simple, et les commandes vous seront résumées sur un écran d’aide affiché par un simple pression de la touche H, et il existe même un pilotage automatique qui vous permettra de voyager au gré des coordonnées que vous découvrirez au fil de la partie sans à avoir à vous battre avec les commandes. Seul inconvénient : attendez-vous à passer beaucoup de temps dans votre voiture, et même si cette idée participe indéniablement à l’immersion du joueur, d’un point de vue strictement ludique, il aurait sans doute été beaucoup plus intéressant de vous contenter de choisir votre destination sur une carte et de vous y rendre immédiatement. En l’état, les trajets ne sont jamais très longs – une minute grand maximum – mais ce pilotage automatique qui juge nécessaire de vous placer au pixel près au-dessus d’un point avant de se décider à vous y poser vous fera perdre un temps que vous pourriez consacrer à quelque chose de plus intéressant, dommage.

Deuxième type : les phases d’action. Il vous arrivera, en trainant dans des quartiers mal famés, de vous faire agresser par des malfrats. Vous vous retrouverez alors dans un mini-jeu consistant à avancer vers la droite en tuant les ennemis qui se dirigent vers vous. Je vous rassure : ce n’est vraiment pas compliqué, mais on ne peut pas dire que ça soit très intéressant non plus. Pour ceux qui auraient du mal, il est de toute façon possible de régler la difficulté de ces phases dans le menu des options. Disons que ça casse la routine.

Car bien évidemment, le cœur du jeu consistera à mener l’enquête. Si le programme se contentera parfois de vous balancer une simple description textuelle, l’aventure se déroulera principalement de deux manières : en interrogeant des gens et en passant plusieurs lieux au peigne fin. C’est bien sûr, et de très loin, la partie la plus intéressante du jeu, et celle-ci vous demandera de prendre soigneusement des notes tant vous risquez rapidement de crouler sous les noms, les coordonnées, les termes obscurs et les fausses pistes. Mais vous risquez de vite vous prendre au jeu, car le scénario est suffisamment bien mené pour vous donner envie d’en savoir plus – au moins jusqu’à ce que l’identité du ou des coupables devienne évidente, et que vous vous trouviez embarqué dans une résolution un peu plus fastidieuse vous demandant de trouver huit cartes magnétiques et les mot de passe correspondants, où les choses commencent à s’essouffler un peu.

Mais avant d’en arriver là, il faudra vous comporter comme un authentique privé de cinéma, et la chose pourrait se révéler un peu plus compliquée que vous ne l’aviez prévu. Non seulement il faudra poser les bonnes questions – en tapant les noms qui vous intéressent manuellement, d’où le besoin vital de prendre des notes en cours de jeu – mais il faudra également parfois faire usage de vos poings, ou graisser la patte de témoins peu causant. Dans le même ordre d’idée, vous bénéficiez d’un visiophone vous autorisant à contacter votre secrétaire, qui pourra mener des recherches pour vous, ou votre indic, Lee Chin, qui le fera, elle, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Vous remarquerez que cela fait déjà plusieurs fois qu’on évoque l’argent, dans ce test : celui-ci risque effectivement de vous être d’une utilité vitale, et le pécule a priori confortable de 10.000$ avec lequel vous commencez le jeu pourrait fondre comme neige au soleil à force de devoir mettre la main à la poche pour faire parler les gens peu causants. Il vous est heureusement possible, lors de vos analyses de scènes de crime, de trouver des objets de valeur que vous pourrez vendre directement depuis votre inventaire histoire de vous refaire la cerise.

Ces phases d’analyse, d’ailleurs, sont de loin les plus complètes et les plus délicates. L’interface assez lourde, entièrement au clavier (le jeu n’utilise jamais la souris), vous permettra de fouiller partout avec une efficacité maximale, même si vous devrez également parfois composer avec l’urgence de désactiver en 5 ou 10 minutes une alarme qui se serait enclenchée à votre entrée. Certains éléments importants sont très bien cachés, mais il est de toute façon toujours possible de revenir sur place après coup. Ce sera même parfois nécessaire, le temps de trouver des gants de protection pour éviter de vous entailler les doigts ou un tournevis qui vous permettrait de démonter un système de sécurité – Tex a heureusement le bon goût d’employer automatiquement n’importe lequel des objets figurant dans son inventaire.

Il faudra souvent retourner tous les meubles, fouiller méthodiquement le moindre recoin, pour accéder enfin aux éléments qui vous permettront de faire avancer votre enquête – le jeu est heureusement assez bien agencé de ce côté-là. Comptez facilement entre quinze et vingt heures pour venir à bout du jeu une première fois – sans doute beaucoup plus si vous tournez en rond, car les endroits à fouiller sont nombreux et les indices parfois rares, surtout si vous avez oublié de noter un nom important. Il est heureusement possible de réinterroger tout le monde au cas où vous auriez le sentiment d’avoir oublié quelque chose. On pourra également apprécier les petites références plus ou moins cachés à Star Trek ou à Retour vers le Futur.

Niveau réalisation, nous sommes en 1989, et il faut reconnaître qu’Access Software a mis le paquet. Le jeu est certes très loin de représenter le pinacle du pixel art, mais il était l’un des tous premiers programmes à tirer parti du VGA, dont il fait un usage parfois maladroit, mais incontestablement bien plus agréable à l’œil que ce que permettaient les 16 couleurs de l’EGA. On remarquera le recours récurrent à des images digitalisées, profitant pour l’occasion de l’expérience accumulée par le studio en développant Leader Board puis World Class Leader Board (l’animation du golfeur avait été obtenue en filmant Roger Carver et en tirant parti d’une technologie de digitalisation primitive) qui allaient devenir, un an plus tard, la série des Links.

Autre innovation, le « Realsound » vanté en grandes lettres sur la boîte. De quoi s’agit-il ? Eh bien tout simplement d’une autre innovation de Bruce Carver : un procédé permettant de tirer le meilleur du haut-parleur interne du PC. De fait, même si les thèmes musicaux sont aussi courts que rares, ils sont d’une qualité assez bluffante, et les quelques digitalisations vocales du titre pourraient sans difficulté faire rougir une Sound Blaster ! Malheureusement, c’est quand même le silence qui vous accompagnera pendant le plus clair de la partie, et l’aspect révolutionnaire du « Realsound » n’aura finalement eu aucune valeur face à la rapide démocratisation des cartes sons intervenant à la même époque. Mais pour 1989, soyons honnêtes, Mean Streets représente clairement le haut du panier, et une véritable prouesse technologique. Rappelons qu’il était encore courant de trouver des jeux développés en EGA deux ans après sa sortie…

Le défaut qui passera le plus mal, pour le joueur actuel, restera malgré tout l’absence (à ma connaissance) de localisation du jeu en français sur PC : s’aventurer dans cette aventure sans une bonne maîtrise de l’anglais n’a pas plus d’intérêt que de lire un polar sans en comprendre un traitre mot. C’est dommage, car une fois la prise en main digérée – soit une poignée de minutes – l’enquête, pour légèrement datée qu’elle soit, est néanmoins rapidement prenante ; suffisamment, sans doute, pour vous pousser à la mener à son terme. Et qui sait ? Vous pourriez bien apprendre à l’apprécier au point de souhaiter le revoir, ce fameux Tex Murphy.

Vidéo – Quinze minutes de jeu :

NOTE FINALE : 13,5/20

Quelque peu empesé par une prise en main au clavier et par une multitude de phases plus ou moins utiles qui trahissent son âge, Mean Streets n'en demeure pas moins une enquête plaisante dans une Californie futuriste à la Blade Runner où l'atmosphère des films noirs se mêle parfaitement à l'ambiance post-apocalyptique. Mener l'enquête sur la mort de Carl Linsky vous demandera d'être méthodique, scrupuleux et de prendre des notes, mais la façon dont l'univers se dévoile, bien servi par une écriture efficace, vous donnera une bonne raison de chercher à en savoir plus. Dommage, malgré tout, que le jeu vous impose de multiplier des allez-et-retours dispensables et qu'il soit inaccessible aux non-anglophones. Une première aventure de Tex Murphy à (re)découvrir.

CE QUI A MAL VIEILLI :

– Réalisation révolutionnaire pour l'époque, mais sérieusement datée aujourd'hui
– On passe au final plus de temps à conduire sa voiture qu'à mener l'enquête
– Interface au clavier qui aurait largement bénéficié de l'usage de la souris
– Le mélange des genres n'est pas la meilleure idée de la série
– Entièrement en anglais, et en anglais d'un bon niveau

Version Commodore 64

Développeur : The Code Monkeys Ltd.
Éditeur : U.S. Gold Ltd.
Date de sortie : Novembre 1989
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 5,25″
Contrôleurs : Clavier, joystick
Version testée : Version disquette
Configuration minimale : RAM : 64ko

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Mean Streets représentant, à sa manière, la pointe de la technologie en 1989, on pouvait se demander comment le jeu allait s’en tirer sur le modeste ordinateur 8 bits de Commodore. Eh bien, étonnamment, pas tout-à-fait aussi mal qu’on pouvait le craindre : ¨l’équipe de The Code Monkeys a fait le choix de ne rien couper dans le jeu – à part la musique après l’écran-titre et les rares digitalisations, mais l’ambiance sonore était déjà particulièrement discrète sur PC – et non seulement toute l’aventure est toujours là, mais la réalisation est plus qu’honnête.

On a même conservé les phases de survol en 3D ! Force est de constater, malgré tout, que ça se traine un peu et qu’il n’y a plus grand chose à voir lors des phases en voiture, mais on appréciera l’ambition intacte du titre. Le jeu est toujours aussi sympathique, même s’il vous faudra jongler entre le clavier et le joystick, et surtout composer avec des temps de chargement à rallonge et avec des changements de disquette intempestifs, ce qui, dans un jeu où l’on passait déjà beaucoup de temps à attendre sur PC, est vite dommageable. Bref, jouer demandera une bonne dose de patience, mais l’effort reste louable.

NOTE FINALE : 10/20

Porter Mean Streets sur Commodore 64 tenait plus du défi que de la promenade de santé, mais The Code Monkeys a entrepris la chose avec beaucoup de sérieux, au point de conférer une expérience de jeu étonnamment proche de celle sur PC. Si la réalisation est réellement impressionnante pour la machine 8 bits, il faudra malgré tout composer avec une lenteur handicapante, encore plombée par des temps de chargement à rallonge et de fréquents changements de disquettes, qui réservera cette version aux nostalgiques patients.

Version Amiga

Développeur : The Code Monkeys Ltd.
Éditeur : U.S. Gold Ltd.
Date de sortie : Novembre 1990
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ (x2)
Contrôleurs : Clavier, joystick
Version testée : Version disquette testée sur Amiga 1200
Configuration minimale : Système : Amiga 1000 – OS : Kickstart 1.2 – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : OCS/ECS

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Mean Streets fut certainement l’un des tout premiers exemples de jeu porté depuis le PC vers l’Amiga plutôt que dans le sens inverse ; il fut aussi certainement le premier titre à être techniquement inférieur sur la machine de Commodore. En termes de réalisation, si ce portage est clairement moins coloré qu’en VGA, on ne peut pas dire que l’on perde énormément au change, et les graphismes font largement le boulot.

Côté son, en revanche, si l’unique thème musical du jeu est toujours là en qualité Paula (c’est à dire mieux que le haut-parleur interne du PC, comme on pouvait s’en douter), la plupart des bruitages ont disparu et vos vols au-dessus de la Californie se feront désormais dans un silence de mort. La vraie surprise vient plutôt de l’existence d’une version française que je n’ai jamais rencontrée sur PC : celle-ci a le mérite d’exister et de proposer des phrases construites dans un français à peu près correct, en dépit de plusieurs fautes d’orthographe, de quelques contresens et d’un certain nombre de trahisons. Pour un joueur ne maitrisant pas un mot d’anglais, autant dire qu’elle représentera le Saint Graal, mais les anglophones auront toutes les raisons de s’en tenir éloignés.

NOTE FINALE : 13/20

Mean Streets sur Amiga propose une version techniquement inférieure à celle parue sur PC, sans que l’on perde énormément au change, et a surtout l’avantage d’exister dans une version française certes très perfectible mais qui a au moins le mérite de permettre aux non-anglophones de s’intéresser à l’enquête. Pour tous les joueurs allergiques à la langue de Shakespeare, c’est une alternative très satisfaisante, mais les autres n’auront pas de réelle raison de la préférer à sa consœur sur PC.

Les avis de l’époque :

« Le système de fouille est une merveille de simplicité et il offre un grand confort d’emploi, sans jamais ralentir le rythme du jeu. Vous ferez parfois de mauvaises rencontres en arrivant sur les lieux que vous désirez inspecter, et il vous faudra alors dégainer pour faire face aux gangsters qui cherchent à vous abattre. Cette partie du jeu n’offre vraiment aucun intérêt, mais il faut quand même faire très attention si vous ne souhaitez pas mourir. (…) Mean Streets présente une intrigue fort bien construite, car les interrogatoires et les indices vous permettent de progresser très logiquement dans votre enquête. »


Alain Huyghues-Lacour, Tilt n°86, Janvier 1991, 17/20

Version Atari ST

Développeur : The Code Monkeys Ltd.
Éditeur : U.S. Gold Ltd.
Date de sortie : Novembre 1990
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ double face (x2)
Contrôleurs : Clavier, joystick
Version testée : Version disquette testée sur Atari 1040 STe
Configuration minimale : Système : 520 ST – RAM : 512ko

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Qui dit portage sur Amiga dit également portage sur Atari ST. Sans surprise, Mean Streets ne fait pas exception à la règle, et propose une version pratiquement calquée sur celle parue sur la machine de Commodore. Graphiquement, les nuances sont infimes, pour ne pas dire indécelables. Sur le plan sonore, on pouvait craindre le pire, mais le dispositif Realsound conçu par Access pour le PC fait également des merveilles sur l’Atari ST, et le thème musical fait pratiquement jeu égal avec ce que produisait la puce Paula. En revanche, je sais qu’une version française du jeu existe, mais bon courage pour mettre la main dessus.

NOTE FINALE : 13/20

Pas de surprise pour ce Mean Streets sur Atari ST, qui offre une expérience quasi-identique à celle disponible sur Amiga. En revanche, bon courage pour le trouver en français.

