Gabriel Knight : Sins of the Fathers

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Développeur : Sierra On-Line
Éditeur : Sierra On-Line
Titres alternatifs : Gabriel Knight : Die Sünden der Väter (Allemagne), Gabriel Knight : Lucha Contra Las Fuerzas Sobrenaturales (Espagne), Gabriel Knight : Pecados dos Pais (Brésil), Gabriel : Zikhronot Afelim (Israël)
Testé sur : PC (MS-DOS)Macintosh
Disponible sur : Windows (7, 8, 10)
En vente sur : GOG.com (Windows)

La saga Gabriel Knight (jusqu’à 2000) :

  1. Gabriel Knight : Sins of the Fathers (1993)
  2. Un Mystère avec Gabriel Knight : The Beast Within (1995)
  3. Gabriel Knight 3 : Énigme en Pays Cathare (1999)

Version PC (MS-DOS)

Date de sortie : 17 décembre 1993
Nombre de joueurs : 1
Disponible en français : Oui (voix en anglais et textes en français pour la version CD-ROM)
Disponible en anglais : Oui
Supports : CD-ROM, dématérialisé, disquette 3,5″
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette et version dématérialisée émulées sous ScummVM
Spécificités techniques : Minimum requis : Versions disquette & CD-ROM : Processeur : Intel 80386 – OS : MS-DOS 5.0 – RAM : 4Mo – Vitesse de lecture du lecteur CD-ROM : 2X (300ko/s)
Modes graphiques supportés : SVGA, VGA – Cartes sonores supportées : AdLib, Disney Sound Source, General MIDI, Gravis UltraSound/ACE, haut-parleur interne, Pro Audio Spectrum/16, Roland MT-32/LAPC-I, Sound Blaster/Pro/16, ThunderBoard
Version dématérialisée : OS : Windows XP/Vista/7/8/10 – Processeur : 1GHz – RAM : 256 Mo – Carte graphique compatible avec DirectX 7 (compatibilité avec DirectX 9 recommandée)

Vidéo – L’écran-titre et l’introduction du jeu (CD-ROM) :

Souvenons-nous un instant d’une époque – désormais révolue, cela va de soi – où SEGA et Nintendo se livraient à une saisissante guerre des consoles, occultant d’autres conflits que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. Au début des années 90, en plein âge d’or du point-and-click, deux firmes se disputaient la suprématie dans le domaine du jeu d’aventure, ne laissant que les miettes à quelques outsiders occasionnels comme Revolution Software ou Adventure Soft – dont nous aurons sans doute l’occasion de tester les jeux sur ce site un peu plus tard.

La Nouvelle Orléans comme si vous y étiez

La doyenne de ces deux firmes, Sierra On-Line, malgré une série de licences en pleine santé (nommément King’s Quest, Space Quest ou Leisure Suit Larry), sentit qu’il était temps de faire face à la société montante qu’était Lucasfilm Games en explorant de nouvelles sagas. C’est ainsi qu’au milieu des EcoQuest et autres Willy Beamish, on demanda à la romancière Jane Jensen d’imaginer un personnage appelé à rester dans les mémoires. Son nom ? Gabriel Knight.

Le jeu sait prendre son temps pour installer efficacement son ambiance

En 1993, le premier épisode de la saga, Gabriel Knight : Sins of the Fathers, voit donc le jour en version CD et disquettes. Il vous met au commande du héros éponyme, propriétaire d’une modeste boutique de livres rares sur Bourbon Street, au cœur du quartier français de la Nouvelle Orléans. Gabriel, en plus d’être un libraire fauché bien en peine de rémunérer sa seule employée, Grace Nakimura, est également un jeune écrivain en plein syndrome de la feuille blanche, incapable de donner une suite aux aventures de son héroïne orthodontiste (!).

On aura rarement eu l’occasion d’apprendre autant de choses en jouant à un jeu d’aventure

Puisant l’inspiration là où elle se présente, notre protagoniste est bien décidé à se pencher sur la question des meurtres vaudous qui secouent la ville, profitant pour cela de sa vieille amitié avec l’inspecteur Mosely, chargé de l’affaire, et à qui il a promis une apparition dans son prochain roman en échange d’infos plus ou moins confidentielles. Sauf que, comme on peut s’en douter, cette simple enquête amateure va rapidement dériver en quelque chose de beaucoup plus dangereux, qui va l’amener à se pencher jusque sur les origines allemandes de sa famille, et sur un mot dont il ignore encore le sens : Schattenjäger.

