Raiders of the Lost Ark

Développeurs : Howard Scott Warshaw et Jerome Domurat
Éditeur : Atari, Inc.
Testé sur : Atari 2600

La saga Indiana Jones (jusqu’à 2000) :

  1. Raiders of the Lost Ark (1982)
  2. Indiana Jones in the Lost Kingdom (1984)
  3. Indiana Jones and the Temple of Doom (1985)
  4. Indiana Jones in Revenge of the Ancients (1987)
  5. Indiana Jones and the Last Crusade : The Action Game (1989)
  6. Indy : Indiana Jones and the Last Crusade – The Graphic Adventure (1989)
  7. Indiana Jones and the Last Crusade (1991)
  8. Indiana Jones and the Fate of Atlantis (1992)
  9. Indiana Jones and the Fate of Atlantis : The Action Game (1992)
  10. The Young Indiana Jones Chronicles (1992)
  11. Indiana Jones’ Greatest Adventures (1994)
  12. Instruments of Chaos Starring Young Indiana Jones (1994)
  13. Indiana Jones and his Desktop Adventures (1996)
  14. Indiana Jones et la Machine Infernale (1999)

Version Atari 2600

Date de sortie : Novembre 1982 (Amérique du Nord, Europe)
Nombre de joueurs : 1
Langues :
Support : Cartouche
Contrôleur : Joystick*
*Nécessite deux joysticks
Version testée : Version PAL
Spécificités techniques : Cartouche de 64kb

Vidéo – L’écran-titre du jeu :

On ne mesure pas forcément aujourd’hui l’ingéniosité extraordinaire que réclamait le fait de développer des jeux vidéo à une époque où la plus infime des décisions de game design était immédiatement soumise à de colossales contraintes techniques. C’est pourtant, ironiquement, l’un des grands charmes du rétrogaming : redécouvrir des jeux vidéo qui sortent des clous établis des genres précisément parce qu’ils ont été conçus à une période où les clous en question restaient encore à poser – et qu’ils ont bien souvent contribué à ladite pose, directement ou non. Tenez, pour achever de vous sentir vieux : remémorez-vous une ère si lointaine qu’Indiana Jones n’était même pas encore un nom établi de la pop culture, qu’Harrison Ford – pourtant déjà en pleine bourre – n’avait pas encore connu le dixième de la fantastique carrière qu’on lui connait aujourd’hui, et que le maître incontesté du jeu vidéo en occident se nommait encore Atari. C’est loin, hein ?

Si loin, en fait, qu’il faut carrément imaginer une époque où adapter Les aventuriers de l’arche perdue en jeu vidéo ne représentait même pas une pression particulière, le film de Steven Spielberg n’étant alors qu’un blockbuster comme un autre dont personne n’imaginait encore qu’il accoucherait d’une licence qui continuerait d’accueillir des films (on ne débattra pas ici de leur qualité) plus que quatre décennies plus tard. Et d’ailleurs, comment traduire les aventures du célèbre archéologue en 1982, sur Atari 2600, à une époque où ni « jeu d’aventure », ni « jeu d’action », ni « jeu de plateforme » ne voulaient dire grand chose ? Avec un clone de Pitfall ? Un peu risqué – le célèbre titre d’Activision avait le jour à peine un mois plus tôt ! Non, en commençant à travailler sur Raiders of the Lost Ark, Howard Scott Warshaw aura pris une décision qui semblerait proprement inconcevable de nos jours pour un logiciel destiné à un vaste public : il allait essayer quelque chose de différent.

Première surprise pour l’époque – mais on pourra juger, rétrospectivement, de sa pertinence considérant les adaptations d’Indiana Jones qui se seront par la suite particulièrement illustrées dans ce domaine – : Raiders of the Lost Ark peut être considéré comme une aventure graphique, deux ans avant qu’un certain King’s Quest ne commence seulement à donner un sens plus concret à cette appellation.

De fait, on pourrait même le voir comme une Adventure, tant le titre semble s’inspirer de mécanismes établis par le titre de Warren Robinett, avec ses plans en vue de dessus et son héros désormais figuré par un sprite presque reconnaissable du célèbre aventurier, avec son iconique chapeau… et pas encore son fouet, qu’il devra commencer par collecter dès le premier écran du jeu. Et si l’objectif de sa mission est désormais évident pour à peu près tout le monde – retrouver l’Arche d’Alliance, dans un titre d’ailleurs étrangement dépourvu de nazis (ce qui nous change du monde actuel) – c’est bien la forme de son épopée qui était surprenante à l’époque, et qui l’est toujours. Car loin de suivre un fil linéaire respectant dans l’ordre les séquences marquantes du long-métrage (et elles ne manquent pas !), la cartouche fait ici le choix culotté de placer le joueur dans un monde ouvert où il doit collecter des objets, utiliser un inventaire et résoudre des énigmes afin d’espérer trouver l’emplacement de l’arche – soit autant de choses qu’aucun autre jeu sur console ne proposait à l’époque, mine de rien.