Les avis de l’époque :

« La réalisation est excellente, le programme utilisant tour à tour 3D vectorielle pour la simulation de vol et graphismes plus classiques mais très fouillés pour les lieux à visiter. De nombreuses animations graphiques et sonores digitalisées renforcent l’ambiance. (…) Une excellente enquête policière, riche et prenante. »

Jacques Harbonn, Tilt n°88, Mars 1991, 17/20

The Secret of Monkey Island

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Lucasfilm Games LLC
Testé sur : PC (DOS)AmigaAtari STFM TownsMacintoshSEGA CD
Disponible sur : Browser, iPad, iPhone, Macintosh, PlayStation 3, Windows, Xbox 360 (The Secret of Monkey Island : Édition Spéciale)
En vente sur : GOG.com (Windows), Steam.com (Windows)

La saga Monkey Island (jusqu’à 2000) :

  1. The Secret of Monkey Island (1990)
  2. Monkey Island 2 : LeChuck’s Revenge (1991)
  3. The Curse of Monkey Island (1997)
  4. Escape from Monkey Island (2000)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Octobre 1990 (version EGA) – Décembre 1990 (version VGA) – Août 1993 (version CD-ROM)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, espagnol, français, italien
Supports : CD-ROM, disquettes 5,25″ et 3,5″
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Versions testées : Versions EGA, VGA et CD-ROM émulées sous DOSBox
Configuration minimale : Processeur : Intel 8088/8086 (version disquette), Intel 80286 (version CD-ROM) – OS : PC/MS-DOS 3.1 – RAM : 640ko
Modes graphiques supportés : CGA, EGA, Hercules, MCGA (version VGA), Tandy/PCjr, VGA (version VGA)
Cartes sonores supportées : AdLib, Game Blaster, haut-parleur interne, Roland MT-32/LAPC-I (via un patch pour la version EGA), Sound Blaster, Tandy/PCjr

Vidéo – L’écran-titre du jeu (VGA) :

Au plus profond des Caraïbes…


Voilà déjà une phrase qui plante immédiatement le décor. Le XVIIe siècle, l’âge d’or de la piraterie, le rhum, le grog, les corsaires, les ports improbables où la vie ne valait pas cher, les échanges de coups de canons entre les galions et les corvettes, et des îles plus ou moins connues éparpillées par dizaines entre la mer des Sargasses et Maracaibo. Avouez que ça fait rêver, non ?

Autres temps, autres mœurs : nous sommes en 1990, à un des tournants de l’âge d’or du jeu vidéo, et Lucasfilm Games est en pleine forme. Après avoir connu un joli succès d’estime avec des titres comme Maniac Mansion ou Zak McKracken, le studio américain commençait à se faire un nom plus que respectable au sein de l’univers vidéoludique. Pourtant, le changement de décennie allait s’annoncer comme une année charnière, avec la parution de deux titres qui marqueront les mémoires pour des raisons différentes : l’excellent Loom et le légendaire The Secret of Monkey Island.

Prenez un jeune freluquet au nom improbable de Guybrush Threepwood. Imaginez-le en train de débarquer, une nuit, sur l’île de Mêlée™, en clamant haut et fort son unique objectif : devenir un pirate. Bien évidemment, rejoindre les Frères de la côte et consort ne se décrète pas : il faudra d’abord commencer par faire ses preuves face au conseil des pirates, en apprenant à maîtriser des disciplines constituant le B-A-BA de la piraterie : l’escrime, le vol et la chasse au trésor. Il faudra, surtout, composer avec la population… disons, « pittoresque » de l’île, apprendre à décrypter la logique très particulières des cartes aux trésors, composer avec le vaudou … et peut-être même rencontrer l’amour et affronter le fantôme du terrible pirate LeChuck, quitte, pour cela, à découvrir le secret de la légendaire Île aux Singes…

The Secret of Monkey Island est un jeu d’aventure conçu par Ron Gilbert, avec le secours de Tim Schafer et Dave Grossman dont on retrouvera, par la suite, les noms au générique de titres comme Day of the tentacle ou Full Throttle. Il s’agit, comme on peut s’en douter, d’un point-and-click vous plaçant aux commandes de Guybrush Threepwood, bien décidé à réaliser son rêve en embarquant dans une aventure qui le mènera bien au-delà de l’Île de Mêlée, via un scénario ouvertement inspiré du roman Sur des mers plus ignorées… de Tim Powers, publié en anglais trois ans plus tôt. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à l’origine, le titre avait été considéré comme un possible jeu de rôle allant largement puiser dans Sid Meier’s Pirates! (Ron Gilbert cite même Ultima parmi ses inspirations) avant de revenir rapidement à une forme plus classique.

L’interface du titre repose, comme c’était déjà le cas pour tous les titres du studio depuis Maniac Mansion, sur une interface intégralement contrôlée à la souris et basée sur une série de verbes d’action servant à dicter vos actions sur votre inventaire ou sur le reste de l’environnement. Autant dire que la prise en main du titre nécessitera difficilement plus d’une poignée de secondes, d’autant qu’il bénéficie de ce qui deviendra la fameuse « philosophie Lucasfilm » qui fait que non seulement le jeu est non-bloquant (comprenez par là qu’il ne vous sera jamais nécessaire de recharger une partie pour avoir pris une mauvaise décision) mais également que votre personnage ne peut pas mourir (bon, en fait, il peut, lors d’une occasion particulière dans le jeu, mais il faut vraiment le vouloir).

Une philosophie d’ailleurs totalement imputable à Ron Gilbert qui, après avoir travaillé sur Indiana Jones and the Last Crusade, avait cherché à matérialiser ses réflexions sur le game design des jeux d’aventure via un manifeste intitulé, dans son style inimitable, Why Adventure Games Suck (soit en français : « Pourquoi les jeux d’aventure craignent ») et publié en décembre 1989 dans The Journal of Computer Game Design –  un document fondateur dans l’histoire du point-and-click, et peut-être l’un des plus importants de l’histoire du game design, rien que ça. Ce moment historique où un joueur n’aurait plus besoin de recommencer une partie depuis le début pour avoir oublié de ramasser un objet apparemment sans importance dans un jeu d’aventure, c’est The Secret of Monkey Island qui en aura été une des premières manifestations – avec Loom, paru quelques mois plus tôt.

Tant qu’à faire, la valeur d’un jeu d’aventure, on le sait, se mesure en partie à la qualité de sa réalisation, mais surtout à celles de son écriture et de la conception de ses énigmes. Sans surprise, Ron Gilbert et sa fine équipe seront parvenus à réaliser une alchimie si parfaite de ces trois critères que le titre en est venu à inscrire son nom bien au-delà du monde du jeu vidéo.

Le premier point devant absolument être mentionné est l’humour du titre, et sa capacité à faire mouche avec une belle régularité. La légende veut que Dave Grossman et Tim Schafer aient des humours très différents, au point de se voir confier des sections différentes du jeu, et que la rencontre de l’ironie pince-sans-rire de l’un avec les gags beaucoup plus visuels de l’autre aurait au final eu un effet détonnant. Si l’humour du titre est très différent de l’approche « Tex Avery-esque » de Day of the Tentacle, par exemple, le constant décalage entre son univers et les personnages, parfois farouchement anachroniques, qui y évoluent, est très efficace. Le jeu comporte à ce niveau quantité de morceaux de bravoures gravés au fer rouge dans la mémoire des joueurs, comme ces fameux combats au sabre se jouant… à la manière de concours d’insultes, dont les répliques savoureuses ont été écrites par l’écrivain Orson Scott Card (dont je vous recommande au passage l’excellent cycle d’Ender) ou encore cette scène absolument fabuleuse où toute l’action se déroule derrière un mur, hors de la vue du joueur, et où le déroulement des événements est en fait narré par la ligne de commande au milieu de l’interface ! Autant dire qu’il n’était pas encore fréquent, à l’époque, de rire jusqu’à en avoir les larmes aux yeux devant un jeu vidéo, et que Monkey Island est venu bousculer cela avec un aplomb qui force le respect.

Les énigmes, elles aussi, savent se montrer aussi absurdes que retorses – sans jamais se montrer illogiques pour autant. Quand vous évoluez dans un univers où il est parfaitement évident de trouver un poulet en caoutchouc avec une poulie au milieu, et où le grog est si corrosif qu’il vous permet de faire fondre des serrures, autant vous habituer à changer votre façon de penser – la qualité globale des énigmes du jeu mérite dans tous les cas d’être saluée pour sa faculté à mettre exactement dans le mille d’un bout à l’autre.

Quitte, d’ailleurs, à vous pousser à vous arracher les cheveux un bon moment, car le titre est loin d’être facile, mais il n’est absolument jamais difficile pour de mauvaises raisons – une preuve définitive, au passage, qu’un joueur n’avait pas besoin d’aboutir à un game over toutes les deux minutes pour rencontrer des difficultés à terminer un jeu d’aventure, et une parfaite démonstration de la leçon de game design que Ron Gilbert venait de livrer au reste de l’industrie. Non seulement on ne peut pas « perdre » au sens d’être obligé de recommencer la partie ou de repartir d’une sauvegarde, mais en plus la difficulté ne repose jamais sur un objet de deux pixels de haut dissimulé à un endroit absurde. Apprendre à tenter les actions les plus improbables sur touts les objets passant à portée de votre main pourra en revanche rapidement devenir une seconde nature.

La bonne nouvelle est que l’aventure est d’autant plus agréable à parcourir que la réalisation du titre figure clairement dans le haut du panier de l’année 1990. Dans sa version originale en EGA, le titre tire déjà merveilleusement parti des 16 couleurs de sa palette pour afficher des décors grandioses et des animations soignées. Mais le programme aura également connu, quelques semaines après sa sortie, une version VGA en 256 couleurs qui relève encore le niveau d’un cran, particulièrement lors des portraits en plein écran, absolument superbes.

Dans les deux versions, le titre est très agréable à l’œil, et démontre déjà le savoir-faire indéniable des graphistes de chez Lucasfilm à cette époque. Niveau musical, le titre tire avantage des cartes AdLib et Sound Blaster, en proposant notamment ce fameux thème reggae qui sera réutilisé tout au long de la saga. Comme pour Loom, un patch ajoutant la gestion de la Roland MT-32 aura également été publié quelques semaines après la sortie du jeu, même s’il présente le défaut difficilement pardonnable de ne fonctionner qu’avec la version originale en anglais – un vrai faux pas (cela ne concerne apparemment que la version EGA). On regrettera juste que la musique ne se fasse pas toujours entendre, laissant trop souvent la place à de grands silences un peu oppressants.

L’un des coups de génie de la saga, cependant, et l’un de ceux qui lui vaut d’être encore aujourd’hui le centre de débats passionnés entre les fans, est l’existence d’un second niveau de lecture du jeu.

En effet, le deuxième épisode de la saga (et le dernier à avoir été écrit par Ron Gilbert avant Return to Monkey Island en 2022) se sera terminé par une révélation majeure que je ne vais évidemment pas vous spoiler, mais qui aura jeté un regard nouveau sur l’aventure vécue au cours des deux premiers épisodes – et notamment sur certains écrans ayant fait cogiter les joueurs pendant des nombreuses heures. Cette idée absolument géniale permet, encore aujourd’hui, de redécouvrir le jeu après avoir fini sa suite et de chercher entre les lignes des indices pour comprendre le véritable secret de l’Île aux Singes – même près de trente ans après. Le genre de petits détails qui transforment un très bon jeu en un titre de légende.

Quelques mots, en conclusion, sur la version française du titre. Celle-ci, malgré de réels efforts, est hélas passablement décevante. En-dehors d’un nombre dérangeant de coquilles, fautes d’accord (les traducteurs des jeux Lucas semblent avoir des problèmes récurrents pour distinguer un futur d’un conditionnel) et autres mots traduits n’importe comment (non, « exhilarating » ne veut pas dire « exhilarant » !!!), la plus grosse perte se situe au niveau de la traduction de l’humour en lui-même. Certes, cet humour passablement absurde et très anglo-saxon n’est pas forcément facile à rendre en français, mais en-dehors de quantités de gags tombant à plat, certains ont purement et simplement été ignorés ou mal compris – un travers qui restera hélas vrai pendant l’essentiel de la série. Pas de quoi fuir cette version pour les joueurs en froid avec la langue de Shakespeare, mais je ne peux que recommander aux anglophones de s’en tenir à la version originale, sous peine de voir le jeu amputé d’une partie de son humour.

La version CD-ROM :

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Qui dit « début des années 90 » dit quasi-obligatoirement « CD-ROM » dans la même phrase, surtout dans le domaine du jeu d’aventure qui se prêtait particulièrement à la transposition sur galette numérique. Après le fiasco qu’avait été la version CD de Loom, on était en droit de se montrer méfiant face à ce portage de Monkey Island, qui ne reproduit heureusement pas les mêmes erreurs. Pas de coupes, cette fois : le contenu du CD est strictement équivalent à ce que proposait la version sur disquettes, la protection de copie en moins, naturellement.

Côté graphique, le titre reprend sans surprise la réalisation de la version VGA, en prenant malgré tout le soin de dépoussiérer l’interface : les verbes « allumer » et « éteindre » ont disparu (et pour cause : ils ne servaient à rien), et surtout, l’inventaire bénéficie dorénavant d’une représentation intégralement graphique qui préfigure Day of the Tentacle, et s’avère moins tristounette que la simple liste textuelle des autres versions. Autant dire qu’on tient là la plus belle et la plus accessible de toutes les versions, au moins jusqu’à la sortie de l’Édition Spéciale de 2009.

Côté son, évidemment, on attend cette version CD au tournant, et on sera heureux de profiter d’une musique qui enterre sans discussion possible les thèmes entendus sur Amiga ou avec une Roland MT-32. Je vous laisse profiter du thème, audible dans la vidéo ci-dessus, pour vous faire un avis. Le jeu bénéficie également de nouveaux bruitages de toute beauté, qui vous permettront enfin d’entendre la mer et le cri des mouettes sur la jetée près du SCUMM bar. En revanche, déception du côté des voix, puisqu’il n’y a tout simplement pas de doublages dans cette version, pas plus qu’il n’y en aura dans la suite. Il faudra donc attendre le troisième épisode, en 1999, pour connaître enfin la voix de Guybrush Threepwood, ce qui est un peu dommage.