Les conversations sont l’occasion de mettre enfin un visage sur les différents protagonistes

D’entrée de jeu, le plus frappant en abordant cette aventure aux commandes de notre séducteur invétéré, mi-loser mi-héros en devenir, c’est la qualité de l’écriture. Dans les dialogues tout d’abord, qui n’hésitent pas à faire usage d’un langage cru ou à des propos plus ou moins graveleux, mais aussi à des mots d’esprit extrêmement bien sentis ou à des remarques acides aptes à tirer quelques sourires, et dont la principale qualité est de parvenir à rendre immédiatement attachants des personnages sur lesquels on ne peut mettre un visage que lors des (nombreuses) conversations du titre. Dans le scénario, ensuite, qui figure – disons-le d’emblée – parmi les tous meilleurs jamais écrits pour un jeu vidéo, n’étant à mon sens éclipsé dans ce domaine que par sa suite directe, The Beast Within.

Graphiquement, le jeu ne déçoit jamais

En plus de laisser place à une montée progressive vers le fantastique extrêmement bien orchestrée – l’enquête s’étoffant, petit à petit, d’éléments subtils décidés à vous faire comprendre que vous approchez de quelque chose qui n’est pas bon pour vous – le jeu fourmille de références documentées et absolument passionnantes sur la Nouvelle Orléans, sur Marie Laveau ou sur le Vaudou. C’est bien simple : c’est très certainement l’un des seuls jeux qui vous donnera envie de vous documenter, après coup, sur le Vaudou, sur le Hoodoo, sur la révolte haïtienne, les loas, les vévés, les hounfours et tous les éléments que vous apprendrez à connaître en même temps que votre personnage, aussi novice que vous en la matière au début du jeu. L’histoire, passionnante d’un bout à l’autre, se terminera en apothéose lors d’un grand final où vous aurez à cœur de sauver la peau de personnages que vous aurez appris à apprécier comme rarement on aura eu l’occasion de le faire dans un jeu d’aventure du début des années 90.

Parfois, de courtes bandes dessinées viennent participer à la mise en scène

Pour cela, il faudra d’abord être infiniment reconnaissant à ce jeu d’avoir accepté de se débarrasser de certaines des tares récurrentes les plus énervantes des jeux Sierra de la période. À commencer par cette manie de mourir toutes les cinq minutes pour des raisons plus stupides les unes que les autres, que ce soit en ratant une marche, en ramassant un objet trop pointu, voire… en tirant la chasse d’eau (authentique !) Non, pas de ça dans Gabriel Knight : S’il est bel et bien possible de trouver la mort, il faudra déjà atteindre un stade relativement avancé du jeu, et ce sera de toute façon dans des situations qui tomberont rarement du ciel.

La carte vous permettra d’écumer aussi bien le quartier français que le reste de la Nouvelle Orléans

Une sauvegarde au début de chacune des journées du jeu, qui en compte dix, devrait vous éviter les pires frustrations même si, je le répète, dans 95% des cas on sait pertinemment qu’on est en train de se diriger vers des ennuis et qu’il vaudrait mieux prendre ses précautions avant d’aller se jeter dans la gueule du loup. Le jeu est également – et c’est authentiquement salutaire – largement non-bloquant. Vous vous souvenez de ces parties de King’s Quest à recommencer depuis le début parce que vous aviez oublié de ramasser un objet trois heures de jeu auparavant et qu’il vous était impossible de faire demi-tour pour aller le reprendre ? Eh bien, c’est également à oublier ici : il n’y a ni piège, ni impératif de temps, et chacune des journées du jeu ne se termine que lorsque vous aurez accompli ce que vous étiez censé y accomplir. De fait, je ne pense avoir rencontré des situations « bloquantes » qu’à l’extrême fin du jeu, et encore, pour une scène particulière qui se terminait en game over dans la minute qui suivait si vous l’abordiez sans avoir tout le matériel nécessaire à la résolution de la dernière ligne droite, très peu de chance de se retrouver coincé à ce stade, donc.

