Développeur : SEGA Enterprises Ltd.
Éditeur : SEGA Enterprises Ltd.
Titre original : 新説夢見館 扉の奥に誰かが… (Shinsetsu Yumemi Yakata : Tobira no Oku ni Dareka ga…, Japon)
Titres alternatifs : The Mansion of Hidden Souls (États-Unis), Mystery Mansion : Das Haus der verlorenen Seelen (Allemagne), La Mansión de las Almas Ocultas (Espagne)
Testé sur : Saturn
La série Mystery Mansion (jusqu’à 2000) :
- Yumemi : Mystery Mansion (1993)
- Le Manoir des Âmes Perdues (1994)
- Ge _Kka _Mu _Gen _Tan : Torico (1996)
Version Saturn
Date de sortie : 2 décembre 1994 (Japon) – 1995 (reste du monde) |
Nombre de joueurs : 1 |
Langues : Allemand, anglais, espagnol, français (version française intégrale), japonais |
Support : CD-ROM |
Contrôleur : Joypad |
Version testée : Version française |
Spécificités techniques : Système de sauvegarde par mémoire interne ou par carte mémoire |
Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu :
L’élément-clef au moment d’espérer vendre une console aux joueurs, ce sont les jeux. Une constatation qui pourrait paraître évidente, mais qui n’aura visiblement jamais été totalement intégrée par SEGA, grand spécialiste mondial des lancements ratés aux line-up faméliques. Pour la défense de la compagnie japonaise, il est arrivé à bien d’autres qu’elles de lancer une machine sans une pléthore de grands jeux pour l’accompagner dans les semaines, voire dans les mois suivant sa sortie – et ce ne sont sans doute pas les possesseurs de PS5 ou de Xbox Series qui viendront dire le contraire…
Mais dans le cas de la Saturn, on pourrait disserter longuement de l’absence ô combien malvenue de Sonic au lancement (et, plus grave, de son absence tout court), et surtout du choix des exclusivités à mettre en avant pour vendre la machine. De toutes les licences 16 bits que SEGA aurait pu prolonger sur la nouvelle génération, ce fut ainsi l’assez confidentiel Yumemi : Mystery Mansion sur Mega-CD qui fut parmi les premiers titres à bénéficier d’une suite exclusive sur Saturn, avec pour le coup un investissement réel et une localisation dans plusieurs pays d’Europe avec traduction et doublage complet (le type de traitement dont on aurait aimé voir bénéficier tellement de jeux de rôles, Shining Force III en tête…). Ainsi la jeune 32 bits accueillit-elle Le Manoir des Âmes Perdues, un jeu d’aventure auquel SEGA croyait visiblement beaucoup, et je dois confesser d’entrée que je me demande encore pourquoi.
Premier imbroglio : le titre américain du jeu, identique à un article près à celui du premier épisode, aura conduit bien des joueurs et des journalistes de l’époque à penser que Le Manoir des Âmes Perdues était un simple remake du titre paru sur Mega-CD. Pour leur défense, bien que l’on se trouve en fait face à une suite, ce n’est pas immédiatement évident : on se retrouve en effet une nouvelle fois plongé dans un manoir perdu quelque part dans la forêt et dont la principale caractéristique est d’être peuplé par des papillons qui parlent.
Et histoire de bien enfoncer le clou, le manoir en question reprend très exactement le plan et l’esthétique du premier opus, seules quelques chambres ayant été modifiées – sachant que l’on parle d’une bâtisse comprenant en tout et pour tout neuf pièces plus le hall, on se surprend déjà à penser que l’équipe technique du jeu n’a pas dû se tuer à la tâche à aller récupérer les assets 3D du précédent épisode pour les afficher une nouvelle fois via des vidéos pré-calculées à peine plus belles qu’auparavant, le titre n’étant pas affiché en 3D temps réel comme on aurait pourtant pu s’y attendre.