Vidéo – Quinze minutes de jeu (version CD-ROM) :

NOTE FINALE : 18/20 (versions EGA/VGA) - 19/20 (version CD-ROM) Rencontre improbable entre un humour absurde à la Monty Python, un univers délicieusement décalé où les fantômes pirates côtoient les cannibales végétariens, et un souffle épique portés par les ports des Caraïbes, The Secret of Monkey Island est peut-être l'un des représentants les plus mémorables et les plus accomplis d'un genre qu'il a largement contribué à populariser. Louvoyant entre les morceaux de bravoure et les scènes cultes, ballotés entre les énigmes retorses et les bijoux d'écriture, le navire mené par Ron Gilbert et son excellent équipage aura été mené à bon port avec une maestria rare, qui lui vaut d'être resté amarré à la légende près de trente ans après sa sortie. Une aventure à vivre au moins une fois, avec le reste de la saga dans la foulée. CE QUI A MAL VIEILLI : – Certaines énigmes particulièrement machiavéliques – Version française décevante – Pas de gestion de la Roland MT-32 sur les versions localisées (version EGA) – Connaîtra-t-on un jour le véritable secret de l'Île aux Singes ?

Bonus – Ce à quoi peut ressembler The Secret of Monkey Island sur un écran cathodique (version EGA) :

Les avis de l’époque :

« The Secret of Monkey Island est un de ces bons jeux d’aventure qui paraissent régulièrement. Il n’a rien d’exceptionnel mais il procure de longues heures de passionnantes recherches. Je le recommande donc uniquement aux mordus des aventures en tous genres. Aux autres, je dirais qu’ils ne ratent rien d’impérissable. »

Dany Boolauck, Tilt n°82, Octobre 1990, 15/20

Version Amiga

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Ubisoft France SAS
Date de sortie : Janvier 1991 (Europe) – Juin 1991 (États-Unis)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, espagnol, français, italien
Support : Disquette 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette testée sur Amiga 600
Configuration minimale : Système : Amiga 1000 – RAM : 512ko
Modes graphiques supportés : OCS/ECS
Installation possible sur disque dur

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

On aurait pu penser, en voyant la version Amiga de The Secret of Monkey Island paraître quelques semaines à peine après la version PC, que ce portage serait un simple clone des versions PC EGA et Atari ST, comme cela avait été le cas pour Loom. Mais grosse surprise en lançant le jeu : le titre est bien décidé à profiter de toute la palette de couleurs de la machine de Commodore, et le travail sur les portraits, notamment (ou le fait que le coucher de soleil du début du jeu ait là aussi disparu), tend à indiquer que cette version aura été développée en même temps que la version VGA.

Concrètement, le jeu est graphiquement plus détaillé que dans les version EGA et Atari ST, même si on perd également une partie des choix très marqués en terme de palette chromatique – et que le jeu est sensiblement plus lent. On sera donc tenté de placer ce portage au-dessus de la version originale, mais en-dessous de la version VGA. Côté musique, en revanche, l’Amiga met tout le monde d’accord : à part la Roland MT-32, aucune carte son ne rivalise avec ce qu’offre la puce Paula. Le fameux thème reggae du jeu est vraiment splendide, à tel point qu’on a bien du mal à se décider à le couper au lancement du jeu (lancez la vidéo, si vous ne me croyez pas !), et cela reste vrai pour les autres morceaux de musique pendant le reste de la partie. C’est bien simple : il faudra attendre les versions CD-ROM du jeu pour supplanter l’itération Amiga. En terme de contenu et de déroulement du jeu, en revanche, le titre est très exactement identique aux autres versions.

NOTE FINALE : 18/20

Tirant, pour une fois, intégralement parti des capacités de l’Amiga, The Secret of Monkey Island dispose, sur la machine de Commodore, d’une excellente version qui n’est supplantée graphiquement que par la version VGA et musicalement que par les itérations CD.

Version Atari ST

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Ubisoft France SAS (France)
Date de sortie : Juin 1991
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ double-face (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette testée sur Atari 1040 STe
Configuration minimale : Système : 1040 ST – RAM : 1Mo
Écran monochrome supporté
Installation possible sur disque dur

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Peu de grosses surprises pour cette version Atari ST de The Secret of Monkey Island. Comme on pouvait s’y attendre, le jeu est graphiquement un calque de la version EGA, et l’aventure n’a pas changé d’un iota en passant sur la machine d’Atari. En revanche, la grosse déception se situe du côté sonore : non seulement ce portage rivalise à peine avec ce qu’était capable de produire le haut-parleur interne du PC, mais en plus, plusieurs des thèmes musicaux du titre ont purement et simplement disparu ! C’est d’autant plus dommage qu’il était tout à fait possible de connecter une Roland MT-32 à un Atari ST mais, contrairement à la version PC, aucun patch n’a a ma connaissance vu le jour pour en tirer parti. Cela ne pénalise heureusement que légèrement le jeu, mais suffit à faire de cette version la moins bonne de toutes celles parue sur le marché.

NOTE FINALE : 17,5/20

Ça a le gout de la version EGA, ça a la texture de la version EGA, ça pourrait être une simple copie conforme de la version EGA ; malheureusement, les limitations sonores de l’Atari ST additionnées à des coupes injustifiées dans les thèmes musicaux du jeu font de cette version de The Secret of Monkey Island le mouton noir de tous les portages du titre. Un joli mouton noir, mais quand même.

Version FM Towns

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Victor Musical Industries, Inc.
Date de sortie : Septembre 1992 (Japon)
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : CD-ROM
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version CD-ROM japonaise
Configuration minimale : RAM : 2Mo

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Comme Loom, paru la même année, The Secret of Monkey Island aura connu les joies d’un portage sur FM Towns. Mais contrairement à son collègue, qui s’était érigé en sorte de « version absolue » du jeu, la faute aux (très) nombreux errements de la version CD-ROM, les choses seront ici beaucoup plus simples : cette version est la copie conforme de celle parue sur PC (comprendre : la version CD-ROM, naturellement)… à quelques curieux détails près – le pirate qui tournoyait sur le lustre du SCUMM Bar a disparu, par exemple. Graphismes en 256 couleurs, bande sonore numérique, il ne manque une nouvelle fois que les doublages, mais pour le reste on ne voit pas trop ce qu’on pourrait demander de plus – on récupère même l’inventaire dessiné, à la Monkey Island 2. Pour ne rien gâcher, il ne sera même pas nécessaire ici de savoir lire le japonais, puisque la version anglaise est disponible au lancement. Évidemment, dénicher cette version a d’autant moins d’intérêt que celle parue sur PC, elle, n’a rien de rare, mais si jamais vous avez envie de découvrir le jeu sur la machine de Fujitsu, eh bien rien ne devrait vous encourager à changer d’idée.

NOTE FINALE : 19/20

Pas de version ultime ici, ou plutôt à peu près la même que celle qui aura été distribuée à la même époque sur PC : The Secret of Monkey Island sur FM Towns n’est rien d’autre que la transcription (presque) fidèle de la version CD-ROM du jeu, et en anglais s’il vous plait. Si, pour une raison quelconque, vous êtres bien décidé à ne pas la découvrir directement sur PC, voilà au moins une alternative qui ne vous privera pas de grand chose de plus que de la version française.

Version Macintosh

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : Lucasfilm Games LLC
Date de sortie : 1992
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : Disquette 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette
Configuration minimale : Processeur : Motorola 68020 – OS : System 6.0.7 – RAM : 2Mo

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

En 1992, le Macintosh avait beau être toujours considéré comme un ordinateur de bureau (cela a-t-il vraiment changé ?), il commençait à pouvoir afficher sans difficulté exactement ce que proposait un PC de pointe. Cela se ressent d’ailleurs dans ce portage de The Secret of Monkey Island : graphiquement, c’est une pure transcription pixel perfect de la version VGA du jeu – cela tombe bien, c’était la plus belle. Au niveau sonore, le résultat est déjà un peu plus ouvert au débat : je le trouve personnellement plutôt inférieur à ce que laissait entendre une AdLib – et donc à des kilomètres d’une Roland MT-32 – mais on reste très au-dessus de ce qu’offrait la version Atari ST. Le résultat final ne devrait donc frustrer personne, même si on pourra regretter que la version CD-ROM n’ait pas fait le trajet jusqu’à la machine d’Apple.

NOTE FINALE : 18/20

Aucune mauvaise surprise pour The Secret of Monkey Island sur Macintosh, qui débarque dans une version graphiquement identique à l’itération VGA, avec une réalisation sonore qui ne fera certes pas oublier la version CD-ROM, mais qui ne devrait faire fuir personne non plus.

Version SEGA CD

Développeur : Lucasfilm Games LLC
Éditeur : JVC Musical Industries, Inc.
Date de sortie : 23 septembre 1993 (Japon) – Novembre 1993 (États-Unis)
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Support : CD-ROM
Contrôleurs : Manette, Mega Mouse
Version testée : Version américaine
Spécificités techniques : Système de sauvegarde par mot de passe

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Voyant débarque le Mega-CD dans les foyers européens, Lucasfilm y vit fort naturellement l’occasion rêvée de porter toute sa gamme de jeux d’aventure sur un support CD qui était fait pour cela, et sur une machine dont l’architecture était assez proche de celle de l’Amiga. The Secret of Monkey Island fut donc envoyé en éclaireur, histoire de juger de la viabilité du marché pour leur gamme de jeux… et de décider de ne pas prolonger l’expérience, après que le jeu a connu un bide commercial.

On pourra très certainement attribuer ce bide aux difficultés rencontrées par le Mega-CD, à cette époque, pour trouver son public, la faute à un catalogue de titres se résumant à l’époque à 90% à une suite de jeux en FMV. Car le portage effectué sur la machine de SEGA, lui, est irréprochable. Jugez plutôt : niveau sonore, le titre est identique à la version PC CD-ROM sortie un an plus tôt, de la musique aux bruitages. Graphiquement, le Mega-CD ne peut évidemment pas rivaliser avec les 256 couleurs de la version PC, il reprend donc ceux de la version Amiga en plus sombre (j’ai augmenté la luminosité sur les captures) – l’interface retouchée en plus. La maniabilité au pad est un tout petit peu moins naturelle qu’à la souris, mais le titre reste parfaitement jouable, bref, un sans-faute presque intégral. Je dis « presque », car en plus des temps de chargement à répétition, la version française n’aura pas fait le chemin jusque sur la machine de SEGA, et pour cause : le jeu ne sera jamais sorti en Europe.

NOTE FINALE : 18/20

Porté sur Mega-CD, The Secret of Monkey Island y délivre une copie presque parfaite, la réalisation tirant le meilleur du hardware de la machine de SEGA. La qualité de la musique CD est toujours irréprochable, et la maniabilité au pad est limpide. Dommage, en revanche, que cette version soit strictement réservée aux anglophones – et qu’elle soit aussi sombre.

Dune

Développeur : Cryo Interactive Entertainment
Éditeur : Virgin Games
Testé sur : PC (DOS)AmigaMega-CD

La saga Dune (jusqu’à 2000) :

  1. Dune (1992)
  2. Dune II : Battle for Arrakis (1992)
  3. Dune 2000 (1998)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Avril 1992 (version disquette) – Mai 1993 (version CD-ROM)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français (voix en anglais, textes en français)
Supports : CD-ROM, disquettes 5,25″ et 3,5″
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Version testée : Versions disquette et CD-ROM émulées sous DOSBox Staging
Configuration minimale : Version disquette :
Processeur : Intel 80286 – OS : PC/MS-DOS 3.0 – RAM : 640ko
Mode graphique supporté : VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, AdLib Gold, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro

Version CD-ROM :
Processeur : Intel 80386 – OS : PC/MS-DOS 5.0 – RAM : 640ko – MSCDEX : 2.2 – Vitesse lecteur CD-ROM : 1X (150ko/s)
Mode graphique supporté : VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, AdLib Gold, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Dune de Frank Herbert n’est pas seulement un pilier majeur de la littérature de science-fiction. Il partage également avec Don Quichotte une caractéristique étrange : celle d’être une adaptation maudite. Tout comme Orson Welles ou Terry Giliam se sont successivement cassés les dents en cherchant à faire un film tiré de l’œuvre de Miguel de Cervantes (avec une lutte de près de vingt ans pour terminer son film dans le cas du second), Alejandro Jodorowsky ou David Lynch auront laissé quelques cheveux et perdu quelques rêves en se frottant au premier livre d’une saga réputée inadaptable. Bon courage, donc, à Denis Villeneuve, qui se prépare au moment où j’écris ces lignes à porter sur grand écran un univers face auquel de plus célèbres que lui se sont déjà ramassés jusqu’à renier partiellement leur travail.

Mais en dépit des très nombreuses passerelles existant entre le septième et le dixième art, le fait est que Dune, de manière inexplicable, a souvent beaucoup mieux vécu ses adaptations vidéoludiques que ses semi-ratages dans les salles obscures. Et avant même que Westwood Studios ne s’empare du bébé pour fonder, pratiquement à lui tout seul, le genre de la stratégie en temps réel avec Dune II, Cryo s’était déjà mis à l’ouvrage avec un titre qui aura fait énormément pour asseoir la réputation du studio français – et accessoirement celle d’un compositeur du nom de Stéphane Picq, mais nous y reviendrons.

Projetons-nous donc en 1992. À cette époque, Cryo Interactive va sur ses deux ans, la société française résultant de la fusion entre ERE informatique et son label Exxos, lui-même créé avec le soutien de… Alejandro Jodorowsky (comme le monde est petit !). Alors qu’Exxos avait signé ses débuts suite à un grand succès commercial nommé Captain Blood avant que le soufflé ne retombe, la faute à des jeux un peu « trop français » dans leur conception de type Kult ou Purple Saturn Day, le premier jeu made in Cryo, Extase, aura lui connu des ventes relativement confidentielles.