Au bout de quelques jours, les choses commencent à s’envenimer

Les énigmes, d’ailleurs, si elles sont parfois particulièrement retorses, font appel à la logique plus qu’au hasard, et vous aurez très peu de chance d’en résoudre une seule en utilisant aléatoirement tous les objets de votre inventaire sur n’importe quoi – d’autant que l’inventaire en question risque de se remplir très vite, et que la solution n’est jamais absurde à partir du moment où vous comprenez ce que vous avez à faire. Attendez-vous néanmoins à cogiter sérieusement à plusieurs reprises – ce qui, à une époque où on peut trouver une solution en moins de dix secondes sur internet, ne dépendra que de votre patience. En vous mettant en position de joueur lambda en situation réelle, comptez au moins une quinzaine d’heures pour venir à bout du titre – dont une grande partie sur les écrans de conversation.

Sang, nudité… le jeu ne censure rien, et c’est très bien comme ça

Niveau réalisation, Sierra était connu pour la qualité de ses réalisations en VGA, et Gabriel Knight ne déroge pas à la règle. C’est lisible, c’est détaillé, la chasse au pixel caché se fait très rare, et les portraits employés lors des conversations sont très réussis, bref, c’est le sans-faute. Surtout que le jeu multiplie les animations, les encarts façon bande dessinée lors des scènes-clés, et que la mise en scène fait son maximum pour vous plonger dans l’ambiance – ce qu’elle fait bien.

Certaines énigmes sont très originales

La musique est également de très bonne qualité, même si le jeu se montrera assez chiche en bruitages dès l’instant où vous opterez pour autre chose que pour une Sound Blaster. Bref, à moins d’être totalement allergique à la production graphique de l’époque, difficile de ne pas tomber sous le charme. L’interface du jeu, elle, n’apparait que lorsque vous approchez le curseur du bord supérieur de l’image – et a la très bonne idée de placer le jeu en pause à cet instant, ce qui sera infiniment précieux lorsque l’on vous demandera d’agir en temps limité au milieu d’une situation potentiellement mortelle.

Le jeu vous baladera sur pas moins de trois continents

Tant qu’à faire, il serait criminel de ne pas évoquer la version CD-ROM du jeu. Si celle-ci offre quelques petites friandises, comme un mode SVGA qui affiche désormais certains objets (et surtout les portraits) en haute résolution ou une introduction retravaillée et étendue pour l’occasion, le vrai gain va provenir, on s’en doute, du doublage de tous les dialogues – en anglais. Et à ce niveau, Sierra n’a pas pris les joueurs pour des pigeons en faisant appel à un casting « light », jugez plutôt : pour prêter sa voix à Gabriel Knight, on trouve rien de moins que le génial Tim Curry (The Rocky Horror Picture Show, Ça) et pour lui donner la réplique dans le rôle de Mosely, tenez-vous bien… Mark Hamill (La Guerre des Étoiles) ! Sachant que le reste de la distribution est à l’avenant et que tous les personnages sont parfaitement doublés, des dialogues qui étaient déjà très bons se transforment parfois en authentique morceaux de bravoure, contribuant ainsi à donner encore un supplément d’âme à un titre qui en avait déjà à revendre. Notons enfin que des options sonores supplémentaires sont disponibles, et qu’il est enfin possible d’associer une Sound Blaster à une Roland MT-32. Bref, une version qui fait tout mieux que la version disquette, ce qui tombe bien puisque c’est la seule à la vente.

Sur la version CD-ROM, les portraits s’affichent dans leur pleine gloire

Quelques mots, enfin, sur la version française : celle-ci, à l’instar de ce que proposaient tous les jeux Sierra à l’époque, comporte son lot de coquilles, de fautes d’orthographe et de contresens – mais fort heureusement, elle n’handicape jamais le jeu au point de pénaliser sa compréhension ou le plaisir qu’on prend à y jouer. Elle est, malheureusement, rarement disponible à la vente sur les plate-formes en ligne qui se contentent le plus souvent de proposer la version originale.

