Inca II : Wiracocha

Développeur : Coktel Vision
Éditeur : Sierra On-Line, Inc.
Titres alternatifs : Inca II : Nations of Immortality (Amérique du Nord), アギーレの逆襲 インカ帝国II (Japon)
Testé sur : PC (DOS)

La série Inca (jusqu’à 2000) :

1 – Inca (1992)
2 – Inca II : Wiracocha (1993)

Version PC (DOS)

Vidéo – L’introduction et l’écran-titre du jeu (CD-ROM) :

Suite à l’accomplissement de la prophétie et à la récupération des trois pouvoirs sacrés dans l’espace-temps, El Dorado fut sacré Grand Inca et parvint à fédérer les « quatre quartiers de l’Empire », le Tawantinsuyu. La culture inca s’est désormais répandue à travers la galaxie, créant une fédération à laquelle seules les « Terres Anciennes », sous la coupe d’Aguirre, refusent d’adhérer. Mais voilà qu’un astéroïde apparu de nulle part entraîne à sa suite catastrophes naturelles et perturbations cosmiques. El Dorado convoque donc un Conseil des Sages, auquel assistera son fils Atahualpa, pour décider de la façon d’affronter cette menace…

Le premier Inca aura laissé, on s’en souvient, des souvenirs assez contrastés aux joueurs. En dépit d’un univers original et d’une réalisation très impressionnante pour l’époque, le titre était tellement couturé de séquences hétérogènes chaotiquement organisées autour d’un scénario confus – pour ne pas dire illisible – qu’il finissait par évoquer la créature de Frankenstein. Au moment de remettre le couvert pour offrir l’inévitable suite à ce qui avait été un authentique succès critique et commercial, la question était donc de savoir à quel point Coktel Vision serait capable de tirer des leçons de ses erreurs du passé afin de proposer une expérience de jeu un peu plus satisfaisante.

Comme on l’a vu, le scénario du jeu prend la suite du premier épisode, d’une manière assez confuse, particulièrement pour les joueurs n’ayant pas eu l’occasion de jouer à Inca. Aucun personnage n’est présenté, le contexte est introduit en vingt secondes, les rares détails sur l’univers sont à chercher du côté du manuel. Pour ne rien arranger, l’univers graphique du titre est plus foutraque que jamais, et on passera une bonne partie du jeu à se demander d’où sort ce personnage appelé Kelt et habillé comme un aviateur des années 30, au milieu de cet univers futuriste à la Star Wars où se baladent des Incas emplumés et torse nu. Autant dire que pour s’intéresser à l’histoire, toujours aussi décousue et expédiée le plus vite possible sans jamais prendre le temps de développer quoi que ce soit ni de justifier les multiples incohérences, mieux vaudra conserver une âme d’enfant – ou choisir de s’en foutre.

Le jeu repose toujours sur une alternance entre des séquences d’action situées dans l’espace et des énigmes au sol. La bonne nouvelle, c’est qu’elles sont les unes comme les autres devenues sensiblement plus intéressantes depuis le premier épisode. Du côté des phases dans l’espace, le titre hurle toujours son désir de ressembler à Wing Commander, et ne s’en sort d’ailleurs pas trop mal en dépit de limites de gameplay évidentes. Si les premiers passages d’action ne sont pas très compliqués, le logiciel n’hésitera pas à craquer son slip et à vous placer seul face à jusqu’à une quinzaine d’appareils vers la fin du jeu, selon les décisions que vous aurez prises.

On regrette une nouvelle fois de ne pas simplement pouvoir passer ces séquences qui ne se renouvèlent jamais et qui finissent par être plus frustrantes qu’autre chose. Pour ce qui est des énigmes, elles ont eu la bonne idée d’être devenues plus logiques – un peu. Disons que si le gameplay de ces séquences repose encore beaucoup sur l’essai/erreur, on a généralement l’avantage d’avoir une petite idée de ce qu’on est censé accomplir, et d’utiliser pour y parvenir des objets ayant une fonction évidente comme une corde, de l’huile ou un marteau. Cela n’empêche pas les ratés, comme cette énigme que je qualifierais personnellement de « plus stupide de toute l’histoire du jeu vidéo », et qui vous demande de trouver « les plus belles prières » parmi dix rouleaux strictement identiques.

