Vagrant Story

Développeur : Square Co., Ltd
Éditeur : Square Co., Ltd. (Japon) – Square Electronic Arts L.L.C. (Amérique du Nord) – Square Europe, Ltd. (Europe)
Testé sur : PlayStation
Disponible sur : PS Vita, PlayStation 3, PSP

Version PlayStation

Date de sortie : 10 février 2000 (Japon) – 16 mai 2000 (Amérique du Nord) – 21 juin 2000
Nombre de joueurs : 1
Langues : Allemand, anglais, français, japonais
Support : CD-ROM
Contrôleur : Joypad
Version testée : Version française
Spécificités techniques : Système de sauvegarde par carte mémoire (3 blocs)

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :

La fin des années 90 aura correspondu, pour Square Soft, à une forme d’âge d’or au sein d’une période déjà faste pour le genre du J-RPG dans son ensemble. Porté par le succès planétaire des trois épisodes « canoniques » de Final Fantasy sortis sur PlayStation – et qui figurent, aujourd’hui encore, parmi les plus célébrés de la licence –, le studio japonais semblait alors aligner les succès et les chefs d’œuvre comme des perles, ne côtoyant jamais même de loin tout ce qui pouvait ressembler à de la médiocrité. De Xenogears à Parasite Eve, de Bahamut Lagoon à Super Mario RPG, de Legend of Mana à Front Mission 3 – pour n’en citer qu’une infime partie –, Square Soft était tout proche d’un état de grâce comme on n’en avait connu qu’au sein des plus grandes licences de Nintendo, et qui paraissait vouer à mener la compagnie sur le toit du monde vidéoludique.

Puis vint le premier grain de sable dans l’engrenage : Vagrant Story.

Sur le papier, difficile d’imaginer autre chose qu’un triomphe pour le jeu imaginé par Yasumi Matsuno, qui s’était déjà fait un nom grâce à Tactics Ogre et Final Fantasy Tactics, et qui hériterait quelques années plus tard de rien de moins que de la direction de Final Fantasy XII. La presse était plus qu’élogieuse – le magazine japonais Famitsu lui ayant même décerné la note maximale, chose rarissime –, saluant à la fois le système de jeu, la réalisation de haute volée et le scénario aux accents shakespeariens s’éloignant des univers traditionnels de la firme, et l’ambition était palpable, avec une distribution internationale et une localisation en allemand et en français – privilège d’ordinaire réservés aux licences les plus prestigieuses. Mais le résultat, lui, peut être qualifié de bide : avec seulement 300.000 exemplaires vendus au Japon et 200.000 aux États-Unis, il n’est même pas certain que le titre ait atteint le million d’unités. Il aura certes dû composer avec la concurrence de Final Fantasy IX, ce qui n’aide jamais, mais le fait est là : faute d’avoir trouvé son public, Vagrant Story sera à jamais resté un one shot sans lendemain, un titre isolé qui ne sera jamais devenu une licence à part entière – même si de nombreux éléments le rattachant au monde de Final Fantasy XII auront fait surface par la suite. Joyau injustement méconnu ? C’est l’avis de beaucoup de joueurs, mais la réalité est peut-être plus simple encore : à force de cultiver sa différence et de s’efforcer de ne ressembler à rien d’autre, Vagrant Story était peut-être tout simplement (roulement de tambours)… un jeu de niche.

Pour commencer, il y a le scénario, au sein duquel on sent immédiatement la patte de Matsuno : plongé d’entrée de jeu au sein d’une situation géopolitique complexe ressemblant furieusement à une guerre de religions et mettant en scène des personnages très peu présentés, au sein d’un contexte confus avec des motivations floues et des enjeux pas très nets, le joueur lambda peut facilement se sentir submergé par les quelques vingt minutes de cinématiques pratiquement non-interactives sur lesquelles s’ouvre l’aventure.