Le truc, c’est qu’avec pour unique moyen de contrôle un joystick doté d’un seul bouton, les possibilités étaient fatalement très restreinte pour n’importe quel logiciel à destination de l’Atari 2600. Si un titre comme Star Raiders avait contourné le problème en étant tout simplement vendu avec un périphérique additionnel dédié, Raiders of the Lost Ark, pour sa part, fait un choix plus surprenant, mais finalement pas moins cohérent : utiliser deux joysticks.

Le premier sert donc à déplacer le personnage et à utiliser l’objet sélectionné – comme, au hasard, le célèbre fouet mentionné plus haut, très utile contre les rares ennemis du jeu – tandis que le deuxième sert justement à sélectionner un objet dans l’inventaire (figuré en permanence dans un bandeau en bas de l’écran), tandis que son bouton servira à… lâcher l’objet en question, un acte d’autant plus chargé de sens que la taille dudit inventaire est très restreinte. De quoi offrir à l’action toute la profondeur nécessaire pour autoriser ce proto-jeu-d’aventure à utiliser ce qui allait devenir les axes fondamentaux du genre : explorer, faire des choix, résoudre des énigmes. Liste à laquelle on pourrait d’ailleurs ajouter « essuyer les plâtres », car le grand drame des pionniers, c’est aussi d’être parti dans des directions où personne n’a nécessairement envie de le suivre, et le drame de ce qui était bien parti pour être l’un des plus grands jeux vidéo de tous les temps pourrait se résumer en un mot : « cohérence ».

Car l’une des principales contraintes a posteriori du game design, ce n’est pas tant d’offrir des possibilités au joueur que de solidement les encadrer afin qu’il sache quand est-ce qu’il peut agir et aussi de quelle manière. Ça n’a peut-être l’air de rien dit comme ça, mais larguer un personnage au milieu de nulle part, dans un cadre représenté de façon si rudimentaire qu’on ne sait la plus grande partie du temps même pas ce qu’il est censé représenter, sans une seule ligne de dialogue ni la moindre forme d’instruction claire hors du manuel, dans un univers où parvenir à identifier visuellement un objet est déjà un exploit, cela commence à représenter beaucoup d’obstacles pour la compréhension de ce qui est attendu du joueur.

Petit exemple histoire de comprendre ce dont il est question : au terme de cinq secondes de jeu, et après avoir récolté le fameux fouet, Indy arrive dans ce qu’il faut comprendre être un marché, avec des vendeurs, des étalages et des paniers – ce n’est déjà pas forcément évident au premier coup d’œil. Si fouiller les paniers ne nécessitera rien de plus compliqué que de passer dessus, acheter un des objets présents (parce que vous le pouvez, c’est même indispensable à la résolution du jeu) demandera une manœuvre étonnamment complexe : il faudra abandonner de l’argent (et non l’utiliser) sur l’objet en question (en ayant donc l’argent sélectionné dans on inventaire)… mais attention ! Car si, pour une raison quelconque, votre personnage a ne fut-ce qu’un pixel en contact avec un vendeur au moment de la transaction, le programme considérera… que vous avez tout simplement fait acte de charité, et vous aurez perdu votre précieux pécule en échange de rien du tout ! Ça commence fort, hein ?

Deuxième exemple, toujours sur le même écran : un temple est en fait immédiatement accessible après le marché, mais les deux manières d’y accéder ont de quoi laisser perplexe – déjà, parce que l’entrée du temple en question n’est figurée nulle part, un problème récurrent du jeu sur lequel on aura l’occasion de revenir. Vous pouvez donc soit ramasser une grenade dans l’un des paniers et aller l’utiliser là où vous avez commencé le jeu – mais attention, pas n’importe où : à un emplacement précis du bord droit de l’écran.

Quittez ensuite la scène et revenez : une entrée est désormais accessible. Comment étiez-vous censé deviner cela ? Ben… Sinon, il y a la deuxième méthode : restez au moins quinze secondes sur l’écran du marché, et fouiller un des paniers fera cette fois miraculeusement découvrir un médaillon (par ailleurs jamais décrit dans le manuel). Là encore, par quel miracle étiez-vous censé deviner un truc pareil ? Mais ce n’est pas fini : si vous équipez ce médaillon (sans vous en servir) et que vous allez vers le milieu du bord droit de l’écran du marche et nulle part ailleurs, alors vous pourrez là aussi entrer dans le temple ! Vous commencez à voir le problème ? Raiders of the Lost Ark est un jeu où l’on peut faire beaucoup de choses… l’ennui étant qu’il est généralement à peu près impossible de deviner lesquelles !

Car il faut aussi composer avec un monde si abstrait que l’on peut, en l’espace d’un instant, se retrouver téléporter dans une mesa (et croyez-moi, il faut vraiment consulter le manuel pour comprendre qu’il s’agit d’une mesa !) pour avoir employé une croix d’Ankh, se déplacer en maniant un point qui est en fait censé représenter un crochet avec lequel s’accrocher aux falaises, et être prêt à ouvrir un parachute (à condition d’en avoir acheté un !) en cas d’échec pour éviter de perdre une vie en tombant.