Sachant que chacun de ces rouleaux produit exactement la même chose que les neuf autres, que vous n’avez aucun indice, que vous ne savez même pas combien de prières vous êtes censé trouver ni dans quel ordre, les possibilités sont virtuellement infinies, vous condamnant à cliquer au hasard pendant des heures, voire des semaines ou des mois. Du génie à l’état pur… Heureusement, il s’agit plutôt d’une exception dans une série de puzzles rarement très bien agencés mais reposant nettement moins sur le pif total que ceux du premier épisode. La partie n’est de toute façon pas très longue, et peu très facilement être bouclée en moins de trois heures dès votre première partie, selon votre aptitude pour les scènes d’actions.

Du côté de la réalisation, on sent que l’ambition de Coktel Vision n’a pas faibli. Le jeu, cette fois sorti au format CD en même temps qu’au format disquette, est toujours rempli de séquences 3D, de dialogues doublés (nous y reviendrons), et de digitalisations animées à la truelle.

En effet, même si tout le monde parlait à l’époque de « film interactif », le titre ne contient en fait pas une seule vidéo « live ». Probablement dans un soucis de place, tous les dialogues ne sont pas joués par des acteurs devant une caméra, mais simplement servis par des images digitalisées (généralement des employés de Coktel Vision déguisés) dont on anime les yeux et la bouche pendant que des acteurs lisent les dialogues. Dire que le procédé, qui aura également fait ses classes dans des titres comme Rebel Assault, a mal vieilli est encore très en-dessous de la vérité. Lorsque cela ne sonne pas faux, cela vire au grotesque, et le doublage évoqué plus haut y est pour quelque chose.

En effet, le casting vocal est en très grande majorité joué par des employés de Coktel Vision, lui aussi, et il est très facile de juger de l’ampleur des dégâts dès les premières secondes de jeu, tant tout ce qui n’est pas sous-joué sonne abominablement faux. Probablement consciente de ses limites, l’équipe a eu la bonne idée de faire appel à un doubleur professionnel (et juste un seul, hélas) : Gilbert Levy, pour lequel vous dresser un CV exhaustif prendrait plusieurs pages, mais que la plupart d’entre vous connaîtront principalement comme le doubleur de Moe dans Les Simpson.

En dépit de l’extrême compétence de l’acteur, je dois avouer que prêter sa voix hyper-caractéristique (et souvent plus adaptée à des séries comiques) à 90% des personnages masculins apparaît quand même comme une cruelle erreur de casting. Ainsi, force est de reconnaître qu’Atahualpa, le héros du (début du) jeu, a bien du mal à ne pas passer pour un parfait couillon à chacune de ses prises de parole – mais c’est encore pire lorsqu’il répond à El Dorado, son père, également doublé par Gilbert Levy ! Le sommet du malaise doit néanmoins être atteint lorsque le pauvre Gilbert se sent obligé (à moins qu’on ne le lui ait demandé) de donner un accent « petit-nègre » digne d’un Michel Leeb de Prisunic à un personnage noir, brisant à la fois le peu d’immersion qui restait et sa crédibilité dans la foulée. On avait oublié ce sentiment de honte qui nous étreignait parfois lorsqu’on nous surprenait en train de regarder une émission débile, je ne sais pas s’il faut remercier Inca II de l’avoir ressuscité à sa façon. Notons également que le mixage du jeu n’est ni fait ni à faire, plaçant le volume de la musique plus haut que celui des voix, et qu’il est impossible de le régler ou d’afficher des sous-titres.

En résumé, en dépit de réels efforts pour guider le jeu vers une expérience plus satisfaisante que celle offerte par son prédécesseur, Inca II évoque avant tout ces productions réalisées par des lycéens fauchés avec un budget composé de deux Carambar et un bout de carton, et qui essaient de rejouer les grands classiques déguisés dans le rideau de la salle à manger avec un sérieux visant à compenser leur absence de talent.

