Développeur : Mike Singleton
Éditeur : Beyond Software
Testé sur : ZX Spectrum – Amstrad CPC – Commodore 64
Disponible sur : Android, Blackberry, iPad, iPhone, Macintosh, Windows, ZX Spectrum Next
Téléchargeable gratuitement sur : Gog.com (Windows), Google Play (Android)
Le site officiel du jeu : The Lords of Midnight
La série Lords of Midnight (jusqu’à 2000) :
- The Lords of Midnight (1984)
- Doomdark’s Revenge (1984)
- Mike Singleton’s Lords of Midnight (1995)
Version ZX Spectrum
Date de sortie : Mai 1984 |
Nombre de joueurs : 1 |
Langue : Anglais |
Support : Cassette |
Contrôleur : Clavier |
Version testée : Version cassette testée sur ZX Spectrum 48k |
Configuration minimale : RAM : 48ko |
On a beau être un joueur informatique depuis près de trente-cinq ans, s’être essayé à des milliers de titres et jouir d’une certaine forme de curiosité (et par extension de culture) vidéoludique, on découvre malgré tout encore des choses. Comme toutes les passions, l’univers vidéoludique porte en lui cette force d’être fondamentalement inépuisable, ne fut-ce que par l’étendue considérable de machines et de titres qui le composent. Inutile de le nier : on a tous des lacunes, des systèmes qu’on maîtrise moins que d’autres, et la plupart des ordinateurs 8 bits entrent à n’en pas douter dans cette catégorie en ce qui me concerne ; avant de lancer ce site, je n’avais pour ainsi dire jamais eu l’occasion de poser les doigts sur un Commodore 64 ou un ZX Spectrum, même si j’avais déjà vu tourner leurs jeux.
L’avantage de l’inconnu, c’est qu’il peut nous surprendre, et nous permettre d’exhumer occasionnellement des bijoux à la Project Firestart qui méritent objectivement d’être remis en lumière au XXIe siècle. Alors quand deux vieux briscards comme Laurent Cluzel et Olivier Scamps m’ont tous les deux cité, parmi la liste des jeux qui les avaient marqués, un titre sur ZX Spectrum dont je n’avais jamais entendu parler, vous comprendrez que ma curiosité ait été piquée. Il était temps d’aller découvrir ce fameux The Lords of Midnight programmé par un certain Mike Singleton et qui aura tellement marqué les esprits à sa sortie, le bougre, qu’il a encore un site internet à son nom, des versions distribuées gratuitement sur les système modernes, et même des gens qui rêvent encore de lui offrir une suite. L’occasion de se pencher sur l’histoire de Luxor, Morkin, Corleth et Rorthron et sur le destin du monde de Midnight…
Le scénario détaillé sur pas moins d’une quinzaine de pages dans le manuel du jeu vous évoquera en grand détails l’éveil de l’être maléfique appelé Doomdark au sein de sa citadelle d’Ushgarak, dans les royaumes du nord, et la quête de quatre héros pour chercher à le vaincre, que ce soit en lui faisant face militairement ou en parvenant à détruire la couronne de glace, siège de tous ses pouvoirs. Pour ceux qui souhaiteraient connaître l’essentiel des tenants et des aboutissants, autant le dire d’emblée : vous connaissez probablement toute l’histoire du jeu dès l’instant où vous êtes familier avec celle du Seigneur des Anneaux ; remplacez Sauron par Doomsdark, Aragorn par un prince nommé Luxor Moonlight, Frodon par Morkin, fils de Luxor, l’anneau unique par la couronne de glace et la montagne du destin par… la tour du destin et vous devriez immédiatement vous sentir en terrain connu.
