Actraiser 2

Développeur : Quintet Co., Ltd.
Éditeurs : Enix Corporation (Europe, Japon) – Enix America Corporation (Amérique du Nord)
Titre original : アクトレイザー2 沈黙の聖戦 (Actraiser 2 – Chinmoku heno Seisen, Japon)
Titre alternatif : ActRaiser 2 (Amérique du Nord)
Testé sur : Super Nintendo

La série ActRaiser (jusqu’à 2000) :

  1. ActRaiser (1990)
  2. Actraiser 2 (1993)

Version Super Nintendo

Date de sortie : 29 octobre 1993 (Japon) – Novembre 1993 (États-Unis) – Février 1994 (Europe)
Nombre de joueurs : 1
Langues : Anglais, japonais, traduction française par Genius Soft
Support : Cartouche
Contrôleur : Joypad
Version testée : Version américaine patchée en français
Spécificités techniques : Cartouche de 12Mb
Système de sauvegarde par mot de passe

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

Il ne figure peut-être pas au rang des tout premiers noms que l’on cite au moment d’évoquer la Super Nintendo, mais il est curieusement voué à apparaître quasi-systématiquement parmi les seconds : tel est le destin d’ActRaiser, cartouche un peu à part dans une logithèque pléthorique, ce qui lui vaut une notoriété particulière. Tellement à part, en fait, par l’originalité de son improbable mélange entre action, plateforme, city builder et god game qu’on avait pu nourrir l’espoir, un moment, qu’il en vienne à engendrer des héritiers spirituels, voire un genre à part entière.

Les axes de progression, après tout, restaient nombreux : une gestion plus poussée, des interactions plus grandes entre les diverses composantes, toujours plus de contenu… Mais quels qu’aient été les espoirs des joueurs à ce sujet, les successeurs ne seront au final jamais venus – ou en tous cas, pas avant plusieurs générations de machines. Et le plus ironique est que l’un des responsables de cet état de fait pourrait bien être un certain… Actraiser 2. Car au moment d’offrir enfin une suite à l’un des jeux les plus originaux du catalogue de la console, les attentes étaient énormes, mais Quintet aura visiblement opté pour un choix assez radical qui sonne, aujourd’hui encore, comme un terrible désaveu : sacrifier tout ce qui avait fait l’identité du premier opus pour en faire un jeu apte à toucher un public plus large, comprendre : plus standard, plus convenu, davantage « dans les clous ». Et voilà comment le dieu reconstructeur d’empire sera devenu un larron comme les autres, au point de sceller définitivement le sort d’une licence qui avait cessé d’être pertinente à l’instant précis où elle renonçait à assumer sa spécificité. Une tragédie ? Pas nécessairement… mais sans doute l’histoire d’une tragique incompréhension réciproque.

Le « maître », comme aime à vous appeler votre angelot (qui a d’ailleurs eu le temps de bien grandir) est donc de retour, et nous confirme au passage qu’il est bien le dieu le plus minable qui existe, tous panthéons confondus : non seulement le dieu du mal Tanzra est revenu pépouze pendant que vous dormiez, mais il a eu le temps d’envoyer treize démons sur la terre qui était sous votre protection pour corrompre les hommes et ravager les terres, et vos glorieux fidèles auront encore une fois pu profiter de toute l’ampleur de votre inaction pendant que leur existence se changeait en enfer.

Réalisant que vous avez quand même quelques obligations vis-à-vis de vos ouailles, vous enfilez donc votre plus beau slip d’armure, vous empoignez votre épée et votre bouclier (c’est important), et vous vous envolez (c’est important également) jusqu’à la surface où votre subordonné divin vous attend une nouvelle fois au cœur de votre palais volant. C’est lui qui vous présentera la situation à chaque fois afin de vous guider, puisque vous serez libre de libérer les treize régions du jeu dans l’ordre qui vous plaira, avant d’aller affronter Tanzra lui-même. Un menu copieux – quatorze niveaux au total, ce n’est pas rien – que vous allez remplir de la façon la plus classique qui soit : avec vos petits bras musclés, avec votre épée à la portée ridicule, et avec vos ailes dans le dos. Exactement comme si vous n’étiez pas un dieu, quoi. Je serais vous, je trouverais ça vexant.