Alors, pour son deuxième projet, le studio français table sur quelque chose de plus ambitieux, un projet qui tenait à cœur à Philippe Ulrich depuis des années : la toute première adaptation vidéoludique de Dune – celle-là même qui nous intéresse aujourd’hui. Mais sur quel terrain asseoir un jeu tiré du livre-univers de Frank Herbert ? Ce ne sera pas de la stratégie, comme dans le cas du choix opéré par Westwood la même année, mais bien une alchimie étrange entre jeu d’aventure à la première personne, gestion et combat stratégique – le développement du jeu se sera d’ailleurs révélé à peu près aussi chaotique, accidenté et constellé d’improbables retournements que celui du film de Lynch, la faute à une relation exécrable avec Virgin Games. Un assemblage bâtard entre différents gameplay incompatibles, comme c’était un peu trop souvent la mode à la fin des années 80 ? Peut-être quelque chose de plus enthousiasmant que ça : après tout, dans le cadre du jeu vidéo également, les miracles existent.

Le jeu vous place donc directement dans la peau de Paul Atréides, fraichement débarqué sur la planète Dune, et plus précisément au palais Arakeen, avec toute sa famille. La mission confiée par l’empereur Shaddam IV est a priori simple : assurer la récolte de l’épice-mélange, la substance la plus précieuse de tout l’univers, qu’on ne trouve nulle part ailleurs que sur la planète Arrakis, mieux connue sous le nom de Dune, donc (en même temps, vu le titre du jeu, j’ose espérer que vous aviez déjà compris que vous n’alliez pas passer la partie sur Pluton). Mais vous n’êtes pas exactement seuls sur cette fameuse planète, puisque vos rivaux de toujours, la famille Harkonnen, sont toujours sur place avec la ferme intention de vous placer des bâtons dans les roues. Surtout, le peuple du désert, les mystérieux Fremen, pourrait représenter votre plus grand allié – et il se murmure justement parmi eux qu’un messie fera un jour son apparition, un étranger qui connaitra toutes leurs coutumes et les emmènera un jour vers le Jihad…

Abordons donc le premier point fort de Dune : sa prise en main. Chose encore assez exceptionnelle pour un titre de 1992 (et sans doute dû en grande partie à la pression de Virgin Games, qui haïssait l’interface des premières versions du jeu), un passage par le manuel sera totalement facultatif. Tous les enjeux de la partie vous sont résumés lors de la sympathique introduction (visible ci-dessus) qui fait d’ailleurs presque office de bande-annonce de la partie à venir, procédé fort original encore aujourd’hui. Puis, une fois la partie commencée, l’interface vous affiche la liste des actions possible par un menu en bas de l’écran, tandis que bouger le curseur de la souris jusqu’à l’un des bords de la fenêtre vous permet de vous déplacer.

Histoire de ne pas rater une porte, un indicateur des directions qu’il est possible d’emprunter est affiché en bas à droite, et une encyclopédie placée dans le coin inférieur gauche permettra aux distraits de retrouver les informations qui leur aurait échappé quant à l’univers. La sauvegarde, quant à elle, se fera impérativement par une visite à votre chambre, où vous pourrez vous observer dans un miroir qui aura également le mérite de vous communiquer une information plus importante qu’elle en a l’air : la vitesse à laquelle vos yeux se colorent en bleu à cause de la saturation du sang par l’épice.

Comme on le voit, difficile de faire plus simple : toutes les informations sont visibles à l’écran, et le jeu se joue parfaitement en ne faisant usage que d’un seul bouton de la souris sans jamais toucher au clavier. Mais pour ne rien gâcher, les premières conversations feront également office de tutoriel, puisque chaque personnage prendra le soin de se présenter, de vous rappeler ses liens avec vous et de vous dire clairement ce qu’on attend de vous lors des prochaines minutes. Un moyen très ingénieux de prendre le joueur par la main et de lui permettre de découvrir, tout au long de la partie, les possibilités sans cesse croissantes qui vont s’offrir à lui – justement, votre père vous propose de rejoindre Gurney Halleck qui est parti préparer le terrain dans les premiers sietchs (les habitats Fremen) à proximité du palais. L’occasion pour vous d’aller faire connaissance avec les autochtones et de les convaincre de travailler pour vous puisque ramasser l’épice restera un objectif majeur pendant l’intégralité de la partie.

C’est à ce moment qu’on ne peut qu’apprécier l’ingéniosité du système de jeu, et surtout la façon dont il tire savamment parti de l’œuvre dont il est tiré. En effet, rapidement, les possibilités de votre personnage vont s’étendre, lui offrant la capacité de communiquer par télépathie. Ainsi, si donner des instructions à vos Fremen vous demandera au début de partie d’aller leur rendre visite grâce à l’ornithoptère qui sera votre premier moyen de transport, vous pourrez rapidement les contacter directement depuis la carte stratégique dans un rayon qui s’étendra selon votre maîtrise – jusqu’à couvrir le globe dans son entier. Dans le même ordre d’idée, de nouveaux enjeux apparaitront au fur et à mesure de la partie, vous laissant le loisir d’entrainer vos Fremen au combat, de leur trouver un leader, de voyager à dos de ver des sables, de rencontrer l’amour et même de commencer à faire naître la végétation sur Dune !

Bref, la lassitude ne s’installe jamais, grâce à des personnages hauts en couleur tirés directement de l’œuvre originale venant développer à chaque fois le scénario un peu plus loin, et c’est avec un plaisir non dissimulé que les fans du livre pourront recroiser Thufir Hawat, Duncan Idaho, Liet Kynes, Harah ou Stilgar. Surtout, les joueurs n’ayant jamais mis le nez dans le roman ni dans aucune de ses adaptations ne seront absolument pas perdus, ce qui est un autre tour de force.

À noter que les fans du long-métrage de David Lynch, eux aussi, pourront s’en donner à cœur joie en comptant les références au film, le design de certains personnages (à commencer par Paul Atréides, mais aussi sa mère Jessica) en étant directement tiré – une nouvelle fois sous la pression de Virgin Games, bien décidé à capitaliser sur la licence du film, et non sur celle du livre. On remarquera d’ailleurs que Feyd Rautha Harkonnen a des traits très inspirés de ceux de Sting… sans lui ressembler trop ouvertement, le chanteur ayant refusé qu’on emploie son image dans le jeu, tout comme Patrick Stewart et bien d’autres. Ce qui aura conduit bien des personnages à disposer d’un design original – celui originellement voulu par l’équipe de développement – ce qui sera l’occasion de saluer la qualité exceptionnelle de la réalisation du titre. Soyons francs : c’est magnifique, d’abord parce que le titre a une « patte » certaine qui n’a pas pris une seule ride, ensuite parce qu’on ne peut qu’admirer le soin apporté à une multitude de petits détails, comme la gestion du jour et de la nuit avec les aurores/crépuscules correspondants, les vols en vue subjectives à bord de votre ornithoptère (ou à dos de ver), les effets de zoom et de distorsion lors des conversations télépathiques, le quasi photoréalisme de certains visages, etc.

Le titre de Cryo tire pleinement parti des 256 couleurs de sa palette, le rendant aujourd’hui encore très agréable à l’œil. On sera d’ailleurs heureux de constater que les vols en pseudo-3D mentionnés plus haut tiennent compte du relief que vous survolez, affichant des pierres dans les zones rocheuses, et des arbres par centaines lorsque vous serez parvenu à faire grandir de la végétation sur Arrakis. On s’y croit à fond ! Mais quitte à aborder la réalisation du titre et sa magie si particulière, il serait criminel de ne pas aborder l’un des aspects les plus marquants du titre de Cryo : sa musique.

N’allons pas par quatre chemins : la B.O. composée par Stéphane Picq et Philippe Ulrich est l’une des œuvres les plus marquantes de toute l’ère 16 bits, et sans doute bien au-delà. Tirant partie de toutes les cartes sonores de l’époque, depuis l’AdLib jusqu’à la Roland MT-32 en passant même par la gestion des capacités spécifiques de l’AdLib Gold et de son module Surround (pour la petite histoire, seuls deux jeux tireront pleinement parti de ces capacités, tous deux issus des studios Cryo : Dune et KGB), celle-ci livre une partition inoubliable avec des sonorités électroniques sans équivalents dans le monde du jeu vidéo – à tel point qu’elle fut l’une des premières B.O. de jeu vidéo à paraître sur CD sous le titre de Dune : Spice Opera. Autant dire que l’ensemble des mélodies qui la composent représente une extraordinaire madeleine de Proust pour tous les joueurs s’étant un jour ou l’autre essayé au jeu, l’atmosphère fabuleuse qu’elles dégagent étant une excellente raison de replonger périodiquement dans un titre qu’on aura pourtant fini des dizaines de fois.

À noter d’ailleurs que le jeu est malheureusement très court – ne comptez pas plus de quatre ou cinq heures pour le boucler – et que son extrême accessibilité le rend également très facile. Les demandes de l’empereur en terme de livraisons d’épice sont très raisonnables, et vous ne devriez pas avoir trop de mal à tenir confortablement le rythme tout en vous laissant le temps d’entrainer vos troupes pour aller apprendre la politesse aux Harkonnen.

Les aspects « gestion » et « stratégie » du jeu sont d’ailleurs simplissimes : on dit à chaque troupe de Fremen ce qu’elle doit faire et où, et le reste se fait sans nous ; tout juste gardera-t-on un œil sur l’équipement de tout ce beau monde pour optimiser son efficacité, une moissonneuse d’épice n’étant pas vouée à tenir très longtemps sans un ornithoptère pour surveiller les vers des sables, et une troupe de combattants pouvant obtenir des résultats drastiquement différents selon qu’elle soit équipée de Kriss ou d’armes atomiques. Certes, on peut mourir pour avoir un peu trop trainé la patte, pour avoir échoué à comprendre ce qu’on attendait de nous ou pour avoir effectué un survol un peu trop téméraire en plein territoire Harkonnen, mais il faudra rarement plus de deux parties pour venir à bout du titre – avec un petit pincement désagréable qui nous fera comprendre qu’on aurait volontiers passé six ou sept heures de plus sur Arrakis. Un très bon signe pour un titre aussi accessible que prenant qu’on aura bien du mal à lâcher et dont l’univers comme les mélodies risquent de s’inviter dans nos souvenirs pour quelques dizaines d’années. Quelques mots enfin, comme c’est la coutume, sur la version française du jeu : Cryo étant une société française, on n’aura aucune mauvaise surprise à ce sujet. Tous les dialogues sont écrits dans un français irréprochable, littéraire, sans coquille ni faute de grammaire, bref, vous pouvez foncer les yeux fermés.

La version CD-ROM :

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Dune est également l’un des premiers jeux occidentaux à avoir été porté sur CD-ROM. Comme souvent à l’époque, remplir une galette avec un jeu qui tenait sur trois disquettes 3″1/2 demandait un peu d’imagination, et on sera déçu de constater que tirer parti du support pour profiter de la B.O. du jeu dans toute sa pleine gloire n’était visiblement pas à l’ordre du jour. Eh oui, CD ou pas, il faudra encore composer avec très exactement la même musique MIDI – sublime, certes – que sur la version disquettes. On constatera en revanche qu’il est dorénavant possible de faire cohabiter deux cartes sonores, par exemple histoire de profiter des voix à côté d’une Roland MT-32.

Car bien évidemment, le jeu est désormais intégralement doublé – uniquement dans la langue de Shakespeare, hélas, mais la qualité du jeu des acteurs est irréprochable. Les sous-titres, eux, reste en français, personne ne sera donc perdu dans cette version. Cryo aurait très bien pu en rester là, mais on sent que l’envie de proposer un petit coup de polish sur leur jeu a fait son chemin entre deux versions, ce qui fait qu’on sera également heureux de constater l’apparition de quelques fioritures bienvenues. Tout d’abord, le jeu profite désormais, en ouverture de son introduction, d’une petite présentation vidéo de l’univers par la princesse Irulan (la fille de l’empereur Shaddam IV), directement tirée du film de David Lynch. Les formats de compression de l’époque étant encore assez… rudimentaires, on devra se contenter d’un affichage façon « un pixel sur quatre », mais le résultat reste relativement efficace pour peu qu’on ait la bonne idée de plisser les yeux ou de s’éloigner un peu de son écran.

Une fois en jeu, en constatera quelques autres modifications. Tout d’abord, une table mixage est désormais présente en permanence dans l’interface au bas de l’écran. Un très bon moyen de profiter de la musique du titre, d’autant qu’il est désormais possible d’écouter tous les morceaux à la suite, façon CD, sans que leur ordre soit dicté en rien par vos actions en jeu. Du côté des graphismes, autre surprise : les déplacements en pseudo-3D ont désormais laissé place à de la 3D pré-calculée, tout comme le désert dans son ensemble qui abandonne ainsi le pixel art. On appréciera ou pas, mais force est de constater que le côté « froid » et impersonnel imputable à la 3D ne fait pas trop de dégâts ici. On constatera également que les entrées des sietchs ou le bas des marches du palais Arakeen ont également été modélisés en 3D. Les intérieurs, les portraits et tout le reste du contenu du jeu, eux, restent entièrement dessinés à la main, ce qui est une très bonne chose.

Vidéo – Quinze minutes de jeu (version CD-ROM) :

Du côté des fans :

En tête des raisons qui valent à Dune, le jeu vidéo, de bénéficier d’une popularité intacte plus de trente ans après sa sortie se situe sa formidable bande originale – qui avait déjà fait fait, comme on l’a vu, l’objet d’une sortie au format CD, chose encore exceptionnelle à l’époque. Il se trouve que Stéphane Picq ayant récemment récupéré les droits de l’album en question, il en a tiré un remaster que vous pouvez désormais acquérir sur Bandcamp à cette adresse. Un excellent moyen de (re)découvrir dans des conditions optimales des thèmes musicaux qui ont marqué une génération.