Histoire de compléter le tableau, remplacez les elfes par des « fey » et Gandalf le Gris par un sage appelé Rorthron visiblement assez puissant pour faire face à des dragons, et vous comprendrez pourquoi les joueurs de cette lointaine époque (1984 !) où la fantasy était encore considérée comme un genre de niche réservé à une poignée d’excentriques boutonneux pouvaient être aux anges. Ceci dit, Tolkien était déjà une source particulièrement en vogue dans tous les jeux de rôle de la période (bien que son œuvre majeure, elle, n’ait alors pas encore été adaptée en jeu, contrairement au roman Bilbo le Hobbit), on se doute que ce n’est donc pas là que réside la principale trouvaille de The Lords of Midnight. De fait, l’une des premières incongruité du titre est…de ne pas être un jeu de rôle – du moins pas au sens classique du terme, à savoir avec des statistiques et des points d’expérience dans tous les sens. Et ce qu’il sera exactement dépendra en fait en grande partie de la façon dont vous déciderez d’y jouer…
Comme le scénario détaillé plus haut vous l’aura déjà fait comprendre, il existe deux moyens de triompher du jeu – et cela est clairement établi dans le manuel. La première, souvent vue comme la plus riche et la plus complexe, sera de parvenir à recruter des seigneurs de guerre à l’aide de vos héros, d’aller de citadelle en forteresse pour y lever des troupes, et de faire face aux armées de Doomdark venues du nord avant qu’elles ne mettent le royaume à feu et à sang (ou même après, l’important étant surtout de parvenir à les vaincre).
Dans cette approche, The Lords of Midnight prend alors la forme d’un jeu de stratégie où vous jouerez principalement contre la montre : l’idée sera moins de faire preuve de génie militaire que de parvenir à lever un maximum de troupes en un minimum de temps pour faire face aux armées de Doomdark, avant d’aller porter le combat dans les terres du nord, jusqu’à Ushgarak. Une tâche compliquée par le fait que les troupes subiront une peur croissante causée par la couronne de glace au fur et à mesure de leur avance vers le nord – peur à laquelle seul Morkin est immunisé. Ce qui fait donc naturellement de lui la clé de la deuxième approche : partir seul et sans armée dans les royaumes du nord, se faufiler jusqu’à la tour du destin en se cachant lorsque c’est nécessaire, et parvenir à détruire la couronne de glace. La bonne nouvelle étant que strictement rien ne vous interdit de jouer sur les deux tableaux à la fois, et que quel que soit le destin de vos armées et de votre campagne militaire, le jeu n’est pas fini (ni perdu !) tant que Morkin est encore en vie. Un bon moyen de s’accrocher à une quête désespérée lorsque tout semble perdu… ce qui dénote déjà d’une intelligence indéniable dans le game design et dans la façon d’impliquer le joueur.
Partant de ce principe, le titre aurait pu opter pour le choix le plus évident en se présentant par le biais d’une carte vue de dessus avec des cases ou des hexagones et en nous demandant d’y déplacer des unités – quoi de plus logique, au fond ? Seulement voilà, la véritable idée de génie de Mike Singleton, c’est de n’avoir jamais perdu de vue un élément vital à une époque où la technique ne pouvait pas tout (et pouvait même assez peu) : l’immersion. Partant de cette évidence, et plutôt que de vous présenter un conflit abstrait avec la froide distance analytique d’un général penché sur sa carte d’état-major, le titre vous propose donc de vivre l’épopée… à la première personne, en passant d’un personnage à un autre.
D’une simple pression d’une touche sur le clavier, il est en effet possible de changer de héros : selon un mécanisme très malin, vos troupes ne peuvent se déplacer que de jours alors que les armées adverses ne progressent, elles, que la nuit. Votre objectif sera donc de couvrir un maximum de terrain pendant la journée pour aller rencontrer des chefs militaires, visiter des ruines, des citadelles, des tours, des villages, trouver de l’équipement magique, lever des troupes – et prendre le contrôle de tout vos leaders nouvellement recrutés grâce à l’anneau porté par Luxor (ce qui signifie également que vous ne contrôleriez plus que Morkin si Luxor venait à mourir). Et le mieux, c’est que vous ferez cette exploration… via une vue en simili-3D, où vous pourrez apercevoir les villes, les forêts, les collines, les grottes et les montagnes à plusieurs kilomètres de distance. 32000 écrans au total. Sur une cassette contenant quelques dizaines de kilo-octets de données, tournant sur un système à 48ko de mémoire. Vous commencez à comprendre la claque que cela représentait à l’époque ?
