Homeworld

Développeur : Relic Entertainment Inc
Éditeur : Sierra On-Line, Inc.
Titre alternatif : Spaghetti Ball (titre de travail)
Testé sur : PC (Windows 9x)
Figure au sein des compilations :

  • Homeworld Universe (2001 – Windows)
  • 10 Spiele-Hits Vol. 2 (2004 – Windows)

Le remaster du jeu : Homeworld : Remastered Collection (2015 – MacOS, Windows)
En vente sur : GOG.com (Windows) – Steam.com (MacOS, Windows)

La licence Homeworld (jusqu’à 2000) :

  1. Homeworld (1999)
  2. Homeworld : Cataclysm (2000)

Version PC (Windows 9x)

Date de sortie : 28 septembre 1999 (Amérique du Nord) – Octobre 1999 (Europe)
Nombre de joueurs : 1 à 4 (via internet, modem ou réseau local)
Langues : Allemand, anglais, chinois, espagnol, français, italien, polonais
Supports : CD-ROM, dématérialisé
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version CD-ROM testée sous Windows 10
Configuration minimale : Processeur : Intel Pentium 200MHz – OS : Windows 95 – RAM : 32Mo – vitesse lecteur CD-ROM : 4X (600ko/s)
Configuration graphique : DirectX : 6.1 – API : Direct3D, Glide – Résolutions supportées : de 640×480 à 1600×1200
Configuration sonore : DirectSound3D, Dolby Surround, EAX

Il se sera produit vers la fin des années 90 un événement a priori peu spectaculaire, mais qui pourrait servir à définir à lui seul la transition vers ce qu’on qualifierait de « jeu vidéo moderne » : le moment où les différents genre vidéoludiques auront commencé à sortir de leur case pour devenir de plus en plus perméables entre eux. Certes, dans l’absolu, associer des mécanismes et des gameplays issus de différents genre n’étais pas une nouveauté en soi : on se souvient que des studios comme Cinemaware en avaient fait leur marque de fabrique en mêlant aventure, action et mise en scène – mais le résultat tenait davantage du collage que de l’amalgame et a souvent assez mal vieilli aujourd’hui faute de matière et de cohérence pour lier les éléments entre eux.

Mais voilà que tout à coup, le « jeu d’aventure » n’était plus nécessairement un point-and-click et pouvait se vivre à travers le prisme de l’action, comme dans Flashback ou Tomb Raider, voilà que le scénario et la mise en scène devenaient des éléments centraux même dans des genres où ils avaient jusqu’alors été largement laissés de côté, comme la stratégie : Starcraft offrait une campagne passionnante à suivre avec ses personnages charismatiques et ses retournements plutôt que d’empiler les briefings ; quant à Half-Life, il était la cinématique : le joueur vivait la mise en scène à la première personne en en étant acteur, via des scripts. Et avant qu’on ne commence à glisser des mécanismes de jeu de rôle ou des arbres de compétences un peu partout, le tout premier jeu d’un tout jeune studio baptisé Relic Entertainment sera venu dynamiter, à sa façon, le modèle déjà fermement établi de la stratégie en temps réel. Pas tellement par le biais des mécanismes en eux-mêmes, comme l’avait fait par exemple un Total Annihilation deux ans plus tôt, mais plutôt en étant un peu plus qu’un jeu de stratégie : Homeworld était une expérience. Et celle-ci aura fait beaucoup de bruit à sa sortie.

Tout commence par une découverte : celle, dans le grand désert de la planète Kharak, d’un vaisseau spatial technologiquement avancé visiblement écrasé là depuis des siècles. L’événement aurait déjà été historique s’il n’avait pas été accompagné d’une révélation plus frappante encore : à l’intérieur du vaisseau se trouvait une pierre avec une carte galactique et surtout une inscription dans –votre– langue : « Igaara » : « Mère ».

