Développeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Éditeur : LucasArts Entertainment Company LLC
Testé sur : PC (DOS) & Macintosh
Disponible sur : Windows (XP, Vista, 7, 8, 10), Linux (Ubuntu 14.04, Ubuntu 16.04, Ubuntu 18.04), Mac OS X (10.7.0+)
En vente sur : Gog.com (Linux, Mac, Windows), Steam.com (Mac, Windows)
Version PC (DOS) & Macintosh
Date de sortie : Décembre 1995 (version PC) – Août 1996 (version Macintosh) |
Nombre de joueurs : 1 |
Langues : Allemand, anglais, français (version française intégrale) |
Supports : CD-ROM, dématérialisé |
Contrôleurs : Clavier, joystick, souris (version PC) – Clavier, souris (version Macintosh) |
Version testée : Version dématérialisée française émulée sous ScummVM |
Configuration minimale : Version PC : Processeur : Intel i486 DX2 – OS : PC/MS-DOS 6.0 – RAM : 8Mo – Vitesse lecteur CD-ROM : 2X (300ko/s) Modes graphiques supportés : Vesa, VGA Cartes sonores supportées : Ensoniq Soundscape, General MIDI, Gravis UltraSound/ACE, Pro Audio Spectrum, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro/16/AWE32 Version Macintosh : Processeur : Motorola 68040 – OS : System 7.1 – RAM : 8Mo – Vitesse lecteur CD-ROM : 2X (300ko/s) |
Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :
S’il est un nom qui demeure, encore aujourd’hui, associé à l’âge d’or du point-and-click, c’est bien celui des studios LucasArts. Difficile de rencontrer un amateur de jeu d’aventure dans les années 90 sans que celui-ci vous ait fatalement évoqué un des titres de la firme, de Secret of Monkey Island à Sam & Max : Hit the Road en passant par le grandiose Day of the Tentacle.
Imaginez à présent qu’à l’époque où Lucasfilm Games commençait juste à asseoir sa réputation dans le monde du jeu vidéo (en octobre 1989, pour être plus précis) un certain Steven Spielberg ait confié à Noah Falstein, un des plus anciens programmeurs de la firme, un scénario alors trop couteux pour être adapté en film (ou en épisode de la série Amazing Stories qu’il avait vendue à NBC et qui n’aura jamais rencontré le succès espéré). Propulsé par un réalisateur alors ironiquement bien plus intéressé par le medium du jeu vidéo que ne l’était George Lucas, le récit mettant en scène des archéologues sur un monde extraterrestre inspiré à la fois de Planète Interdite et de Le Trésor de la Sierra Madre mettra au final pas moins de six ans à voir le jour. Une très longue gestation qui aboutira au titre qui nous intéresse aujourd’hui : The Dig.
Entretemps, le projet sera passé entre de nombreuses mains, aura changé de nombreuses fois de scénario, et même de concept – et la participation originellement enthousiasmante de Spielberg et de George Lucas se sera révélée à double-tranchant, les deux hommes étant indéniablement de grands réalisateurs mais absolument pas des game designers. Après un premier document de design, Falstein aura été débarqué du projet en 1991 pour aller aider Hal Barwood avec Indiana Jones and the Fate of Atlantis, projet au terme duquel… il finira viré. Passé entre les mains de Brian Moriarty, papa de Loom, le concept original aura purement et simplement fini à la poubelle pour devenir un projet encore plus ambitieux nécessitant le développement d’un nouveau moteur.