Récompenses :

  • Tilt d’or 1992 (Tilt n°109, décembre 1992) – Meilleure bande-son micro

NOTE FINALE : 18/20 Au milieu de la ludothèque ô combien irrégulière en terme de qualité issue des studios Cryo, Dune fait figure d'exception autant que de chef d’œuvre : le titre qui aura miraculeusement accompli l'alchimie entre respect de l’œuvre dont il est tiré, réalisation exceptionnelle, musique légendaire, prise en main immédiate et savant mélange entre aventure, stratégie et gestion. Plus qu'un jeu, Dune est à la fois l'un des plus beaux hommages au livre de Frank Herbert et au long-métrage de David Lynch, mais également une expérience à nulle autre pareille, quelque part entre une balade en terre inconnue portée par une ambiance fabuleuse, exploration, découverte, et cette impression tenace d'être redevenu un enfant de onze ans avec une capacité d'émerveillement intacte. Le jeu est certes un peu court – ce qui ne lui laisse pas le temps de devenir trop redondant – et définitivement trop simple, mais il porte en lui une magie comme on n'en rencontre plus à l'heure de l'ultra-réalisme et de la 3D reine. Tout simplement un titre de légende. CE QUI A MAL VIEILLI : – Le jeu se termine très vite – Difficulté purement anecdotique

Les avis de l’époque :

« Techniquement, ce jeu est très proche de ce qui, pour moi, est la perfection. Les graphismes sont très beaux et soutenus par des changements de palette à couper le souffle. (…) Mais à mon avis, ce qui fait la force de ce jeu, c’est la musique. Lancer Dune et mettre le casque sur les oreilles est une expérience étonnante. Du jamais-ouï sur micro-ordinateur. »


Jean-Loup Jovanovic, Tilt n°101, Avril 1992, 18/20

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Dune sur un écran cathodique :

Version Amiga

Développeur : Cryo Interactive Entertainment
Éditeur : Virgin Games, Inc.
Date de sortie : Juin 1992
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Version testée : Version disquette testée sur Amiga 600
Configuration minimale : Système : Amiga 500/2000 – OS : Kickstart 1.2 – RAM : 1Mo
Modes graphiques supportés : OCS/ECS
Installation sur disque dur supportée
Lecteur de disque externe supporté

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Tout comme sa suite-qui-n’en-est-pas-une, programmée par Westwood et publiée la même année, Dune aura également connu sa conversion sur Amiga. Sans surprise, le déroulement de l’aventure et le contenu du jeu sont strictement équivalents à l’original sur PC, intéressons-nous donc à ce qui fait la spécificité de cette version: sa réalisation.

Graphiquement, tout d’abord, la palette de l’Amiga 500 ne peut pas rivaliser avec les 256 couleurs de la version PC. Les graphismes sont donc moins colorés, ce qui ne sera une surprise pour personne. En revanche, force est de reconnaître que cela reste plus que correct, et que si les écrans fixes ne provoquent plus les mêmes claques que sur la machine d’IBM, le titre demeure très agréable à l’œil, notamment grâce à des sélections judicieuses dans les couleurs à utiliser. Bref, si personne n’aura de raison de privilégier cette version à sa consœur pour ses graphismes, personne n’aura de raison de la bouder non plus.

Du côté de la musique à présent, comme on le sait, l’Amiga est sensiblement mieux équipé pour rivaliser avec la version PC – même équipée d’une Roland MT-32, dont la réalité du gain qualitatif par rapport à ce que proposait le jeu avec une AdLib ou une Sound Blaster pourrait déjà être sujet à débat.

Et à ce niveau-là, pas de problème, la puce Paula fait au moins jeu égal avec la concurrence. La comparaison est rendue difficile par le fait que la version Amiga ne va pas piocher exactement les mêmes morceaux que la version PC au sein de l’album Spice Opera (et surtout, par le fait qu’il n’y a plus désormais que trois thèmes audibles !), mais si cela modifie très légèrement l’ambiance du titre, le résultat reste largement à la hauteur de la version PC – les débats faisant même rage, entre les passionnés, pour savoir si la musique de cette version ne serait pas encore meilleure. Inutile de prendre part dans un duel entre deux écoles de nostalgiques : la B.O. est une nouvelle fois fantastique, et ce portage sur Amiga reste une curiosité qui vaut largement la peine d’y prêter une oreille, le temps d’une ou deux heures de jeu.

NOTE FINALE : 17/20

D’accord, Dune sur Amiga est moins beau que sur PC, c’est indiscutable. Cela n’empêche pas cette version de s’en sortir avec les honneurs, tant elle tire le maximum d’une palette limitée – et surtout, tant elle rend à nouveau une copie irréprochable au niveau musical. Sensiblement différente de celle de la version originale, la B.O. de ce portage vous délivrera malgré tout au moins autant de frissons que sur PC, et les amateurs des compositions de Stéphane Picq et Philippe Ulrich auraient tort de ne pas aller s’essayer à la version Amiga, à leur tour, histoire de profiter d’un nouveau parfum de madeleine de Proust. Une très bonne version.

Version Mega-CD

Développeur : Cryo Interactive Entertainment
Éditeur : Virgin Games, Inc.
Date de sortie : Décembre 1993 (Amérique du Nord) – Janvier 1994 (Europe)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Anglais, français (version française intégrale)
Support : CD-ROM
Contrôleur : Joypad
Version testée : Version européenne
Spécificités techniques : Système de sauvegarde par mémoire interne ou CD BackUp RAM Cart

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Surprise qui n’en est peut-être pas complètement une : Dune aura également été porté sur Mega-CD. Mais après tout, considéré que le titre de Cryo était l’un des premiers à tirer avantage du support, quelle destinée plus logique pour lui que d’aller égayer un peu la ludothèque de la machine de SEGA ? Surtout que la firme japonaise semblait très intéressée, à l’époque, à porter des jeux d’aventure venus du PC – du moins jusqu’à ce que des ventes médiocres ne douchent un peu leur enthousiasme.

Cette version Mega-CD reprend donc, comme on pouvait s’y attendre, le contenu de la version PC CD-ROM pratiquement à l’identique. Je dis « pratiquement » pour deux raisons : tout d’abord, les limitations techniques évidentes inhérentes à la machine de SEGA, et ensuite, grâce à l’apparition d’une nuance de taille. En effet, lors du lancement du jeu, le titre vous propose de choisir votre langue, entre l’anglais et le français – jusqu’ici, rien de révolutionnaire. Mais si vous avez la bonne idée de sélectionner la langue de Molière, vous aurez la surprise de découvrir une version française intégrale, doublages inclus (doublages que vous pourrez d’ailleurs entendre dans l’introduction ci-dessus) ! Eh oui, contrairement à la version PC CD-ROM qui n’offrait que des doublages anglophones, Dune sur Mega CD propose des voix françaises de très bonne qualité – les acteurs ne tombent ni dans l’excès d’emphase ni dans le sous-jeu, les timbres sont bien choisis en fonction des personnages, bref, on est a des kilomètres de l’amateurisme constaté dans d’autres jeux à la même époque – au hasard dans le Dragon Lore du même Cryo. On remarquera d’ailleurs que même le discours introductif de la princesse Irulan est directement repris de la VF du Dune de David Lynch – voilà ce qu’on appelle du travail bien fait !

Mine de rien, cette ambition certaine au moment du portage peut représenter une grosse différence en terme d’immersion – d’autant que les anglophones ne seront spoliés en rien, les voix originales étant toujours présentes à condition de choisir de jouer en anglais au début de la partie. Pour ne rien gâcher, le reste du jeu n’a pas été galvaudé : la maniabilité au pad ne pose aucun problème, et la réalisation graphique reste à la hauteur – même si elle reste très loin de ce qu’offre l’Amiga, aux capacités pourtant relativement proches. La 3D pré-calculée des scènes de vol, elle, vient directement de la version PC – en 32 couleurs, certes, mais là encore le travail est très propre.

Bien sûr, le jeu peut difficilement rivaliser avec la version PC dans ce domaine, mais la fabuleuse ambiance du titre ne souffre pas trop – d’autant que la musique, elle aussi, est toujours présente. Entre les versions existantes, la B.O. a fait son choix : ce sont les thèmes de la version PC qui ont été repris… même si plusieurs thèmes ont disparu au passage. Et si la qualité musicale pourra sembler très légèrement inférieure à ce que proposait l’AdLib, le plaisir demeurera quasiment intact. En résumé, une version sérieuse avec de sérieux arguments à faire valoir.

NOTE FINALE : 17,5/20

Le Mega-CD n’était pas forcément la plateforme où on attendait Dune, et pourtant, au final, quel choix aurait pu paraitre plus logique ? Là où on aurait pu s’attendre à un simple portage de la version PC CD avec les graphismes de la version Amiga, la machine de SEGA nous rappelle qu’elle en a dans le ventre en proposant un portage, certes inférieur graphiquement au titre sur PC (et sur Amiga) et avec quelques thèmes musicaux en moins, mais largement apte à faire jeu égal dans tous les autres domaines – et même à le surpasser sur le plan de la qualité de la localisation puisque cette version reste la seule à proposer des voix françaises, et de qualité, excusez du peu ! Bref, une excellente surprise que tous les amateurs du titre devraient essayer au moins une fois.

Sam & Max : Hit the Road

Développeur : LucasArts Entertainment Company
Éditeur : LucasArts Entertainment Company
Testé sur : PC (DOS)Macintosh
Disponible sur : Windows, Linux, Mac OS X
En vente sur : Gog.com (Linuw, Mac, Windows), Steam.com (Linux, Mac, Windows)

Version PC (DOS)

Date de sortie : Décembre 1993
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, espagnol, français (version française intégrale), italien
Supports : CD-ROM, dématérialisé, disquette 3,5″
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris
Version testée : Version dématérialisée émulée sous ScummVM
Configuration minimale : Processeur : Intel 80286 – OS : PC-DOS/MS-DOS 3.0 – RAM : 2Mo – MSCDEX : 2.1 – Vitesse lecteur CD-ROM : 1X (150ko/s)
Mode graphique supporté : VGA
Cartes sonores supportées : AdLib, General MIDI, Pro Audio Spectrum/16, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro/16

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (version CD-ROM) :

Connaissez-vous le concept de la police freelance ?


C’est assez simple. Imaginez un chien anthropomorphe invariablement coiffé d’un chapeau en feutre et vêtu d’un costume de détective à la Bogart, accompagné d’un lapin cynique, complètement taré et visiblement totalement insensible à la douleur.

Leur métier ? Accomplir les missions que les vraies force de police ne veulent pas accomplir – généralement parce qu’elles sont aussi stupides qu’inintéressantes – contre espèces sonnantes et trébuchantes, avec rien d’autre que leur jugeote, leur logique très personnelle, leur voiture de police probablement volée, un flingue surdimensionné et le secret espoir de pouvoir détruire autant de choses que possible. Vous obtiendrez alors Sam et Max, deux héros imaginés par Steve Purcell en 1987 – oui, le même Steve Purcell que celui qui travailla sur les deux Monkey Island ou sur Zac McKraken and the Alien Mindbenders, ce qui place tout de suite le personnage et une partie de son univers graphique.

Lorsqu’on est un jeu d’aventure programmé par les studios LucasArts, publié en plein âge d’or de la compagnie et du point-and-click, et qu’on débarque moins d’un an après le chef d’œuvre qu’était (et qu’est toujours) Day of the Tentacle, autant dire qu’on arrive avec une certaine pression sur les épaules, proportionnelle aux colossaux espoirs placés sur l’univers loufoque et ô combien prometteur du titre.

Heureusement, dès les premières secondes de la partie, Sam & Max : Hit the Road se charge de nous rappeler que les artistes de chez LucasArts n’ont rien perdu de leur savoir-faire, en nous servant une introduction aussi efficace que délicieusement absurde, parfaitement à-même de faire comprendre immédiatement au joueur dans quelle réalité il vient de mettre les pieds. Et sitôt lâché dans le bureau du duo policier que l’on incarnera sans interruption pendant tout le jeu, l’enquête démarre sur les chapeaux de roues, sans autre précision que la présence d’un contact secret dans la rue. L’occasion d’approcher la logique très particulière du jeu – et notamment le recours systématique à Max, le lapin, pour toutes les basses œuvres impliquant la violence gratuite – avant de vous diriger vers la fête foraine locale, où on ne tardera pas à vous engager pour retrouver un Bigfoot enfui avec une femme-girafe, tout en vous confrontant à ce qui constituera votre plus grand adversaire durant l’essentiel de la partie : un chanteur de Country avec une moumoute.

Un an, c’est court, mais cela aura visiblement laissé le temps aux petits gars de chez LucasArts pour dépoussiérer un peu leur interface. Fini, les mots-clés ! Dorénavant, on utilisera un système d’icônes assez proche de ce que pouvait proposer la concurrence de chez Sierra Online à la même époque, avec un carton figurant votre inventaire en bas à gauche de l’écran. Grand avantage de cette approche : la fenêtre de jeu n’est plus réduite d’un tiers par la présence de l’interface, et le titre peut s’afficher dans toute sa pleine gloire et en plein écran – ce qui tombe bien, car le jeu est superbe. On touche ici – un peu à la manière de The Legend of Kyrandia mais dans un style très différent – à la quintessence de ce qu’a pu offrir le VGA, la maitrise graphique affichée dans Day of the Tentacle étant toujours à l’œuvre dans chacun des nombreux écrans du jeu.

Une nouvelle d’autant plus excellente que le jeu propose une visite très particulière des États-Unis d’Amérique, et que la dizaine de destinations qui se débloquera au fur et à mesure de votre enquête vous permettra d’admirer le grand luxe de détails offerts par des environnements aussi pittoresques que la plus grande pelote de ficelle du monde, un vortex mystérieux, une activité de saut à l’élastique organisée directement depuis les narines des statues présidentielles du Mont Rushmore, des dinosaures mécaniques entourés de puits de goudron ou même un monde en réalité virtuelle coincé au milieu de la villa de votre pire ennemi.

Tout cela bouge dans tous les sens et fourmille d’idées, qu’il s’agisse des trouvailles graphiques ou des délicieux dialogues du jeu – sans parler des nombreuses idées grotesques qui vous laisseront l’occasion de vous payer quelques crises de fous-rires, comme ce qui sera susceptible de se produire si jamais vous lancez de l’argent dans un puits pour faire un vœu (grand moment si vous demandez à savoir ce à quoi peut bien être en train de penser Max). Bref, un univers tout entier au service du jeu, un jeu tout entier au service de l’univers : une osmose parfaite, en quelque sorte.

L’autre bonne nouvelle, c’est que Sam & Max propose une durée de vie sensiblement plus élevée que celle de Day of the Tentacle. Le mérite en revient autant à l’aventure, plus longue, mais surtout aux énigmes parfaitement retorses qui vont vous demander, une fois de plus, de vous projeter dans la logique tout à fait particulière du titre. Tout est toujours parfaitement absurde, mais rien n’est jamais illogique : votre premier réflexe devra souvent être de considérer Max comme un outil plutôt que comme un coéquipier ; votre ami lapin étant à peu près invulnérable, vous en viendrez rapidement à trouver parfaitement naturel de le plonger dans l’eau avant de le plaquer contre un disjoncteur pour provoquer un court-circuit.