Les possibilités correspondent donc aux standards du genre : un bouton pour sauter, un autre pour attaquer. Quitte à avoir pris votre bouclier, celui-ci peut bloquer certains projectiles – à condition d’être immobile, votre statut divin ne vous offrant apparemment pas les capacités motrices nécessaires pour avancer avec un bouclier brandi devant vous –, quant à vos ailes, elles vous autoriseront une sorte de double-saut qui terminera en piqué-glissé sur une bonne dizaine de mètres, et qui vous vaudra de très nombreuses morts accidentelles au cours des non moins nombreuses séquences de plateforme du jeu – nous y reviendrons.

Enfin, vous souvenant que vous êtes quand même censé être doté de pouvoirs surhumains, une attaque spéciale se produira une fois chargée en laissant le bouton de frappe appuyé quelques secondes, et sera différente en fonction de votre position (debout, en l’air, accroupi, en plein plongeon). Ce sera là à peu près tout votre arsenal, et vu à quelle lenteur se déplace votre personnage (nous y reviendrons également), il doit déjà peser très lourd – au point de vous empêcher de courir, ce qui aurait pourtant été bien pratique. Bref, vous n’êtes peut-être pas beaucoup mieux préparé qu’un simple mortel, mais vous allez quand même montrer à ces démons de pacotille pourquoi on vous appelle « le maître ». Et ce titre, croyez-moi, d’ici à la fin de la partie, vous allez le mériter.

Première constatation : c’est beau. ActRaiser premier du nom ne se défendait pas trop mal, mais les artistes de Quintet ont visiblement eu le temps de faire des progrès en trois ans, au point de commencer à s’approcher du sommet absolu de ce que la Super Nintendo a pu afficher en termes de pixel art.

Les ambiances sont bien tranchées, les décors regorgent de détails, chaque région a une identité forte, et le tout enterre tout ce qu’on aura pu voir sur Mega Drive ou Amiga à la même époque au point de donner le sentiment, parfois, de s’essayer à une borne d’arcade. Le plus impressionnant n’est pas que le jeu affiche des sprites occupant la moitié de l’écran ou des ennemis en nombre, mais surtout que le tout ne souffre pas du plus infime ralentissement ou du moindre clignotement – et aucune puce en renfort ici pour suppléer le processeur de la console. Chapeau bas. La visite n’étant pas exactement courte – comptez pas loin de deux heures pour finir le jeu en ligne droite – on appréciera d’en savourer chaque écran, notamment grâce à une variété impressionnante dans les environnements et les ennemis rencontrés. On sait à quoi servent les 12Mb de la cartouche, et à ce niveau-là le jeu peut sans rougir assumer ses prétentions divines : pour tous les amateurs de 2D, c’est un régal.

Deuxième constatation : c’est dur, et pas qu’un peu. En dépit de sa réalisation sublime, Actraiser 2 tend à jouir d’une réputation pas toujours très flatteuse : celle de figurer parmi les titres les plus difficiles du genre, et celle-ci n’est clairement pas usurpée. Dès les premiers instants, le jeu vous envoie tout ce qu’il a au visage : des ennemis que vous n’avez pas le temps de voir venir, des pointes mortelles, des mini-boss, des boss, des phases à défilement imposé, des labyrinthes, un boss rush, un mini-boss rush, l’évier, le lavabo, la porte de la cuisine – tout y passe.

Même dans le mode de difficulté le plus bas, on en prend plein la poire (et dois-je préciser que le boss final n’est accessible qu’à la condition de jouer au moins en difficulté « normale » ?), et on comprend très vite que le système de mot de passe du jeu n’est peut-être pas là qu’en raison de la longueur d’une partie standard : pour vaincre un niveau, il faudra souvent y passer beaucoup de temps – et on sera d’ailleurs reconnaissant à ce titre que le jeu ait eu la bonne idée de vous laisser choisir l’ordre des niveaux histoire d’avoir une chance de voir autre chose après avoir passé deux ou trois heures en boucle sur la même séquence. On notera aussi un véritable souci de variété dans les phases rencontrées : séquences de saut entre des navires volants, séquence de rotation en mode 7 à la Super Castlevania IV, plate-formes vivantes qui cherchent à blesser leur occupant ; on est toujours surpris – mais plutôt en bien – par la palette de sadisme étalée par le programme. Autant se faire à l’idée : pour vraiment apprécier Actraiser 2, il faudra aimer souffrir.

Le truc, c’est que la difficulté en elle-même peut être sa propre récompense – après tout, des séries entières comme les Dark Souls ou les Ninja Gaiden lui doivent l’essentiel de leur réputation – mais à deux conditions : qu’elle ne soit jamais bêtement injuste, et que la jouabilité soit irréprochable. C’est hélas dans ce dernier domaine qu’Actraiser 2 se rate quelque peu, la faute à un héros qui se traîne comme s’il devait supporter le poids des contradictions de la classe politique française – ce qui est un peu gênant dans un monde où les adversaires vont tous plus vite que lui et ne se privent pas de lui laisser très peu de temps pour réagir.