Si les bases de l’histoire étaient déjà présentes, le titre se voulait alors assez éloigné de la philosophie maison, avec notamment des morts très violentes pour certains des personnages – mais une très mauvaise ambiance au sein de l’équipe alliée à des coûts trop importants sonnèrent le glas de cette nouvelle approche tandis que Moriarty quittait LucasArts à son tour, et la caution apportée par Spielberg et Lucas commençait à ressembler de plus en plus à une pression trop lourde à porter plutôt qu’à une bénédiction. Devenue une patate chaude passée à Hal Barwood, puis à Dave Grossman, The Dig finira entre les mains de Sean Clark qui, dépité par l’état du programme, proposera son annulation. Une idée qui n’emballait personne du côté de la direction, et pour cause : on n’abandonnait pas un jeu avec des noms aussi prestigieux que ceux des pères de Star Wars et d’E.T. au générique. Clark retroussa donc ses manches, retourna au moteur SCUMM en coupant tout ce qui pouvait poser problème et s’attela à offrir enfin ce jeu que tout le monde attendait depuis six ans. Et lui et son équipe s’en seront plutôt bien sortis, les bougres.
Le point de départ de The Dig est narré dans la (très jolie) introduction visible ci-dessus : dans un futur proche, l’observatoire spatial de Bornéo repère un astéroïde engagé sur un trajectoire qui le conduira tout droit à une collision avec la terre. Montée en moins de trois semaines, une opération menée par le commandant Boston Low – que vous allez incarner pendant le jeu – partira sur la surface du mégalithe, poétiquement surnommé « Attila », afin d’y placer des charges nucléaires. Boston sera pour cela accompagné d’une journaliste américaine, Maggie Robbins, et d’un géologue allemand, Ludger Brink.
Pour ceux qui auraient peur – et on les comprend – de se retrouver propulsé dans un nanar de type Armageddon, rappelons que le film de Michael Bay n’existait pas encore en 1995, et que s’occuper de l’astéroïde ne représentera, en fait, que les premières minutes de jeu. Une suite d’événements va en effet amener nos trois héros à découvrir qu’Attila est un moyen de passage vers une autre planète, où ils vont donc se trouver coupés de tout, sans eau ni vivres, à tâcher de trouver un moyen de retourner sur Terre. Pour cela, ils devront également s’inquiéter du sort de la race extraterrestre qui leur aura valu de terminer ici, car en l’absence de comité d’accueil lors de l’arrivée sur la planète inconnue, l’évidence ne tardera pas à se manifester : l’endroit semble désert depuis des siècles. À moins que ces émanations spectrales qui se manifestent de temps à autre ne soient en réalité douées d’intelligence et ne cherchent à vous dire quelque chose, ou à vous mener quelque part…
Voici donc le réel cœur du jeu : trois personnages abandonnés sur une planète inconnue, et menant leur enquête au milieu des ruines tout en cherchant à survivre – et à comprendre le sort de leurs mystérieux hôtes. Bien évidemment, vos trois héros, un peu pris de court par la situation, ne vont pas tarder à afficher leurs divergences sur la conduite à adopter, et l’appréhension initiale laissera rapidement la place à des tensions, voire à des déchirements. Et ce sera naturellement à vous, Boston Low, en charge de l’équipe, de vous efforcer de mener votre mission à bien en ramenant tout le monde sur Terre – en vie.
D’entrée de jeu, il serait criminel de parler de The Dig sans évoquer immédiatement son quatrième personnage principal : la planète sur laquelle vous allez passer l’essentiel du jeu. À ce titre, sélectionner les captures d’écran qui accompagnent ce test aura été une vraie torture, tant la direction artistique du jeu côtoie continuellement le merveilleux. Baignés d’une lumière qui évoque une sorte de crépuscule permanent, avec des ombres froides et des lumières chaudes, les décors du jeu sont sans aucun doute parmi les plus fabuleux jamais créés en VGA. L’ambiance est absolument enchanteresse, et en même temps partiellement mélancolique, tant chaque pierre tombée semble rapprocher ce lieu abandonné d’une très ancienne nécropole.