Rapidement transfigurée par l’idée que Kharak n’est en réalité pas son monde natal, la civilisation du jeu (il est possible de choisir entre deux races qui ne varient que par l’esthétique de leurs unités) se met alors en tête d’utiliser la technologie du voyage hyperspatial ainsi révélée pour bâtir un gigantesque vaisseau-mère dont le rôle sera de rejoindre la lointaine Igaara, à l’autre bout de la galaxie. Le voyage d’inauguration va hélas rapidement tourner court : une funeste découverte va transformer l’expédition en une fuite en avant de la dernière chance, avec rien de moins que la survie de tout votre peuple en équilibre dans la balance. Avec, face à vous, un puissant empire bien déterminé à vous exterminer, et peu d’alliés à espérer. Du moins au début…

Homeworld prend donc le temps d’installer son récit – comme il prendra le temps de le faire vivre via des scènes cinématiques pendant et entre les seize missions du jeu. Le scénario, finalement assez simple, est néanmoins magnifié par un élément qui se révèle dès les premières secondes de jeu : l’atmosphère. Alors que le jeu aurait pu opter pour une ambiance belliqueuse avec des sonorités agressives, il choisit au contraire d’installer ses premiers instants avec les chœurs de l’Agnus Dei de Samuel Barber en fond sonore, installant d’entrée une forme de gravité et de mélancolie qui laissera la place, par la suite, à des mélodies planantes et à des sonorités plus exotiques.

Ce simple détail aide à donner l’impulsion au voyage qui va être le cœur du jeu en lui conférant immédiatement une portée grandiose, comme si le joueur portait avec lui les rêves d’avenir de toute une planète – lesquels ne deviendront que plus lourds à assumer lorsque la tragédie commencera à se mettre en place. Cette immersion est également permise par un autre élément qui n’avait que très peu été utilisé dans la stratégie jusqu’alors : la troisième dimension. Car loin de vivre la partie depuis une vue de dessus, comme un général au-dessus d’une abstraite carte d’état-major, le joueur déplace une caméra directement à l’intérieur de l’espace du jeu, vivant tous les événements à la première personne, pouvant choisir de plonger au cœur des combats ou, au contraire, de prendre la distance nécessaire pour juger de la situation, le tout d’un simple mouvement de la molette de souris. Cette liberté inhabituelle transforme ce qui n’aurait pu être qu’un terrain de jeu abstrait en un cadre formidablement immersif, un univers sans frontière aux dimensions agoraphobes où la menace peut littéralement venir de n’importe où.

C’est d’ailleurs, du côté des mécanismes cette fois, une des rares innovations réelles du jeu : le fait de composer avec un espace en trois dimensions qui signifie qu’une offensive peut également intervenir par au-dessus ou par en-dessous. Très honnêtement, cela n’a que peu d’impact sur les stratégies en elles-mêmes, des détecteurs de proximité ayant tendance à empêcher toute forme d’attaque-surprise, mais cela vient encore ajouter une subtilité supplémentaire à une approche autrement relativement classique (collecte de ressources via des appareils dédiés et construction à votre vaisseau-mère qui fait office de base) avec quelques adaptations.

Ainsi, il n’y a pas de bâtiments à construire à proprement parler puisque toute votre « base » est représentée par le vaisseau-mère, et s’il est possible de faire des recherches pour débloquer de nouvelles technologies – et, à travers elles, de nouvelles unités, depuis les basiques chasseurs jusqu’à de gigantesques croiseurs et à des dispositifs de camouflage ou même des poseurs de mines –, celles-ci sont en fait débloquées au fur-et-à-mesure de la campagne, rendant finalement la progression tout aussi linéaire que dans les autres standards du genre. En revanche, le jeu reprend également une idée déjà employés dans des jeux de stratégie ayant volontairement mis de côté une large partie de l’aspect gestion, comme Warhammer : Dans l’ombre du rat cornu : au lieu de débuter chaque mission avec un effectif et des moyens donnés, vous conservez vos unités et vos ressources d’un niveau à l’autre. Ce qui signifie qu’une mission difficilement remportée peut vous placer dans une situation critique pour la suite de la campagne et vous obliger à la recommencer – voire à revenir plusieurs niveaux en arrière pour vous efforcer de revenir à la tête de forces plus conséquentes. Le jeu a fort heureusement la bonne idée d’offrir une sauvegarde automatique différenciée au début de chaque nouvelle mission, ce qui autorisera même les joueurs distraits à retenter leur chance sans avoir à recommencer la campagne depuis le début.