L’intrigue, qui avait au moins le mérite d’être introduite (maladroitement) dans Yumemi : Mystery Mansion, part cette fois du principe que vous avez joué à l’épisode précédent (ce qui, vu ses ventes très confidentielles en occident, est déjà assez gonflé), en ne vous offrant aucune exposition ni aucune mise en contexte, et en vous larguant à l’entrée de la bâtisse sans la moindre idée de son histoire ni de ce que vous êtes censé y faire. En entrant dans la bonne pièce (ce qui sera le mécanisme essentiel du gameplay du jeu, mais nous y reviendrons), vous finirez par rencontrer l’ancien (maladroitement appelé « Elder », soit « ancien » en anglais, dans la VF), qui vous introduira les deux personnages que sont June (vous) et Mike avant de leur confier une mission visant à enquêter dans le manoir suite à un mauvais pressentiment de sa part causé par l’apparition d’une lune rouge. Une enquête qui devrait trouver sa résolution moins d’une heure plus tard, sans avoir jamais mis à contribution votre intellect d’une quelconque façon.
Comme pour le premier épisode, Le Manoir des Âmes Perdues n’est en effet pas tout-à-fait un jeu d’aventure au sens classique du terme : il n’y a pour ainsi dire aucune réelle « énigme » à l’intérieur. Votre « enquête » va en fait se limiter à visiter le manoir en allant parler à des personnages dont le visage apparaîtra alors en 3D (alors que ce sont censé être des papillons, mais on va dire que s’adresser à des faciès de lépidoptères en gros plan aurait sans doute été une expérience légèrement dérangeante), et votre seule interaction avec eux se limitera à deux mots, assignés chacun à un bouton du pad : « oui » et « non ».
Même quand ceux-ci vous posent une question ouverte, ce qui offre des moments assez malaisants où on se retrouve face à des dialogues surréalistes de type : « Comment allez vous ? – Oui. » Vous allez donc globalement passer une heure à écouter des personnages assez mal doublés vous raconter leur vie en quelques secondes, en menant une enquête ultra-guidée consistant à visiter toutes les pièces une par une jusqu’à ce que vous rencontriez quelqu’un ayant quelque chose à dire, collectant parfois occasionnellement un objet auquel vous pourrez accéder via l’inventaire et qu’on vous expliquera systématiquement quand utiliser. Autant dire qu’on se trouve ici davantage face à un récit interactif que face à un jeu à proprement parler. Ce qui aurait malgré tout pu être le gage d’un bon moment si le scénario s’était révélé prenant et bien mis en scène. Malheureusement, c’est magistralement raté.
Les jeux d’aventure commençaient à bénéficier, dans le courant des années 90, d’une qualité d’écriture qui signalait le passage à une certaine maturité – des titres comme The Beast Within étant largement à même de rivaliser avec de bons romans fantastiques ou policiers.
D’autres, comme Myst, étaient de véritable petits bijoux dans leur manière d’aborder la narration par l’exploration et par l’assemblage d’indices qui ne devenaient pertinents qu’à partir du moment où les joueurs étaient prêts à les voir. Autant dire qu’on on est très loin ici, où le récit cahote entre l’indigent, le grotesque, le convenu et le n’importe quoi (la séquence de fin, hallucinante). Très sincèrement, je me demande encore s’il m’était déjà arrivé d’être aussi profondément consterné par le déroulement d’une aventure au fil de la partie – au point de finir par me sentir insulté par l’extraordinaire bêtise de ce qui se déroulait sous mes yeux. Certes, Yumemi : Mystery Mansion ne transpirait déjà pas le génie à ce niveau, mais il parvenait au moins à entretenir une certaine curiosité de la part du joueur jusqu’à l’aboutissement du récit.