Tout le jeu étant de cet acabit, on peut parfois se retrouver devant des blocages quelque peu frustrants, mais l’expérimentation étant systématiquement récompensée par des répliques débiles, on trouve rarement le temps long. Notons quand même que l’humour n’est pas le même que celui de Day of the Tentacle, davantage inspiré, pour sa part, des univers de Tex Avery – Sam & Max repose sur un décalage constant et sur une authentique qualité d’écriture plus que sur des gags graphiques qui restent malgré tout très présents, il suffira de demander à faire un tour sur le Cône de la Tragédie dans la fête foraine pour s’en rendre compte.

Dans tous les cas, comptez sur quinze à vingt heures de bonheur, et sans doute davantage si vous êtes décidé à profiter de la moindre idée grotesque du jeu, et il y en a beaucoup. À titre d’exemple, sachez ainsi que vous pourrez trouver de nombreux mini-jeux au sein d’une même partie, tous totalement facultatifs, et qui vont d’une partie de saut au-dessus des panneaux indicateurs de l’autoroute à des jeux de société très amusants comme un matériel de coloriage vous permettant de mettre en couleurs des illustrations du jeu, ou encore une version alternative de la bataille navale qui vous demandera de détruire des véhicules routiers ! Et histoire de laisser au joueur le plaisir de profiter d’une ambiance façon film noir, une simple pression sur la touche B vous permettra de basculer sur un affichage en noir et blanc, histoire de vous la jouer Casablanca sous acide si le cœur vous en dit. Y’a pas à dire, ils pensent vraiment à tout, chez LucasArts !

Quelques mots, à présent, sur la version française. Si celle-ci est de qualité professionnelle – un cas encore trop rare en 1993 – elle doit en revanche composer avec l’extrême difficulté de restituer le décalage et l’état d’esprit si particulier des dialogues originaux.

Ce qu’elle fait assez bien, dans l’ensemble, mais contrairement à ce qui avait été observé dans Day of the Tentacle, où l’adaptation avait fait mouche à tous les niveaux, la traduction reste ici légèrement inférieure au texte original – extrêmement difficile à restituer dans toute sa pleine gloire, il faut bien le reconnaître. Les anglophones de bon niveau pourront donc lui préférer la version originale, mais les joueurs ne parlant que la langue de Molière ne devraient pas se sentir lésés pour autant.

La version CD-ROM :

Comme c’était désormais la coutume l’année de sa sortie, Sam & Max : Hit the Road a également bénéficié d’une version CD intégralement parlée. Vous pourrez donc cette fois profiter d’un jeu d’acteur de qualité pour interpréter les savoureux dialogues du jeu. Gros bonus – et nouveauté pour l’époque, tant il était rare qu’on aille mobiliser des doubleurs français pour un jeu vidéo – le titre aura cette fois été entièrement doublé dans la langue de Molière.

Et, autre excellente surprise, c’est Jean-Claude Donda, très grand professionnel ayant prêté sa voix à un nombre incalculable de personnages de films et de dessin animés (et futur grand habitué des productions LucasArts, d’ailleurs), qui double à la fois Sam et Max – et qui le fait excellemment bien, comme il le faisait déjà dans l’introduction de la version sur disquettes. Petite curiosité : l’introduction, d’ailleurs, a été redoublée par rapport à la version disquettes ; les voix du savant fou et de sa victime ont changé, peut-être parce que la qualité assez faible de l’enregistrement original aurait un peu juré sur une version CD-ROM et que les comédiens de la première version n’étaient plus disponibles. C’est un peu dommage, la prestation des nouveaux venus paraissant légèrement inférieure à ceux de la version disquette, mais pour le reste le travail est fait très sérieusement, et la qualité de l’ensemble est clairement dans le haut du panier, surtout pour un titre de 1993.

Vidéo – Quinze minutes de jeu :

NOTE FINALE : 18,5/20 Day of the Tentacle avait été un chef d’œuvre, Sam & Max : Hit the Road parvient l'exploit de respecter le même niveau d'exigence avec encore un peu plus de contenu, un peu plus de folie, et au moins autant de maîtrise. Si le joueur ne sera plus pris par surprise après avoir encaissé la gifle administrée par le successeur de Maniac Mansion la même année, il n'en profitera pas moins d'une aventure longue, absurde, ciselée et délectable où strictement rien ne sera impossible – surtout tout ce qui est grotesque. La règle d'or de LucasArts – on ne peut pas mourir, on ne peut pas être bloqué – permet de savourer la moindre minute de l'aventure comme on le ferait avec un grand cru, et de parcourir une Amérique comme on ne l'a jamais vue aux commandes de deux sociopathes au grand cœur. Une virée parfaitement inoubliable. CE QUI A MAL VIEILLI : – Nada

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Sam & Max sur un écran cathodique :

Les avis de l’époque :

« Plutôt que de bavasser pendant des heures sur Sam & Max, je vais vous faire un petit résumé de la situation : ce jeu est parfait ! Les clics souris répondent parfaitement, les séquences animées peuvent être écourtées, la vitesse du texte est paramétrables (sic), le scrolling est impeccable, le scénario est fabuleux, les graphismes fameux, la bande son… bref parfait ! Le simple fait de savoir que vous êtes en train de perdre du temps en lisant cet article alors que vous pourriez être en train d’y jouer me rend malade. »

Noëlle Béronie, Tilt n°122, Janvier 1994, 94%

Version Macintosh

Développeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Éditeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Date de sortie : Janvier 1996
Nombre de joueurs : 1
Langue : Anglais
Supports : CD-ROM, dématérialisé
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version CD-ROM testée sous MacOS 9.0
Configuration minimale : Processeurs : Motorola 68040, PowerPC – OS : System 7.1

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Comme Day of the Tentacle au même moment, Sam & Max aura eu le droit à son portage sur Mac – ou plus spécifiquement sur PowerMac – près de trois ans après la version DOS quand même. Pour l’occasion, pas de version disquette ici : le jeu est exclusivement paru dans sa version CD-ROM (et n’a apparemment jamais été localisé en français). Pour l’occasion, le titre est naturellement exactement identique à ce que proposait la version PC en termes de contenu, et la réalisation sonore reste de haut-niveau sans nécessairement aller chatouiller ce qu’on pouvait obtenir de mieux sous General MIDI, mais cela reste très anecdotique. La seule nuance est à chercher du côté des graphismes, présentés au choix en 320×240 (dans une fenêtre), en résolution doublée (soit en plein écran si votre bureau est en 640×480), en entrelacé ou bien avec un filtre pour adoucir les graphismes, lequel présente les mêmes limites que dans Day of the Tentacle – mais en restant donc purement optionnel. Une fois de plus, la configuration demandée est relativement gourmande par rapport à celle qui était nécessaire pour faire tourner le jeu sous DOS, mais dès l’instant où vous avez le matériel pour (ce qui ne devrait pas exactement constituer une gageure au XXIe siècle), vous pourrez profiter du jeu avec le même plaisir que les possesseurs de PC.

NOTE FINALE : 18,5/20

Sam & Max : Hit the Road sera arrivé sur Mac exclusivement sur CD-ROM, et avec des options graphiques assez anecdotiques qui ne transcenderont jamais vraiment ce que peut offrir le PC. Le résultat, exagérément gourmand, n’en reste pas moins toujours aussi agréable à jouer.

Fables & Fiends : The Legend of Kyrandia – Book One

Développeur : Westwood Studios, Inc.
Éditeur : Virgin Games, Inc.
Titres alternatifs : Kyrandia (titre usuel), Legend of Kyrandia (titre usuel alternatif), The Legend of Kyrandia (Book One) (Gog.com)
Testé sur : PC (DOS/Windows 3.1)AmigaMacintoshPC-98
Version non testée : FM Towns
Disponible sur : Mac OS X (10.7.0), Windows (XP, Vista, 7, 8, 10) – Version PC CD-ROM émulée sous ScummVM
En vente sur : Gog.com (Mac, Windows)

La saga Kyrandia (jusqu’à 2000) :

  1. Fables & Fiends : The Legend of Kyrandia – Book One (1992)
  2. Fables & Fiends : Hand of Fate (1993)
  3. The Legend of Kyrandia : Book 3 – Malcolm’s Revenge (1994)

Version PC (DOS/Windows 3.1)

Date de sortie : Mai 1992 (version disquette) – Juillet 1993 (version CD-ROM)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français (voix en anglais, textes en français)
Supports : CD-ROM, dématérialisé, disquettes 5,25″ (x4) et 3,5″ (x4)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version dématérialisée émulée sous ScummVM
Configuration minimale : Version disquette :
Processeur : Intel 8088/8086 – OS : PC/MS-DOS 3.3 – RAM : 640ko
Modes graphiques supportés : MCGA, VGA
Cartes sonores supportées : AdLib/Gold, haut-parleur interne, Pro Audio Spectrum, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro, Tandy/PCjr

Version CD-ROM :
Processeur : Intel 80386 – OS : PC/MS-DOS 5.0, Windows 3.1 – RAM : 2Mo – MSCDEX : 2.2
Modes graphiques supportés : MCGA, VGA
Cartes sonores supportées : AdLib/Gold, Pro Audio Spectrum, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (version CD-ROM) :

Il y a bien longtemps, dans le paisible monde de Kyrandia, l’équilibre régnait grâce à la Kyragemme et au pacte passé avec l’Autre Royaume. Hélas, Malcolm, le bouffon royal, assassina le roi Guillaume et la reine Catherine avant de s’emparer du pouvoir de la Kyragemme et d’en tirer de terrifiants pouvoirs magiques.

Les Mystiques du royaume, à la tête desquels se trouvait le puissant Kallak, unirent alors leurs pouvoirs pour emprisonner Malcolm. Malheureusement, la Kyragemme resta sous le contrôle du bouffon maléfique, et le temps passant, les Mystiques commencèrent à voir leurs pouvoirs magiques se réduire comme peau de chagrin… jusqu’au jour fatal où Malcolm devint à nouveau libre de ses mouvements. Celui-ci commença alors à répandre anarchiquement la destruction sur Kyrandia, bien décidé à aller se venger de Kallak. Mais il ignorait que le petit-fils du chef des Mystiques, un jeune homme a priori banal nommé Brandon, était destiné à devenir son plus puissant adversaire…

Nous voici en 1992, et la guerre fait rage. Ou plutôt, LES guerreS FONT rage, mais s’il en est une qui parle alors aux joueurs sur ordinateur, c’est bien celle qui oppose les deux ténors du jeu d’aventure que sont Sierra Online et LucasArts Games.

Les deux firmes auront effectivement passé les années précédentes à se rendre coup pour coup dans une bataille ludico-commerciale tournant autour du genre roi (à l’époque) qu’est le point-and-click. Rien qu’entre 1990 et 1992, les joueurs auront eu le plaisir de voir sortir des titres comme Loom, The Secret of Monkey Island 1 et 2 ou encore King’s Quest V – tous de très bons titres parfaitement aptes à entretenir la flamme de la rivalité d’alors. Mais surprise : voilà que Westwood Studios, jusqu’ici principalement connu pour la saga des Eye of the Beholder, décide de s’inviter à la fête en lâchant ce The Legend of Kyrandia que personne n’avait vu venir.

Comme l’introduction (visible ci-dessus) vous l’aura d’ores et déjà fait comprendre, le titre vous place aux commandes de Brandon, petit fils de Kallak et adolescent pas spécialement dégourdi ni particulièrement charismatique, qui se retrouve propulsé futur sauveur du royaume après avoir découvert son grand-père transformé en pierre. Ce sera donc à vous que reviendra la lourde tâche de le guider à travers le royaume de Kyrandia en zigzagant entre les embuches pour parvenir à vaincre Malcolm et à restaurer la paix, le calme et les petits oiseaux.

Pour cela, le jeu met à votre disposition une interface limpide ne faisant usage que d’un seul bouton de la souris. Oubliez les verbes, les lignes de commandes ou les icônes : ici, le curseur fera tout le travail pour vous, et vous déplacer, ramasser un objet ou vous adresser à un personnage se fera dans tous les cas avec un simple clic gauche. Seules petites nuances : votre inventaire – constamment visible en bas de l’écran – est limité à dix emplacements, et vous vous verrez alloué, au fil de l’aventure, une amulette magique à laquelle il vous appartiendra de restaurer ses différents pouvoirs, visibles sous la forme de quatre pierres précieuses auxquelles vous devrez rendre leur éclat.

Sauver un royaume enchanté en détresse n’avait, même à l’époque, absolument rien de nouveau : King’s Quest avait déjà engendré une saga très prolifique depuis le milieu des années 80 en déclinant le concept à répétition. Dès lors, quels arguments le titre de Westwood Studios pouvait-il bien avoir à avancer afin de prétendre se faire un nom au milieu des deux mastodontes au sommet de leur forme ?

Le premier saute aux yeux dès les premiers écrans : pour tous les fans du pixel art, le jeu était et reste une référence absolue. Là où King’s Quest V ou Monkey Island 2 avaient fait le choix d’aquarelles scannées en 256 couleurs, The Legend of Kyrandia parvient à leur damer le pion sans complexe grâce à la bonne vieille méthode des graphismes réalisés à la main, pixel par pixel. Ce qui frappe d’entrée de jeu est l’ambiance véritablement enchanteresse véhiculée par le titre : chaque écran est magnifique, se promener dans ce royaume boisé est un vrai plaisir, et on ne peut qu’admirer le soin du détail accompagnant le moindre arbre, le plus petit rocher ou la plus délicate des fleurs que le jeu choisit de nous montrer sur chacun de ses écrans. Le charme opère littéralement dès l’introduction du titre (l’effet de changement de focale réalisé sur Kallak était absolument bluffant pour l’époque), et rarement on aura eu le sentiment, dès les premières secondes de jeu, d’être propulsé sur un autre monde. L’effet est d’ailleurs renforcé par les très agréables thèmes musicaux qui participent grandement à l’ambiance à la fois magique et bucolique du titre, et qui tirent admirablement parti de tout une gamme de cartes-son allant de la Sound Blaster à la Roland MT-32. N’hésitez pas à visionner les quinze premières minutes de jeu, en conclusion de l’article : le dépaysement est là.