Vidéo – Quinze minutes de jeu (CD-ROM) :

NOTE FINALE : 18/20 Sur le podium des jeux d'aventure proposant une enquête passionnante, des personnages marquants, une écriture n'ayant rien à envier à celle d'un excellent livre et une mise en scène mémorable, la première place se joue probablement entre ce premier épisode de la saga Gabriel Knight et sa suite directe. Délesté d'une grande partie des lourdeurs qui empoisonnaient jusqu'alors les jeux Sierra, Sins of the Fathers vous happera pratiquement du début jusqu'à la fin tout en vous apprenant un milliard de choses sur le vaudou ou sur l'histoire de la Nouvelle Orléans. Plus qu'un jeu : une expérience. CE QUI A MAL VIEILLI : – On peut vite tourner en rond lorsqu'on ne sait plus quoi faire pour faire avancer une journée – Quitte à pouvoir mourir, la bonne idée aurait été de nous permettre de recommencer juste avant notre mort plutôt que de repartir d'une sauvegarde – La version CD est tellement supérieure qu'elle renvoie un peu cette version disquette aux oubliettes

Bonus – Ce à quoi peut ressembler Gabriel Knight sur un écran cathodique :

Les avis de l’époque :

« L’histoire est savamment distillée et les relations ainsi que le psychologie de chaque personnage sont brillamment dépeints. On s’attache énormément à Gabriel qui cache sous son nom angélique un tempérament fougueux, voire obsédé et un humour décapant qui vire souvent au scabreux. Grace, elle aussi, est particulièrement réussie : on a rarement vu des personnages aussi réalistes et attachants dans un jeu. »

Marc Menier, Tilt n°122, Janvier 1994, 92%

Version Macintosh

Développeur : Sierra On-Line, Inc.
Éditeur : Sierra On-Line, Inc.
Date de sortie : 1994
Nombre de joueurs : 1
Disponible en français : Non
Disponible en anglais : Oui
Supports : Disquette 3,5″
Contrôleurs : Clavier, souris
Version testée : Version disquette testée sous Mac OS 8.1
Spécificités techniques : Minimum requis : Processeur : Motorola 68030 – OS : System 7.0 – RAM : 5Mo
Mode graphique supporté : 256 couleurs – Cartes sonores supportées : General MIDI, Roland MT-32/LAPC-I 

Vidéo – L’introduction du jeu :

En 1994, il était devenu nettement moins exceptionnel de voir un jeu sur PC – particulièrement un point-and-click – porté sur Macintosh. Avec Sierra aux commandes, pas de mauvaise surprise : on hérite d’une copie carbone de la version PC, avec les textes, les portraits et certains objets en haute résolution. Sur le plan sonore, le matériel de base de la machine d’Apple se débrouille déjà très bien (largement à la hauteur de ce que permettait une Sound Blaster), et il est possible d’installer des pilotes pour profiter de la compatibilité avec la Roland MT-32 et avec le standard General MIDI – pas de jaloux de ce côté-là non plus, donc. À noter que même si une version CD-ROM est évoquée, je ne suis tout simplement pas parvenu à mettre la main dessus, le présent test ne s’applique donc qu’à la version tenant sur quelques douze disquettes, mais on peut sans trop s’avancer imaginer que là encore, le résultat soit très proche de ce qu’offre la machine d’IBM.

La même chose, avec une police plus lisible

NOTE FINALE : 18/20

Aucune mauvaise surprise pour l’itération Macintosh de Gabriel Knight, qui offre à peu de choses près l’exact équivalent de la version parue sur PC, et peut-être même légèrement mieux en ce qui concerne le jeu au format disquette.

Dragon Lore : La Légende Commence

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Développeur : Cryo Interactive Entertainment
Éditeur : Mindscape, Inc.
Titre Original : Dragon Lore : The Legend Begins
Titres alternatifs : Dragon Lore : Se inicia la Leyenda (Espagne), Dragon Lore : Die Legende beginnt (Allemagne), Dragon Lore : A Lenda se inicia (Brésil), Dragon Lore (3DO)
Testé sur : PC (MS-DOS)3DO
Disponible sur : Macintosh, Windows (7, 8, 10)
Version non testée : PC-98
En vente sur : GOG.com

La saga Dragon Lore :

  1. Dragon Lore : La Légende Commence (1994)
  2. Dragon Lore II : Le Coeur de l’Homme-Dragon (1996)

Version PC (MS-DOS)

Date de sortie : Décembre 1994
Nombre de joueurs : 1
Disponible en français : Oui
Disponible en anglais : Oui
Supports : CD-ROM, dématérialisé
Contrôleur : Souris
Version testée : Version dématérialisée émulée sous DOSBox
Spécificités techniques : Version CD-ROM : Graphismes : VGA – Musique et bruitages : Sound Blaster/Pro/16 – Nécessite un processeur 80486 DX ou supérieur, au moins 4Mo de RAM, ainsi que MS-DOS 5.0 ou ultérieur et un lecteur CD-ROM double-vitesse
Version dématérialisée : Système d’exploitation : Windows XP/Vista/7/8/10 – Processeur : 1,8GHz – RAM : 512Mo – Graphismes : Carte graphique compatible avec DirectX 7 (compatibilité avec DirectX 9 recommandée)