Un récit avec peu d’explications claires et beaucoup de retournements sortis de nulle part qui cherche à ne jamais mâcher le travail de déduction du joueur – sur le papier, c’est louable, dans les faits, comme on va le voir, ce qui débute comme une situation intrigante avec beaucoup de questions ne livre au final pratiquement aucune réponse et demande, pour en tirer quelque chose, un investissement temporel à la hauteur de celui du reste de l’aventure. Résumons donc en disant qu’il s’agira ici d’incarner Ashley Riot, agent d’élite d’une sorte de police secrète médiévale, envoyé enquêter sur la mise à sac du manoir du Duc Bardorba par une mystérieuse secte religieuse baptisée Müllenkamp. Une intervention qui va l’amener à rencontrer le chef de la secte, Sydney, et à poursuivre son périple au sein de la ville millénaire de Lea Mundis, terre étrange reliée au continent uniquement par le biais de ses catacombes. Voilà pour le point de départ.

L’essence du jeu va être de parcourir ces fameuses catacombes et la ville en elle-même, ce qui prendra la forme d’un périple très majoritairement mené sous terre, dans un gameplay hybride tenant à la fois de l’Action-RPG et du dungeon crawler et enrichi d’éléments venus de la stratégie – un mélange détonnant, et surtout suffisamment complexe pour avoir pu laisser pas mal de joueurs sur le carreau.

L’aventure, linéaire lors de ses premières heures, ne va pas tarder à révéler un monde ouvert où les allers-et-retour seront légion, et de nombreuses portes ou coffres ne pouvant être déverrouillés que grâce à des sceaux ou des clefs accessibles parfois beaucoup plus tard, mieux vaudra prendre l’habitude de consulter régulièrement la carte… et de prendre des notes, sur le côté, pour bien se souvenir de l’emplacement des endroits auxquels on risque d’être appelé à revenir. Une liberté contrôlée avec un retour de bâton, car le joueur n’a jamais un objectif clair ni une direction indiquée pour le guider : le jeu, qui prend déjà facilement plus d’une quinzaine d’heures à être bouclé en ligne droite en sachant parfaitement où aller, peut facilement demander le double pour être vaincu, d’autant que les passages labyrinthiques abondent (cette maudite forêt et ses lucioles !) et que la difficulté ne tarde pas à monter en flèche, le gameplay exigeant de maîtriser énormément d’éléments peu ou mal expliqués – et laissant très peu de place à l’erreur.

Il faut dire que le système de combat est à lui seul un véritable morceau de bravoure. Les premiers affrontements sont déjà déstabilisants à cause de la rencontre entre le temps réel et l’arrêt de l’action lorsque votre personnage s’apprête à frapper – ce qui est plutôt une bonne chose – mais l’amalgame entre un mécanisme de timing extrêmement précis permettant d’enchaîner des attaques à condition de savoir exactement à quel moment les faire (ce qui sera rapidement indispensable) et quantité de données stratégiques a de quoi laisser sur le carreau à la fois les fans d’action limpide et les stratèges qui ne s’attendaient pas à pratiquer Dance Dance Revolution au milieu des affrontements.

Car au-delà du timing, les combats mettent surtout en jeu un nombre hallucinants de facteurs qu’il faudra impérativement prendre en compte pour éviter de sévères (et mortelles) déconvenues : chaque adversaire est sensible à certains types de dégâts (contondant, perçant, tranchant), à certains éléments (feu, glace, lumière…), et non seulement il faudra commencer par cerner ces faiblesses (via sortilège ou expérimentation) mais en plus, cela change selon la partie de son corps – car oui, il est possible de cibler indépendamment chaque membre de chaque ennemi ! Ce qui signifie que la portée de vos armes et de vos sortilèges aura également son importance, mais ce n’est pas tout. Qui dit variété des vulnérabilités dit que vous avez également tout intérêt à emporter avec vous un arsenal varié vous permettant de faire face à toutes les situations… ce qui nécessitera non seulement de dénicher de nouvelles armes et armures, mais également d’en façonner d’autres grâce à des forges un peu trop rares pour leur propre bien et n’autorisant généralement que l’association entre des éléments précis – ce qui signifie que forger l’arme de vos rêves pourra nécessiter non seulement de farmer les éléments pour la réaliser, mais également de revenir à la bonne forge pour le faire, et naturellement les adversaires réapparaissent et il est impossible d’accéder à des déplacements rapides avant la deuxième moitié, voire le dernier tiers, du jeu !