De fait, vous allez rapidement comprendre – le temps de dompter une interface assez intimidante qui vous demandera quasi-obligatoirement de passer par le manuel, sauf à avoir la carte clavier fournie avec le jeu – que The Lords of Midnight n’est en fait ni tout à fait un jeu de stratégie ni réellement un jeu d’aventure. Vous ne prenez jamais aucune décision tactique : les affrontements se déroulent automatiquement et se décident en fonction de la puissance des armées opposées, de la fatigue et de la peur de vos troupes et de la puissance du héros qui les mène – et les statistiques en elles-mêmes ne sont jamais présentées sous forme de chiffres mais plutôt grâce à des descriptions, autant dire de quoi faire hurler les habitués des jeux de stratégie classiques.
La clé du gameplay est en fait surtout de savoir où aller et quand, en optimisant au maximum ses routes pour pouvoir lever un maximum de troupes en un minimum de temps – ou, a minima, trouver une route à peu près sûre pour mener Morkin jusqu’au cœur du territoire ennemi. Autant dire que lancer vos héros aux quatre vents et au hasard est statistiquement voué à l’échec, et que la carte fournie avec le titre ne vous donnant que des directions assez vagues, le mieux sera sans doute de cartographier avec précision tout l’univers du jeu, quitte à utiliser ce qui vous passe sous la main en guise de pion pour représenter vos divers héros et ainsi vous souvenir où ils se situent ! C’est réellement dans cette dimension « exploration d’un monde ouvert à la première personne » – longtemps, très longtemps avant des programmes comme Arena – que le titre, qui repose autrement sur des mécanismes assez simples (avoir plus d’hommes que l’ennemi), a le mieux vieilli et peut encore se montrer réellement prenant : pour vaincre Doomdark, vous devrez finalement faire comme vos héros et apprendre à connaître le royaume comme votre poche. Un principe basique, mais qui sait en tous cas se montrer toujours aussi efficace.
Car pour le reste, les barrières sont nombreuses : on a déjà parlé de l’interface qui risque de vous demander un peu de temps pour la dompter, on pourrait également soulever quelques mécanismes trop flous : on ne sait jamais trop s’il vaut mieux avoir deux armées côte-à-côté ou présentes sur la même case, si les hommes sont plus efficaces placés en garnison dans une forteresse ou sous les ordres des héros stationnés dans cette même forteresse, on ne connait jamais vraiment les effets de la peur, tout comme on peut souvent perdre un héros faute de savoir ses capacités réelles lors des premières parties (conseil : si Rorthron et Luxor savent se défendre, parfois face à des ennemis redoutables, évitez d’envoyer Morkin ou Corleth au milieu des loups ou des trolls de glace).
Bref, on doit composer avec une caractéristique récurrente des titres de la période qui a assez mal vieilli aujourd’hui : constamment avancer au jugé. Mais on peut aussi prendre cet aspect essai/erreur comme un mécanisme à part entière, apprendre à connaître les forces et les faiblesses de nos personnages, et recommencer une dixième, une centième partie pour apprendre à domestiquer le monde de Midnight, à le faire nôtre et à le parcourir comme on parcourrait un endroit qui nous est familier. Comme souvent, c’est en acceptant d’y consacrer du temps, de se laisser prendre au jeu et de laisser l’imagination prendre le pas sur la froide logique que The Lords of Midnight dévoile toutes ses qualités. Et qu’on se retrouve une nouvelle fois, à une heure avancée de la nuit, avec une carte, un carnet et un stylo, à se rêver au milieu d’un autre monde pour s’atteler à le sauver. Une magie très présente dans les titres de la période, et qui a un peu disparu depuis. C’est peut-être là, au fond, une des raisons fondamentales de notre nostalgie, non ?
Vidéo – Dix minutes de jeu :
NOTE FINALE : 13/20 The Lords of Midnight, c'est un peu le condensé de tout ce qui pouvait faire rêver un joueur en 1984 : un scénario plus qu'inspiré du Seigneur des Anneaux, un jeu de stratégie où l'on court contre la montre, une aventure épique dans un monde gigantesque qu'on visite à la première personne en fausse 3D... et le tout dans un programme de quelques kilo-octets. Pas étonnant que tous les vieux briscards lui vouent un culte : c'est typiquement un de ces logiciels qui parviennent à nous faire oublier toutes les limitations techniques d'une époque où elles étaient pourtant colossales. Entre son interface entièrement au clavier, son background imposant et ses mécanismes finalement extrêmement basiques, le titre de Mike Singleton demandera au joueur actuel une période d'environ une heure pour espérer le dompter et comprendre les véritables enjeux du gameplay. Mais une fois ses marques prises, on se découvre à cartographier le monde de Midnight case par case, à optimiser ses routes, à recruter ses armées, à trouver comment guider Morkin jusqu'à la couronne de glace... et ça marche. Si vous avez envie de redécouvrir ces nuits où l'imagination nous portait dans des univers lointains à écrire la légende, les exploits comme les tragédies de nos héros, laissez à Lords of Midnight le temps de vous conquérir. Ce type de magie est devenu trop rare pour accepter de le bouder.