Vidéo – L’introduction du jeu :

Au début des années 90, Cryo Interactive a commencé à capitaliser sur le succès, tant critique que commercial, de son excellente adaptation de Dune pour se forger une réputation de studio à la patte inimitable, que ce soit graphiquement ou musicalement. La French Touch semblait alors avoir le vent en poupe, tandis qu’Eric Chahi provoquait un tremblement de terre à sa façon avec Another World, ou que des titres tels que Captain Blood, sorti quelques années plus tôt, avaient durablement marqués les esprits à l’échelle internationale. Les années passant, cependant, jusqu’au début des années 2000, une autre réputation – un peu moins flatteuse – commença à coller à la peau des productions françaises : celle de programmer des jeux magnifiques, à la réalisation de haute volée… mais avec un intérêt ludique flirtant dangereusement avec le néant. Or, nous voici justement en 1994, année de la sortie de Dragon Lore : La Légende Commence, et une question pourrait rapidement se dessiner : cette réputation était-elle déjà justifiée ?

Le menu du jeu est un bon résumé de la philosophie générale du titre : « Hé, et si on faisait un curseur qui en jette mais qui soit si peu ergonomique qu’on n’a pas la moindre idée de l’endroit où on clique ? »

Commençons déjà par placer le cadre : Dragon Lore est un jeu d’aventure – la plus grande partie du temps à la première personne – vous mettant aux commandes de Werner, jeune fermier qui se découvrira (au terme de dix minutes de jeu impliquant des activités aussi trépidantes que de faire regagner son pâturage à une vache) l’héritier des von Wallenrod, famille appartenant au clan des Chevaliers Dragons. Après quoi, votre rôle sera de l’aider à réclamer sa place légitime, sachant que votre approche des énigmes – et particulièrement de votre goût ou non pour la violence – influencera le dénouement du jeu.

Violence ? Oui, Dragon Lore propose un système de combat, et même toute une variété d’armes dont vous pourrez équiper votre personnage. Ces combats se dérouleront de la façon la plus limitée imaginable : en cliquant sur l’adversaire, et en répétant l’opération jusqu’à ce que lui ou Werner ait trouvé la mort.

Les animations du jeu étaient vraiment bluffantes pour l’époque. Aujourd’hui, nettement moins.

Sachant que le jeu n’affiche strictement aucune forme d’information, ni impacts à l’écran, ni gémissement, ni absolument rien qui vous permette de connaître votre état de santé ou celui de votre opposant – et que les barres vitales sont cachées au fin fond de votre inventaire, à un endroit où je vous mets au défi de les trouver si vous n’avez pas lu le manuel – autant dire que l’implication du joueur se limite à prier pour la divinité de son choix en espérant que les choses se passent pour le mieux – ce qui est généralement le cas, du moins au début du jeu. Mieux vaut prendre l’habitude de sauvegarder souvent, ceci dit : sachant que chercher à adresser la parole à quelqu’un en tenant une arme revient à lui cogner dessus, autant dire qu’un accident est vite arrivé, et qu’on peut vite se retrouver à se battre contre notre pauvre vieux père adoptif au bout de vingt secondes de jeu faute d’avoir saisi les subtilités de l’interface.

Certains décors – surtout les intérieurs – ont assez bien vieilli. Les personnages, en revanche…

L’interface, d’ailleurs, parlons-en : elle constituera, à bien des niveaux, le premier des multiples griefs que l’on pourra nourrir à l’encontre du jeu. Tout d’abord, Dragon Lore permet de voyager, un peu à l’instar de Myst, en déplaçant un curseur dans des environnements fixe en 3D pré-calculée. Parfois, lors d’un changement de « zone », le programme affichera une petite animation qui sera l’occasion de vous en mettre plein les yeux en vous montrant votre personnage en situation. C’est l’occasion de faire deux remarques :