Ne comptez pas en profiter pour grinder : le jeu n’a pas de système d’expérience à proprement parler, seuls les boss donnent accès à des artefacts permettant d’augmenter vos caractéristiques, le reste des rencontres ne servira qu’à faire progresser vos armes, jusqu’à une certaine limite. C’est d’ailleurs là qu’intervient à mon sens une des plus grosses maladresses du jeu : dans un titre où un joueur a tout intérêt à employer diverses armes et à expérimenter à chaque rencontre (on peut mourir très facilement, même face à des ennemis ordinaires), on aurait pu penser qu’il bénéficierait d’un inventaire illimité, ou à défaut relativement généreux. Perdu !

Ashley ne peut jamais transporter plus de huit armes à la fois, et se faire surprendre les poches pleines lui imposera d’abandonner définitivement le loot surnuméraire. Son seul recours ? Aller entreposer son équipement dans des réserves… qui ne sont disponibles que dans les forges et auprès de certains points de sauvegarde, ce qui nécessite souvent de retourner des dizaines d’écrans en arrière pour espérer mettre de côté des équipements indispensables ! Pas exactement le pic de l’ergonomie… Le sommet de la lourdeur est cependant atteint pendant la forge en elle-même, car votre inventaire limité vous imposera de repasser plusieurs fois par le contenu de votre réserve pour aller chercher les éléments nécessaires, or chaque accès à la réserve se traduit également… par un accès à la carte mémoire, accompagné d’une vingtaine de secondes de chargement à chaque fois. Conséquence : on peut facilement passer un bon quart d’heure, dont la moitié à regarder la peinture sécher, lors des séquences de forge. Autant dire que les joueurs impatients risquent de vite avoir envie de passer à autre chose.

Le truc, c’est que chaque qualité du jeu semble toujours contrebalancée par une maladresse ou un choix discutable. La 3D par exemple, est magnifique, avec des architectures et des ambiances parfois réellement bluffantes (l’équipe artistique est allée prendre des photos en France)… mais alors pourquoi passer facilement 80% du temps de jeu dans des souterrains grisâtres qui se ressemblent tous ? Pourquoi une telle exigence dans les combats, qui peuvent se transformer en véritables épreuves d’endurance si le matériel employé n’est pas le bon ? Pourquoi mettre autant de temps à laisser le joueur se téléporter vers les points de sauvegarde qu’il a déjà visité, alors que cette faculté aurait pu être offerte d’emblée ?

Et puis il me faut revenir sur le scénario, qui a force de se vouloir cryptique et profond finit par devenir involontairement parodique et par ne rien raconter du tout. Tout d’abord, si quelqu’un a compris quoi que ce soit à l’intrigue, aux motivations des différents protagonistes, à ce qu’ils cherchent à accomplir au-delà du vague poncif de la conquête du monde et à leurs histoires personnelles : félicitations. Sincèrement. Personnellement, j’avais déjà lâché l’affaire bien des heures avant une cinématique de fin à laquelle je n’ai – et j’ai quelque honte à l’avouer – strictement rien compris d’un bout à l’autre.

À force de délivrer des interprétations contraires et des explications ésotériques via des dialogues qui se veulent profonds mais le sont à peu près autant que les discussion météorologiques des petites vieilles en bas de l’escalier, le titre donne parfois la cruelle impression d’être en train de participer à un sketch des Inconnus de type Ça te barbera. C’est presque un exercice de style dans l’art de ne strictement rien dire avec des airs pénétrés et de grands effets dramatiques, tout en laissant au joueur le sentiment d’être un peu con pour avoir échoué à saisir les mille-et-une subtilités qui étaient cachées là, secrètement, en interprétant bien toutes les significations insoupçonnées de phrases comme « passe-moi le sel, Rosenkrantz » – car oui, autant balancer des noms tirés tout droit d’Hamlet, ça nourrira bien les prétentions intellectuelles de la chose. Excusez-moi, hein, je ne suis qu’un modeste écrivain bac+5, je n’ai sans doute pas les armes pour saisir tout le génie de l’histoire – mais je serais quand même curieux d’entendre les interprétations des passionnés qui seront parvenus à tirer quoi que ce soit de ce gloubiboulga.