De fait, le titre de Quintet fait partie de ces jeux où l’habileté et les réflexes ne suffisent pas : la mémoire sera indispensable, mais le vrai problème est aussi et surtout que l’emploi du fameux « double-saut avec les ailes dans le dos » demandera aussi une longue phase de maîtrise pour éviter de finir à quinze mètres de l’endroit que vous visiez au moment de réaliser un saut délicat. Sachant que les masques de collisions ne sont pas des modèles de précision (ce qui se constate assez souvent avec les projectiles que votre bouclier devrait bloquer – et qu’il ne bloque pas), la note commence à être lourde, et autant dire que la première heure de jeu risque de ne pas être un long moment d’émerveillement, surtout si vous avez les nerfs fragiles. Néanmoins, au terme de cette période d’acclimatation qui pourrait vous coûter quelques manettes, il s’avère que les choses finissent par se mettre assez bien en place et que la jouabilité commence alors à se montrer réellement pertinente – au point qu’on peut même se surprendre, après avoir passé de très, très longues minutes à vouer le jeu aux gémonies en en faisant profiter tout le voisinage à l’aide d’expressions fleuries, à découvrir qu’on passe finalement plutôt un bon moment en compagnie du programme. Simplement, il aura fallu lui laisser un peu de temps.

Cette courbe de progression frustrante restera d’ailleurs comme le plus gros défaut d’un jeu auquel on pardonne finalement assez vite d’avoir renoncé à son aspect city builder – si celui-ci avait été aussi exigeant que la partie action, ça aurait vraiment commencé à faire beaucoup. Les premiers instants sont loin d’être idylliques, et on peut aisément comprendre que de nombreux joueurs aient eu envie d’aller prendre l’air et de ranger le jeu dans un coin bien avant d’avoir dompté le maniement de son héros pachydermique et de ses sauts de puce à dix centimètres de distance.

C’est d’autant plus dommage que le jeu aurait déjà été largement assez difficile avec un personnage un peu plus réactif et un peu plus vif – même si celui-ci réagit au quart de tour, son aspect « embourbé » pénalise vraiment une expérience de jeu qui n’en avait pas besoin. Une fois ces contraintes domptées, le jeu révèle alors toutes ses qualités, et elles sont vraiment nombreuses – suffisamment pour mériter de lui consacrer le temps qu’il nécessite, car les morceaux de bravoure sont légion et l’univers du jeu fait parfois vraiment mouche grâce à ses graphismes superbes. Mieux vaudra l’aborder avec cet état d’esprit : celui d’un beau voyage qui va commencer par une longue et douloureuse gamelle, et que la douleur causée par celle-ci subsistera au moins pendant les premières heures. Mais si vous arrivez au stade où vous commencez vraiment à apprécier le trajet, alors Actraiser 2 est un jeu qui est appelé à vous rester en mémoire. Serez-vous prêt à tenir jusque là ?

Vidéo – Le premier niveau du jeu :

NOTE FINALE : 15,5/20

À la question « Actraiser 2 est-il la suite que les joueurs attendaient ? », la réponse tend à être unanime : non. Dépourvu de ce qui faisait l'originalité – et pour ainsi dire l'identité – du premier opus, le titre de Quintet commence par décevoir en versant dans l'action/plateforme classique, et c'est à prendre ou à laisser. Est-ce pour autant un mauvais jeu ? Les premiers instants pourraient laisser augurer du pire, tant la difficulté redoutable associée à une jouabilité lourde et pas toujours assez précise semble annoncer un calvaire, mais en acceptant de se confronter à une courbe d'apprentissage aussi raide que frustrante, on peut néanmoins découvrir une expérience certes (trop) exigeante, mais transcendée par une réalisation absolument sublime et par une variété très appréciable. Peu accessible, la cartouche l'est assurément, mais les amateurs de défi pourraient néanmoins découvrir avec elle un programme bien plus séduisant qu'il n'en a l'air – à condition d'avoir des nerfs d'acier. Une suite maladroite, mais un jeu qui mérite clairement une seconde chance – et peut-être même une troisième.

CE QUI A MAL VIEILLI :

– Une difficulté immonde...
– ...souvent due à une jouabilité trop raide...
– ...et à des masques de collision pas assez précis

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Actraiser 2 sur un écran cathodique :

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