  1. Si la 3D du jeu représentait, à l’époque, la crème de la crème de ce que pouvait proposer un programme pour nous décrocher la mâchoire, il est particulièrement cruel de constater à quel point celle-ci a infiniment plus mal vieilli, vingt ans après sa réalisation, que ce que pouvaient proposer les illustrations en pixel art à la même période. Plus que la modélisation des personnages et des décors, ce sont surtout les animations qui prêtent désormais à sourire tant la moindre action mise en scène par le jeu laisse transpirer par tous les pores une raideur anti-naturelle sur laquelle il est très difficile de fermer les yeux en tant que joueur du XXIe siècle.
  2. Le curseur utilisé pour les actions, en forme de dragon, est infiniment moins lisible qu’une simple flèche – un reproche que l’on risque de reformuler souvent en parlant de l’interface. De fait, il est extrêmement fréquent de rater une possibilité d’action ou une direction qui s’offrait à nous simplement pour avoir échoué à décrypter ce qu’était censé nous montrer ce maudit curseur.
Concevoir un curseur aussi peu ergonomique est une vraie performance en soi

Dans le même ordre d’idées, le jeu entreprend souvent de vous faire faire le tour de volumes assez basiques situés au milieu de votre route, et il est impressionnant de constater à quel point le simple fait de vouloir aller en ligne droite vers un point situé immédiatement en face de vous puisse parfois représenter une lutte de plusieurs dizaines de seconde entre l’homme et la machine.

J’hésite d’ailleurs à parler de l’inventaire, et surtout du fait que les attributions des clics gauche et droit de la souris parviennent à être suffisamment obtuses et bordéliques pour qu’il arrive encore fréquemment, même après plusieurs heures de jeu, qu’on lâche un objet en cherchant à l’utiliser, ou que l’on s’arrache les cheveux pour réaliser une action a priori très simple. Imaginons par exemple que vous vouliez jeter un sort, grâce au livre de magie dissimulé dans un endroit hautement improbable et que vous pourrez espérer trouver au terme d’une dizaine de minutes de jeu. Il vous faudra déjà un sortilège, ce qui peut paraître logique, mais il vous faudra également commencer par aller dans l’inventaire pour l’associer avec votre livre de sorts. Bon, mais ce sortilège, vous ne savez toujours pas à quoi il correspond, ni comment le lancer : il faut donc prendre le livre de sorts et cliquer avec sur les yeux de votre personnage, afin de voir son contenu et de mémoriser les trois runes qui vous permettront de lancer le sortilège. Notez-les bien, car à présent, il va être temps de le lancer, ce sort : il faudra donc retirer tout ce que vous aviez dans les mains pour y placer le livre, et ensuite quitter l’inventaire pour être enfin autorisé à faire un clic droit pour sélectionner vos runes – et finalement jeter le sortilège. Imaginez-vous en train de refaire le même cirque à chaque fois que vous voudrez essayer d’utiliser la magie sur quelque chose, et vous devinerez aisément la lourdeur du système.

Accéder aux sortilèges est d’une telle lourdeur que je serais presque tenté de vous conseiller d’imprimer cette image pour vous épargner le tracas d’aller la chercher pendant le jeu. Remarquez au passage que le sortilège n’est pas traduit : si vous ne parlez pas un mot d’anglais, tant pis pour vous

Mais bon, des lourdeurs, il y en avait dans tous les jeux des années 90, pas vrai ? Les premiers Alone in the Dark n’étaient pas très jouables, par exemple. L’important, dans un jeu d’aventure comme celui-là, c’est le scénario, les dialogues, l’atmosphère ; en un mot : l’univers. Vu le travail superbe qui avait été effectué sur Dune, on devrait s’attendre au meilleur, pas vrai ?

Pas vrai ?

Nous en arrivons au stade où je vais réellement me montrer sévère avec Dragon Lore. L’écriture du jeu est mauvaise, c’est un fait. Mauvaise dans sa structure, tout d’abord : le jeu vous promène, de manière finalement extrêmement linéaire, dans des environnements incohérents alignés totalement sans queue ni tête, avec l’espoir que la magie va opérer. On est donc censé ne pas se poser de question en trouvant une structure ancienne composée de crânes géants, avec des squelettes qui se baladent et un petit dragon qui vous parle avec un cheveu sur la langue (un dégât imputable à la VF, mais j’y reviendrai) à à peine cent mètres de la ferme familiale où nous avons apparemment passé les dix-huit premières années de notre vie. On peut d’ailleurs passer, en deux clics, d’une grotte à une auberge dirigée par un lutin juché sur les épaules d’un troll, ou bien à un marécage de champignons géants – ne cherchez pas une logique, il n’y en a pas.