Les dizaines d’écrans présentant les cinq pics qui s’élèvent autour de l’île centrale sur laquelle vous commencez le jeu sont souvent de véritables œuvres d’art, encore magnifiées par ces animations vous dévoilant parfois des créatures volantes s’ébattant au loin ou les rides couvrant la surface de l’eau. Pour peu que vous mordiez à la « patte » graphique du jeu, le dépaysement est total, évoquant à ce titre les meilleurs moments de jeux comme la série des Myst, et vous donne réellement le sentiment de parcourir une planète étrangère – au point de vous attacher à certains lieux et même, bêtement, de rester à regarder le paysage. Bien sûr, impossible d’évoquer l’ambiance si particulière du titre sans faire mention de la BO absolument irréprochable composée par Michael Land, qui livre des compositions tantôt planantes, tantôt chargées de nostalgie, puisant son inspiration autant dans Wagner que dans Vangelis, et qui tirent pleinement parti du support CD. Le seul regret de ce côté est qu’elle reste malgré tout relativement convenue comparée aux thèmes plus atmosphériques audibles dans la démo du jeu, diffusée quelques mois auparavant (et que vous pourrez admirer à cette adresse).
Pour ce qui est de l’aventure proprement dite, vous serez donc exclusivement aux commandes de Boston Low pendant la totalité du jeu, accompagné selon les circonstances d’un de vos compagnons ou des deux à la fois. En cas de séparation, le jeu met de toute façon à votre disposition un appareil pour converser à distance – et comprenant également un petit jeu visant à poser un module sur la surface lunaire, le genre de détails que les joueurs apprécieront. L’interface est d’une limpidité absolue : pas de verbes, pas de ligne de commande, juste un curseur a amener sur les éléments qui vous intéressent, et un inventaire matérialisé par une petite icône en bas à gauche.
On pourrait penser que cette jouabilité épurée à l’extrême – alliée à l’impossibilité de mourir ou d’être bloqué – rendrait le jeu beaucoup trop simple, mais The Dig ne reproduit heureusement pas l’erreur de Full Throttle, et propose à la fois quelques énigmes bien retorses et une durée de vie plus qu’honorable – comptez entre dix et quinze heures pour votre première partie. Pour le reste, on appréciera la qualité d’écriture du jeu – rien de surprenant lorsque l’on sait qu’Orson Scott Card a participé une nouvelle fois à la conception des dialogues – et la façon très intelligente dont le jeu laisse grandir la tension et s’installer les questions en vous confiant le sort des héros malgré eux de ce Lost avant l’heure.
On pourra d’ailleurs regretter, à ce titre, les quelques faiblesses du jeu – largement imputables, sans surprise, à son développement chaotique. Tout d’abord, même si le logiciel prend parfaitement le temps d’installer son atmosphère et de ne pas vous précipiter sur une planète inconnue au bout de vingt secondes, on pourra également le trouver un peu bavard, surtout dans les premières minutes. Quand on est un joueur en train de trépigner à l’idée de découvrir une vie extraterrestre ou de sauver la terre, on a parfois envie de dire aux personnages en train de commenter l’évidence qu’ils pourraient se dépêcher un peu, en grands spécialistes qu’ils sont censés être, de valider ce que nous avions nous-même parfaitement compris une demi-minute avant eux.
Ensuite, les personnages restent très largement archétypaux, et même si certaines interactions entre eux fonctionnent à merveille, on regrettera les poncifs qui veulent que la journaliste soit obligatoirement une grande gueule et que l’allemand soit un psychorigide avec un accent à couper au couteau – ça ne les rend pas moins attachants, mais on aurait quand même apprécié que le jeu puisse, dans ce domaine, rivaliser avec des titres comme Gabriel Knight. Enfin, la fin du jeu tire un peu trop du côté du happy end forcé, avec une morale très américaine fortement chargée en bons sentiments qui tombe un peu à plat après l’ambiance plus onirique du reste du jeu. Cela ne suffit certainement pas à priver The Dig de son statut d’excellent jeu, mais cela sonne comme une série de fausses notes assez dispensables dans une symphonie qui avait pratiquement réussi à nous envouter depuis l’ouverture jusqu’au dernier mouvement.