Ici, n’espérez absolument aucune forme de non-dit, de sous-entendu ou de finesse : à côté des dialogues débilitants du jeu qui auraient très bien pu être écrits par mon petit cousin de cinq ans, au milieu d’une intrigue si incroyablement dépourvue d’enjeux, d’épaisseur et de suspense qu’on pourrait la voir comme le fruit d’une improvisation menée au terme d’une soirée (trop) arrosée, même un jeu comme Dragon Lore donne la sensation de jouer à du Ingmar Bergman ! Sans même parler de chercher la plus infime cohérence : comment pouvez-vous avoir un inventaire, comment Mike a-t-il pu se voir prêter un livre, comment sa chambre a-t-elle pu être fouillée et ses meubles renversés alors que vous êtes tous des PAPILLONS qui ne devraient même pas avoir la capacité physique d’ouvrir les nombreuses portes du bâtiment ? Cela aurait encore fait sens dans le premier jeu, où vous incarniez un enfant, mais pour ce qui est d’avoir la moindre bribe d’explication ici, vous pourrez toujours compter sur LA solution du scénariste feignant: « c’est magique ! ».
Le tout n’est d’ailleurs pas aidé pas une version française mal traduite et très médiocrement jouée, mais même un travail de qualité n’aurait jamais réussi à sauver quoi-que-ce-soit parmi tant d’indigence. Je suis sûr qu’il doit exister quelque part sur Terre, comme c’est à peu près toujours le cas avec les œuvres indéfendables, des cercles secrets de défenseurs acharnés du titre prêts à m’expliquer avec des explications très élaborées que l’histoire du jeu révèle en fait un message extraordinairement profond sur le Japon d’après-guerre ou sur la condition humaine, mais à ceux-là je répondrai : on peut sans doute trouver des messages cachés derrière n’importe quel clip d’Arielle Dombasle, mais l’écriture, au bout d’un moment, c’est aussi un métier.
Et si jamais vous cherchez à enseigner à quelqu’un comment porter un récit, comment créer du suspense, comment accrocher le spectateur et comment faire en sorte qu’il se sente impliqué, la réponse sera ici exactement la même dans tous les cas : pas comme ça. En conséquence, on se retrouve face à un micro-trip écrit avec les pieds où l’ennui ne se dissipe que pour laisser place à l’agacement, et on éteint la console en poussant un gros soupir et en se demandant par quel miracle SEGA a pu accepter de dépenser autant d’argent pour distribuer un machin pareil. Et de se poser une question cruelle : on jouait vraiment à ce genre de jeux, il y a 25 ans ?
Vidéo – Cinq minutes de jeu :
NOTE FINALE : 08/20 Un an après Yumemi : Mystery Mansion, SEGA remettait le couvert avec Le manoir des âmes perdues sur Saturn. L'occasion de creuser enfin un peu l'univers esquissé dans le premier opus, mais hélas... Si le titre précédent parvenait encore à peu près à se rendre intrigant en dépit de ses très nombreuses maladresses, Le manoir des âmes perdues n'apparait comme rien d'autre que comme une sorte de redite assez grotesque. Non seulement le gameplay est toujours aussi limité (pour ne pas dire inexistant), non seulement l'aventure est toujours aussi courte, mais le scénario minable porté par des personnages atrocement creux aux dialogues incroyablement mal écrits donne le sentiment tenace d'avoir été rédigé par un enfant de six ans, avant de s'achever en eau de boudin dans un final incohérent et ridicule jusqu'à évoquer les plus belles heures des parodies des Inconnus. Difficile d'en retirer une autre sensation que celle d'avoir fait les frais d'une mauvaise blague pendant une heure et d'avoir envie d'éteindre la console en se sentant vaguement sale. Le mieux est probablement de laisser ce manoir et ses papillons s'évanouir une bonne fois pour toute de la mémoire des hommes. Si vous voulez vraiment jouer à un jeu d'aventure en 3D sur Saturn, allez plutôt essayer Myst.
CE QUI A MAL VIEILLI : – Une histoire toujours aussi courte... – ...avec un gameplay encore plus limité... – ... au service d'un scénario absolument pitoyable – Une traduction française aux ras des pâquerettes, avec des doublages ratés – On ne peut toujours pas passer les animations des déplacements... – ...le mixage sonore est toujours raté... – ...et on ne peut toujours pas afficher des sous-titres