Le second tient au ton relativement léger adopté par le titre, assez loin des prétentions ronflantes de King’s Quest qui cherchait à faire du Disney sans nécessairement en avoir le talent, et s’obstinait à décliner au premier degré de fastidieuses variantes de princesses/pères/familles à sauver sans nécessairement s’appliquer à employer les éléments aptes à captiver le joueur.

En dépit du côté enchanteur de l’univers traversé, les quelques dialogues du jeu sont souvent placés sous le signe de l’humour, et donnent même parfois lieu à des situations qui font mouche pour peu que le contexte s’y prête (Ah, Darm et son dragon Brandywine…). De la même manière, Brandon n’a rien du chevalier en armure, et saura constamment vous rappeler son incapacité à faire le bon choix dès l’instant où vous n’êtes pas là pour le tenir en laisse. Et, histoire de vous rappeler son agaçante immaturité, il passera littéralement la moitié du jeu à se plaindre – sans jamais se montrer pour autant insupportable, ce qui est un excellent point.

Les points communs avec la saga de Sierra Online ne s’arrêtent d’ailleurs pas là, car contrairement à la philosophie adoptée chez LucasArts à l’époque, The Legend of Kyrandia est un jeu où l’on peut mourir. Si cela tombe rarement du ciel, mieux vaut malgré tout prendre l’habitude de sauvegarder souvent – car en cas d’accident, ne comptez pas sur le programme pour vous faire réapparaitre deux minutes plus tôt : ce sera chargement d’une précédente partie ou game over. Si cela peut parfois s’avérer frustrant, le jeu n’est pas très difficile – ni très long, hélas – et les passages les plus complexes, comme cette fameuse grotte qui vous demandera de faire usage de baies de feu pour éclairer votre chemin sous peine de décès immédiat, sont finalement assez simples à franchir dès l’instant où l’on se donne la peine de dessiner un plan.

En revanche, si la logique des énigmes n’est jamais très complexe, on regrettera la vraie mauvaise idée du jeu : la façon aléatoire dont apparaissent certains objets. Pour être clair, le jeu vous demande à plusieurs reprises d’aller collecter des éléments un peu partout pour résoudre des énigmes ne reposant parfois sur rien d’autre que sur l’essai/erreur, et non seulement cela va vous imposer de traverser et retraverser ad nauseam les très nombreux écrans du jeu à la recherche des fameux ingrédients, mais en plus certains sont placés de façon totalement arbitraire et aléatoire quelque part dans le jeu, en vous laissant le soin de découvrir où. Trouver un objet pourra parfois vous demander de traverser une trentaine d’écrans ! Sachant qu’il faudra souvent expérimenter pour découvrir quoi faire – et qu’un objet est bien souvent détruit ou perdu lorsque vous l’employez à mauvais escient – autant dire qu’il vaut mieux sauvegarder avant la moindre tentative pour s’éviter de fastidieux allez-et-retours.

Plus grave : il est possible, en de rares occasions, de détruire définitivement des objets vitaux que vous ne pourrez plus jamais ré-obtenir par la suite – méfiez-vous particulièrement du puits que vous trouverez après une vingtaine de minutes de jeu. Ces quelques tracas pourront réellement vous gâcher une partie, ce qui explique sans doute pourquoi le titre n’a, malgré son succès critique et commercial, pas hérité de la même reconnaissance que des titres comme The Secret of Monkey Island.

C’est d’autant plus dommage qu’une fois ces quelques passages fastidieux mis de côté, on peut passer un très bon moment en visitant Kyrandia, particulièrement si les graphismes en VGA parviennent encore à vous tirer une petite larme de nostalgie.

En dépit du peu de rencontres que l’on est amené à faire, et d’un scénario qui ne gagne jamais en épaisseur, on se plait à découvrir l’univers du jeu à hauteur d’homme, écran par écran, pour goûter à la magie si particulière que le titre parvient si bien à délivrer. On ne sera donc pas surpris de découvrir que The Legend of Kyrandia aura été le premier épisode d’une trilogie ayant laissé de nombreux souvenirs émus aux joueurs s’y étant essayés à l’époque, et qui maudissent encore le déclin rédhibitoire ayant frappé le domaine du point-and-click depuis la fin des années 90.

Quelques mots, comme c’est la coutume, pour évoquer la qualité de la version française : celle-ci, hélas, est assez médiocre. Oh, certes, pas de coquille, pas de faute d’orthographe – mais la traduction, en revanche, semble parfois avoir été faite au logiciel tant les maladresses côtoient les contresens. Dès l’introduction, vous pourrez ainsi lire Kallak écrivant « Brandon, aide-moi » alors qu’il est en fait en train d’écrire une lettre à Brynn pour lui demander d’aider Brandon…

La plupart des phrases sont ainsi de simples calques mot-à-mot des phrases en anglais, reproduisant leur structure grammaticale, ce qui fait que beaucoup des dialogues amusants du jeu tombent à l’eau faute d’une adaptation de qualité. On décèlera aussi des problèmes plus gênants, comme cette énigme en fin de jeu vous demandant de sélectionner des livres dont les initiales forment le mot « OPEN », et qui risquera de poser beaucoup de problèmes aux non-anglophones qui ne verront pas nécessairement la logique à former un mot ne signifiant rien dans la langue de Molière… bref, du mauvais travail. Quant à la version CD-ROM, elle offre sans surprise exactement le même jeu avec des dialogues entièrement doublés – en anglais. Le travail des acteurs est de qualité sans être à sauter au plafond, et en-dehors de Brandon, les personnages récurrents de la saga comme Zanthia ou Malcolm changeront d’ailleurs de doubleurs dans les prochains épisodes. Les anglophones auront au moins l’avantage de pouvoir profiter des dialogues sans être obligés de souffrir des approximations de la VF.

Vidéo – Quinze minutes de jeu (version CD-ROM) :

Récompenses :

  • Tilt d’argent (Tilt n°109, décembre 1992) – Meilleure bande-son micro

NOTE FINALE : 16/20 Sans être profondément original ni particulièrement bien écrit, The Legend of Kyrandia a pourtant toutes les qualités d'un joyau parfaitement poli, avec une réalisation qui doit représenter le sommet de ce qu'a pu produire le pixel art, et une jouabilité d'une simplicité ébouriffante. Proposant une promenade qui est un enchantement, permettant d'apprécier le moindre écran de ce royaume qu'on apprend à aimer à chaque pas, on regrettera que le titre de Westwood Studios fasse paradoxalement preuve d'un certain manque d'ambition, en offrant une aventure trop courte et entachée de lourdeurs qui auraient facilement pu être évitées en se penchant un peu plus longtemps sur le game design. Reste une très bonne initiation à cet univers magique et emprunt d'un charme et d'une identité qui n'appartiennent qu'à la première moitié des années 90. CE QUI A MAL VIEILLI : – L'inventaire limité et les énigmes du jeu imposent un certain nombre d'allers-et-retours dont on se serait bien passés. – Les dialogues sont rares, et le jeu est assez court - on aurait vraiment aimé passer un peu plus de temps dans cet univers – Les énigmes sont globalement assez mal conçues - sans être illogiques, elles ne sont tout simplement pas très intéressantes – On peut se retrouver bloqué pour avoir détruit un objet indispensable

Les avis de l’époque :

« On en prend plein la vue et plein les oreilles. Les graphismes sont superbes. Avec les nuances de couleur, les programmeurs ont réussi à faire oublier la résolution. Côté musical, Kyrandia est tout simplement un sérieux prétendant au Tilt d’or dans ce domaine. À cela s’ajoute quelques animations du plus bel effet, finalement Kyrandia est un jeu auquel on prend beaucoup de plaisir à jouer, bien qu’il soit un peu facile de progresser dans l’aventure.« 

Marc Menier, Tilt n°106, Octobre 1992, 17/20

Version Amiga

Développeur : Westwood Studios, Inc.
Éditeur : Virgin Games, Inc.
Date de sortie : Décembre 1992
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Support : Disquette 3,5″ (x9)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette française testée sur Amiga 600
Configuration minimale : Système : Amiga 1000 – OS : Kickstart 1.2* – RAM : 1Mo
Modes graphiques supportés : OCS/ECS
Installation sur disque dur supportée
*Incompatible avec Kickstart 3.0

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

Comme le temps passe vite… Alors qu’en 1990, l’Amiga était encore le roi du monde (bon, enfin plutôt de l’Europe), les gains de puissance constatés sur IBM PC au début des années 90 ont commencé à faire payer le manque d’évolutivité de la machine de Commodore. De fait, début 1992, L’Amiga 1200 n’était pas encore sorti, et le chipset AGA capable de rivaliser avec le VGA n’était par conséquent pas encore disponible… bon, il l’était fin 1992, au moment de la sortie de cette version Amiga, mais on va dire que Westwood Studios n’était pas au courant, ou bien que le studio américain jugeait que le marché du 1200 n’était pas encore assez porteur pour s’y intéresser. Quoi qu’il en soit, le fait est qu’un Amiga 500 ou 600 peine logiquement à rivaliser, en termes de réalisation, avec une version qui faisait cracher leurs tripes aux cartes graphiques des PCs de l’époque. La palette du jeu a été appauvrie, et même si la réalisation de ce portage est très loin d’avoir été galvaudée, on ne peut pas demander à une palette de 64 couleurs de faire aussi bien qu’une palette de 256. Si certains décors s’en sortent très honorablement, les dégradés sont nettement moins fins, et la plupart des personnages – dont Brandon – se voient dorénavant dotés d’une couleur de peau orange/marron qui trahit les limites des capacités graphiques de l’Amiga. La musique ne relève hélas pas le niveau, la puce Paula ne rivalisant ni avec une Roland MT-32, ni – ce qui est plus surprenant – avec une modeste Sound Blaster.

Le vrai manque de l’Amiga, néanmoins, ne vient pas tant de ses capacités graphiques que de son processeur. Autant être clair : sans un Amiga 600 et un disque dur, le jeu se traine à en être injouable. Et même avec une configuration relativement solide, il faudra composer avec plusieurs secondes de chargement à chaque transition d’écran – ce qui, dans un jeu où on voyage beaucoup, devient vitre très pénalisant. On sent d’ailleurs que Westwood Studios a fait son possible pour soulager le processeur de la machine, la fenêtre de jeu étant désormais encadrée de lignes noires, mais las ! Rien n’y fait, et le confort de jeu en souffre atrocement. Pour achever d’enfoncer le clou, le jeu n’est même pas compatible par défaut avec un Amiga 1200 puisqu’il ne tourne pas sous Kickstart 3 – il faudra utiliser un dispositif de type Relokick 1.3 pour avoir une chance de le faire fonctionner ! Et il est même spécifié sur la boîte que les utilisateurs de Kickstart 2 (ceux d’un A500+, au hasard) ne pourront utiliser qu’un seul lecteur de disquette. Légèrement handicapant, pour un jeu qui tient sur neuf disquettes… Bref, à tout prendre, le plus simple reste sans doute de découvrir le jeu sur PC.

NOTE FINALE : 14/20

Mis à genou par un jeu développé pour une machine bien plus puissante que les Amiga 500 ou 600, The Legend of Kyrandia voit son portage sur ces machines se transformer en un laborieux chemin de croix. Si la réalisation s’en sort très honnêtement – en dépit d’une qualité musicale assez décevante – la lenteur générale du titre le réservera soit à des joueurs patients, soit à des nostalgiques, et bon courage pour le faire tourner dans des conditions décentes sur des systèmes au-delà de l’Amiga 500.

Version Macintosh

Développeur : The Dreamers Guild
Éditeur : MacPlay
Date de sortie : 1993
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français
Supports : CD-ROM, disquette 3,5″ (x5)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version CD-ROM française testée sur Quadra 650
Configuration minimale : OS : System 6.0.7 – RAM : 1,5Mo
Mode graphique supporté : 256 couleurs

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (CD-ROM) :

En 1993, le Macintosh commençait à devenir, à l’instar de son concurrent direct le PC, une machine de jeu. The Legend of Kyrandia y aura donc atterri – dans une transcription très fidèle de ce que proposait la version PC. Pas de mode « haute résolution » à espérer ici – ce qui aura au moins le mérite de nous éviter de voir le magnifique pixel art du jeu mutilé par un filtre dégueulasse – mais en revanche, le gamma est curieusement élevé. Niveau sonore, le jeu est un peu moins emballant que sur PC – impossible ici de brancher une Roland MT-32, et le processeur sonore de base du Mac fait un peu moins bien que ce qu’offraient l’AdLib et la Sound Blaster, plus proche de ce qu’on pouvait entendre sur Amiga. Le seul point dommageable est l’impossibilité de jouer en réel plein-écran ; quoi qu’il arrive, vous aurez le droit à la barre de menu en haut de l’image à permanence, ce qui signifie d’ailleurs que la gemme en bas à gauche de l’interface, qui servait originellement à accéder aux options, n’a plus aucun usage. À ce détail près, le jeu n’a pas changé d’un pouce, et la version CD-ROM bénéficie bien sûr toujours des voix anglaises. Aucune mauvaise surprise, donc.

NOTE FINALE : 15,5/20

Copie quasi-carbone de la version PC, The Legend of Kyrandia sur Mac ne pêche qu’au rang de la réalisation sonore – et encore, d’assez peu – et de cette satanée interface intégrée à l’OS qui empêche de jouer en vrai plein-écran. Cela ne pénalise fort heureusement que très marginalement l’expérience de jeu.

Version PC-98
Fables & Fiends : The Legend of Kyrandia

Développeur : Westwood Studios, Inc.
Éditeur : StarCraft, Inc.
Date de sortie : 15 février 1994 (Japon)
Nombre de joueurs : 1
Langue : Japonais
Supports : CD-ROM, disquette 3,5″ (x5)
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version CD-ROM japonaise
Configuration minimale : Système : PC-9821Ap – RAM : 1,6Mo
Carte son supportée : PC-9801-86

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (CD-ROM) :

Une nouvelle fois éditée par StarCraft, cette version PC-98 arrive avec son lot de surprises ; pas du côté du contenu, qui n’a naturellement pas bougé, mais bien de celui de la réalisation. La plus visible – immanquable, pourrait-on même dire – est à chercher du côté des graphismes : aussi incongru que cela puisse paraître, le jeu choisit de s’afficher en 640×400 et en 16 couleurs. Le résultat est… assez peu emballant, reconnaissons-le, et même en plissant les yeux, difficile de ne pas sentir une tragique déperdition depuis la version VGA – c’est même très loin des versions EGA basse résolution qui fleurissaient encore au tout début des années 90, et il suffit de retourner voir des images de Loom ou de The Secret of Monkey Island pour s’en rendre compte. La bonne nouvelle, en revanche, c’est que le jeu tourne beaucoup mieux que sur n’importe quelle configuration Amiga, et qu’il s’en sort également mieux que la machine de Commodore sur le plan sonore – même si, pour une raison mystérieuse, toutes les voix ont disparu en dépit du support CD. Oh, et naturellement, détail qui a son importance : tous les textes sont désormais intégralement en japonais. Bref, une curiosité à réserver à ceux ayant envie de posséder toutes les versions du jeu.