Au-delà de ces quelques appréciations fatalement subjectives (aurez-vous saisi que l’intrigue du jeu n’a causé en moi qu’un profond ennui qui m’aura souvent poussé à lutter pour ne pas interrompre les cinématiques ?), le sentiment dominant reste celui d’un jeu avec énormément de qualités, mais qui pouvait difficilement espérer rencontrer le succès sous cette forme. « Profond » ne doit pas automatiquement signifier « inutilement complexe », « exigeant » n’est pas forcément le synonyme de « punitif », et « monde ouvert » gagnerait à ne pas se traduire par « allées-et-venues laborieuses entre des points de sauvegarde souvent placés à des kilomètres les uns des autres ».

C’est clairement un titre qui ne fait absolument rien pour mettre le néophyte à l’aise, et son scénario n’étant pas plus accessible que le reste du game design, on comprend tout à la fois qu’il ait été boudé par les masses et qu’il soit parvenu à fédérer une communauté restreinte qui apprécie son absence totale de compromis. C’est un logiciel qui peut agripper un certain type de public de la même manière qu’un Hearts of Iron agrippe un fan de stratégie de pointe : si ça « clique », c’est le coup de foudre. En revanche, il y a fort à parier que le joueur lambda venu avec l’aspiration de découvrir un titre plus conventionnel risque de déchanter lors des premiers pics de difficulté, tant il y a un véritable investissement à fournir pour espérer profiter de ce que l’expérience a à offrir. Avec le recul, c’était assez culotté de la part de Square d’espérer un succès international pour un OVNI aussi atypique, aussi difficile à aborder et aussi exigeant. Mais hé, quand on voit le succès de la série des Dark Souls, on se dit que sur ce coup, le studio japonais a peut-être eu un tout petit peu trop d’avance.

Vidéo – Quinze minutes de jeu :

NOTE FINALE : 16,5/20

À la fois célébré par la presse et boudé par les joueurs à sa sortie, Vagrant Story est un animal étrange, un improbable melting pot d'idées et d'influences qui en font aujourd'hui encore un des titres les plus difficiles à classer au sein de la production de Square Soft. Mélange d'action-RPG et de dungeon crawler saupoudré d'artisanat et de mécanismes originaux, le logiciel fascine par sa réalisation sublime autant qu'il intrigue par son scénario pour le moins confus, avant de placer le joueur face à un gameplay exigeant, un difficulté frustrante et un déroulement qui côtoie un peu trop le fastidieux à force de multiplier le backtracking, les allées-et-venues sans aucune direction claire et les errances sans jamais la plus minime manifestation d'un objectif. La qualité objective du système de jeu ne suffira pas nécessairement à captiver les joueurs laissés sur le carreau par une intrigue incompréhensible, une mise en scène minimaliste et une surabondance de combats basés sur le timing autant que sur l'équipement, mais il y a indéniablement un jeu très prenant qui peut se révéler derrière d'inutiles couches de lourdeurs et quelques maladresses. Un jeu de niche par excellence au bide commercial finalement assez logique mais qui mérite aujourd'hui de rencontrer le public auquel il se destine.


CE QUI A MAL VIEILLI :

– Une difficulté qui ne pardonne pas
– Énormément d'allées-et-venues dans un univers labyrinthique où les points de sauvegarde sont souvent très éloignés les uns des autres...
– ...et où il est impossible de se téléporter avant la deuxième moitié du jeu
– Un système d'artisanat bien conçu mais inutilement pénalisé par un inventaire à la taille extrêmement restreinte...
– ...et des manipulations alourdies par des temps de chargement à rallonge à chaque accès à la carte mémoire
– Une surabondance de souterrains qui se ressemblent tous, avec très peu d'extérieurs
– Des combats qui reposent sur un timing extrêmement précis
– Un scénario qui, à force de se vouloir profond et cryptique, finit par ne rien raconter du tout

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Vagrant Story sur un écran cathodique :

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