Le grand problème de l’univers du jeu, c’est que non seulement les transitions d’un écran à un autre ne sont jamais figurées, mais qu’elles ne répondent même la plupart du temps à aucune forme de logique, ce qui fait qu’il faut juste comprendre, à force d’expérimentations, que telle zone de tel bord de tel écran vous téléporte magiquement à tel endroit – et que bien souvent, cela ne marche dans un seul sens, d’où un nombre très élevé de « circuits » à effectuer en boucle pour retourner chercher de l’or (accessible à un seul endroit du jeu) afin d’aller acheter des objets indispensables (disponible dans deux écrans de marché situés à des endroits totalement différents) avec un inventaire extrêmement restreint qui vous imposera donc de nouveaux tours de manège pour aller reprendre à son emplacement de départ un objet que vous aviez abandonné un peu plus tôt faute de place et dont vous n’aviez aucun moyen de deviner qu’il allait vous être utile. Le tout ne visant fondamentalement qu’à résoudre la seule véritable « énigme » du jeu (autre que comprendre l’interface et l’usage de chaque objet) : parvenir à trouver le puits des âmes pour qu’il vous révèle l’emplacement de l’Arche. Autant vous prévenir : sans une solution, attendez-vous à galérer pendant des heures, sinon des semaines, à comprendre ce que vous êtes censé faire. Dans le cas contraire, l’aventure peut se boucler en moins de dix minutes.

On touche d’ailleurs là au gros problème des jeux « pionniers » qui auront tenté des choses sans nécessairement les faire bien du premier coup : ce sont des titres mettant en valeur un mécanisme qui séduit nettement moins les joueurs de nos jours : l’expérimentation anarchique tous azimuts. Raiders of the Lost Ark est, par essence, une cartouche où l’on ne sait pas ce que l’on doit faire, où l’on ne sait pas ce que l’on peut faire, où on na aucun moyen de deviner où on peut aller et où on peut donc passer un temps considérable à courir comme un poulet sans tête en ayant jamais l’impression d’apprendre ou de comprendre quoi que ce soit. C’est un peu un jeu d’aventure sans les graphismes, ni l’interface, ni le scénario : reste un vague concept à décrypter avec patience, et ça n’est même pas particulièrement ludique. Il y a pourtant véritablement ici le squelette de tout ce qui constituera le socle fondamental du genre – et en un sens Indiana Jones and the Last Crusade ou Tomb Raider sont déjà contenus ici, dans cette soupe de pixels essayant de figurer des choses bien trop complexes pour une Atari 2600, ce qui mérite quand même le respect. Mais au-delà de l’aspect historique de la chose, il faut bien reconnaître qu’hors curiosité, il n’y a tout simplement plus grand chose d’amusant dans cette adaptation audacieuse qui aura pris le risque de sortir des sentiers battus. Un essai pas complètement transformé, mais un jalon important pour les joueurs qui aimeraient comprendre d’où sont partis leurs Assassin’s Creed ou leur Indiana Jones et le Cercle Ancien. Réponse : de très loin.

Vidéo – Cinq minutes de jeu :

NOTE FINALE : 08/20

Sur le papier, Raiders of the Lost Ark est une cartouche d'une ambition remarquable, qui parvient à bâtir et à surenchérir sur l'Adventure de Warren Robinett pour proposer une aventure inhabituellement longue et complexe sur Atari 2600. Dans les faits, on ne va pas se mentir : les très nombreuses expérimentations d'une jouabilité déstabilisante et surtout d'une navigation aux trois-quarts incompréhensible, associé à des énigmes qui nécessitent a minima le manuel et très certainement le recours à une solution pour avoir une chance d'être vaincues, font aujourd'hui du titre un artefact improbable que l'on risque de contempler avec une grande perplexité. Au milieu de toutes ses maladresses, le logiciel porte à la fois de véritables pistes visionnaires pour ce qui allait devenir le genre du jeu d'aventure, et de nombreuses impasses qui aboutissaient, au même moment et avec la même équipe à la barre, au sinistre E.T. Clairement une cartouche importante à l'échelle vidéoludique, et une curiosité à approcher pour les archéologues du rétrogaming, mais à un niveau strictement ludique, le constat est sans appel : sa place est dans un musée.


CE QUI A MAL VIEILLI :

– Une navigation EXTRÊMEMENT déstabilisante...
– ...un peu comme la jouabilité pas très naturelle à deux joysticks
– Un inventaire très limité qui oblige à constamment abandonner des objets au hasard
– Des énigmes à la logique assez opaque...
– ...et certaines choses qui ne peuvent être obtenues qu'en restant sans rien faire à attendre

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Raiders of the Lost Ark sur un écran cathodique :

Les avis de l’époque :

« Une cartouche très séduisante – sans aucun doute longue à maîtriser – mais qui se rapproche tout à fait des jeux complexes d’aventures. Peut-être l’amorce d’une évolution des jeux vidéo ? »

Tilt n°4, Mars/avril 1983, 6/6

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