On appréciera d’ailleurs la grande variété d’options de confort qui permettent de se concentrer sur la stratégie en elle-même en limitant la micro-gestion au minimum.

Vos unités peuvent adopter toute une série de formations leur permettant de se déplacer à la même vitesse, et sachant qu’il est possible de leur donner des ordres précis (escorter ou soigner, par exemple) touchant toute une sélection plutôt qu’un élément isolé, on peut facilement organiser une armée complexe avec des corvettes disposées en escorte autour des bâtiments lourds et des unités d’assistance mobilisées en permanence pour réparer les vaisseaux endommagés sans avoir à passer son temps à transiter d’un groupe à l’autre pour donner des ordres à tout le monde dans le feu de l’action. La jouabilité est merveilleusement efficace et ne donne pas le sentiment de consacrer l’essentiel de son énergie à palier à la stupidité de ses propres troupes comme c’était encore trop souvent le cas dans la stratégie en temps réel jusqu’alors : ici, un peu d’organisation peut faire des miracles et permettre de se concentrer sur la partie intéressante plutôt que de marteler la souris à raisons de deux-cents clics par minute pour espérer prendre son ennemi de vitesse.

Le rythme du jeu est d’ailleurs à la fois la grande force et la grande faiblesse de l’expérience. L’univers, c’est très grand, et s’y déplacer prend beaucoup de temps ; si cela impose un rythme relativement contemplatif qui offre le temps de réfléchir et correspond à merveille à l’ambiance planante et souvent mélancolique de la campagne, on pourra regretter l’absence d’une fonction pour accélérer le passage du temps, particulièrement en fin de mission, lorsque tout ce qu’il reste à faire est d’aller collecter les ressources disponibles – ce que vous aurez tout intérêt à faire, comme on l’a vu, ces ressources risquant de faire toute la différence à la mission suivante –, et qu’il faut parfois attendre une bonne demi-heure pour que vos collecteurs terminent leur moisson !

Un aspect inutilement chronophage qui rend l’expérience multijoueur (contre des humains ou contre l’ordinateur) nettement moins prenante que la campagne, dont le mécanisme de développement sur la durée est précisément l’une des grandes forces. Les premières missions peuvent vite se montrer délicates – précisément à cause de la faiblesse de vos vos forces à ce stade –, et les joueurs les plus adroits sauront tirer avantage des capacités des moindres de leurs unités – à commencer par la faculté de capture des unités adverses des corvettes de récupération, hélas extrêmement fragiles – pour se composer rapidement une armée apte à faire face à n’importe quoi. Et mieux vaudra diversifier ses troupes, sans quoi le programme prendra systématiquement le moyen de vous le faire payer : Vous avez une puissante force de destroyers et de frégates ? Ah, dommage, vous tomber sur un vaisseau qui peut prendre le contrôle de toutes les unités lourdes qui passent à sa portée : j’espère que vous avez gardé assez de ressources pour construire une solide force de chasseurs et de corvettes ! Ici, une supernova blessera vos unités tant qu’elles ne seront pas à l’abri d’un champ d’astéroïdes. Parfois, ce sera l’épreuve de force pure : l’ennemi déploiera très vite des unités très puissantes, et soit vous aurez les forces nécessaires pour y faire face, soit vous irez vers une défaite cuisante. Et si votre collecteur est détruit, pas question ici de s’en voir attribuer magiquement un autre : soit vous aurez assez de ressources pour en construire un nouveau (et ces bestiaux coûtent cher !), soit vous en serez quitte pour recharger votre partie tant vos chances de survie viendront d’être réduites à néant… Dans l’ensemble, le jeu n’est néanmoins pas aussi difficile qu’il peut le laisser penser lors des premières parties, et les joueurs prêts à recommencer les missions les plus exigeantes afin de s’assurer de les terminer avec le moins de pertes possible ne devraient pas avoir trop de mal à arriver au terme de l’aventure – et de se voir récompensés par un morceau du groupe de rock alternatif Yes composé spécialement pour l’occasion.