Dire que le titre a mal vieilli à tous les niveaux reviendrait à enfoncer une porte ouverte, en dépit de quelques séquences réellement impressionnantes pour l’époque, et ce n’est certainement pas l’histoire mal ficelée et la mise en scène chaotique qui risquent de vous retenir. Malgré toute la sympathie qu’on cherche à avoir pour un jeu qui aura indubitablement visé trop haut, difficile de ne pas le considérer avec une certaine gêne lorsqu’on se rappelle qu’il est paru le même mois que Sam & Max, qui aura laissé une empreinte nettement plus marquante. C’est là le sort des pionniers : ce ne sont pas toujours les premiers à défricher le terrain qui découvrent l’Eldorado.

Quelques précisions, au passage, sur la version disquette : au menu, comme on pouvait s’en douter, beaucoup de coupes dans l’enrobage du jeu – qui était alors pourtant son principal argument de vente. Cela est perceptible dès la – désormais très courte – introduction du titre, qui se contente de quelques bouts de cinématiques et de pas grand chose d’autre. Tous les doublages sont passés à la trappe (est-ce vraiment une perte ?), la plupart des cinématiques en 3D ont été énormément raccourcies, et les dialogues ne sont plus animés. Départi d’une portion de son strass et de ses paillettes, le titre n’en apparait hélas que plus creux et plus mal écrit, mais conserve heureusement la grande majorité de l’expérience de jeu originale. Difficile, malgré tout, de ne pas avoir l’impression de jouer à une démonstration payante de la version CD-ROM.

Vidéo – Dix minutes de jeu (CD-ROM) :

Récompenses :

Computer Gaming World :

  • #18 Worst Game of All Time ( 18e pire jeu de tous les temps) – Novembre 1996
  • #4 Worst Back Story of All Time (4e pire scénario de tous les temps) – Novembre 1996

NOTE FINALE : 10,5/20 Objectivement, Inca II : Wiracocha est, à tous les niveaux, un meilleur titre que son prédécesseur – et mérite enfin d'être qualifié de « jeu », ce qui est indéniablement une grande avancée. Malheureusement, comme tous les programmes ayant misé sur leur réalisation plus que sur l'expérience ludique qu'ils avaient à offrir, le titre de Coktel Vision a beaucoup plus souffert du passage du temps que la plupart des logiciels sortis à la même période. Entre des séquences narratives qui font aujourd'hui sourire, quand elles ne sont pas navrantes voire carrément gênantes, un scénario bourré d'incohérences qui semble avoir été improvisé sur un coin de table et des phases d'action mieux pensées mais qui peine à se montrer amusantes plus de cinq minutes, on est presque surpris de voir à quel point la magie qui parvenait à agir à l'époque est aujourd'hui définitivement tarie. Clairement le genre de jeu qu'on ressort pour prendre un énorme coup de vieux plutôt que pour passer un bon moment. CE QUI A MAL VIEILLI : – Un doublage qui fait rire. Essayez d'embaucher au moins deux professionnels, la prochaine fois - et dirigez-les mieux – Le fil narratif est toujours aussi incohérent – Beaucoup de séquences qui sentent affreusement le toc avec vingt-cinq ans de recul – Les énigmes sont un peu plus logiques, mais elles ne volent toujours pas très haut – Trop court, trop facile

Les avis de l’époque :

« Aucun doute là-dessus : autant le premier épisode avait été « moyen », autant cette suite est excellente. Les aventuriers chevronnés trouveront le jeu assez simple, mais cela ne l’empêche pas d’être passionnant, au point qu’il est très difficile de se décoller de l’écran une fois plongé dans le jeu. […] Mes quelques critiques concernent surtout la durée du jeu : moins de 10 heures, c’est trop court. De plus, le jeu se termine trop brutalement. Néanmoins, Inca II est un excellent divertissement. »

Serge D. Grun, Tilt n°122, Janvier 1994, 91%

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