CE QUI A MAL VIEILLI : – Des mécanismes finalement extrêmement simples... – ...Surtout si on choisit de s'en tenir à l'épopée de Morkin – Une interface contre-intuitive, surtout si vous n'avez pas la carte clavier sous la main – Aucune indication sur les chances de remporter un combat... – ...et quelques ratés notables dans la gestion de la fatigue ou de la peur glaciale – Un silence de mort pendant toute la partie
Bonus – Ce à quoi peut ressembler The Lords of Midnight sur un écran cathodique :
Version Amstrad CPC
Développeur : Mike Singleton |
Éditeur : Amsoft |
Date de sortie : Octobre 1984 |
Nombre de joueurs : 1 |
Langue : Anglais |
Supports : Cassette, disquette 3″ |
Contrôleur : Clavier |
Version testée : Version cassette testée sur Amstrad CPC 6128 Plus |
Configuration minimale : Système : 464 – RAM : 64ko |
Fort de son succès critique et commercial, The Lords of Midnight n’aura évidemment pas mis longtemps à poursuivre sa carrière sur les autres systèmes 8 bits, avec des adaptations minimales, pour ne pas dire inexistantes. Premier exemple avec cette version CPC, publiée à peine quelques mois après l’originale, et qui ne prend pour ainsi dire aucun risque : à quelques nuances près dans les teintes employées, les graphismes sont identiques (dommage que les couleurs choisies soient plus sombres), l’interface n’a pas changé d’un iota, et il n’y a toujours pas l’ombre d’un bruitage ou d’un thème musical. Autant dire que dans un jeu ne reposant de toute façon pas directement sur la qualité de sa réalisation, difficile de trouver une raison objective de préférer une version plutôt qu’une autre. Au moins n’aurez-vous aucune raison de vous détourner du CPC si jamais vous cherchez à découvrir le jeu.
NOTE FINALE : 13/20
Aucune surprise, ni bonne ni mauvaise, en lançant The Lords of Midnight sur Amstrad CPC : c’est exactement le même jeu que sur ZX Spectrum, avec des teintes un peu plus sombres pour les graphismes.
Version Commodore 64
Développeur : Mike Singleton |
Éditeur : Beyond Software |
Date de sortie : 1985 |
Nombre de joueurs : 1 |
Langue : Anglais |
Supports : Cassette, disquette 5,25″ |
Contrôleur : Clavier |
Version testée : Version disquette |
Configuration minimale : RAM : 64ko |
Dernier passage sur les ordinateurs 8 bits, The Lords of Midnight aura donc terminé sa course sur Commodore 64 avant de connaître une très, très longue parenthèse. Une nouvelle fois, les nouveautés ne seront clairement pas à aller chercher du côté de la réalisation, pratiquement identique à celle du ZX Spectrum, au détail près que l’affichage de chaque écran prend désormais un très court temps de chargement qui n’était pas présent (ou alors de façon à peine apparente) sur la machine de Sinclair. Toujours aucun son, ce qui est un peu dommage sur un Commodore 64. En revanche, l’interface a été repensée, ce qui risque de perturber ceux qui connaissaient l’ancienne plutôt qu’autre chose : on avance désormais avec la barre d’espace, et la plupart des actions ont été déplacées vers les touches numériques ou les touches de fonction. Non, on ne peut pas se déplacer au joystick. Pour le reste, on est toujours exactement en terrain connu, ce qui n’est peut-être pas plus mal.
NOTE FINALE : 13/20
Les très rares nouveautés de cette itération de The Lords of Midnight sur Commodore 64 seront principalement à chercher du côté de son interface plus que de sa réalisation, où le programme reste parfaitement fidèle à la version originale, juste que dans son absence totale de musique ou de bruitage.