Il en résulte un titre qui parvient à être davantage que la somme de ses parts : Homeworld est certes un très bon jeu de stratégie à peine handicapé par ses quelques longueurs, mais il offre aussi et surtout un point de vue vraiment innovant sur l’immersion du joueur, partie intégrante d’un univers pour lequel on finit fatalement par éprouver une forme d’attachement en dépit de l’absence de réels personnages marquants : le héros, ici, est précisément ce vide intersidéral qui se peuple progressivement de teintes de plus en plus lumineuses et de plus en plus chaudes tandis que l’on approche de la résolution d’une crise dont l’enjeu n’est rien de moins que la survie de tout un peuple face à un génocide.

Homeworld est un titre qui se vit comme se vivaient avant lui Another World ou Half-Life : en ne se sentant jamais extérieur à ce qui est en train de se passer à l’écran. Un accomplissement qui lui aura à la fois valu un plébiscite critique à sa sortie et un accueil suffisamment enthousiaste des joueurs pour initier une licence toujours en vie de nos jours (Homeworld 3, par exemple, ne remonte qu’à 2024), et qui permet au titre de se laisser découvrir, aujourd’hui encore, avec un plaisir certain pour peu que vous adhériez à toute l’expérience. N’hésitez pas à franchir le pas : si la magie opère, vous pourriez pas participer à un voyage dont vous vous souviendrez longtemps.

Vidéo – L’introduction et la première mission du jeu :

Note : Le remaster du jeu proposé à la vente depuis 2015 propose une version « Classic » permettant théoriquement de reproduire l’expérience originelle parue en 1999. Fuyez-la à tout prix : dans les faits, cette version souffre de gros problèmes d’I.A. qui rendent le jeu proprement injouable, avec des unités qui passent leur temps à se rentrer dedans, des corvettes incapables de ramener les unités capturées jusqu’au vaisseau-mère ou des adversaires kamikazes qui foncent sur votre vaisseau-mère avec des unités lourdes. Les voix françaises en sont également absentes.

NOTE FINALE : 18/20

Homeworld est un jeu de stratégie en temps réel très efficace mettant en place plusieurs mécanismes originaux au fil d'une campagne au long cours qui oblige le joueur à s'organiser sur la durée ; cependant, le réduire à cela revient à échouer à cerner tout ce qui fait l'unicité de son expérience, un peu comme de décrire Another World comme un jeu de plateforme ou Captain Blood comme une simulation d'atterrissage. Le titre de Relic Entertainment repose en effet sur une atmosphère véhiculée par toutes ses composantes, depuis sa musique planante aux accents mélancoliques jusqu'à son rythme volontairement lent, pour mieux figurer ce qu'est l'idée centrale de son propos : un long voyage de retour. Les quelques rares faiblesses du gameplay s'effacent rapidement pour s'engager dans un chemin que Starcraft, a sa façon, avait inauguré un an plus tôt : autant qu'un STR, Homeworld est une aventure, un récit aux accents oniriques chargé d'une émotion particulière qui magnifie son cadre. Le genre de jeu qui gagne a être joué tard le soir, dans le noir, pour se laisser partir dans un univers sans limite afin d'aider un peuple en détresse à survivre à un génocide. Comment refuser ?

CE QUI A MAL VIEILLI :

– Des fins de mission qui peuvent s'éterniser si on prend le temps de collecter les ressources disponibles...
– ...d'autant qu'il n'existe aucune option pour accélérer le passage du temps
– Une campagne sur la durée qui fait qu'il faudra parfois revenir plusieurs niveaux en arrière pour espérer retourner une situation mal engagée

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Homeworld sur un écran cathodique :

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