NOTE FINALE : 13/20

On en va pas se mentir : The Legend of Kyrandia en seize couleurs, même avec la résolution doublée, ça n’est plus tout-à-fait la même chose. Amputé de sa sublime réalisation, et désormais inaccessible aux joueurs ne parlant pas japonais, le titre a le mérite de tourner comme un charme, mais on ne saura objectivement pas trop à qui le recommander alors que la version DOS, très supérieure, est aujourd’hui à la portée de n’importe qui.

L’Affaire Vera Cruz

Développeur : Gilles Blancon
Éditeur : Infogrames Multimedia SA
Titre alternatif : Vera Cruz (international)
Testé sur : Amstrad CPCMSXZX SpectrumCommodore 64PC (DOS)
Version non testées : Thomson MO, Thomson TO

Version Amstrad CPC

Saint-Étienne, le 8 octobre 1985. Vera Cruz, prostituée notoire appréhendée plusieurs fois pour racolage, git au sol dans une flaque de sang. Près de sa main, un pistolet automatique 9mm, à son flanc, un impact de balle, sur sa table une lettre d’adieux… et dans son cendrier, deux mégots provenant de deux marques de cigarettes différentes. Suicide ? Cela parait trop simple… Et en tant que sergent de la Gendarmerie Nationale, c’est bien entendu vous qui allez passer la scène de crime au peigne fin avant de mener l’enquête pour découvrir si, oui ou non, quelqu’un avait tout intérêt à faire disparaitre Vera Cruz…

Mener l’enquête pour découvrir le coupable s’est vite affirmé comme un des principes de base du jeu d’aventure. Quoi de plus immersif pour le joueur, en effet, que de se retrouver dans la peau de Sherlock Holmes ou de Philip Marlowe et de faire fonctionner sa matière grise histoire de faire enfin la lumière sur une affaire qui l’aura obsédé pendant plusieurs heures ? Mais il n’y a pas que les détectives privés et leurs histoires rocambolesques, dans la vie : il y a également le quotidien de la police, pour qui résoudre des affaires n’a rien d’exceptionnel. On se souvient que dès la fin des années 80, des sagas comme Police Quest vous proposaient déjà d’endosser l’uniforme et de porter le badge histoire de vous proposer d’incarcérer les criminels selon des méthodes réalistes et documentées. Mais deux ans avant les débuts de la série de Sierra Online, l’idée avait déjà germé en France, avec l’Affaire Vera Cruz – un jeu programmé par Gilles Blancon, lui-même gendarme de son état.

Le jeu, qui vous propose – vous l’aurez deviné – d’enquêter sur la mort de la jeune femme du titre, se divise en deux parties. La première consistera à passer la scène de crime au peigne fin – et à noter tout ce qui vous parait intéressant, le jeu ne retenant rien pour vous : l’enquête, vous allez la faire à l’ancienne, avec un carnet et un crayon à la main. Vous allez donc promener un curseur sur l’écran à l’aide des flèches du clavier avant de prendre des photos avec la touche Copy, le but étant bien évidemment de révéler des informations intéressantes. Mieux vaut y passer du temps, d’abord parce le jeu attend généralement un placement du curseur au pixel près pour vous révéler les données qui vous intéressent, ensuite parce que certains indices sont très bien cachés (si bien cachés, en fait, qu’ils ne sont pas directement visibles à l’écran), enfin parce que tout ce que vous allez trouver dans cette pièce sera votre seule matière pour faire démarrer votre enquête.

L’enquête, justement, représentera la deuxième partie du jeu. Déjà ? Oui, souvenez-vous que nous sommes en 1985 : ne vous attendez pas à parcourir l’Europe, à écumer les quartiers sordides à la recherche d’indics à faire parler après leur avoir fait manger une salade de phalanges ; en tant que gendarme, toutes vos recherches vont se faire depuis votre bureau. Vous pourrez profiter pour cela d’un ordinateur vous mettant instantanément en contact avec les principaux services de police, que vous aurez tout loisir de contacter grâce à l’interface – intégralement textuelle – du jeu. Le principe est simple : vous choisissez une action grâce à une des touches indiquées à l’écran (E pour un examen, M pour envoyer un message, D pour recueillir un déposition, etc), après quoi vous serez amené à entrer des détails (par exemple, si vous demandez un examen, précisez s’il s’agit d’une autopsie, d’une analyse graphologique, d’une étude balistique…) ou à préciser le lieu et le service demandés.

En effet, que vous demandiez des informations à une gendarmerie, à un commissariat, à la préfecture, à la Brigade Départementale de Recherche Judiciaire, au Centre de Recherche de la Répression Judiciaire ou même à une prison, il faudra bien préciser le ou laquelle : vous vous doutez bien que la préfecture de Caen n’aura a priori pas grand chose à vous dire sur une affaire située dans le Forez. Tout cela peut sembler très technique et inutilement complexe, heureusement le jeu prend la peine de vous donner les éléments pertinents à chaque analyse ou déposition – en prenant bien soin de vous préciser le service dont il relève – ce qui fait que vous n’aurez jamais à questionner tous les services de toutes les villes un par un dans une tentative désespérée pour trouver quelqu’un capable de vous répondre. En revanche, le manuel risque d’être indispensable pour connaître les services concernés et l’acronyme vous permettant de les joindre – à moins que vous ne soyez officier de gendarmerie, auquel cas vous vous sentirez sans doute plus en terrain connu. Petit détail grisant du côté de l’immersion : il vous est possible d’imprimer, par simple pression sur la touche I, tout ce qui sort de l’imprimante virtuelle de votre enquêteur.

Si le titre en lui-même est très court, et peut largement être fini en une quinzaine de minutes, tout le sel de l’enquête va être de faire fonctionner vos neurones à chaque fois que vous rencontrerez une impasse – la grande pression venant du fait que vous ne serez jamais certain d’avoir tout trouvé sur le lieu du crime, et qu’il sera impossible d’y retourner sans recommencer la partie. On est également parfois un peu dans le doute à cause d’une trop grande latitude : dès le début de l’enquête, le programme vous demande d’entrer tous les objets ramassés lors de votre recherche, mais ne vous offre aucun retour ni aucune indication sur la manière de les décrire. Lorsque l’on a trouvé un paquet de cigarettes de marque Rothmans, que doit-on écrire ? « Paquet » ? « Cigarettes » ? « Rothmans » ? Il en va de même pour les adresses et pour les villes, et on tâtonne parfois pour réussir à contacter quelqu’un dont on a pourtant le nom et l’adresse complète. Une fois le principe assimilé, en revanche, l’enquête progresse relativement vite – principalement parce qu’elle n’implique, au final, même pas une dizaine de personnes. Une fois les comparaisons adéquates effectuées, les suspects seront bien plus enclins à passer à table, et vous pourrez alors accuser votre coupable à l’aide de la touche A – et réaliser si vous avez ou non fait fausse route.

En dépit d’une certaine lourdeur de l’interface textuelle, le jeu est encore relativement agréable à jouer – vos options sont, après tout, clairement indiquées à l’écran. Si la réalisation générale du titre est extrêmement sobre (graphismes quasi-intégralement en noir et blanc, aucune musique, l’imprimante comme seul bruitage), on appréciera le soin apportés aux portraits, dont plusieurs reprennent d’ailleurs des visages connus et parfaitement reconnaissables. On aurait sans doute apprécié de participer à une enquête un peu plus ambitieuse – une qui vous fasse sortir de votre bureau, par exemple – mais remis dans le contexte de l’époque, l’Affaire Vera Cruz s’en sort très bien.

Note : le jeu étant très court, un extrait de dix minutes aurait pratiquement fait office de solution complète. Une fois n’est pas coutume, il m’a donc semblé plus pertinent de vous laisser découvrir le jeu par vous même – une vidéo ne vous ayant pas appris grand chose de plus que les captures d’écrans qui accompagnent le test.

NOTE FINALE : 11,5/20 Avant le point-and-click, à une époque où les jeux d'aventure commençaient à peine à faire usage de graphismes, on ne sera pas surpris de voir en L'Affaire Vera Cruz un jeu relativement austère. Mais en dépit de la brièveté de l'enquête et de son caractère résolument banal (n'espérez pas découvrir le secret des Templiers après une aventure qui vous aurait fait traverser l'Europe, vous resterez à la gendarmerie pour enquêter sur la mort d'une prostituée), force est de reconnaitre qu'on se prend rapidement au jeu et qu'on s'efforce de résoudre dans les règles de l'art l'affaire qui nous est proposée. Les joueurs résidant du côté de Lyon ou de Saint-Étienne pourront également apprécier d'évoluer, pour une fois, dans un cadre familier plutôt qu'à Manhattan ou à San Francisco. Si la moitié de la difficulté du jeu provient de l'interface et du flou dans lequel elle vous laisse, votre enquête s'effectuera de toute façon avec un papier, un crayon, et quelques longs instants de réflexion à établir un lien vers le prochain protagoniste jusqu'à résolution de l'affaire. Et à ce niveau, la mission est parfaitement remplie. CE QUI A MAL VIEILLI : – Le jeu se divise entre la scène du crime et votre bureau, n'espérez donc pas faire du tourisme – Si on appréciera le côté terre-à-terre et réaliste de l'enquête, on aimerait quand même prendre du galon pour s'occuper d'une affaire un peu plus ambitieuse – Manuel obligatoire si vous ne connaissez pas les procédures de la gendarmerie française au milieu des années 80 – Très court – Interface qui vous laisse un peu dans le flou

Version MSX

L’Affaire Vera Cruz aura eu le mérite de voyager un peu et de faire connaître la Gendarmerie Nationale à l’autre bout du monde, la preuve avec cette version pour ordinateurs japonais sortie dans la langue de Shakespeare en 1986. Si le contenu est strictement identique à celui de la version CPC, on constatera que le jeu vous propose d’entrée de jeu de choisir quelle partie de l’enquête vous voulez aborder – ce qui ne change pas grand chose, la phase sur la scène du crime pouvant être évacuée d’une simple pression sur Entrée dans la version originale, mais bon, au moins vous pourrez vous économiser un temps de chargement (ce qui, sur cassette, n’est pas anecdotique). Niveau réalisation, le titre est un peu plus coloré que sur CPC – ce qui n’est pas un exploit et n’apporte pas grand chose, cassant même un peu l’ambiance « polar en noir et blanc » de la version originale. Résolution inférieure oblige, les petits éléments aidant à l’immersion comme le moniteur de votre ordinateur ou les trous sur les côtés de votre feuille de listing ont disparu, ce qui est dommage. L’enquête, pour sa part, n’a pas changé – même si la traduction n’est pas toujours irréprochable, se voyant privée de nombreux détails.

NOTE FINALE : 11/20

Peu de changements pour l’Affaire Vera Cruz sur MSX, mais entre la résolution plus basse et la perte de la version française, on lui préfèrera l’original sur CPC.

Version ZX Spectrum

Une fois porté sur ZX Spectrum, L’Affaire Vera Cruz doit composer avec quelques changements mineurs : le jeu emploie désormais une couleur en plus du rouge (le sac de Vera est bleu, je suis sûr que votre vie est bouleversée par cette nouvelle), et garde le moniteur d’écran dans la deuxième partie, en dépit d’une résolution plus faible. On remarquera également que le curseur ne se déplace plus pixel par pixel pendant la phase de recherche, ce qui simplifie votre découverte d’indices. Détail sans importance, sauf pour les anglophones (qui ne liront de toute façon pas ces lignes) : la traduction est de meilleure qualité que sur MSX.

NOTE FINALE : 11,5/20

Transposé sur ZX Spectrum, L’Affaire Vera Cruz fonctionne toujours aussi bien – dommage que la VF soit passée à la trappe, mais la machine de Sinclair n’était pas la plus représentée sur le marché français.

Version Commodore 64

À bien des niveaux, L’Affaire Santa Cruz sur C64 n’est qu’un portage de la version MSX : même lacunes au niveau de l’interface et de la traduction, mêmes choix dans les couleurs de fond. En revanche, l’interface bénéficie également des couleurs, ce qui la rend plus lisible, et le titre profite désormais d’un morceau de musique, par ailleurs assez guilleret, ne collant pas du tout à l’ambiance polar et que vous aurez probablement vite fait de couper, enfin bon, merci pour l’effort. Pour le reste, on est en terrain connu.

NOTE FINALE : 11/20

Si on appréciera diversement l’apparition d’une musique tout à fait dispensable – mais qui a le mérite d’exister – on regrettera que cette version de L’Affaire Vera Cruz n’existe pas en français, et que la version anglophone ait été une fois de plus traduite à la truelle.

Version PC (DOS)

Porté sur PC en 1987, L’Affaire Vera Cruz n’aura pour une fois pas trop à souffrir des limitations de couleur du mode CGA. Le titre est graphiquement assez proche de la version CPC, en un petit peu plus coloré. La deuxième partie du jeu fait une fois de plus le choix d’une résolution supérieure, mais reste un peu moins détaillé que dans la version originale. En revanche, si on appréciera de récupérer le jeu en français, on regrettera la relative imprécision du curseur pendant la partie recherche de l’enquête.

NOTE FINALE : 11,5/20

Ne boudons pas notre plaisir : le PC était sans doute d’ores et déjà capable de bien mieux que ça en 1987, mais L’Affaire Vera Cruz est toujours là, en français, dans une version légèrement moins jouable mais un tantinet plus colorée. Si jamais vous souhaitiez lancer votre carrière dans la gendarmerie, vous savez dorénavant où commencer.