Une dernière partie pour évoquer la VF, à présent. Tout d’abord, précisons que le jeu est sorti en deux versions : une avec les voix anglaises et les textes français, et une autre, un peu plus tard, avec un doublage intégral dans la langue de Molière. La première version fera le bonheur des puristes, qui profiteront à ce titre d’une traduction absolument irréprochable. La deuxième, pour sa part, fait appel à un doublage professionnel, où on sera notamment heureux de retrouver l’excellent Patrick Poivey (la voix française de Bruce Willis) dans le rôle de Boston Low. Cette VF intégrale, globalement d’une très bonne qualité, souffre néanmoins de plusieurs errances qui la rendent, à mes yeux, inférieure à la VO, et voici lesquelles :
– Tout d’abord, si on sera heureux de voir que la synchronisation labiale est enfin respectée – une tare qui avait empoisonné les cinématiques de Full Throttle ou de Dark Forces, par exemple – les personnages parlant hors cadre n’ont, pour leur part, pas vus leur interventions chronométrées. Concrètement, cela veut dire qu’au cours des cinématiques, un personnage commence parfois une phrase alors qu’il n’a pas encore terminé la précédente, ce qui donne une bouillie sonore ou un acteur se coupe la parole à lui-même – un phénomène que vous pourrez notamment entendre à la fin de l’introduction. Même si cela se cantonne aux cinématiques, cela casse quand même un tantinet l’ambiance.
– Ensuite, si on a évoqué la qualité du jeu de Patrick Poivey, les performances de la doubleuse de Maggie Robbins (dont je n’ai hélas pas retrouvé le nom) et du doubleur de Ludger Brink (il m’a semblé reconnaitre Jean-Claude Donda) sont un peu moins convaincantes, pour des raisons différentes. L’actrice en charge de Maggie évolue, le plus souvent, dans un sous-jeu qui, sans être catastrophique, affadit dramatiquement son personnage – elle dispose à ce titre d’une excuse, j’y reviendrai dans le dernier point. Quant à Ludger, plus que son jeu, on lui reprochera surtout cet accent allemand hyper-caricatural à la Papa Schultz.
– Dernier point : On sent très bien que toutes les phrases de la VF ont été enregistrées en une prise. Patrick Poivey et les autres ont beau être de très grands professionnels, on entend parfaitement, à l’occasion, qu’ils découvrent les phrases en même temps qu’ils les lisent, ce qui engendre parfois un décalage assez navrant entre leurs intonations et la situation à l’écran – notamment quand ils devisent avec légèreté lors d’une scène où ils sont censés être choqués et traumatisés. Des détails mais qui, accumulés, privent cette VF du statut d’incontournable auquel elle avait pourtant les moyens de prétendre.
Vidéo – Les quinze premières minutes du jeu :
NOTE FINALE : 18/20 Dépaysant, prenant – envoutant, même – The Dig est un voyage marquant, une véritable expédition en terre inconnue qui nous dévoile ce que le jeu d'aventure peut avoir de plus magique dans sa narration et dans sa capacité à créer une atmosphère. Succès critique et commercial portant dans sa chair à la fois les forces et les faiblesses d'une philosophie à la Spielberg, il reste encore aujourd'hui un point-and-click d'une rare ambition capable de vous transporter, pour une quinzaine d'heures, sur une planète que vous n'oublierez pas. Tout juste lui reprochera-t-on quelques lenteurs dommageables, une VF réalisée un peu trop vite, et une fin trop heureuse pour être honnête. CE QUI A MAL VIEILLI : – Si trois personnes vont sauver le monde, il faut bien sûr qu'il y ait au moins deux américains – Entre l'histoire de l'astéroïde qui va détruire la Terre et la voix de Bruce Willis, difficile de ne pas repenser à ce nanar insondable qu'est Armageddon – Les codes à base de formes géométriques, c'est marrant une fois, moins la dixième
Bonus – Ce à quoi peut ressembler The Dig sur un écran cathodique :
Les avis de l’époque :
« LucasArts nous prouve avec The Dig qu’il reste l’un des grands du jeu d’aventure. Durée de vie très honnête, réalisation classique mais efficace, scénario fascinant et interface de jeu parfaite, aucune fausse note à part une boîte de dialogues trop simplifiée et une aventure linéaire. »
Thierry Falcoz, Génération 4 n°83, décembre 1995, 5/6