Très franchement, on aurait très bien pu se passer du système de combat du jeu

Dans le même ordre d’idées, après nous avoir demandé d’aller lui chercher un bol et de ramener la vache dans son pré, voilà que notre père adoptif nous sort tout à coup en deux phrases que nous ne sommes pas son fils et que nous ferions mieux de partir parce que nous sommes un Chevalier Dragon. C’est pour le moins… succinct, totalement anti-dramatique, et ça aurait peut-être mérité un petit effort de mise en scène, non ? D’ailleurs, en règle générale, on peine énormément à se sentir impliqué tant absolument rien ne semble participer à rendre le monde dans lequel on évolue vivant, crédible, ou simplement cohérent. Pratiquement tous les personnages que l’on croise sont les autres Chevaliers Dragons : sachant qu’il n’y en a que quatorze en vous comptant, c’est quand même du bol. Ils semblent d’ailleurs n’avoir rien de mieux à faire que de glander en attendant de vous donner ou non leur vote pour le grand final – sauf le grand méchant, qui s’appliquera à vous mettre des bâtons dans les roues. Dans l’ensemble, on se contente d’aller au prochain endroit pour essayer de résoudre la prochaine énigme – et manque de chance, c’est soit d’une facilité délirante soit au contraire une gageure sans nom, mais il n’y a pas de juste milieu. Et le fait que le jeu ne semble jamais se sentir gêné de repousser sans explication des solutions évidentes n’aide pas non plus à percer la logique de l’ensemble. Nouvel exemple, parce que je vous sens décrocher : vous vous retrouvez face à une plante carnivore géante qui vous bloque le passage. Ça tombe bien : vous avez dans votre livre de sorts un sortilège de boule de feu qu’on peut imaginer diablement efficace contre un végétal. Sauf que non : dans la logique du jeu, votre boule de feu devait servir à nettoyer une toile d’araignée (!) quelques écrans auparavant, et rien d’autre. Non, la vraie solution est limpide : il faut ramasser un os près de la plante, l’associer à une corde et en faire un grappin qui vous permettra de franchir l’obstacle en jouant à Tarzan à deux mètres de la plante carnivore – qui pourrait d’ailleurs tout à fait vous gober au passage, mais c’est pas grave, on la garde, Coco, c’est dans la boîte.

La fameuse fleur, immunisée aux boules de feu

Tout le jeu étant de cet acabit, on est rapidement tenté d’utiliser n’importe quoi n’importe où n’importe comment, et de résoudre le reste à grands coups d’épées dans la tronche parce que ça a au moins le mérite d’être une solution claire.

Votre inventaire va rapidement se remplir d’une quantité d’armes dont vous n’aurez aucun moyen de dire laquelle fait le plus de dégâts

C’est d’autant plus vrai que les dialogues du jeu (enfin… les monologues de ceux qui s’adressent à vous, puisque vous ne prononcez pas un mot de toute la partie) sont rarement plus longs que celui que vous adresse votre père adoptif avant de vous foutre dehors, et que si les doublages vont de l’honnête au passable dans la version originale, ils vont du médiocre au consternant dans la version française.

J’ai déjà évoqué le dragon avec un cheveu sur la langue, parlons un peu du lutin qui parle du nez, de l’asiatique avec un accent abominablement cliché et raciste digne d’un Michel Leeb sous Tranxène, ou encore ce type bleu (?!) totalement en roue libre en partant dans les aigus et dans le n’importe quoi visiblement improvisé qui achève de vous convaincre qu’il n’y a eu aucune forme de direction d’acteur pendant toute la localisation du jeu.

Parfois, je songe à l’acteur (?) qui double ce personnage, et je me demande comment il fait pour se regarder dans la glace encore aujourd’hui

C’est bien simple, il n’y a pas un personnage de tout le jeu qui bénéficie d’un doublage ne fut-ce qu’honnête, et on en aurait presque honte d’être vu en train de jouer au jeu en public quand s’enclenche une conversation. En revanche, il y a certainement moyen de s’offrir quelques crises de fous-rires nerveux en imaginant où et comment ont été recrutés les acteurs responsables de ce carnage. Oh, et évidemment, la synchronisation labiale est complètement passée à la trappe lors de la VF, mais en sera-t-on réellement surpris ?

Pour ne rien arranger, le jeu n’est pas extrêmement long – à condition de ne pas rester bloqué (comptez peut-être cinq ou six heures si c’est votre première partie), et il est également abondamment bugué (Ah ! Ces monstres qui se coincent dans les murs ! Ces plantages en accédant à l’inventaire !). Et alors qu’on trouvait rien de moins que Stéphane Picq, auteur de la superbe B.O. de Dune,  aux commandes de la musique, celle-ci ne se fait que très rarement entendre (un détail qui sera corrigé, avec plusieurs autres, dans une version « gold » hélas uniquement sortie aux États-Unis).

La logique des énigmes est parfois assez difficile à saisir

Certes, l’univers sera prolongé et sérieusement creusé dans Dragon Lore II, mais ça, c’est une autre histoire. Ce premier épisode, dans tous les cas, laissera peu de souvenirs impérissables de par son écriture, ou de par son gameplay, et de moins en moins de par sa réalisation. Elle n’était peut-être pas entièrement volée, finalement, cette réputation qui collait aux jeux français…

Vidéo – Les dix premières minutes du jeu :

NOTE FINALE : 09/20 À sa sortie, Dragon Lore : La Légende Commence était une vitrine technologique incroyable, un émerveillement permanent, un jeu enfin apte à utiliser pleinement les capacités que n'avait jusqu'ici laissé qu'entrevoir le support CD. Plus de vingt ans après, hélas, force est de reconnaître qu'il ne reste qu'un jeu maladroit à l'écriture simpliste porté par une narration confuse et un gameplay largement déficient. Certes, les yeux de Chimène de la nostalgie pourront aider à faire oublier ses plus gros défauts, mais pour le joueur lucide le découvrant aujourd'hui... Mazette, quelle douche froide. CE QUI A MAL VIEILLI : – La réalisation – La jouabilité – Le système de combat – Les doublages français – Le déroulement de l'aventure – Un peu tout, en fait

Version 3DO
Dragon Lore

Développeur : Cryo Interactive Entertainment
Éditeur : Mindscape, Inc.
Date de sortie : Décembre 1995
Nombre de joueurs : 1
Disponible en français : Oui
Disponible en anglais : Oui
Support : CD-ROM
Contrôleur : Manette
Version testée : Version européenne
Spécificités techniques : Système de sauvegarde par mémoire interne

Vidéo – L’introduction du jeu :

De toutes les consoles 32 bits qui auraient pu accueillir Dragon Lore en 1995, c’est sur la 3DO que Cryo – ou Mindscape, ou les deux, très honnêtement je serais bien en peine de vous dire d’où venait la décision – aura choisi de jeter son dévolu. La bonne nouvelle, c’est que la puissante – et coûteuse – machine avait a priori les arguments pour faire tourner comme un charme ce qui était encore considéré comme un titre (relativement) à la pointe de la technologie.

Papounet est toujours là avec ses missions passionnantes

Petite facétie : les 3 CD-ROM du jeu comportant toutes les localisations européennes, il faudra commencer par faire un détour par le menu du jeu (en anglais) pour espérer lancer le jeu en français. Une fois cette gageure effectuée, on se retrouve avec une version techniquement équivalente à celle parue sur PC, et même à sa version Gold à en juger par la présence de thèmes musicaux que je n’avais pas entendus lors de mon test sur l’itération DOS. L’interface au pad a même le mérite de s’en sortir plutôt mieux que celle à la souris, chaque bouton ayant une fonction précise, on peut toujours sauvegarder n’importe quand, et les temps de chargement sont aussi rapides que sur PC. Bien évidemment, les choses sont un peu moins emballantes du côté purement ludique, le jeu étant toujours aussi mauvais, mais quitte à vous aventurer à le découvrir, autant le faire sur ce très bon portage.

NOTE FINALE : 09,5/20

Si Dragon Lore n’est pas miraculeusement devenu un jeu d’aventure merveilleusement écrit et doté d’un univers cohérent et de dialogues finement ciselés en passant sur 3DO, il n’empêche qu’il est ici techniquement inattaquable comparé à la version PC, et qu’il se révèle même au moins aussi jouable au pad qu’à la souris. À tout prendre, une très bonne alternative pour un jeu médiocre.